Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 1 octobre 2015

La bande dessiné radote

Fabcaro nous montre que la répétition ne sert pas qu'à cacher ses intention au lecteur, mais également à créer l'ironie, la satire, l'absurde, et la rigolade.

Fabcaro, Zaï Zaï Zaï Zaï, éditions 6 pieds sous terre.

(J'ai appris avec effroi que certaines personnes en France n'avaient pas encore lu Zaï Zaï Zaï Zaï

je m'en vais donc blinder ce post d'extraits, pour bien montrer aux gens à quels point ce livre est trop le lol du rigolo.)

Par exemple, là, au-dessus, bon, déjà, on se bidonne, donc c'est pas mal. Mais, en plus, on est un peu dans la même ambiance que chez Forest : les personnages ne bougent pas parce que les personnages sont chiants. On voit très bien, par la répétition systématique de la case que le mec s'habille en marron aussi dans sa tête : c'est un mec chiant. Sa vie est répétitive, sa scène aussi.

AU PASSAGE : NOTONS UNE CHOSE.

Alors que les deux personnages ont les mêmes postures durant toute la scène, Fabcaro se fait suer à redessiner toutes ces cases. Il ne les photocopie pas. Il ne copie/colle pas. Pourquoi s'embêter ainsi ?

À CAUSE DE CORTO MALTESE.

On a vu dans le billet précédent Hugo Pratt photocopier le même dessin parce que dessiner toutes les cases de son bouquin, c'est bon pour les petits jeunes, pas pour lui, un grand artiste interviewé dans télérama pour rendre l'aspect statique de l'objet dessiné (un bas relief maya).

Dans la répétition iconique, c'est un peu le risque : photocopier un dessin donne l'impression que le type dessiné ne bouge vraiment vraiment VRAIMENT pas. Et le lecteur a plus l'impression qu'il a affaire à un bas relief qu'à un vrai personnage. Au mieux, ça fait ressortir le systématise du procédé, ça perd en spontanéité, ça perd en vie ; on a l'impression de se retrouver face à un discours avec un dessin mis là pour faire joli mais sans aucun intérêt. Au pire, on a l'imprécision que les persos sont des statues, et l'histoire perd tout sens.

Donc, pour éviter ces écueils, Fabcaro redessine toutes ces cases.

S'il ne le faisait pas, ça donnerait ça :

Alors, est-ce que j'ai raison ou est-ce que je raconte n'importe quoi ? Le suspense est à son comble. Qu'en pensez-vous ?

Dans la précédente version, les personnages bougent un chouille, on a l'impression qu'ils se dandinent d'un pied sur l'autre, qu'ils dodelinent un peu. Par contre, moi, je trouve que cette nouvelle version, avec un unique dessin copié/collé 5 fois, fait ressortir le procédé. Comme c'est la seule chose qui change, on a l'impression que c'est le texte qui est important, et rien d'autre. Le dessin est à peine là pour nous donner une idée du look des personnages.

Au final, cette nouvelle version est à peu près equivalente à celle-ci : 


On a un vague dessin pour se faire une idée, et ensuite tout le texte qui prend une importance prépondérante.

LE RISQUE DU TEXTE FORT.

Ce n'est pas un hasard si le texte peut prendre trop d'importance dans une bande dessinée en répétition iconique.

La répétition iconique est utilisée par l'auteur pour se couvrir et faire des surprises au lecteur.

Et, en fait, en bande dessinée, le texte est également utilisé précisément pour la même raison.

C'est exactement comme le petit-suspense-de-fin-de-page. Pourquoi il y a des petits-suspenses-de-fin-de-page alors que le bouquin n'a pas était publié dans un journal et que ces suspenses ne servent à rien ? Parce que c'est un outil très pratique pour que le ou les auteurs contrôlent un peu le lecteur, rythment un peu la lecture, organisent un peu le récit.

