Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 27 février 2014

La bande dessinée se fait un nom de famille.

A la suite du billet de la semaine dernière, Abel Lanzac, Christophe Blain et Clémence Sapin nous montrent que donner un nom de famille à un personnage change complètement la donne.

Abel  Lanzac & Christophe Blain & Clémence Sapin, Quai d'Orsay, Dargaud.

L'extrait ci-dessus est bien une des rares fois où les personnages s'appellent par leurs prénoms. Ils font tomber les barrières diplomatiques et se laissent aller à de grandes claques sur l'épaule. Ils sont plus intimes et moins distants. Ils sont mignons.

Pour le lecteur, ça marche pareil : que le personnage n'ait qu'un prénom (ou un surnom) (comme « Pim », « Pam », ou « Poum »), et il se sent proche de lui (dans l'extrait ci-dessus, on est amusé par le côté humain des personnages qui nous paraissent soudain plus sympathiques). Qu'on lui rajoute un nom de famille, et une certaine distance se crée : le nom de famille rend le personnage plus réel et il est plus difficile pour le lecteur de s'y identifier.

C'est d'ailleurs pile ce que recherchent les auteurs en collant un nom de famille à un personnage : si le fait que le personnage évolue dans le vrai monde réel a son importance, les auteurs ne vont plus s'en sortir avec des espèces de pseudonymes chelous, il va falloir que le personnage porte un vrai nom

Et par un vrai nom, il faut parfois entendre un vrai nom de famille.

LE PLUS SIMPLE EST ENCORE DE LEUR DONNER DE « VRAIS NOMS QUI SONNENT COMME DANS LA VRAIE VIE ».

(Basique, mais efficace.)

Même les enfants ont droit à un nom de famille ! Pas de familiphobie, ici !

Marion Duval a un père, qui a un métier (journaliste), une ville bien connue (Paris) (intra-muros) (on ne se refuse rien), et des lieux d'explorations parfaitement identifiés (la Loire, la côte Atlantique, la Grèce, etc...).

Ça c'est de la doc ! Ça c'est du journalisme ! Prends-en de la graine, Christophe Barbier ! 
(Et arrêtes de lire the Economist, tu nous fais du mal !) (Ça marche aussi avec le Parisien.)

C'est que Marion voyage dans le vrai monde. Une maison et une famille ne suffisent plus à planter le décor de ses aventures. Elle arpente un univers plus vaste, moins générique, et plus précis (un petit plan de l'île d'Ithaque pour bien se repérer dans Attaque en Ithaque, des intrigues sur des faussaires et donc des questions de réalisme dans Le manuscrit de Saint-Roch et L'homme aux mouettes).

Une vision ethnologique saisissante ! (Et des photos pour tout bien expliquer avec des flèches.)

Comme elle vit des aventure plus réelles, Marion a besoin d'un nom de famille, comme les vrais gens de la vraie vie.

Chose encore plus maligne : on veut la contextualiser ? On l'appelle « Marion Duval ». On veut la rapprocher du lecteur ? On l'appelle « Marion ». (Une opposition nom/prénom similaire à celle dans l'extrait de Quai d'Orsay.)

POUR ÊTRE CLAIR (NAN, PARCE QUE JE SENS BIEN QUE VOUS SUIVEZ MOYEN) :


Quand on donne un nom de famille à des personnages, ce n'est jamais innocent. C'est qu'on veut les inscrire dans un certain contexte réel ou réaliste, et qu'on va ensuite utiliser ce contexte dans l'intrigue du bouquin (oui, non, parce que sinon, autant pas s’embêter).


Dans le choix de ces noms de famille, il faut bien sûr faire attention, malgré tout, à ce que ceux-ci restent relativement neutres, doux à l'oreille, peu connotés. Sinon, très vite, le piège se referme.

ET NOUS TOMBONS DANS LE CAS DES « VRAIS NOMS QUI SONNENT TELLEMENT VRAI QU'ILS SONNENT POURRIS »


On pourrait par exemple parler des personnages de Tardi. 

Ils ont tous des noms moisis, les personnages de Tardi. 


« Esperandieu », « Mouginot », « Dugommier », « Flageolet », « Georgette Chevillard », c'est vraiment n'importe quoi. 


Et c'est très moche. 

Mais c'est fait exprès. 

De cette manière, on plonge dans une ambiance début du XIX° siècle (« Georgette ») avec des personnages ridicules aux noms ridicules (les personnages sur lesquels Tardi ne tape pas sont rares, dans Adèle Blanc-sec). Ce n'est pas grave qu'on ne s'identifie pas à eux. De toute façon, ils ne sont pas aimables. Il ne sont pas fait pour mettre en branle des mécaniques d'identification. Ils sont faits pour qu'on se moque d'eux.

