Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 24 juin 2016

La bande dessinée fait flouf.



Si je me souviens bien, la semaine dernière, je n'avais quasiment rien dit, à part que j'avais pompé une chaîne youtube pour faire mon beau sur la question du traumatisme de la bombe nucléaire au Japon et que j'avais fait un vague parallèle entre certains éléments semblables dans Akira de Otomo et dans Nausicaä de Miyazaki.

C'ÉTAIT DÉJÀ PAS BIEN BRILLANT AVANT, MAIS FAISONS FI DE TOUT CELA ET POURSUIVONS DANS L'ERREUR (COMME DIRAIENT CERTAINS HOMMES POLITIQUES AU POUVOIR EN SE MOMENT).

Nous disions donc qu'il existe une similitude entre les différents personnages de Otomo et Miyazaki. Et si retrouver les mêmes personnages classiques des mangas (des jeunes en apprentissage, de vieux mentors) n'est pas une surprise, on peut aussi relever la présence commune de figures plus spécifiques.

Enfonçons donc bien le clou sur ce point (comme on dit à Fort Boyard) (les plus de 25 ans comprendrons) (non, je ne suis pas vieux, je suis expérimenté, nuance) :

  • Des enfants capricieux aux pouvoirs phénoménaux.
Dans les deux récits, il n'y a qu'un seul type d'enfant capricieux : ceux qui ont un méga pouvoir illimité, qui roule des mécaniques pour faire peur à toute la galerie, mais qui sont, en fait, au fond de leurs petits cœurs, en train de sucer leurs pouces en position latérale de sécurité, parce que leur maman ne les aimait pas assez fort quand ils étaient tout petit.

Écoutez, même les enfants les plus laids, il faut les aimer. Y a pas de raison, on fait des gosses, après, faut assumer.

Les joies simples des enfants d'aujourd'hui : faire tout péter.

Ces enfants sont à la fois les causes, la manière d'opérer, et les conséquences de la bombe atomique. Ils sont la représentation de l'humanité qui se comporte de manière infantile alors qu'elle a à sa disposition des pouvoirs phénoménaux ; la représentation des difficultés à gérer cette puissance, entre mutation, douleur, et même liquéfaction (on reviendra sur ces détails super sympa un peu plus tard) ; et les conséquences de cette mauvaise gestion : une génération d'enfants abandonnés, parce qu'on était trop occupé à jouer à la guéguerre plutôt qu'à assumer les conséquences de nos actes et s'occuper d'eux.

Dans Akira, Néo-Tokyo se mange deux apocalypses dans la gueule parce qu'on a piqué son dessert à un enfant 20 ans plus tôt. Pensez à ça les racailles de cours de récré : piquer un yaourt au plus petit peu vraiment très TRES mal finir.

  • La bombe.
Parce que, effectivement, je sais pas si j'ai été bien clair depuis le début, mais les thèmes de tous ces récits tournent autour de la description de la guerre (de la guerre nucléaire, même) et de ses conséquences.

Dans Nausicaä, c'est fastoche, une espèce d'hiver nucléaire (appelée « mer de la décomposition » et constituée de champignons/pourrissure/trucs dégueux) recouvre une grande partie de la planète et ne cesse de s'étendre, suite aux « sept jours de feu ». C'est Tchernobyl en pire, quoi. On fait difficilement plus transparent niveau métaphore. Nausicaä (le personnage éponyme, pas le récit en lui-même) passe son temps à analyser et comprendre cette mer de la décomposition. Avant de subir les conséquences d'une nouvelle guerre (arrêt impossible de la violence, cycles de destructions, tout ça).

La boum de Jean-Kevinoutchev bat son plein à la salle polyvalente Nikita Kroutchev de Tchernobyl.

Dans Akira, la guerre a bien eu lieu, mais ses conséquences ont été beaucoup moins intenses, et l'humanité s'est relevée. Il n'y a pas de mer de décomposition, ou de zone interdite (enfin, si, mais elle est très très petite et secrète), ou de dégénérescence de la nature façon Tchernobyl et Fukushima. Les gens vivent dans une société normale (bien que très violente au quotidien) (ouais, bin, comme la notre, quoi). Avant de subir les conséquences d'une nouvelle méga-explosion (arrêt impossible de la violence, cycles de destructions, tout ça).