Et pourquoi il y a sans arrêt des textes en bande dessinée ? Je dis pas qu'il ne devrait pas y avoir que des bandes dessinées muettes, mais quand même, on sait que ça existe, on sait que ça marche, alors pourquoi une telle prépondérance des bandes dessinées à texte ? Parce que c'est un autre outil très pratique pour que le ou les auteurs garde contrôlent leur récit.

ACTION, RÉACTION, ANTICIPATION.

Au contraire des dessins, le texte, dans une bande dessinée, ne peut pas être survolé, lu d'un oeil vague en tournant la page. Les dessins seront anticipés. On saura vaguement ce qu'il arrive aux personnages durant la prochaine double-page. Mais on ne saura pas ce qui s'y dit.

Le texte devient une part incoercible d'inconnu dans la dramaturgie de la bande dessinée.

Le texte devient une des motivation du lecteur. « Ok. Je sais à peu près ce qui se passe, mais je ne sais pas ce que les personnages en disent, je vais donc lire cette double page pour l'apprendre. »

En bande dessinée, parler est une action primordiale. Parce que, parler, c'est créer du suspense.

Si nous comparons les deux pages suivantes du Lotus Bleu :



Hergé, Le lotus bleu, Casterman.

La première est bourrée d'action ras la gueule, et avec très peu de texte. La seconde est blindée de texte et il ne s'y passe rien (on est d'ailleurs très proche de la répétition iconique : Tintin et un chinois sont dans une pièce et ne bougent pas) (on dirait le début d'une blague raciste des années 90).

Et bien, paradoxalement, c'est dans la seconde page que le suspense est le plus fort. C'est dans la seconde page qu'on ignore ce qui se passe et que l'on doit absolument lire toute la page pour l'apprendre. C'est dans la seconde page qu'on est le plus surpris par la situation. Et c'est dans la première page que l'on a le suspense-de-fin-de-page le plus fort, pour ré-équilibrer les débats (d'un côté peu de suspense durant la page, gros suspense à la fin ; de l'autre côté, c'est l'inverse).

TOUT ÇA POUR DIRE QUOI ?

Le risque, dans la répétition iconique, c'est qu'on se moque un peu du dessin. Ok, il y a un système de dessin qui permet de faire des surprises au lecteur. Super. Mais il y a quand même surtout moins de dessins que d'habitude, ce qui est moins pratique pour faire progresser son récit. L'auteur aura donc tendance à privilégier le texte pour faire avancer son schmilibi schmibiti schmmlibli sa structure dramatique.

ET, ÇA, C'EST PAS BIEN.

C'est un appauvrissement des possibilités offerte, donc : « bouuuh ».

Fabcaro est conscient de ce risque de prise de pouvoir du texte sur le dessin. Fabcaro est un démocrate. Fabcaro va essayer de rendre le l'importance au dessin.

Il le fait de deux manières.

EN RENDANT LE DESSIN ABSURDE.

De cette manière, même un bref survol ne suffit pas à ce que l'on comprenne ce qui se passe dans la page.


EN RENDANT LE DESSIN FEINTEUX.

En se foutant gentiment de notre gueule jouant avec le médium, Fabcaro va, en quelque sorte, nous tenir éveillé, nous dire que, hein, c'est pas si simple, tu croyais que le dessin avait pas trop son importance, tu croyais avoir compris comment ce bouquin allait fonctionner, tu croyais avoir tout compris, hein, petit génie, et bin bim :

EN UTILISANT UNE TROISIÈME IDÉE.

Mais tu avais dit qu'il y en avait deux.

OUI MAIS EN FAIT IL Y EN A TROIS.

Mais tu avais dit qu'il y en avait deux !

OUI MAIS J'AI MENTI.

La troisième idée n'est pas vraiment neuve, et n'ai pas spécifiquement utile dans le cadre de la répétition iconique, mais son effet est quand même pas mal accru dans ce cadre là.

Il s'agit de faire des dessins subtils.

