Tome, Janry, et Stuf nous montrent ce qu'est une bonne série.
LES SÉRIES, C'EST DE LA MERDE.
Dans la vie, il y a deux types de bandes dessinées : les bandes dessinées appartenant à une série (Tintin, Astérix, les schtroumpfs, ou, plus important encore, Les petits hommes) et les autres bandes dessinées (jusque là, je dis pas de conneries).
C'est bien connu, les séries sont des objets bassement mercantilistes qui essayent non pas de se réinventer à chaque nouveau livre, mais reprennent une formule (usée) pour reproduire un succès (usurpé) sans prendre aucun risques (ces auteurs sont des lâches !).
A contrario, les vrais auteurs, ceux qui souffrent, ceux qui créent, ceux qui se coupent les oreilles en buvant de l'absinthe pour faire avancer leur art vers l'horizon indépassable du beau, ces auteurs ne se consacrent qu'à des livres solitaires, sans suite ni précédent, ré-inventant leur manière à chaque fois, changeant du tout au tout leur technique, leurs modes narratifs, leur style et leurs thématiques, suivant les besoins du projet qui leur tenaille le cœur on moment où ils créent. Ils font de l'art, pas de la bête copie de trucs qui ont fonctionné sur un coup de bol.
SAUF QUE NON.
Les auteurs qui ne font pas de séries n'arrivent pas forcément à se renouveler d'un livre au suivant. Ils peuvent avoir le même style (ça se comprend, c'est déjà chiant de se trouver un style, alors plusieurs), les mêmes thèmes (on va pas s'intéresser à mille sujets différents durant sa vie non plus), ou les mêmes genres de récits (y a bien les spécialistes des comédies romantiques ou des films d'action au cinéma, pourquoi pas en bande dessinée ?).
Alors, je vous connais, vous allez dire : « Oui mais, et Moebius ? » « Il a su se renouveler, Moebius. » « Il était Giraud, puis il est devenu Moebius. »
Moebius (dans le coin à gauche) et ses différents univers.
Alors, déjà, ça va bien. Moebius par ci, Moebius par là, c'est pas parce que c'est un génie qu'il faut le coller à toutes les sauces.
Ensuite, justement, Moebius, il a su creuser deux sillons : le côté Giraud pour le western (là, on est en plein dans le pas-renouvellement : un style, un thème, un genre) ; et le côté Moebius pour la science-fiction introspective (il trouve une nouvelle manière et, ensuite, l'explore, la retourne dans tous les sens, pousse son style, ses thèmes, essaye de voir jusqu'où il peut aller avec ça, bref, il creuse.)
Du coup, Giraud/Moebius, Moebius/Giraud, à eux deux, ils n'ont creusé que deux sillons. Pas juste un, c'est sûr, c'est bien, c'est mieux. Mais juste deux. Pas dix mille non plus. (J'ai pas dit que ce n'était pas avec un brio, une aisance et une vastitude (j'invente des mots si je veux) incroyable ; j'ai juste dit que ça ne faisait pas tant de manières que ça.)
Les auteurs aux styles multiples sont donc rares.
Mais ils existent, hein, je dis pas le contraire.
Mais ils sont pas nombreux.
CONTRE EXEMPLE.
Un auteur qui essaye de lutter contre cette espèce de standardisation-de-la-production-artistique-à-force-d'enquiller-les-bouquins, c'est Larcenet.
À un moment, Larcenet était un peu sur des rails, avec un style de récit et un style de dessin bien définis (le style dit du pied-qu'on-voit-toute-la-semelle-quand-le-personnage-il-marche-de-face).
Puis, il a envoyé valser le bazar pour tout changer à chaque nouveau projet.
On reconnait à chaque nouveau projet des éléments venant des projets précédents, mais on voit également à chaque fois une évolution. Il y a une continuité dans la progression, si on veut. Et les différents bouquins permettent de voir cette progression.
TOUTEFOIS.
TOUTEFOIS.
La plupart des auteurs ont une approche Morrissienne de la chose : essayer de faire de mieux en mieux dans le style qu'on s'est trouvé.
Lewis Trondheim peaufine encore et encore des thèmes et des styles de récits pour leur donner un impact, une densité, et une efficacité toujours accrus.