 Tout est dans le titre ! Ils ne sont pas aimables, on vous dit...

Il existe toutefois chez Tardi un cas un peu plus plus sioux : celui de « Brindavoine ».

Il a un nom mi-moche, « Brindavoine ». Un nom très marqué, mais pas trop grotesque. Un nom mi-figue mi-raisin. Et, de fait, Tardi a une vision mi-figue mi-raisin du personnage.

Du coup, fondamentalement, il est un peu ridicule, « Brindavoine ».

Mais comme il a fait la guerre et qu'il en a chié...

...il est quand même sympathique.

Avec toujours ce côté vieille France que contient le nom.

C'est important, le côté vieille France, pour Tardi.

Mais foin de mi-moche ! De figue ! De raisin ! Parfois, c'est le drame !

PARFOIS, LE NOM EST POURRI SANS QUE CE SOIT FAIT EXPRÈS.

Vous me connaissez, je suis une crème (et un lâche), je ne suis donc pas du genre à débiner les auteurs maladroits juste pour me défoulerJe me contenterais de faire remarquer que dans Marion Duval (toujours elle), il y a eu l'apparition d'un personnage qui s'appelle « Philibert Égonovna ». Tout un programme mes aïeux ! Heureusement, les auteurs ne sont pas fous, et, tout de suite après avoir appris ce nom à rallonge, on apprend son diminutif : « Fil ». C'est quand même moins corseté.

On a donc le-nom-à-la-noix-mais-qui-pose-le-personnage-bourgeois, puis/et/nonobstant le-prénom-court-diminutif-cool-et-sympa-parce-que-le-personnage-est-ami-et-même-un-peu-plus-avec-l'héroïne.

Dans la même page, se côtoient le passé carrément princier du personnage, et la négation de cette facette. 

Les auteurs gagnent sur les deux tableaux en utilisant un nom réaliste qui renseigne sur les qualités du personnage et un surnom/prénom qui rapproche le personnage du lecteur, autant que le personnage se rapproche de Marion (j'étais très jaloux de cet abruti, quand j'avais son âge).

Le nom de famille pourri n'est donc pas forcément une fatalité, mais peut être transformé en avantage si l'auteur est subtil.

Il y a malgré tout un cas particulier dans cette catégorie des noms pourris. Ceux qu'on ne choisit pas et qui résistent à la subtilité des auteurs parce qu'il leur est imposé puisqu'il s'agit d'un personnage historique.

CE QUI NOUS AMÈNE A LA NOUVELLE CATÉGORIE : LES « VRAIS NOMS QUI SONNENT POURRIS, CERTES, MAIS COMME CE SONT LES NOMS DE VRAIS GENS DE LA VRAIE VIE, ON N'A PAS VRAIMENT LE CHOIX ».

Sans aller jusqu'à disséquer les soucis qu'a pu rencontrer une auteure (certes pas exempte de reproches) lorsqu'elle a voulu réaliser une biographie de « Benoîte Groult », on peut essayer de se concentrer sur les noms historiques présents dans Astérix.

Nous voilà donc avec des personnages aux noms les plus abracadabrants.

Jeu et interactivité. Saurez-vous reconnaître : 
« Ordralfabétix »« Alavacomgetepus »« Encorutilfaluquejelesus »« Liric »« Satiric »« O'Torinolaringologix »« Zebigbos » ?

Et tout ces gens
fréquentent des « Jules César », des « Scipion », des « Pompée », des « Cléopâtre », des « Brutus », « Alésia », « Gergovie », les révoltes d'Espagne, l'invasion de la Grande-Bretagne ; enfin, bon, bref, des tas de trucs.


DANS LE CAS D'ASTÉRIX, IL SE TROUVE QUE CELA TOMBE TRÈS BIEN.

Astérix est une bande dessinée qui cherche les contrastes entre l'Histoire (les noms réels des personnalités historiques) et ses personnages (les noms fictifs et fantaisistes des personnages auxquels on s'attache), pour en faire ressortir les caractères. Donc c'est parfaitement cohérent. Bravo les artistes.

MAIS, SI CELA N'AVAIT PAS ÉTÉ LE BUT DES AUTEURS ?

Dans ce cas, les auteurs auraient pu faire en sorte que le héros ne rencontrent jamais de personnages politiques, ou simplement leur aide de camp, ou encore des mecs-que-l'histoire-n'a-pas-retenu-et-sur-lesquels-ont-n'arrête-pas-sa-lecture, ou encore des simili-César-mais-avec-un-autre-nom.

