Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 23 juillet 2020

La bande dessinée pour se faire plaisir.

C'est dur d'être rigolo.

En général, c'est mal vu.

Ce n'est pas que c'est plus facile de faire des récits tristes, mais c'est plus payant. Comme notre cerveau est configuré pour enregistrer les événements douloureux (comme saisir à mains nues une ampoule qui éclaire depuis 1 heure, marcher dans des orties ou sur un petit légo) pour essayer de ne pas les reproduire, notre cerveau sait mieux gérer, ranger, archiver les récits tristes. Donc, notre cerveau sait mieux lire les livres tristes, tout simplement.

Les récits drôles, ce n'est pas qu'il est contre, mais il se sent moins concerné. Donc, en général, pour faire rire notre cerveau, il faut mettre le paquet. Et, parfois, tout occupé à mettre le paquet dans la déconnade, l'auteur oublie un peu tout le bazar qui a trait à l'aspect artistique de son boulot.

Ceci dit, dans Mais où est passé Kiki ? (Une aventure de Tif et Tondu) de Blutch et Robber (et, pour les couleurs, Delphine Chedru, Roman Gigou, et Bruno Tatti), les auteurs arrivent particulièrement à être à la fois drôles ET artistiques.

POURQUOI, COMMENT ?

Premièrement, c'est drôle parce qu'il y a de la vanne (c'est tout bête, mais il fallait y penser). Le scénariste reprend l'aspect le plus franc du collier des Tif et Tondu originaux, à savoir : il font que se casser les uns les autres à toutes les cases. Ça marche toujours aussi bien et, en plus de nous faire rire, ça renforce la complicité évidente entre les deux personnages qui sont un des rares binômes de la bande dessinée dont on comprend les atomes crochus.


Deuxièmement, c'est drôle parce que les personnages ont des têtes pas possibles (je sais, c'est mal de se moquer du physique, mais quand même). Reprenant là encore le concept de Tif et Tondu (deux personnages aux physiques très marqués), chaque nouveau personnage du récit (enfin, presque) (surtout les personnages masculins en fait) se paye des têtes, des looks, des genres bizarres. Parfois, c'est drôle. Parfois ça pose un personnage en une seule case et, personnage après personnage, ça constitue une vraie faune bigarrée de marginaux qui construit, en creux, un monde dont on a l'impression de n'apercevoir que la surface.


On est (dans ce deuxième cas) dans un aspect purement graphique qui induit un effet scénaristique (le dessin donne à voir un personnage fort, marquant, uniquement par son look, et l'accumulation de ces personnages fait monde).

Troisièmement, c'est drôle parce que c'est rapide.

Pour compenser l'idée de notre cerveau qui analyse mieux les idées tristes et traite avec dédain les idées drôles, une des techniques est de saturer le cerveau. Il traite rapidement une idée drôle et passe à autre chose ? Oui, mais est-ce qu'il va traiter aussi rapidement deux idées drôles ? Et dix ? Déborder par la marée, le cerveau disjoncte, tchoïng, rire, amusement (j'ai l'impression d'être De Greff devant le CSA).

Des têtes bizarres, des dialogues rigolos, de l'action, le tout en 5 cases.
Ça pulse.

Quatrièmement, ce n'est pas que drôle.

Emporté par le rythme (des blagues et du récit), les auteurs peuvent se permettre de petites pauses, toujours bien dosées, jamais trop longues, dans lesquelles on fait une belle image. Une belle image marquante, pour valoriser un personnage, ajouter de l'étrangeté à une situation, faire un petit gag slapstick (des messieurs qui tombent les fesses par terre) de bon aloi, un passage un peu plus bizarre pour rompre le rythme, ou des vrais moments d'actions super bien chorégraphiés.


Une belle image jamais gratuite mais qui ajoute toujours à la situation de départ et, surtout, permet de gérer le rythme, de le faire un peu sortir des rails, de le rendre inattendu, de surprendre ce fameux cerveau de gros blasé en lui faisant dire "ah oui ! quand même ! faut que je suive !". L'aspect artistique / plastique / graphique pur est ici au service du récit, du rythme, de l'humour.

Des têtes bizarres, des dialogues rigolos, de l'action, de belles images, le tout en 5 cases.
Ça méga-pulse.

POUR RÉSUMER

L'humour n'est jamais gratuit (il sert à construire et rendre plus crédible la relation entre les personnages, construire et étendre l'univers dans lequel évoluent ces personnages, soutenir le rythme du récit). Et le non-humour n'est jamais gratuit non plus (il est là en contrepoint, pour maximiser les effets des gags et de la narration, casser le rythme et maintenir l'attention du lecteur ; il est là, finalement, pour mettre en valeur l'histoire).


L'humour pour valoriser l'histoire. Le graphisme pour valoriser l'humour. L'histoire pour valoriser le graphisme. Et inversement. Et vice et versa. Le tout dans une telle vitesse que cela donne l'impression d'un récit jamais pesant, ne se prenant jamais au sérieux, uniquement réalisé pour se faire plaisir.

1 commentaire:

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