Ok, qui a encore utilisé la la machine à diviser par zéro ? Vous écoutiez pas en cours de math ? Il ne faut jamais diviser par zéro ! C'était pourtant pas compliqué comme instruction !

  • Sans compter sur d'autres petits classiques repris dans les deux récits.



Le vieux sage-bonze-chelou-télépathe-et-aveugle.
Qui est une sorte de constante du film de guerre et qui permet d'en montrer les conséquences, avec des vieux abandonnés sur le bord de la route, obligés de développer des super-pouvoirs pour survivre dans ce monde de brutes.



Des mutants bizarres (qui font des têtes rigolotes).
Parce que le spectre de la guerre nucléaire devient celui des mutations étranges qui transforment les gens en monstres. 
(Comme si Cyril Hanouna ne suffisait pas.)


Les mecs qui voient plus mais qui voient en fait encore plus loin, dans le passé, dans le futur, dans la tête des autres (et qui n'ont plus de bras) (ça, je sais pas trop pourquoi) (à part, bien sûr, que c'est super rigolo de voir des gens souffrir).
C'est un peu la version intello du mutant, lui. Il mute du cerveau plutôt que des biscotos.



Et, bien sûr, des meurtres de masse. 
(Parce que, bon, c'est la guerre, et la guerre (nucléaire) se marrie mal avec un équilibre démographique respecté)

UN POIDS, DEUX MESURES.

Bon, OK, les deux gusses partent du même matériaux de base, inspiré du même traumatisme (nucléaire).

Mais ce qu'il en font est radicalement différent. Et en pointant ces différences, on peut ainsi voir ressortir les deux personnalités des deux maîtres.

AKIRA, PAR EXEMPLE.

Est un récit, au départ, futuriste et urbain, tout bien carré comme il faut. Les personnages évoluent au sein d'immeubles, de lignes droites, longues, et fortes. L'auteur et ses assistants usent et abusent des lignes de forces (les lignes tracées pour représenter la vitesse ou le mouvement) (ne soyons pas naïf, ce n'est pas Otomo qui va s'emmerder à tracer 250 lignes par pages, juste pour le fun, ses esclaves personnels sont là pour ça). Des lignes bien droites et bien nettes qui donne une dynamique directe et nette au récit.

Otomo aime tellement le milieu urbain que, quand il dessine la nature (en l’occurrence, ici, un arbre) (je vous aide, parce que c'est pas évident de reconnaître ce que c'est), il ressemble bien plus à un gros tas de purin en suspension qu'à autre chose.

Otomo utilise surtout les lignes pour quadriller son espace. 
Dans l'extrait ci-dessus, les lignes sont à la fois utilisées pour définir le sens du mouvement, mais aussi pour donner le sentiment de l'espace entourant les personnages.  Le gars en moto qui flotte descend dans un puits ? On fait des lignes qui tournent autour du personnage. Le personnage glisse sur une surface ? On fait des tas de lignes qui définissent cette surface. Et dans la dernière case, les lignes définissent le cube dans lequel se joue l'action.

Mais ces lignes ne définissent pas seulement l'espace, elle l'enferme. les lignes sont comme les barreaux d'une prison qui retient les personnages.

(En général, plus il y a de traits, plus la situation est merdique.)


Tandis que la courbe, elle, est vue comme positive est joyeuse.

Les lignes segmentent et détruisent les figures optimistes, enfantine, et rondes.


Au finale, les lignes sont attachées à l’étouffement urbain.

Alors que les courbes sont vues comme beaucoup plus aérées, calme, et zen.

Et, attention, quand ça va vraiment très mal, on croise les effluves, et on fout carrément du damier !

DANS TA GUEULE, LA LIGNE DROITE.

Au fur et à mesure, ces lignes vont se briser et s'estomper. (Et cette remarque est à prendre au premier degrés : les ligne se brisent vraiment, puisque tous ces beaux bâtiments qui donnaient cette belle dynamique érectile sont détruits au cours du récit.)