C'est d'ailleurs ce que font Lanzac & Blain dans Quai d'Orsay.


En remplaçant le nom de « Dominique Galouzeau de Villepin » par celui de « Alexandre Taillard de Worms  » et celui de « Antonin Baudry » (un des auteurs) par celui de « Arthur Vlaminck », les auteurs fictionnalisent les personnalités, qui deviennent des personnages.

Premier avantage : le lecteur ne peut quand même pas s'empêcher de penser que c'est inspiré de faits réels (comme on dit) et que donc, oui, bon, d'accord, ce ne devait pas être exactement comme ça, mais un peu quand même... Il s'établit des parallèles avec les faits historiques qui enrichissent la fiction. (Un peu comme dans Quai d'Orsay, quand on découvre que Cole et Worms, Powell et Villepin, sont amis.) (Ou quand, dans Astérix, on a des dialogues entre Brutus et César.) Un second degré apparaît dans le récit. 

Deuxième avantage : on ne s'embête plus avec la vrai vérité ; c'est de la fiction ; les auteurs ont le droit de prendre leurs aises pour rendre le récit plus attractif et manipuler les faits. 

Troisième avantage : comme les personnages sont fictionnalisés, ils peuvent aussi être bande dessinééisés (à dire dix fois très vite). Leurs actes autant que leurs aspects physique sont tirés vers des particularités qui facilitent la narration de la bande dessinée.

Cet aspect est rendu évident quand les physiques des personnages principaux sont tirés vers la caricature pour en faire des silhouettes (un aspect que Blain adore utiliser dans toutes ses bandes dessinées).

Puisque Blain fait de la musculation, je ne tirerais aucunes conclusions sur ce qu'essayerait éventuellement de compenser quiconque en cartoonisant ses personnages et leurs nez.

Cette caricature n'est pas que superficielle. Par exemple, ci-dessous, le comportement fanfaron de « Taillard de Worms  » (et sa manie de passer voir son équipe en coup de vent) facilitent les ellipses.

Pas besoin de montrer machin qui rentre, un coup de vent et il est là.

Un effet poussé au maximum, parce que c'est plus rigolo.

Bref : si des auteurs ont comme contrainte d'utiliser des personnalités-vraies-d'aujourd'hui-ou-d'hier, il faut encore une fois en faire un atout en modelant ces personnages (dans leurs personnalités, dans leurs actes, et jusque dans leurs noms) pour pouvoir les utiliser à bon escient (comme un vrai personnage de bande dessinée et de fiction, chez Blain et Lanzac ; comme un référent historique qui contraste avec les gros nez des gaulois, chez Uderzo et Goscinny).

Une rotondité de nez qui ne trompe pas sur le rôle du personnage, entre Astérix et Jules, Chesterfield et le cousin.

BREF, BREF, BREF...

Dans ce cas comme dans les autres, il s'agit de jouer du contexte.


Un contexte réel ? Un nom réel.

Un contexte historique ? Un nom qui sonne vieille France, ou vieille Gaule, ou je sais pas quoi...

Un contexte politique ? Un nom un peu différent (pour transformer l'homme publique en personnage) mais qui ne détone pas.

TOUT ÇA, C'EST TOUJOURS LA MÊME CHOSE !

Le but est de jouer de références extérieures, réelles (des noms qui font penser à d'autres pays) ou fictionelles (des noms qui font penser à d'autres récits) pour, à chaque fois, installer une ambiance, un contexte, une identité particulière.

  • Des noms qui posent une ambiance « America, Fuck Yeah ! » avec « Alan Smith », « Jack Shelton », « Steve Rowland », « Jason Fly », « Jason Mac Lane » et des SPOILERS partout dans les deux images qui suivent.

Van Hamme, Vance, Petra, XIII - Secret Defense, Dargaud.

  • Une ambiance étrange, balkanique mais  familière, avec « Alcide Nikopol »« Jill Bioskop »« Ivan Vabek ».

Enki Bilal et la Eierkrieg dans La femme piège, Les humanoïdes associés.

  • Une ambiance de récit d'aventure réactualisé, avec « Naim », « Maïmounia », « Günter »« Jean-Philippe»et « Ali » (des noms similaires à ceux de Corto, Bouche dorée, Steiner, Tristan).

Benjamin Flao, Kililana song, Futuropolis.

  • Une ambiance de conte du chat perché, avec « Philémon »« Félicien », et « Monsieur Barthélémy » (des noms communs mais un peu désuets).

Fred, Philémon - L'enfer des épouvantails, Dargaud.

C'EST UN PEU SYSTÉMATIQUE, DITES DONC...

