Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 28 juin 2018

Bien au contraire, ça a tout à voir...

Aujourd'hui pas de critique compliquée à l'explication aléatoire et trop longue. 

À la place, une question.

En tant que lecteur, seriez-vous prêt à payer vos livres 10% de plus s'il s'agissait de tout reverser aux auteurs (et accessoirement de leur sortir la tète de l'eau) (oui, non, parce que je sais pas si vous savez : ça va pas fort) ?

BON, C'EST QUAND MÊME PAS GAGNÉ.

J'ai  hésité longtemps avant de publier ce truc, parce que, bon, hein, bon ; je peux pas dire que mon rayonnement politique international soit à son maximum en ce moment, et pour qui je me prends, et de toute façon personne n'en aura rien à faire, et patati, et patata.

Mais bon... Avec toutes ces histoires d'auteurs en train de mourir pour leur art, moi, j'ai une idée à proposer. C'est à dire que je sais pas si vous vous rendez compte, mais j'ai eu une idée. Ça arrive pas tous les jours ce genre de truc (ni toutes les années). Alors, bon, je me suis chauffé, et je l'ai décrite ci-dessous.

FRANCHEMENT, JE VOIS PAS COMMENT ÇA POURRAIT RATER.

C'est mon blog, je fais ce que je veux.

L'IDÉE.


(Cet article sera illustré par Calvin et Hobbes, parce que comme ça il aura au moins cet intérêt.)

On augmente le prix des bandes dessinées de 10 %. Tout est à la charge du lecteur. 

(Je sais, ça fait mal.)


COMMENT ?

Ce surcoût est appliqué sur TOUTES les bande dessinées publiées dans l’année (nouvelles sorties, réassorts, publications patrimoniales, auteurs vivants, auteurs morts, comics, manga, etc.).

POURQUOI ?

L’argent de ce surcoût va à un fond, qui redistribuera ensuite l'ensemble de l'argent collecté aux auteurs de bande dessinée.

Il n’ira JAMAIS à aucun autre acteur de la chaîne du livre.



POURQUOI ÇA TOMBE SUR LE LECTEUR ?

L'ensemble de la chaîne du livre s'est peu à peu désengagée du sort des auteurs. Les éditeurs et distributeurs sont tenus par leurs actionnaires à faire uniquement du profit. Les libraires sont dans un stress permanent face au pouvoir d'amazon ou du livre numérique qui les empêche de se projeter à moyen terme. Les collectivités et les festivals restent enkystés dans l'idée qu'inviter des auteurs pour qu'ils bossent gratuitement leur donnera de l'exposition et de la publicité. 

Les seuls, semblent-ils, à avoir encore quelque chose à faire des auteurs, ce sont les lecteurs. À cause de ce dialogue silencieux qui s'installe toujours entre ces deux parties, et dont tous les autres membres de la chaîne du livre ne sont que des intermédiaires.



Dans l'absolu, ce ne devrait pas être au lecteur à payer. Lui aussi il a du mal à boucler les fins de mois. Il faudrait un pouvoir politique fort qui impose à la chaîne du livre de respecter ceux qui la génèrent. 

C'est le même problème qu'avec les agriculteurs. Vous avez vu ce qui se passe avec les agriculteurs ? Rien. Ils sont bien plus nombreux, bien plus puissants, et génèrent un chiffre d'affaire bien plus important. Et rien ne bouge. Parce que les politiques ont choisi leur camp. Vous imaginez ce qu'ils pensent du sort de quelque milliers de saltimbanques mal dégrossis ?


Il reste les lecteurs.


Qui sont bien les seuls à s'être montrés un tant soit peu intéressés par le sort des auteurs qui se battent pour ne pas crever.

Qui, par leurs achats, pourraient contribuer à un fond qui servirait directement les intérêt des auteurs et de leurs créations (comme une sorte de compte tipeee généralisé).

UN PEU DE MATHS.


Il y avait environ 4000 créations originales en France en 2017 (2000 franco-belges, 1500 manga, 500 comics) (en très grossier).

On évalue à environ 500 millions d’euros le chiffre d’affaire de la bande dessinée en France. Les 10 % du fond de redistribution servent donc à dégager 50 millions d’euros.

