Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 15 mars 2013

La bande dessinée est une chorégraphie.

Toriyama est d'accord pour dire que la bande dessinée est bien définie par l'alliance de deux dessins, et il le prouve en travaillant énormément les enchaînements entre ces fameux dessins.

Akira Toriyama (et les membres de son studio ?), 
Dragon Ball
Shueisha & Glénat (avec l'aide de Fédoua Thalal et le bien connu Bakayaro!).

Donc, bon, alors. La bande dessinée. Femme qui marche, tout ça. Deux dessins l'un à côté de l'autre, c’est vu. Donner envie au lecteur d'aller d'un dessin à l'autre pour transcender le tout et donner corps à la bande dessinée, très bien.

Dans cette optique, chaque auteur va développer des techniques personnelles pour contrôler la lecture de sa bande dessinée. Il va tantôt la faciliter, tantôt l’empêcher, tantôt la freiner, tantôt l'accélérer. Pour contrôler le flux de ce fameux sang dans ce fameux caniveau (il faut avoir lu le message précédent pour comprendre).

Pour ce qui nous occupe ici, Toriyama utilise tous les moyens à sa disposition pour faciliter et fluidifier la lecture. Il organise les personnages, leurs allures, leurs positions dans la case, leurs mouvements, etc., pour que le lecteur suive le plus facilement possible l’action en cours.

ATTENTION, DES JAPONAIS SONT DANS LA SALLE !

La bande dessinée présentée ici se lit dans le sens de lecture japonais, donc de droite à gauche. Faites gaffe.

Personnage aidant à se souvenir du sens de lecture japonais.

Mais nous n’avons que trop tardé. Que le combat commence…


Tout débute sur de bonnes bases, avec un franc contraste noir / blanc entre les costumes des deux personnages. Ainsi ils seront toujours très faciles à identifier, et leur opposition n'en sera que mieux soulignée.

Quand l’auteur prend ces lecteurs pour des débiles, il leur mâche le travail.

Le personnage qui a amorcé le mouvement en fin de page précédente était Muten Rôshi. On va donc continuer à le suivre dans la première case de cette nouvelle page. Il allait de droite à gauche. Il continue d'aller de droite à gauche (et au premier plan). Mais il trouve sur son chemin un opposant (Krilin s'oppose autant à Muten Roshi qu'au sens de lecture de la bande dessinée en allant de gauche à droite).

Mutent Rôshi, ce cabot.

Comme le sujet, l'acteur de cette attaque, est Muten Rôshi, la case se recentre sur lui. Il a instigué l'attaque et amorce ici le premier mouvement. Krilin, hors case, n'a pas l'action en main. On se fout carrément de ce qu'il peut faire ou ne pas faire.

Comme Matrix, mais en mieux.

L'attaque porte sur Krilin. Le revoilà donc dans la case.

Comme Matrix, mais avec des cercles rouges.

C'est à ce moment que Krilin en profite pour contre-attaquer. Il devient le nouveau sujet de la case. Quand Muten Rôshi attaquait, il était de dos, menaçant. Krilin, lui, en trois cases, est passé de ¾ face à profil, puis à ¾ dos. Il s'est petit à petit impliqué dans l'action avant d'en prendre le contrôle. Bien joué petit. L'attaque de Muten Rôshi étant finie, son pied a disparu. Ne reste de lui que son costume noir, qui l'identifie clairement mais montre aussi qu'il a perdu le contrôle de l'action (on ne voit finalement qu'une ombre).

La deuxième partie de la planche sera organisée de la toujours même manière, avec de grandes cases dans lesquelles les deux joueurs s'opposent (et dans lesquelles le joueur qui domine l’action est le joueur le plus présent dans la case).

À la dernière case de cette page, Muten Rôshi décide de changer de tactique. Il redevient décideur, et il se retrouve donc seul dans la case.


 
C’est tellement lassant, ces schémas clairs qui se répètent.

C'est finalement pas bien compliqué : tout au long de cette page, l'auteur a fait en sorte que l'attention du lecteur se focalise sur l'acteur principal de l'action. Si un personnage agit et change de position, il le montre. Si le personnage subit, il ne change pas de position, et le lecteur le retrouvera tel qu'il l'a laissé une ou deux cases plus loin. C'est en comparant les éléments mouvants ou statiques d'une case à l'autre que le lecteur :
  • trouve des repères,
  • comprend qui mène l'action et quel genre d'action est mené.

Cet arsenal de techniques est repris tel quel dans la page suivante, et ce n'est pas bien compliqué à suivre : quand Muten Rôshi est seul, il a l'avantage de la décision ; quand Krilin le rejoint dans la case, ils sont tous les deux en train de s’opposer (réfléchir, jouer, se défier).