Les auteurs essayent à tous les coups de trouver des noms qui inspirent et correspondent à une ambiance de récit.

Qui dit récit réaliste dit nom de famille.... Mais quand il s'agit d'histoires qui concernent des souris qui portent des jupes ou des grooms qui chassent en Palombie, ça ne colle plus... Plus qu'un contexte réaliste, il faut alors planter une ambiance de douce fantaisie, et utiliser les noms qui vont avec...

CE SONT CES NOMS QUE J'ESSAYERAI DE DÉCORTIQUER LA SEMAINE PROCHAINE.

(PROMIS, CETTE FOIS-CI, JE NE DÉPASSERAI PAS, J'AI DIT QUE JE NE FERAI PLUS QU'UN POST SUR LE SUJET, ET JE N'EN FERAI PLUS QU'UN.)

jeudi 20 février 2014

La bande dessinée se fait un nom.

Abel Lanzac, Christophe Blain et Clémence Sapin nous montrent que, trouver le nom d'un personnage, c'est chaud patate.



Abel Lanzac & Christophe Blain & Clémence Sapin, Quai d'Orsay, Dargaud.

Dans la scène ci-dessus, on comprend très bien ce qui se passe et à quels évènements tout ceci se réfère.

Pourtant, les personnages ne s'appellent pas du tout « Dominique de Villepin » et « Colin Powell » mais « Alexandre Taillard de Worms » et « Jeffrey Cole ».

Pourquoi ?

PARCE QUE LE CHOIX DU NOM D'UN PERSONNAGE N'EST PAS UNE SINÉCURE.

Inconsciemment, à cause, souvent, de simples préjugés, ce nom construit une première idée du personnage dans l'esprit du lecteur, une idée qui lui sera constamment rappelée au cours du récit et qui va façonner la capacité du lecteur à s'identifier au(x) personnage(s)


Problème : si l'identification aide le lecteur à suivre une histoire (en y glissant les sentiments que lui inspire telle ou telle situation), celui-ci veut-il vraiment s'identifier à un personnage qui s'appelle « Robert » ?

C'est vrai, que, quand on entend le prénom « Robert », on pense plus à quelqu'un comme lui :


Qu'à quelqu'un comme lui :


 Ce qui est un peu dommage pour tous les Roberts de France et de Navarre...

Il faut donc choisir le nom de ses personnages avec soin, en ayant en tête tout ce que ce nom peut représenter, ou tout ce que ce nom peut permettre d'un point de vu narratif.

PAR EXEMPLE : LA SOLUTION « TINTIN ».

« Tintin » est un nom qui ne veut rien dire, un nom informel et neutre.

Trouver un tel nom n'est pas si facile... Il faut qu'il n'ait aucune signification (on se doute bien que « Haddock »  n'est pas un charcutier), mais qu'il ne paraisse pas abstrus (« Rastapopoulos » est un nom trop bizarre et  exotique, trop compliqué pour ne pas nous faire cogiter). Il faut que ce soit un nom qui reste vierge. Une boîte vide dans laquelle le lecteur pourra y glisser ce qu'il veut : une personnalité, des émotions, du boudin au pomme. Ce qu'il veut.

« Tintin »  : un  prénom aussi neutre et interprétable que son visage.

Si le nom du ou des personnages est bien choisi, s'il est réellement une boîte vide avec laquelle on peut jouer, il est d'ailleurs possible d'y glisser bien plus qu'un simple patronyme.

Un nom bien choisi, et le lecteur glisse dans le personnage les sentiments que lui inspire telle ou telle situation. 
Un mot bien choisi, et le lecteur glisse dans les dialogues le sens que lui inspire telle ou telle situation.

Ces noms ne sont pas obligés d'être fantaisistes et peuvent être tirés du réel (après tout, « Schtroumpf » veut dire « chaussette »). Le tout étant qu'ils soient suffisamment inusités pour ne pas être une référence directe à quelque chose de connu. Un mot qui reste vide de sens. 

Par exemple, en parlant de noms qui ne ressemblent à rien :

Les deux personnages aux têtes de cartoons et aux nez plus que de raison 
ont aussi des noms bizarroïdes (Blutch et Chesterfield).

Les autres personnages sont dessinés avec plus de réalisme et possèdent donc des noms normaux 
(Colonel Appletown, General Alexander, etc...).

Dans cette bande dessinée, il y a deux mouvements parallèles. Les personnages auxquels on s'identifie ont des noms neutres et des visages peu réalistes. Les protagonistes auxquels ont ne doit pas s'identifier (parce qu'ils s'opposent à nos héros) ont des noms beaucoup plus précis et un dessin qui ne l'est pas moins.