D'abord, les immeubles vont être détruits. Cela amène à rompre les différentes lignes, à créer différentes dynamique dans une même image (au-lieu d'avoir un seul sens au ligne, qui est celui d'un immeuble (du bas vers le haut), on se retrouve avec différentes directions avec des lignes dans tous les sens, avec des bouts d'immeubles dans tous les sens). (Cela amène aussi à troubler les grandes surfaces blanches utilisées précédemment pour créer des contrastes entre l'action et les phases de repos. Désormais, comme tout est cassé, les grandes surfaces sont troublées par des petits cailloux, des poussières, des déchets, des merdouilles. Le repos est troublé.)

Le bonheur simple de tout péter (à commencer par le salon de son voisin).

Une fois la destruction réalisée, les lignes droites se trouvent troublées et interrompues par des tas de petits déchets/cailloux/zig-zags.

Et si la destruction a ses mauvais côtés (comme de réduire tout le monde à l'état de demi-clodo et le retour du typhus), elle permet également de détruire les fameuses lignes-droites-des-barreaux-de-prison pour mieux s'émanciper. (Dans l'image ci-dessus, les lignes droites sont (un peu brisée) et les espaces blancs et zens gagnent du terrain.)

DANS TA FACE, LA LIGNE CLAIRE.

En poursuivant le récit, et dans la même logique, les lignes de forces vont être de moins en moins utilisées (alors que ce n'est pas vraiment justifié sur le fond : le récit reste un récit d'action, avec plein de vroum-vroum et de pan-pan ; en tout cas, il ne change pas fondamentalement de logique ou de contenu en cours de route ; on pourrait donc s'attendre à ce que la manière de raconter l'histoire se maintienne, et bin pas du tout). Cela donne deux impressions au lecteur.

La première est que l'action perd de l'importance au profit de la psychologie des personnages. Ou, plus exactement : action et psychologie garde à peu près les mêmes dosages, mais leurs importances, leurs impacts sur le lecteur changent, parce que leurs représentations changent.

Pour vous la péter dans les dîners, vous pouvez toujours faire remarquer que Otomo a pompé ses nuages noirs sur des gravures de Gustave Doré. Quoi Lesquels ? Ha ha ha... j'en sais absolument rien.

Ce qu'il faut retenir de ces nuages, c'est que ce sont des ligne courbes entrecroisées (alors qu'avant on avait droit à des immeubles constitués de lignes droites parallèles) et qu'elles représentent à merveille le bordel dans la tête d'un peu tous les personnages.

La seconde impression est que les actions sont moins faciles à mener. Le récit semble essoufflé ; tout devient plus difficile et fatiguant. Une ligne de force, ça donne l'impression qu'une action (ou qu'une succession d'actions) est facile et directe. Son absence rend la succession d'action plus floue, moins évidente, plus difficile. Toute action est plus pesante, moins évidente, plus compliquée.

L’absence de ligne décloisonne l'espace, mais supprime également les lignes de mouvement, et donc l'impression que les personnages bougent de manière directe et décidée. Ils semblent soit plus hésitants, soit plus lents.

Toutes ces impressions vont être confirmées par la nouvelle étape de représentation de l'action : l'introduction de la fumée.

Les personnages allant jusqu'à se mêler à cette fumées pour paraître eux-aussi obscurs.

Les lignes de forces étaient nettes, puis rompues, et maintenant carrément estompées dans la fumée. Ce qui renforce encore les impressions crées ci-avant : du flou, de la difficulté, une préemption de la psychologie sur l'action ; par là même, une approche psychologique où les choses ne sont pas simples, où il est aussi difficile de se décider que d'agir.

Bref, en flouifiant (si, ça existe) (du coup, en se flouifiant, la bande dessinée fait flouf) (j'explique mon titre, parce que c'était pas super clair) (non, ne soyez pas trop gentil avec moi, j'ai bien senti qu'il y avait du flottement) le récit, Otomo le tire vers plus de psychologie et plus de complexité.

ET MIYAZAKI, ALORS ?

Miyazaki, c'est la semaine prochaine, parce qu'on s'arrête ici pour aujourd'hui.


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