  
Puis, enfin, Muten Rôshi réussit à prendre l'avantage...


Pas trop tôt...

De fait, Krilin disparaît presque complètement de la planche. Il est soit absent des cases, soit au second plan. Il redeviendra le sujet de l'action uniquement à la toute fin. Alors que sur le reste de la page, l’hégémonie de Muten Rôshi nous montre que c’est lui qui est important, que c’est lui qui agit.

D'ailleurs, pour signifier cette totale domination de Muten Rôshi, Toriyama le double.

Le journaliste vient prêter main forte à  Muten Rôshi au propre (il l'aide à s'élever dans les airs gracieusement) comme au figuré (le journaliste à la même coupe de cheveux que Muten Rôshi et il porte également un costume noir – la surface noire envahit toute la case et signe la domination sans partage d'un des deux joueurs).

 La fusion sans se toucher les extrémités des doigts de manière ridicule.

OK. MAIS BON. C'EST UN PEU BARBANT TOUTES CES CASES SIMILAIRES.

Toriyama t’a entendu petit lecteur timide ! Il dynamise donc sa planche par sa composition. Comme l'action est assez lente (les personnages et leurs positions n'évoluent pas beaucoup), c'est la planche elle-même qui va transmettre l'énergie et le sens du combat.

Dynamisme à tous les étages.

L'enchaînement des cases est ici didactique (Muten Rôshi domine, et domine encore à chaque case, invariable et invariablement ; Krilin est foutu) mais c'est la composition générale de la page qui aiguillonne le tout et donne la dynamique de l'action (Krilin est dominé par Muten Rôshi, il est petit à petit éjecté de la page / de l'action).

Notons que, dans la dernière case de cette page, Krilin est encore dominé. Par le journaliste, la doublure de Muten Rôshi. C'est celui-ci qui, symboliquement, déséquilibre Krilin tout en apportant cette masse noire qui envahit encore la case. On aura passé la page entière à regarder du noir dominer du blanc, jusqu'au bout.


Krilin réussit ensuite petit à petit à reprendre le contrôle sur lui-même, et arrive à se recevoir de manière classe. Même s'il en a pris plein la tête, il garde un minimum de standing, de contrôle, et apparaît donc seul dans une case de la nouvelle planche. Le journaliste / fantôme / double disparaît de l’image.

SI ON REVIENT UN PEU SUR L'ENSEMBLE DES PAGES PRÉSENTÉES.

A chaque fois, la chorégraphie des différents personnages sert plusieurs buts :
  • Repérer les personnages dans l'espace. (Où est qui ?)
  • Comprendre le sens de leurs actions. (Qui fait quoi ?)
  • Comprendre les répercussions de leurs actions. (Qui gagne sur qui ?)
  • Focaliser le lecteur sur le sujet. (Qui est important dans la case ?)

Toriyama essaye plus ou moins de répondre à chacune de ces questions à chaque case. Il fait également en sorte que la réponse à au moins une de ces questions soit identique d'une case à l'autre. Pour organiser la continuité de la lecture.

PRENONS DES EXEMPLES.

Un exemple.

Dans la deuxième page présentée (le commencement du combat), la position des personnages se définit dès le début (dans la première case, on voit les carreaux du sol, comme pour paramétrer les positions ; ceci fait, les carreaux disparaissent, parce qu’ils sont devenus inutiles), puis ne varie plus. Cette position invariante organise la continuité. Toriyama fait alors bouger les autres éléments.

Sens de l'action : c'est tantôt Muten Rôshi et tantôt Krilin qui attaque.
Répercutions : c'est tantôt Muten Rôshi et tantôt Krilin qui domine.
Sujet : on se focalise, là encore, alternativement, sur Muten Rôshi et Krilin.

Un autre exemple.

Dans la troisième page présentée, c'est le sens de l'action qui est invariant et permet la continuité : les deux personnages jouent à pierre-papier-ciseaux. Pour ce qui est du reste...

Position : Krilin se fait balader et n'arrête pas de gigoter.
Répercussion : Muten Rôshi a de plus en plus d'emprise sur son adversaire.
Sujet : suivant la case, on passe du duo à Mutent Rôshi seul.

Devinez quoi ? C'est toujours un exemple.

Dans la quatrième page, on peut dire que c'est le sens de l'action ou ses répercussions qui donne la continuité, comme vous voulez. Ça ne change pas grand-chose de toute façon : Krilin se mange son coup de pied.

CONCLUSION.

Ne reste plus qu'à admirer avec quelle maestria l'auteur fait évoluer sa chorégraphie tout en contrôlant son lecteur. Ou, tout du moins, en lui fléchant le chemin.

Un grand bravo à Muten Rôshi, Krilin, et leur chorégraphe.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Exprimez vous donc...