OUI PARCE QU'IL N'Y A PAS QUE LES NOMS, DANS LA VIE.

C'est une des belles tartes à la crème de la bande dessinée : il est plus difficile pour un lecteur de s'identifier à un personnage réaliste, parce qu'il va lui paraître plus comparable à une personne qu'il pourrait rencontrer au débotté dans la rue qu'à un pure produit de son imagination.

Un dessin plus euh... dessiné, moins réaliste, va permettre au lecteur de se rapprocher/s'identifier à un personnage qui restera plus flou, qui correspondra déjà plus à l'image mentale qu'on se fait de quelqu'un (une image qui nous est donc déjà personnelle) qu'à son apparence réelle (qui nous est extérieure).

Ici, on peut faire un parallèle entre les noms, la représentation des personnages, et notre attachement à eux.

C'est clair et net : plus on doit s'identifier/s'attacher à un personnage, plus son nez est gros et rond.

La caricature rapproche le héros du lecteur.

MAIS ALORS, A CONTRARIO, DE QUELLE MANIÈRE PEUT-ON NOMMER UN PERSONNAGE DESSINÉ DE MANIÈRE RÉALISTE ET DONT ON VEUT FAIRE UN HÉROS ?

Ce n'est pas bien compliqué : quand on se retrouve avec une bande dessinée réaliste mais qu'on veut quand même donner un nom flou au personnage, que fait-on ? Hé bien on donne un nom réaliste, mais flou (pas con, le mec).

Un chiffre, par exemple...

Dans le cas d'une bande dessinée réaliste, les auteurs ne doivent pas viser à l'identification lecteur-personnage, mais à l'identification lecteur-action. Le lecteur se dit alors : ouais, bien joué mec, moi aussi, j'aurais fait pareil. Le saut sans parachute, la réception sur le dos du tueur en pleine air, la rupture des cervicales. Tout pareil. On est sur la même longueur d'onde, bro'.

Le lecteur ne se dit pas qu'il pourrait être XIII, il ne s'y identifie pas. Il trouve simplement ses actions logiques 
et les valide. Il se dit que, s'il était lui aussi placé dans un avion en flammes sans parachute avec des tueurs en série à ses trousses, il ferait devrait faire pareil.

(D'ailleurs, la critique qui revient chez les déçus de XIII n'est pas : « le perso devient con » (qui est la critique négative des gens qui s'identifient) (comme dans Breaking Bad) ; mais « l'histoire vire au n'importe quoi » (qui est la critique négative des gens qui suivent et valide les actions des personnages) (comme dans Lost).)


MAIS, DU COUP, A QUOI ÇA SERT, UN NOM FLOU CHEZ UN PERSONNAGE RÉALISTE ?


Le personnage de XIII cumule des tas d'avantages, non plus d’identification, mais de progression parallèle : au début de l'histoire, il n'a pas de nom, il n'a pas d'identité, il ne connaît même pas ses capacités physiques ou intellectuelles. Bref, le personnage en sait autant sur lui que le lecteur. Ils en sont tous les deux au même point. Il vont marcher de pair vers la découverte de la vérité.


Et en route vers une aventure tellement pleine de rebondissements qu'ils vont rebondir les uns sur les autres !


Le nom de « XIII » n'est pas comme celui de « Tintin » (il n'est pas fantaisiste), mais il reste générique, libre de toute connotation à une nationalité, un caractère, une époque. Il est parfait pour qu'un lecteur ne se fasse aucune idée préconçue sur le personnage. Un nom vierge. Avec lequel on peut partir à l'aventure.

BON... CERTES... BIEN SÛR... MAIS...

On ne peut pas appeler tous ses personnages « Trululu » ou « Fantômas ». Des fois, les auteurs ont quand même intérêt à ce que leurs personnages aient un quotidien et des noms un peu plus comme dans la vie de tous les jours. 

Dans ce cas, s'ils veulent rester relativement flou, il leur reste un  dernier as dans leur manche...

LE NOM PEUT ÊTRE UN PRÉNOM.


C'est un peu plus réaliste (nous aussi, on a un prénom) et c'est relativement abstrait (beaucoup de gens portent le même prénom, donc ça ne désigne personne de précis, ça reste, là encore, un peu flou) (appeler son personnage « Martine » ou « Martine Aubry », et ça change quand même pas mal de choses dans le récit et dans notre appréciation de l'ensemble).