Si on fait un rapide calcul, et qu’on veut répartir égalitairement l’ensemble du fond, on obtient 12 500 euros à donner pour chacune des 4000 créations de l’année. 

Avec ce fond, on pourrait payer 12 500 euros par livre créé

Ce n’est pas même un SMIC, ce n’est pas suffisant (surtout s’il y a plusieurs auteurs sur le même livre), mais disons que c’est déjà mieux que rien.

VARIANTE « CRÉATEUR ».


On peut également construire une version « une part pour chaque auteur ayant créé dans l'année, peu importe le nombre de livres qu'il a publié ». Ce qui favoriserait les auteurs particulièrement précaires, mais défavoriserait les scénaristes et Bastien Vivès.

VARIANTE « CRÉATEUR EUROPÉEN ».

On peut également se dire que le fond ne sert qu’à payer les créateurs français (ou franco-belges) (ou européen), un peu sur le même modèle de financement du cinéma français (une part de n’importe quel ticket de cinéma vendu sur le territoire français sert à alimenter un fond qui finance exclusivement le cinéma français). 

En évaluant à environ 1500 le nombre d’auteurs « francophones européens » ayant publié en 2016, on obtient une redistribution de 33 000 euros à chaque créateur.


Si on réduit la part du surcoût du fond de redistribution à 5 % du prix du livre, on peut encore redistribuer 16 500 euros à chaque créateur. 

(Grosso modo, de toute façon, qu'elle que soit les variantes proposées, mon idée, c'est que le CNL (Centre National du Livre) devienne un nouveau CNC (Centre national du Cinéma et de l'image animée, qui a quand même plus de prérogatives que son collègue).) (Je me suis pas foulé.)

ATTENTION, CE NE SONT QUE DES APPROXIMATIONS.

Par exemple, cette appellation « d’auteurs » ne recouvre pas les coloristes, et il est bien sûr hors de question de les oublier sur le bord du chemin.

ET PUIS, POINT TROP N'EN FAUT QUAND MÊME.

Il faudrait sans doute introduire une sorte de « clause de surface dessinée » pour que les ouvrages très petits (et plausiblement plus rapidse à concevoir) ne soient pas ou moins pris en compte (genre : si le livre publié fait moins de 10 pages A6, et qu'il est publié à 100 exemplaires, il n'a pas droit au fond).

(Enfin, bon, tout ça pour dire que je fais des approximations dans les calculs pour rendre ça plus clair et moins wibbly wobbly. J'essaye de simplifier.)


FRÈRES DE TOUS PAYS, UNISSONS-NOUS.

Pour ma part, je suis plus enclin à favoriser un système qui ne tient pas compte de la nationalité des auteurs (juste pour voir la tête de Eiichiro Oda qui se demandera qu'est-ce que c'est que ce fond qui lui envoie douze mille balles au lieu des milliards qu'il brasse habituellement dans chaque pays)

J’encouragerai donc une formule « 12 500 euros par livre créé »

LA PART SUPPLÉMENTAIRE DES AUTEURS (ALIAS : UNE REFORME NI DE GAUCHE NI DE DROITE).

Ne pas oublier que la part du fond de redistribution est un surcoût imputé aux lecteurs-acheteurs-mécènes.

Le reste de la construction du prix du livre reste donc inchangée. Et notamment la part actuelle sur les ventes qui est donnée aux auteurs (les droits d'auteurs) (de 6 à 10 % du prix global du livre, quand l'éditeur est bien luné).

Ainsi, à chaque livre vendu, un auteur gagne un peu d’argent. Si le livre se vend à 1000 exemplaires, qu’il a un prix d’achat de 20 euros, et que la part des auteurs est de 10 %, les auteurs du livre gagneront 2000 euros. Si ce même livre se vend à 100 000 exemplaires, les auteurs gagneront 200 000 euros et achèteront une maison au bord de la mer.



Les auteurs qui vendent beaucoup ne sont pas pénalisés par ce système, tout en contribuant solidairement au fond de redistribution.

DEUX SLOGANS POUR QUE CELA SOIT BIEN CLAIR.


La part du fond de redistribution est utilisée pour récompenser la création.