HA BAH OUI, ALORS, TOUT DE SUITE, S'IL FAUT ÊTRE SUBTIL ! ON N'EST PAS SORTI DU SILO À GRAIN.

Une des dernières méthode pour se couvrir par rapport au lecteur (si pas la dernière méthode) (si pas la the utlimate mother fucking méthode de ta mère), c'est de faire un dessin tout en subtilité. De cette manière, le grand-survol-d'avant-lecture-précise-de-la-double-page ne permet pas d'anticiper sur les actions contenues dans cette double page, ou tout du moins ne permet pas d'anticiper sur ce qu'il y a d'important dans cette double page, parce que ce qu'il y a d'important, c'est un sourcil levé, un sourire en coin, des gros yeux. Et encore ! C'est même pas ça ! L'important, c'est les très gros yeux d'une case, et les très gros yeux mais un peu plissés de la suivante. bref, l'important est alors imperceptible à un premier survol avant lecture.

Bien sûr, à ce moment là, faut être super balèze, et super maîtriser son dessin. Être un vrai cador de sa profession, quoi. 

Par exemple, au hasard :



Jérôme Anfré (ça arrive d'avoir des homonymes, ne vous formalisez pas comme ça), Hans, Delcourt.

Le poids du récit réside dans le strabisme de Hans dans la dernière case, par exemple. Va anticiper par un survol léger de la page un léger strabisme.

Cette attention aux détails permet de donner pleinement son importance au dessin, tout en se couvrant par rapport au lecteur.

ET DONC, FORT LOGIQUEMENT, FABCARO UTILISE AUSSI CETTE MÉTHODE.


Ici, Fabcaro joue justement sur ce risque de statisme, qui priverait les personnages de vie. Alors, il le fait, ok, mais c'est pour la bonne cause, puisque, en contraste, le sourire des deux petits vieux paraît beaucoup plus fort sur la fin.

Dans cette planche, Fabcaro a utilisé la répétition iconique pour rendre l'aspect répétitif, ridicule et embêtant de l'interview, couvrir encore et toujours son sujet et surprendre son lecteur, et accroître le gag de chute et son contraste par rapport au reste de la scène tout en restant couvert.

Fabcaro a utilisé la répétition iconique pour jouer avec nous.

ET, JOUER, C'EST RIGOLO.

2 commentaires:

  1. "le début d'une blague raciste des années 90". C'est amusant comme les années 90 sont parées de certaines qualités ou défauts, selon le sujet. Parfois, ce sont les années 80 (musique), moi je renvoie souvent la BD aux années 70... On me rétorque les années 60 comme âge d'or...
    Bref !
    Cette phrase en montre plus sur l'âge du locuteur que sur ce qu'elle est sensé situer (un passé démodé).
    Personnellement, donc, c'est plutôt dans les années 70 que ces blagues "caricaturales" (plus que racistes) de récré pullulaient. Les années 90, c'était les Nuls, les Guignols... on était déjà passé à autre chose ! Elles étaient devenues rares.
    Mais je suis sûr que dans les années 40, déjà, on racontait des trucs du genre : "c'est un nazi, un belge, un juif et un bamboula qui..."

    Sinon très bonne idée que ces remontages de BD pour aider à la démonstration !
    Dans les blogs, la méthode "même dessin" évoque Bastien Vivès, alors que les bulles multiples étaient plutôt la marque de fabrique de Pacco (celui de Margaux Motin... J'ajoute ça juste pour renverser le mythe du couple dont l'homme est la célébrité et la femme le faire-valoir).

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    1. Les années 90, pour moi, c'est la Zoubida. Et la Zoubida, si c'est pas raciste, c'est drôlement bien imité. Y avait aussi les gag sur les africains et les grains de riz qui passaient sur NRJ. Enfin, c'était quand même pas mal grattiné, je trouve. Après, qu'on soit toujours le raciste de qq, ça c'est sûr.

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