A noter que, souvent, quand le personnage n'a qu'un prénom, c'est que c'est un héros de bande dessinée pour enfant. 
Les auteurs cherchent à ce moment à décrire un univers vaste-mais-pas-trop, chaleureux-non-pas-aventureux, reconnaissable-mais-un-peu-différent-quand-même. Bref : un univers à la « Cédric », qui porte un prénom reconnaissable-et-connu-mais-qui-ne-nous-en-dit-pas-plus-que-ça.

SEULEMENT VOILA...

« Cédric » reste cantonné à des aventures assez ordinaires... 

Quand le personnage commence à s'écarter d'un quotidien relativement balisé et à vivre des aventures what-the-fuck, la solution du prénom ne suffit plus.

Les auteurs vont alors devoir faire acte de réalisme et donner, en sus du prénom, un nom de famille à leur personnage...

CE QUE J'ESSAYERAIS DE DÉTAILLER LA SEMAINE PROCHAINE.

(Attendez, j'ai fait un truc hyper structuré. Première partie : les noms flous. Deuxième partie : les noms réalistes. Troisième partie : les noms bizarro-rigolos. Thèse-antithèse-synthèse. Structuré, je vous dit.)

jeudi 30 janvier 2014

La bande dessinée est la plus géniale de tout l'univers, avec un vrai tigre et pas d'ourson

Bill Watterson s'entête ! Ça va ! On a compris que vous étiez le plus fort ! Il va falloir nous laisser, Monsieur !

(Alors, attention, c'est super long. Mais, en même temps, je pouvais quand même pas faire quinze billets sur la même BD.)

Bill Watterson, Calvin &Hobbes, Universal Press Syndicate (?) & Les éditions du Lézard.
(Ça, au mois, ça change pas. C'est important d'avoir des repères, dans la vie.)

REVENONS A NOS MOUTONS...

Je disais la semaine dernière que (selon moi, hein...) le coeur de Calvin & Hobbes réside dans la question : « Est-ce que Hobbes est un tigre en peluche issu de l'imagination de Calvin et de l'auteur ? ». 

(Une question que tout le monde s'est au moins posé une fois en lisant Calvin & Hobbes.


(Enfin... J'espère. Sinon toute la chronique tombe à l'eau.)

D'AILLEURS, WATTERSON LUI-MÊME NE TRANCHE PAS :


« Hobbes est un jouet en peluche dans une case et vivant dans la suivante, je juxtapose la vision adulte de la réalité avec celle de Calvin, et j'invite le lecteur à décider laquelle lui semble la plus vraie. »


QUOIQUE...

« Mais la BD n'affirme rien. C'est l'hypothèse que font les adultes parce que personne ne voit Hobbes de la même manière que Calvin. Certains journalistes qui écrivaient des articles sur les amis imaginaires m'ont demandé un commentaire à ce sujet ; et je m'y suis toujours refusé, parce que je ne connais absolument rien aux amis imaginaires. Il me semble que, si vous vous inventiez un ami, vous feriez en sorte qu'il soit toujours d'accord avec vous, et pas qu'il vous dispute sans arrêt. Je soupçonne donc Hobbes d'être bien plus réel que n'importe quel enfant pourrait en rêver. »

C'EST CE QUI S’APPELLE ENTRETENIR LE DOUTE, DITES-DONC.


Parce que, au final, c'est la question en elle-même qui forme le coeur de cette bande dessinée. Pas la réponse.


ÇA Y EST. JE LE SAVAIS. IL SE DÉFILE. IL NE VA PAS RÉPONDRE.

Ah non mais si si, je vais essayer de répondre. 

Mais je vais aussi essayer d'expliquer pourquoi cette réponse n'a aucune importance.

AH ÇA M'A L'AIR ENCORE SIMPLE, CETTE HISTOIRE !


Le problème de Calvin & Hobbes est de savoir de quel point de vue on se place. Est-ce qu'on est dans la tête de Calvin (Hobbes est une peluche) ? Est-ce qu'on est dans la tête de Hobbes (Hobbes n'est pas une peluche) ? Est-ce qu'on est dans la tête de Watterson (Hobbes est ce que Watterson veut bien qu'il soit) ?





Le mystère de la peluche à rayures.

ET POUR RÉPONDRE A CETTE QUESTION : UN PETIT COURS BIEN CHIANT.