La part due à l’auteur sur les ventes est utilisée pour récompenser le succès.

LES AVANCES SUR DROITS.

(Les avances sur droits sont une somme payée par l'éditeur aux auteurs avant le début de leur travail de création, pour leur donner les moyens de créer sans problèmes financiers (en théorie) (en pratique, la somme avancée est trop faible, et va en s'amenuisant ces dernières années).) (Une fois le livre mis en vente, ces avances sont remboursées par les auteurs via les droits d'auteurs eux-mêmes.) 


(Suivant mon exemple précédent, si l'éditeur a avancé 4000 euros aux auteurs, que le livre se vend à 1000 exemplaires, qu’il a un prix d’achat de 20 euros, et que la part des auteurs est de 10 %, l'éditeur aura payé 4000 euros aux auteurs, qui lui en auront remboursé 2000. L'éditeur perd 2000 euros (sur l'avance sur droit) (mais en gagne quand même plein par ailleurs dans les autres secteurs de la chaîne). Les auteurs ne perçoivent rien d'autre que leurs avances sur droit.) 


À mon sens, si on arrive à mettre en place un fond de redistribution, le système des avances sur droits, si malmené ces dernières années, peut être supprimé. 


Les auteurs renoncent à une quelconque avance, sont payés à la création du livre par le fond de redistribution, puis payés à la publication du livre par l'éditeur, en encaissant directement leurs parts de droits d'auteurs sur les ventes des livres (sans avoir à rembourser les avances, puisqu'ils n'y en a plus). Chaque vente de livre devient un bénéfice.


AVANTAGE :

Plus besoin de mendier une avance à un éditeur.

INCONVÉNIENT :

Les éditeurs vont en profiter pour rogner sur la part des recettes en disant « vous n'avez plus besoin de cet argent, vous avez déjà le fond de redistribution qui vous paye ». Il faudrait donc déterminer/bloquer/imposer une part minimum de droits d'auteurs. Genre 7,5 %. En espérant que les éditeurs respectent plus ou moins ça.


(Les auteurs puissants, qui vendent beaucoup, peuvent bien sûr établir des contrats différents, avec de grosses avances, qu'ils sont sûrs de rembourser.)

LE NERF DE LA GUERRE.

Reste ce fameux surcoût de 10 % pour alimenter le fond de redistribution.

10 % sur le prix d’un livre à la charge du lecteur.

2 euros de plus sur un bouquin qui en coûtait 20. Deux pains au chocolat qu'on ne pourra pas se payer parce qu'on a acheté un livre.

Est-ce que les lecteurs seraient prêts à un tel investissement ? Pour essayer de sauver les auteurs et les livres ?


J'ai écrit tout ceci pour poser cette question. 

Quelle serait votre réponse ?


jeudi 14 juin 2018

La bande dessinée qu'on dévisage deux fois plus.

OU EN SOMMES NOUS ?

Si je résume les chapitres précédents : en bande-dessinée, les auteurs peuvent décider de représenter leurs personnages avec un masque (peu d'expressions, mais très lisibles, très marquées, dont les changements impulsent un rythme à la lecture et servent le récit) ou être toute en hyper-expressivité chamarrée (avec des variations infimes et infinies qui donnent l'impression au lecteur de mieux connaître le personnage que lui-même et d'être un intime ; la narration est moins nette, mais l'empathie est à son max).

BIN ALORS ? IL EST OU LES PROBLÈME ?

Là où les ennuis commencent, c'est quand on forge un masque à un personnage, et qu'on veut ensuite le faire basculer vers l'hyper-expressivité. 

Bon, bin, en général, on le fait pas. 

Ça ne rime à rien, on va pas détruire tout le travail sur un visage très expressif qui nous permet de deviner la moindre variation de ses humeurs par l’apparition soudaine, comme ça, pouf, d'un masque.

Enfin, bon, comme d'habitude, il y a des exceptions, bien sûr. 
Mais pour être capable de faire de telles exceptions, il faut s’appeler Uderzo, être un des meilleurs dessinateurs de son temps, et ensuite faire de la merde avec la série qui vous a rendu célèbre, 
comme ça les gens ne retiennent que le fait que vous étiez un peu gaga sur la fin et pas que votre dessin défonce tout le monde.

