Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 17 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe mal fichu.

O'Neill et Moore nous montrent comment créer des personnages qui représentent des archétypes un peu ratés quand même.

Kevin O'Neill et Alan Moore et Benedict Dimagmaliw, La ligue des gentlemen extraordinaires, Delcourt grâce à une traduction de Janine Bharucha.

Pour faire un super-héros, c'est entendu, il faut croiser les archétypes.

Mais pour faire un héros normal ? Il faut faire quoi ? On laisse tomber les archétypes alors ?


Dans cet épisode de la ligue des gentlemen extraordinaires, tout est inversé.
Ce sont les méchants, les super-héros.

Ils ont voyagé depuis Mars.

Ils ont des pouvoirs limites magiques de faire fondre les gens.

Ils ont des armures de chevaliers.

Et à défaut de raser la moitié d'un pays, ils rasent la moitié de Londres.

Bon, ils ont quand même un petit défaut : ils sont très très très vilains.


On peut les laisser tomber, oui, mais ce n'est pas obligatoire.

Ce qui caractérise un héros normal (je vais prendre un exemple au pif : vous). Ce qui vous caractérise, c'est effectivement que votre vie ne répond pas au schéma classique d'un archétype. Pas de pouvoirs magiques, pas de voyages super-longs, pas de gens qui viennent sonner à votre porte tous les matins pour vous demander d'aller raser la moitié d'un pays. Dites donc, c'est un peu tristounet.

Sauf que non.

Dans votre vie, vous êtes, vous aussi, en relation avec les différents archétypes, tels qu'expliqués par Jung. (Si, si. Je vous assure.) Sauf que, vous, vous n'incarnez pas ce ou ces archétypes, qui sont beaucoup trop forts pour vous ; ils vous servent seulement d'exemples à suivre qui semblent plus ou moins opportuns suivant la situation. (Mais puisque je vous le dis.)

Vous allez essayer de suivre l'archétype du stratège pour amener votre groupe d'amis à choisir votre resto favori plutôt que la pizzeria du coin putain non pas encore une pizza vous en avez soupé des pizzas, ça va faire la quatrième cette semaine.

Vous allez essayer de suivre l'archétype de l'amoureux le jour de la Saint valentin.

Vous allez essayer de suivre l'archétype du voyageur pour prendre le métro. (Quelle aventure !)

Et bin, ce que vous faites, les personnages de bande dessinée peuvent le faire aussi.

Il peuvent être construits sur ce même modèle de j'voudrais-bien-mais-j'peux-point-être-un-super-archétype. Ils peuvent devenir des personnages qui tendent vers un archétype, mais qui n'arrivent pas à l'incarner complètement.

Hyde voudrait bien être amoureux, mais non, il ne peut pas. Il y est presque, hein. Mais en fait non.

C'est un choix très intéressant parce que, comme dans la vraie vie, se choisir un archétype et vouloir absolument l'incarner, ça file des névroses et des psychoses. (Mais si, je vous assure, vous êtes complètement névrosé du fait de votre rapport inconscient aux différents archétypes portés par la société.) (Siiii, j'vous jure.) Ça fait des personnages imparfaits, pluri-dimensionnels, compliqués à explorer, complexes. Bref, ça fait des personnages cools, et beaucoup plus proches de nous que les super-héros multi-archétypaux.

Une relation que nous qualifieront de « complexe », pour rester poli.

C'est ce concept qu'utilisent Alan Moore et Kevin O'Neill dans la ligue des gentlemen extraordinaires.

On reste dans un cadre classique de bande dessinée de super-héros, donc, chaque personnage ( pioché dans la littérature populaire du début du siècle dernier) est calqué sur un archétype unique. Sauf que ces archétypes restent, pour eux, un modèle inaccessible. Ils sont quand même des super-héros, hein, puisqu'ils sont des clichés d'archétypes. mais des super-héros bas de gamme.


Hyde : un super-héros malgré lui.

(Petite subtilité : comme chacun des personnages n'incarne qu'un seul archétype, alors, pour construire malgré tout une bande dessinée de super-héros-super-puissants, Moore et O'Neill font une bande dessinée de groupe. Chaque individu incarne un archétype et, au final, c'est le groupe qui est fort de tous les archétypes additionnés les uns aux autres. Chaque personnage séparé est moins fort que Superman, mais le groupe possède autant d'archétypes et de forces que lui.)

Gentlemen assemble !

Si nous regardons l'ensemble de l'équipe de héros/super-héros/personnages/on sait plus comment les appeler avec toutes ces conneries :

  • Mina Harker
Archétype : la Reine (avec une majuscule, quand même, c'est une reine). La chef, quoi. La boss. La leadeuse. Elle à +1000 en charisme sur sa fiche de personnage et ça lui suffit pour naturellement choisir les orientations du groupe et imposer son point de vue.

Bon, alors, là, le charisme se voit pas trop et elle ressemble plus à un poisson-lune, mais croyez-moi sur parole.


Petit souci : elle a rencontré dans sa jeunesse un gros badass de personnage archétypal de roi : Dracula (d'ailleurs, il était roi avant de sucer du sang) (enfin, il était comte, mais c'est pareil). Et ça c'est pas super-super bien passé (ni pour elle, ni pour lui). Mina Harker incarne donc une reine pleine de pusillanimité, qui sait ce à quoi peut bien mener l'excès de pouvoir débridé, et qui essaye justement de se brider elle-même. Une reine qui refuse son destin.