On sépare en général les points de vue en trois catégories :


La focalisation zéro. Exemple : « Je suis Dieu et je sais tout sur tout. En particulier ce que tu as fait hier soir dans ta chambre. Et ça me fait beaucoup de peine. Notamment pour ce pauvre hamster qui n'avait pas l'air bien consentant. Ça me désole encore plus de savoir ce que tu feras dans le futur de ces DVD d'Hamtaro que tu viens de commander. Oui ! Je sais tout ! »


La focalisation interne. Exemple : « Je suis un journaliste économique et (saloperie de nantis de chômeurs) vous ne percevrez le monde (saloperie de nantis de fonctionnaires) qu'au travers (réforme structurelle) de ce que je pense (saloperies de nantis de français) et de ce que je vois (Pujadas, tu es beau), rien d'autre (pauvre entrepreneurs exsangues). »


La focalisation externe. Exemple : « Je suis un simple spectateur du quotidien qui ne connaît ni les pensées de ce quidam marchant en pâlissant avec un cadavre de cochon d'Inde dans les mains, ni celui de ce particulier tout rouge qui déchire un exemplaire de l'Huma en criant que la France n'est rien sans les chefs d'entreprises. Je ne me réfère qu'aux faits. »


ET LÀ !


Sous vos yeux ébahis (et beaux) (et soyeux), je fonde une quatrième catégorie :


LA FOCALISATION MULTIPLE.


Qui consiste à naviguer entre les points de vues, à passer de l'un à l'autre à un troisième, comme ça, quand ça nous chante, parce que c'est plus pratique. ET A NE SURTOUT PAS UTILISER LA FOCALISATION ZÉRO (on est avec les persos, pas au-dessus d'eux). 


C'est ainsi que Watterson se rapproche toujours plus de ses personnages... Quels qu'ils soient.

Parfois, il fait de la focalisation externe (les faits, rien que les faits).

Quand Watterson parle de la guerre, c'est sérieux, c'est carré, c'est focalisation externe, ce sont des faits : 
la guerre, c'est débile.

Parfois, il fait de la focalisation interne (uniquement dans la tête d'un personnage).

Rien ne vient à l'encontre des idées de Calvin : 
c'est définitivement trop mauvais pour qu'il s'imagine une autre manière de cuisiner cette nourriture.

Parfois, il alterne plusieurs focalisations internes (un coup Calvin, un coup Hobbes, un coup les parents).

Point de vue de Calvin ensuqué, puis point de vue de Hobbes-le-meilleur-chasseur-du-monde, 
puis point de vue de Hobbes-terrorisant-sa-proie, puis point de vue bienveillant des parents.

Parfois, il fait de la focalisation interne qui se finit en focalisation externe.

A moins que ce soit de la focalisation externe qui se finisse en focalisation interne ?

 Une scène du point de vue de Calvin, ballotté et malmené tel qu'il le ressent.

Une scène d'un point de vue externe, objectif, telle qu'est vraiment la situation.

Et que dire quand deux focalisations cohabitent dans la même case ?

Ici, les points de vue de Susie ET Calvin se côtoient sans se contredire. 
C'est normal. Ce sont deux enfants. Ils sont sur la même longueur d'onde.

Là, tout de suite, là, juste sur cette case, impossible de savoir si c'est Calvin qui fait son cirque (point de vue de Susie) 
ou si c'est le sandwich vivant qui attaque (point de vue de Calvin). Non ?

VOUS AUSSI, VOUS AVEZ MAL A LA TÊTE, OU C'EST MOI QUI COUVE QUELQUE CHOSE ?

Il faut toute la maestria de Watterson pour rester cohérent et jongler entre les différents points de vue sans nous paumer.

Pour cela, il fait appel au dessin pur.

 Putain de nom d'un petit bonhomme que c'est beau.

Au découpage.

Des cases et inter-cases de tailles identiques pour des instants de durées et de valeurs identiques.

Un aparté qui n'a rien à voir mais vous vous rendez compte que Watterson utilise même les inter-cases pour dire quelque chose ?
(Des inter-cases plus minces ou plus larges selon le temps qui se passe entre chaque case.)
MÊME LES INTER-CASES, BORDEL DE MERDE !

Au scénario, aux personnages, à ce que l'on sait d'eux.

Que c'est meugnon.

Ou à tout en même temps.


BON, MAIS SINON, ON NE S’ÉLOIGNE PAS UN PEU DE LA QUESTION ?

Tout ça pour dire que Watterson fait cohabiter le point de vue des différents personnages entre eux...


OUI, D'ACCORD, ET ALORS ?


Et alors ces points de vue multiples permettent d'en apprendre plus sur nos deux héros.

PAR EXEMPLE : 


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS.


Hobbes ne se conforme jamais à la vision de Calvin. Il n'est jamais vu par Calvin comme un alien, un dinosaure ou un monstre. Il est vu comme Hobbes. Les imaginaires de Calvin et Hobbes s’équilibrent et rentrent en symbiose, pas en concurrence.


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS FACE AU MONDE.