MÊLER LES DEUX MÉTHODES.

Non ce qu'on fera, plutôt, c'est accoler au personnage à masque un personnage hyper expressif, comme ça, ils se complètent, et chacun prend en charge les points forts des deux méthodes. C'est win-win.

D'où le nombre incalculable (enfin, bon, je dis ça, c'est une hyperbole, c'est calculable en fait, mais c'est juste que j'ai la flemme) de duos de personnages principaux, l'un sage, l'autre fantasque.




Il y a des tas d’exemples, et non des moindres !
(Apparemment, quand on est expressif, on garde la bouche ouverte.)

Ils se partagent le boulot. L'un supporte le récit (on est trop à fond avec Johan quand il donne des coups d'épée), l'autre apporte l'émotion (on rigole trop avec Pirlouit quand il donne des coups de casserole) (pourtant, il font la même chose, mais dans leurs registres respectifs). Au final, le lecteur sera à fond tout le temps (dans l'action, dans l'émotion,), et tous les effets en seront décuplés.

QUAND ON PART D'UNE BANDE DESSINÉE MASQUÉE.

En général on ajoute au héros masqué un copain bien plus fantasque, aux traits plus caricaturaux, avec en général un caractère bien trempé.

Les traits caricaturaux sont là pour le rendre automatiquement expressif. Il est déjà, en quelque sorte, déformé. Il pourra se déformer encore plus sans aucun problème pour exprimer toute les émotions qui le traversent.

C'est comme ça que Pirlouit est devenu une espèce de nain de jardin avec le nez de la taille d’une pastèque et des jambes plus courtes que celles de E.T..

Le caractère bien trempé (en général soupe-au-lait, mais il peut aussi être boute-en-train, l'important étant qu'il soit donc en-trois-mots) est là pour décrire un personnage sans filtre, qui dit tout ce qui lui passe par la tête automatiquement. Comme ça, son côté exubérant est moins choquant dans le cadre d'une bande dessinée masquée. C'est juste qu'il est un peu zinzin, aime faire son intéressant, ou est atteint d'un Gilles de la Tourette.

C'est comme ça que Pirlouit gueule sur tout le monde toute la sainte journée (pendant que Johan garde sa mono-expression : il fronce les sourcils) (il est comme ça, Johan).

(C'est vrai que, quand on y pense, si on construisait un personnage à la fois hyper-expressif et hyper-timide, bon, bin, on serait pas super avancé et ça ne mènerait pas à grand-chose de bien passionnant.)

ALORS, BIEN SÛR, IL NE S'AGIT PAS DE FAIRE N'IMPORTE QUOI.

Le personnage exubérant doit malgré tout rester dans les clous de ce qu’on pourrait appeler la « charte graphique » du récit. Ne pas être trop déformé. Ne pas être trop gueulard. (Autrement dit : Gaston La Gaffe chez Blake et Mortimer, ça le fait pas.)

Pour à la fois pousser au maximum les possibilités du personnage et retenir les chevaux, les auteurs vont donc utiliser toutes les possibilités offertes par la bande dessinée (ce medium merveilleux).

Déformation des textes. Ajout de signes extérieurs d’agitation. Expression corporelle.

Et c’est toute la magie de la bande dessinée de pouvoir superposer tellement de niveaux différents d’écriture (le dessin, la chorégraphie entre les personnages, le texte, la forme du texte, les signaux qui ressemblent plus à des panneaux de signalisation qu’à autre chose) pour maintenir un ensemble cohérent.

CHEZ LES PERSONNAGES HYPER-EXPRESSIFS.

Peut-on faire de même (un mélange des deux méthodes) dans une bande-dessinée qui a fait le pari de l’hyper-expressivité ?

ÉCOUTEZ, A PRIORI, OUI, Y A PAS DE RAISON, SI ON Y ARRIVE DANS UN SENS, ON PEUT BIEN Y ARRIVER DANS L’AUTRE.

Seulement, ce sera par une méthode très différente.