ENFIN.
D'autres peuvent s'essayer à une approche Gotlibienne de la chose (conserver son style, mais essayer d'étendre le champ des thèmes abordés (d'abord les Dingodossiers, sur la vie courante des français, puis la Rubrique-à-brac (qui dit bien ce qu'elle veut dire : c'est le bordel dans les sujets), puis les récits de Fluide Glacial (sur le caca) (c'est important le caca) (que celui qui n'a jamais fait caca me lance la première pierre)), mais on reste dans la même idée : une sorte d'extension du domaine de la lutte.
Ça se fait très bien dans une série comme Sandman, qui pose une situation de base
et qui rhizome avec des tas d'idées cools à partir de ce noyau.
Jusqu'à donner une sœur à Sandman (au rêve) qui soit la mort. (C'est profond.)
et qui rhizome avec des tas d'idées cools à partir de ce noyau.
Jusqu'à donner une sœur à Sandman (au rêve) qui soit la mort. (C'est profond.)
Toute la petite famille du rêve (comme définie par son scénariste : Neil Gaiman).
ET LA SÉRIE DANS TOUT ÇA ?
Si faire des albums solitaires ne garantit pas de faire des albums différents, on peut déjà se dire que séries et albums solitaires ont la même valeur (artistique).
Mais, en plus, faire une bonne série (pour ce qui est des séries de merde, j'en sais rien et on va essayer de ne pas trop en parler) s'apparente à faire exactement pareil que les albums solitaires (faire évoluer son style dans la continuité comme Larcenet, améliorer son style et ses effets comme Trondheim, approfondir ses thèmes et son univers comme Neil Gaiman) (faire le boulot de n'importe quel auteur de bande dessinée, quoi).
UNE SÉRIE, C'EST EXACTEMENT ÇA.
Elle offre un corpus d’œuvres suffisamment long pour nous permettre (à nous lecteur) de voir le style, les thèmes, la technique d'un auteur sur la longueur, dans leurs approfondissements et évolutions.
Ce qui est bien pratique quand on essaye d'écrire un blog sur la bande dessinée.
Il faut trouver à faire une aventure (comme d'hab) mais dans un far-west rigolo avec cheval qui parle et chien imbécile ; ou avec un reporter à houppette et pantalon de golf (une putain de contrainte, quand même, c'est limite de l'oubapo), ou avec un enfant imaginatif dont le seul ami est un tigre (non, ce n'est pas L'odyssée de Pi, cherchez encore). Et, en plus, faut trouver une histoire qui colle aux personnages, à l'ambiance, pas juste se dire : « oh bah on a qu'à recopier le scénario de l'arme fatale, et on remplace Danny Glover et Mel Gibson par le grand schtroumpf et la schtroumpfette (ne manquez pas le passage ou la schtroumpfette se déboîte l'épaule pour échapper à la noyade) ».
C'est pas la même ambiance si on se plante de style de récit.
Les contraintes sur les personnages et sur l'univers qui en découle impliquent des contraintes sur le récit, son style, ses thèmes.
Bref, tout ça est super relou.
MAIS ALORS POURQUOI S'EMBÊTER AVEC DES CONTRAINTES ?
Il y a des tas de raisons, et elles ne datent pas d'hier, mais on peut grosso modo les résumer à trois idées (à mon humble avis et ce n'est que le mien et je le partage et tout ça, tout ça) :
- Rendre hommage aux anciens.
Un mec a dirigé toute votre vie. Vous avez vu ce qu'il a fait et vous vous êtes dit « je veux faire pareil, c'est trop cool, moi aussi je veux être cool ». Du coup, à un moment, vous reprenez une de ses oeuvres pour voir si vous n'avez pas fait fausse route et si les outils que vous avez mis au point sont bien ceux que votre maître utilisait, et si non, est-ce que vous avez trouvé quelque chose de mieux ou pas.
Picasso, par exemple, faisait une petite fixette sur les ménines de Velasquez.
Il en a peint 58 copies (rien que ça), pour essayer de se l'approprier (faut croire qu'il a pas complètement réussi).
Bacon, son truc, c'était le portrait d'Innocent X, toujours de Velasquez.
Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Velasquez ?
Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Velasquez ?