Calvin et Hobbes sont deux personnages perdus dans un monde qu'ils ne comprennent ni ne maîtrisent.

Calvin est dominé par ses parents et plus généralement par le monde adulte. Hobbes, c'est pas beaucoup mieux : il se conforme sans cesse à ce qu'on attend de lui. Susie voit en lui un gentil agent double ? Il aide Susie. Les parents ne voient en lui rien de plus qu'un doudou ? Il est ce doudou. La brute de l'école pense qu'il est complètement inutile ? Il est compl... Ha non, flûte, ça marche pas.




Ça ne marche pas, parce que, dans ce cas, la manière qu'a Calvin de voir son meilleur ami l'emporte sur la manière qu'à la brute de le voir. L'amitié des deux compères est plus forte que la bêtise de l'autre guignol. On peut être bridé jusqu'à un certain point, mais pas jusqu'au point de renier son meilleur ami et de ne pas lui venir en aide.

(Quand Hobbes se conforme à la vision que les parents ont de lui, c'est que 1°) Calvin est aussi dominé par la vision des parents ; 2°) les parents veulent le bien de Calvin.) (Quand Hobbes se conforme à la vision que Susie à de lui, c'est parce que Susie est trop craquante. Et que Calvin est, au fond, d'accord avec ça. )


En fait, Hobbes se laisse imposer le point de vue des autres, tant que ça ne nuit pas à Calvin.

Vrais amis pour la vie !

L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS EXPLORANT LE MONDE.

Ils utilisent leurs imaginations (parfois c'est celle de l'un qui mène la danse, parfois c'est celle de l'autre) (souvenez-vous du calvinball) pour essayer de se construire un monde à leur hauteur et à leur image.


L'univers entier leur donne de nouveaux terrains de jeux à découvrir et où s'épanouir.


L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS DÉFENDANT UNE PHILOSOPHIE DE VIE.

Cette démarche rejoint celle de Watterson (que j'ai essayé de décrire dans les posts précédents), qui a réussi à s'aménager des terrains de jeux quasiment illimités dans lesquels il peut changer de sujet, de genre de récit, de style de dessin, sans perdre le lecteur une seule seconde. La liberté qu'a Watterson de changer la forme ou le fond de sa bande dessinée quand bon lui semble, d'utiliser n'importe quel objet pour le transformer ou en faire un nouveau sujet de strip, rejoint la liberté qu'a Calvin de faire ce qu'il veut, où il veut, de ce qu'il veut.

L’AMITIÉ DES DEUX HÉROS AU CENTRE DE TOUT.


1°) Oui (à mon humble avis, tout ça), Hobbes est un vrai tigre, puisque quand il s'agit de ne pas faire semblant pour plaire aux parents ou à Susie, il peut très bien péter la gueule à Moe.

2°) On s'en tape, parce que cette question de savoir si Hobbes est un tigre ou pas sert surtout à développer d'autres qualités de la bande dessinée.

3°) On s'en tape, parce qu'il n'est pas important d'être sûr que Hobbes soit ci ou ça. Il faut juste qu'on doute de sa nature.

C'est vrai, après tout, vous pouvez toujours me rétorquer : « Quand même, on peut pas dire le contraire, votre explication est un peu vaseuse...  » « Finalement, on doute toujours de l'existence de Hobbes. »

AHA ! « ON DOUTE. »

Voilà tout l'intérêt !


Les sens aiguisés par cette question et ce doute continu, on cherche à comprendre, on évalue les différents points de vues, on essaye de se glisser dans l'esprit des gens extérieurs qui se demandent ce qui se passe entre cette foutue peluche et Calvin ; on essaye de se glisser dans les pensées de Hobbes, qui est peut être simplement très timide et gentil quand il est confronté à quelqu'un qu'il connaît moins que son meilleur ami. On se met à la place de tous les personnages.



Ou comment l'histoire d'un petit garçon et d'un tigre qui se font toujours imposer le point de vue des autres nous convainc d'être attentif à tous les points de vues et à tous les possibles.

J'aime bien les schémas, moi. Pas vous ?

Tout devient soudain possible pour un lecteur de Calvin & Hobbes. Même de croire qu'un petit garçon est ami avec un gros tigre aux belles rayures dans une petite banlieue de ville américaine. Ou que ce tigre est la simple peluche d'un garçon à l'imagination débordante. Ou qu'on assiste a une très belle amitié. Ou à une vision du monde unique.

Ce flux et ce reflux, fait du mouvement de l'imaginaire même, donne toute sa vie et toute son intensité aux récits de Calvin et Hobbes.

Une oeuvre dans laquelle la vie devient papier et le papier de la vie...