Parce qu’insérer un personnage à masque (inexpressif) parmi une foultitude de personnage totalement débridés peu vite le rendre, par contraste, antipathique. Ou au moins l’exclure du mouvement général du récit. (C’est le phénomène de Boulier dans Gaston, qui a toujours sa même tête de coincé du cul et qui est donc unanimement considéré comme un gros con par n’importe quel lecteur.) (Ou de Moe, dans Calvin et Hobbes.)

Watterson fait exprès de cacher les yeux de Moe, pour le rendre encore moins expressif, et donc encore plus méchant.

C'est quand Boulier se déride, à la fin de la page, qu'on commence à l'apprécier.

Un personnage expressif au milieu de personnages à masque accélère le mouvement du récit, a un apport positif, ne peut être qu’apprécié. Un personnage à masque au milieu d’une bande dessinée virevoltante passe pour le boulet de service qui saoule tout le monde.

C'est une méthode qui peut donc être tentée, si on veut construire un personnage de méchant antipathique.

SI ON VEUT PAR CONTRE UTILISER UN PERSONNAGE QUI NOUS EST SYMPATHIQUE.

Il faut simplement prendre un personnage expressif et, parfois, lui faire prendre un masque, puis le rendre à sa vraie nature d'hyper-expressivité. Le masque devient une sorte d'étape, qui ne détruit ni ne marque le personnage. Le tout est qu’il ne reste pas trop longtemps coincé dans son aspect masqué, et revienne assez vite à la souplesse d’expression qui le caractérise. Dans ce cas-là, pris dans le flux, on switche de l’un à l’autre sans même sans apercevoir. Et il conserve notre sympathie. 

ENCORE MIEUX !

Sa capacité à passer du masque à l'hyper-expressivité, sa rapidité de mouvement, son aspect mouvant, changeant, accroissent la vitesse de lecture de la bande dessinée. Sans compter que le passage en mode masqué devient une méthode pour marquer une césure, un changement brutal, et accroître un effet (souvent comique) (mais parfois pas).

QUESTION DE RYTHME.


Le masque matérialisera un changement. Un changement profond, une réaction forte, voir un renversement de la situation. Donc 1°) on établit cette situation, on la répète avec ses variations, puis, 2°) bam on la rompt avec l’apparition d’un masque, 3°) bim effet comique ou dramatique assuré. (Notons que ça peut marcher dans l’autre sens aussi : 1°) répétition du masque, 2°) rupture de la situation et retour vers l’hyper-expressivité, 3°) bam, bim, boum, pouêt, tsoin-tsoin.

Deux cases hyper-expressive, et pouf : un visage qui représente plus rien.
Suivies de deux cases hyper-expressive, et pif : un visage qui représente plus rien.
Trondheim utilise les changements hyper-expressivité / masque pour rythmer son histoire.

(Bon, en vrai, j'avoue, je en sais toujours pas si Trondheim fait des bandes dessinées expressives ou à masque. les personnages changent tout le temps d'expressions (hyper-expressivité), mais ces expressions sont très marquées et stéréotypées (un peu comme des masques). Chez Trondheim, les personnages sont masqués, mais changent de masques à la vitesse du son. C'est son style. (D'ailleurs, quand il fait des personnages plus doux, moins hystériques, bin, c'est de la merde ça marche moins bien.)

BON. DONC. HEIN. SI ON RÉSUME.

On peut très bien utiliser une tactique du masque. On peut très bien utiliser une tactique de l’hyper-expressivité. Et on peut très bien utiliser une technique mixte. On peut tout faire (la bande dessinée, c’est le libre arbitre du vivre ensemble de la start-up nation). Le tout est de connaître les forces et faiblesses de chacun pour le exploiter au mieux de leurs possibilités. (Franquin qui essaye de travailler sur le rythme de son récit, bin ça donnerait des trucs horribles. personne ne veut voir ça.) (Imaginons un instant que Jason veuille faire du Gaston La Gaffe, bin, bon, non, ne l'imaginons pas, ça va m’empêcher de dormir cette abomination.)

COMME D'HABITUDE.

Le champ d'application des bandes dessinées est infini, encore faut-il avoir l’intelligence de comprendre ce qui convient à chacun.



jeudi 7 juin 2018

La bande dessinée qu'on dévisage expressivement.