On a tous ses petits secrets, n'est-ce pas ?

  • Capitaine Némo
Archétype : le Voyageur. Bon, bin, il voyage, Némo, jusque là, je pens que personne ne viendra me chier dans les bottes sur ce point. Mais surtout, il découvre des merveilles (il découvre comment subvenir à ses besoins uniquement grâce aux denrées de la mers ; il découvre des îles mystérieuse).

Capitaine Némo et la bonne santé psychologique : figure 1.



Petit souci : son tempérament un brin soupe-au-lait l'amène à buter des tas de gens sans presque d'autre raison que ce sont des gens. C'est un héros voyageur détourné des merveilles qu'il possède (le sous-marin) ou qu'il connaît (les dessous marins) par sa misanthropie.

Bon, par contre, sur ce coup, on peut pas dire qu'il ait complètement tort : des anglais, quoi.

  • Docteur Jekyll / Mister Hyde
Archétype : le Guerrier. C'est un guerrier pile poil comme l'archétype le demande : un guerrier qui veut pas y aller. Il veut rester le Docteur Jekyll. Et puis, on le chauffe, on le chauffe, résultat : il se transforme en Hyde et ça chie dans la colle pour beaucoup de monde.

Bouh !


Petit souci : une fois transformé en Hyde, il ne se contrôle plus et peu bien sauver une petit vieille qui se faisait voler son sac-à-main ou manger un bébé, ce n'est même pas sûr qu'il s'en rappelle dans cinq minutes. C'est un guerrier, mais sans l'aspect réflexif de celui-ci, qui le faisait aspirer au bien (et même rechercher le bien commun).
Taper sur des bambous ou sur des gros bouts de tôle : Hyde a choisi.

  • Homme invisible
Archétype : le Stratège. D'habitude, un stratège, ça essaye de beaucoup parler pour manipuler les gens et les convaincre que son point de vue est le meilleur. Là, l'homme invisible essaye d'imposer son point de vue en manipulant l'univers proche des personnages pour les faire flipper (il bouge un vase de place et on croit qu'on perd la boule). C'est plus rustique, mais tout aussi efficace.

Re-bouh !


Petit souci : il est complètement niqué de la tête.

C'est quand même rigolo de pouvoir se mettre tout nu, comme ça, n'importe où...

Hummmm... Stratégie !

  • Allan Quatermain
Euh... Et bin un peu tout ça à la fois, en fait. Il est une sorte de sous-chef dans le groupe, de par son expérience (il est tout vieux). Il est également un voyageur (il a pas gagné sa réputation en publiant un livre de 1001 recettes de cupcakes, mais en allant piller l'Afrique (piller l'Afrique, ça c'est une idée originale). Il a un fusil, donc il est vaguement guerrier quand même (il tue des gens, quoi) et vaguement stratège (il tue des gens, mais en regardant le sens du vent et la courbure des rayons du soleil pour que la balle arrive pile entre les deux yeux).


Oui, donc, bon, voilà, c'est un vieux con qui ne fait que ressasser ses supposées gloires passées.

Allan Quatermain est le membre de la ligue qui se rapproche le plus d'un super-héros-multi-archétypal. Sauf qu'il est vieux. Il est fini. Il répète sans arrêt que sa vie est derrière lui. Le monde des gentlemen, celui de l'époque victorienne, tel que décrit dans les bouquins, n'est plus celui des héros. Ils sont trop vieux. Il est devenu celui des presque-héros-qui-essayent-mais-c'est-pas-encore-ça.

Le héros d’antan a pris un coup derrière la casquette.

Du coup, Alan Moore et Kevin O'Neil se servent des archétypes, et de l'imprégnation de ces archétypes dans la bande dessinée et les récits de super-héros pour en donner une vision réflexive et relativiste.

Oui, ok, ces archétypes existent. Oui, ok, il faut faire avec. Oui, ok, ils peuvent conditionner notre développement psychologique. Oui, ok, si on s'attache trop à ces modèles sans réussir à faire la part des choses, on peut finir complètement psychotique. MAIS JUSTEMENT, les auteurs nous présentent des personnages qui ont les mêmes soucis : ils voudraient bien incarner des héros-archétypaux, mais ils n'y arrivent pas, parce que ce sont tous de gros névrosés. Et vous savez quoi ? Ils sont des héros quand même. Ils sauvent la planète quand même. Et en restant cool.

Y a rien de plus cool que de dire qu'on est pas cool tout en étant cool.

L'archétype n'est pas une fin en soi.

On peut avoir des personnages archétypaux qui respectent à mort le cahier des charges.


On peut avoir des personnages hyper-archétypaux qui cumulent toutes les caractéristiques possibles et inimaginables.


On peut avoir des personnages hypo-archétypaux, qui voudraient bien, qui ont un modèle, mais qui n'arrivent pas complètement à l'accomplir et l'incarner.


Je m'en fous, je vous replacerais cette case autant de fois que je voudrais.

On peut même avoir des personnages hypo-archétypaux qui ne sont pas des super-héros (si !).

Ce que nous verrons la semaine prochaine.

(Oui, encore une suite à cet ensemble de billets (n'en doutons pas) passionnants.) (Ça n'en finira jamais.)

Ha bah non ! T'en vas pas ! Ça commençait à peine à devenir intéressant...

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