Blutch, lui, il est trop fan de Tif et Tondu (qui ne sont pas de Velasquez) (Blutch est un original).
- Se mesurer aux anciens.
Y a des sujets, comme ça, dans l'art, qui parlent à tout le monde et de tous temps. Du coup, plein de gens les ont représentés. Du coup, c'est dur de le représenter d'une façon nouvelle et originale. Du coup, c'est challenge. Du coup, si on y arrive, on est fier comme Artaban, et on se dit qu'on est plus fort que tout le monde.
Par exemple, les vanités (des dessins avec des crânes qui nous rappellent qu'on est tous mortels, qu'on est bien peu de chose, et que faudrait voir à pas trop la ramener.)
Et bin les vanités sont devenus un thème récurrent de l'art, que tout le monde traite avec son style.
Par exemple, les vanités (des dessins avec des crânes qui nous rappellent qu'on est tous mortels, qu'on est bien peu de chose, et que faudrait voir à pas trop la ramener.)
Et bin les vanités sont devenus un thème récurrent de l'art, que tout le monde traite avec son style.
- Adorer écrire des alexandrins avec une main derrière le dos et un pied attaché à la queue d'un lama atteint de rage (autrement dit : aimer les contraintes).
Par contre, la contrainte casse les habitudes. On a l'habitude d'utiliser plein de lettres « e », on s'impose de ne plus l'utiliser, du coup, on va trouver tout un tas de synonyme peu usités. On va aller sur des terrains inconnus. Et pourquoi pas découvrir de (nouveaux) trésors (cachés au fond de soi).
Sauras-tu retrouver la lettre e dans ce quatrième de couverture de la disparition de Georges Perec ?
La contrainte pousse un artiste dans ses retranchements.
LA REPRISE D'UNE SÉRIE, C'EST EXACTEMENT ÇA.
La reprise de Spirou et Fantasio par Tome, janry, et Stuf, c'est exactement ça.
Se baigner dans les mêmes eaux que ceux qu'on admire, se mesurer à l'ancien qui est passé avant vous ; reprendre des figures classiques pour essayer d'y insuffler sa différence, sa vision ; essayer de faire un petit pas de côté, qui sera la marque de la personnalité de ses nouveaux auteurs ; et renouveler cette expérience à chaque nouveau livre, une nouveauté, un nouveau point de vue, un nouveau pas de côté, un nouveau défi.
ET DES DÉFIS, TOME, JANRY ET STUF EN ONT RELEVÉS DES PAQUETS.
(Ce que nous verrons la semaine prochaine.)
Un grand classique chez toi : tu annonces que tu vas parler de préambule d'un sujet (ici Spirou) et tu finis sur "bon, en fait, j'en parlerai la prochaine fois". Serais-tu un pro de la digression ? :P
RépondreSupprimerBin... Euh... Je suis plus un pro du "je sais pas de quoi je veux parler". A la base, je voulais parler de série, et pis ensuite, j'ai voulu parlé de Tome et Janry et Stuf, parce que, finalement, c'est quand même pas des moitiers de manchots. Alors, du coup, je tourne autour du pot. (Mais, promis, jeudi, c'est janry.)
SupprimerSauf si l'imagination a fait omission à mon corps voyant, il m'a paru qu'un nom pointa la portion d'un blair. Un nom qui fut choisi à l'introduction ; un nom qui construisit un fumant conflit dans d'autrui notifications ; un nom qui citait la production d'albums, parlant pour la plupart d'un bourg où l'on pouvait voir nains, nabots, lutins, ainsi qu'avortons.
RépondreSupprimer"Les Petits Hommes", pour la citation.
Nous allons donc avoir l'indication d'un art ou non vivant dans la sus-BD, ou du moins un avis du patron au blog.
Vraiment, je ne me dédis. Je posterai peut être une autre journée une floppée de messages sur les petits hommes. Malgré cela, cette série mettant inconnue, précédent toutes choses, je devrai me renseigner très profondément. Cela peut prendre une certaine longueur de temps. Une journée comme une année. Je ne renonce en rien ; je recule juste avec le dessein de mieux sauter. (Cela devient une véritable prouesse d'écrire les messages de ce blogue.)
SupprimerQuel bel hommage à Perec, MatDuck !
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