On en était à dire qu'il y a deux manières de représenter les visages en bande dessinée : soit via un masque (une bouille bien reconnaissable, mais qui bouge pas des masses), soit par une hyper-expressivité (une bouille en pâte à modeler qui révèle et retranscrit toutes les émotions qui traversent le personnage).

Quand on parle d'expressivité, on parle forcément de Bill Watterson, 
un gars capable de faire exprimer mille choses à la bouille d'un petit garçon, aux moustaches d'un tigre, 
ou à une purée d'épinards.

ALORS ATTENTION !

Je m'empresse de préciser qu'aucune de ces deux techniques n'est réaliste. Nous ne sommes ni imperturbables (sauf Christophe Castaner) ni complètement exubérants (sauf Marine Le Pen) (c'est parce qu'elle a un grand cœur, qu'elle adore les gens, et qu'elle prend de la cocaïne avant les débats présidentiels). Tout ça, tout ce dont on parle, ce sont des méthodes de représentation narrative. Le masque, c'est pour améliorer la lisibilité et l'impact d'un récit. L'hyper-expressivité, c'est pour favoriser l'empathie et la sympathie à l'endroit du personnage. Dans un cas, on lira la bande dessinée parce qu'on sera à fond dans l'histoire. Dans l'autre cas, on lira la bande dessinée parce qu'on sera à fond avec le personnage.

(Je m'empresse de re-préciser que, en général, peu de gens utilisent une méthode médiane entre ces deux extrêmes, sauf d'une manière très spécifique, dont nous essayerons de parler pas plus tard que plus tard.) (Teasing.)

LE VOYEURISME, C'EST SUPER !

Quand un type est dessiné dans ses moindres coutures, ça a quelque chose de fascinant. Il n'a jamais deux fois la même tête, jamais deux fois la même expression, jamais deux fois la même émotion. Autant, le gars au masque, ça va, c'est cool, il a une dizaine de masques assez marqués qu'on peut classer et ranger tout bien dans des petites cases, ça va, on gère. Mais quand le visage d'un personnage devient une sorte de pâte à modeler qui ne reproduit jamais vraiment le même visage, qui apporte des nuances toujours variées et différentes, on se met à scruter ce visage, pour le détailler, le particulariser, le comprendre.

Bill Watterson, par exemple, n'avait pas compris cet aspect au début. 
Et puis il a pris confiance en son dessin et les strips uniquement basés sur des visages se sont multipliés.

À mon sens, au début, Bill Watterson travaille plus sur les masques. Calvin passe d'un masque à l'autre 
(ici : joyeux-sourire-triangle, circonspect-yeux-en-billes-de-clown, ronchon-gros-sourcils) 
pour bien marquer le rythme des cases et appuyer les chutes.

Ensuite, de même que Watterson assouplira la nécessité d'une chute en fin de mini-histoire, 
il assouplira également sa mécanique pour construire des visages plus expressifs et nuancés. 
Le visage devient un spectacle en lui-même, Calvin a une valeur (graphique et empathique) en lui-même,
sans avoir besoin d'être justifié par un gag.

On devient comme le pervers fasciné par la voisine sexy d'en-face qu'il scrute avec un télescope pour tout connaître de ses habitudes et de ses envies et, au final, avoir un peu l'impression qu'il fait partie de sa vie (puisqu'il la connaît si bien).

Là, c'est pareil, à force, on aura l'impression de mieux connaître le personnage que nous-même. On reconnaîtra dans telle mimique une part d'une autre expression vue et détaillée plus tôt (et ce n'est pas grave si cette part d'expression commune est plus du au style ou au facilités du dessinateur plutôt qu'à une volonté réelle de celui-ci, ça marche quand même). On décomposera et comprendra donc mieux ce nouveau visage, on aura l'impression de mieux connaître et comprendre ce personnage à chaque nouvelle case qu'on lit.

C'est comme ça que certains auteurs géniaux peuvent tenir toute une histoire en ne cadrant quasiment que leur personnage 
à chaque case. Peu de décor, peu de personnages secondaires, peu d'accessoires. Juste un visage pour accrocher le lecteur.

Du coup, forcément, on va s'y attacher, forcément, on va se rapprocher de lui, éprouver de l'empathie, tout ce que vous voulez (ou alors on n'est que des monstres froids, des psychopathes, des mecs qui n'ont rien a foutre de leurs prochains et qui prennent plaisir à les écraser, bref des gars qui revoteront Macron dans quatre ans, mais, enfin, je ne juge pas, mais, quand même, vous n'êtes pas comme ça, je ne pense pas). On aura ce sentiment de lien fort entre le personnage et nous-même.

Le truc fort de Franquin est que TOUS ses personnages sont hyper-expressifs. 
Donc on s'attache à TOUS les personnages de la rédaction de Spirou. 
Du coup, on est toujours pris dans une sorte d’ambivalence : 
quand Prunelle s'en prend plein la tête, on rigole avec Gaston, mais ça nous fait un petit quelque chose quand même.

SE COMPORTER COMME UN MANIAQUE AVEC UN PERSONNAGE DE PAPIER, C'EST BIEN, SE COMPORTER COMME UN MANIAQUE AVEC UN ÊTRE VIVANT, C'EST MIEUX.

Au fur et à mesure, il sera de plus en plus difficile pour le dessinateur de créer/dessiner de nouveaux visages, de nouvelles subtilités, de nouveaux mélanges sur son personnage, et il va commencer à se construire un jeu du chat et de la souris avec le lecteur, qui va reconnaître le style, la patte du dessinateur, mais attendra aussi de la surprise. Et puisque c'est ce visage qu'il regarde fasciné, c'est sur ce visage qu'il scrutera l'invention. Un visage avec des nuances déjà vues et d'autres encore inédites, pour que ça ne soit ni totalement différent ni totalement répétitif. Le lecteur va rentrer dans une sorte de dialogue secret (et à sens unique) avec l'auteur.

Bref, en plus d'un sentiment d'intimité avec le personnage, va aussi se construire un sentiment de connivence avec l'auteur.




Chez Bill Watterson, cette connivence se construit sur la répétition des gags souvent similaires 
(les gags avec les dinosaures, les gags avec Spiff le spationaute, 
les gags quand ils jouent au Calvin Ball, etc...). 
Tout le jeu, dans la situation comme dans le dessin, est de revivre des situations similaires sans jamais refaire à l'identique. 
Donc, là encore, on scrutera le visage de Calvin, pour détailler les nuances par rapport à son visage du gag précédent.

(Si je résume, le lecteur devient un voyeur qui scrute un personnage imaginaire ET s'imagine discuter avec une personne qu'il n'a jamais rencontrée.) (Je pense que c'est une relation qui part sur des bases saines.)

FRANQUIN, JUSTEMENT !

Je ne voudrais pas qu'on se méprenne sur mes histoires de visage. Oui, je pense que, chez les auteurs hyper-expressifs, c'est le visage qui devient le principal pont entre lecteur et personnage, le principal vecteur d'émotion. Mais, en général, comme ces auteurs sont des bêtes de dessin, ils ne se contenteront pas de rendre les visages expressifs, ils rendront également les corps expressif.

Les corps vont devenir des extensions des sentiments véhiculés par les visages. Mais, même s'ils mettent en branle le même aspect de voyeur-qui-détaille-tout-par-fascination, c'est le visage qui restera le principal vecteur de ses sentiments. Le corps accompagne simplement le mouvement. Il n'est pas la base du truc.

Le corps est un appoint du visage, à l'unisson de celui-ci.

Le corps offre trop de nuances et de variantes pour que ce fameux jeu de reconnaissance-différence-connivence se construise entre le lecteur et le corps du personnage. Nope. Pour établir une telle relation, il faudra forcément un simple visage. Le corps, lui, restera avant tout un pur plaisir de graphiste.

SI JE RÉSUME.

Visage-masque : clarté, changements nets, rythme, narration.

Visage-hyper-expressif : empathie, connivence, lien avec le lecteur.

ET SI ON AVAIT ENVIE DE CROISER LES DEUX MÉTHODES POUR GAGNER SUR LES DEUX TABLEAUX ?

Sur un seul personnage, on ne peut pas (il peut pas être totalement impassible et tout d'un coup méga-expressif, c'est débile).

Avec deux personnages, par contre...