Bouzard (alors, là, je n'ai pas trouvé de lien sur internet ; à la rigueur, il y a ça ; qu'est-ce que c'est que ces auteurs qui ne sont pas 2.0) prend les choses en main et nous règle définitivement cette histoire de relation lecteur-auteur, parce que ça va bien maintenant.
Bouzard et Philippe Ory, Football Football – tome 1, Dargaud.
Là, on ne peut plus s’échapper. Ça va bien les « l’auteur est présent de manière diffuse un peu partout dans sa propre bande dessinée ». Non. Dans celle-ci, l’auteur s’adresse à nous. Il se dessine. Il s’incarne. Il est le plus proche possible de ce qu’on pourrait imaginer d’une figure littéraire dont on entendrait la « voix ». (Mais en fait non, hein, je vous grille la fin.)
Ne nous voilons pas la face, l’auteur nous parle, l’auteur existe.
TOUT D'ABORD, UN PETIT RÉCAPITULATIF DES ÉPISODES ANTÉRIEURS.
On a vu dans un précédent message (enfin, j'ai essayé de l'expliquer mais bon, je suis pas certain d'avoir été super super clair) que Binet, en fait, était partout et nulle part à la fois. Il était dans le dessin, il était dans le rythme, il était dans TOUS les personnages, bref, il était dans tous les détails de sa bande dessinée.
Si on y réfléchit, cette remarque s'applique également à Guibert et son ami Cope. Ce n'est pas Cope que nous voyons, c'est l'image que Guibert a des souvenirs de Cope. Encore une fois, ce sont les pensées que Guibert a eues (au moment d'écouter les souvenirs de son ami) et dans lesquels nous pénétrons. Toujours cette histoire d’accueillir dans notre caboche les rêves de quelqu'un d'autre.
Nous accueillons SES rêves, SES pensées, SES souvenirs. Donc, forcément, là aussi, l'auteur est partout, dans le moindre détail de ce monde qu'il se construit dans sa petite tête.
MAIS !
On n’accueille pas une espèce de gros goujat qui sent des pieds et qui commence par vous apostropher « Et alors là, ptite tête, le mec, tu sais ce que je lui dit, hé bien je lui dit d'aller se faire shampouiner ! Voilà c'que j'lui dit ! Parce que c'est pas ça le vrai monde ! Le vrai monde, laisse moi t'expliquer ce que c'est... ». Là encore, le dessin met forcément une distance. Du coup, la bande dessinée ne peut pas être confondue avec le monde réel, ne peut pas être prise comme « modèle » (ce que certains critiques de cinéma font des fois en délirant sur le thème du « ce film nous montre les choses terribles qui se passent en banlieue / en Afrique / en politique / chez ma belle-mère ») (alors que non, c'est juste une représentation, une fiction, c'est pas pour de vrai ; ça peut à la rigueur servir un propos, mais ce n'est en rien un argument ou une preuve). Le dessin, lui, nous hurle dans les oreilles : « Hé, banane, c'est pas réel, c'est juste une représentation ! Tu crois pas que si Astérix avait vraiment un nez de cette dimension, il ferait que tomber en avant sous son poids ? Hein ? ».
Hé bin avec Bouzard c'est pareil.
Cette propriété du dessin-réel-mais-pas-trop-quand-même s'applique aussi à la figure de « l'auteur » (à dire avec une voix grave et sérieuse).
ALORS, OUI, CERTES, ON VOIT BOUZARD DANS SA BANDE DESSINÉE...
MAIS !
On voit une simple représentation de Bouzard avec un gros nez et une sorte de houpette-à-la-Tintin-mais-derrière. Là encore, le dessin nous dit : « Gros nul, tu vois pas que c'est du pipeau, tu crois vraiment que Bouzard a cette bouille pas possible ? Mais bien sûr que non ! » (le dessin est décidément très familier avec nous, ça commence à bien faire).
D'ailleurs, on peut noter que, quand Bouzard veut donner l'impression que quelqu'un de réel parle, il n'utilise pas de dessin, juste du texte, comme dans un roman (là où la voix de l'auteur est prépondérante) mais que dès qu'il veut mettre une distance, le dessin réapparaît.
En se faisant apparaître dans sa propre bande dessinée, Bouzard ne se met pas en scène lui-même. Il met en scène ses propres pensées. Il nous surligne trois fois le fait que ce sont ses goûts, ses idées personnelles qui se trouvent mises en scène dans la bande dessinée.
L’auteur n’est plus un « raconteur tout puissant » mais essaye de se faire comprendre au mieux de son lecteur en lui dessinant, en quelque sorte, des schémas. (« Alors, là, tu vois, Zuberbühler il s’avance, face à la cage, tranquillement, tout gonflé de l’arrogance de ses 21 ans. Attends, c’est pas clair, je vais te faire un dessin sur un coin de table, comme ça tu seras fixé. »)
Très peu de traits pour tout exprimer. Tous les traits comptent. L'auteur est partout.
Vieille dame ou jeune garçon, les deux personnages se souviennent en beige, de 3/4 droit, en faisant la moue.
Nous accueillons SES rêves, SES pensées, SES souvenirs. Donc, forcément, là aussi, l'auteur est partout, dans le moindre détail de ce monde qu'il se construit dans sa petite tête.
MAIS !
On n’accueille pas une espèce de gros goujat qui sent des pieds et qui commence par vous apostropher « Et alors là, ptite tête, le mec, tu sais ce que je lui dit, hé bien je lui dit d'aller se faire shampouiner ! Voilà c'que j'lui dit ! Parce que c'est pas ça le vrai monde ! Le vrai monde, laisse moi t'expliquer ce que c'est... ». Là encore, le dessin met forcément une distance. Du coup, la bande dessinée ne peut pas être confondue avec le monde réel, ne peut pas être prise comme « modèle » (ce que certains critiques de cinéma font des fois en délirant sur le thème du « ce film nous montre les choses terribles qui se passent en banlieue / en Afrique / en politique / chez ma belle-mère ») (alors que non, c'est juste une représentation, une fiction, c'est pas pour de vrai ; ça peut à la rigueur servir un propos, mais ce n'est en rien un argument ou une preuve). Le dessin, lui, nous hurle dans les oreilles : « Hé, banane, c'est pas réel, c'est juste une représentation ! Tu crois pas que si Astérix avait vraiment un nez de cette dimension, il ferait que tomber en avant sous son poids ? Hein ? ».
Hé bin avec Bouzard c'est pareil.
Non mais franchement ? Vous croyez que c'est possible une fracture comme celle-ci ? Mais ne soyez donc pas si naïf ! Et qu'est-ce que c'est encore que ces nez ? C'est une névrose, ou bien ? Y en a qui essayent de compenser quelque chose, ici...
Cette propriété du dessin-réel-mais-pas-trop-quand-même s'applique aussi à la figure de « l'auteur » (à dire avec une voix grave et sérieuse).
ALORS, OUI, CERTES, ON VOIT BOUZARD DANS SA BANDE DESSINÉE...
MAIS !
On voit une simple représentation de Bouzard avec un gros nez et une sorte de houpette-à-la-Tintin-mais-derrière. Là encore, le dessin nous dit : « Gros nul, tu vois pas que c'est du pipeau, tu crois vraiment que Bouzard a cette bouille pas possible ? Mais bien sûr que non ! » (le dessin est décidément très familier avec nous, ça commence à bien faire).
La ressemblance de Bouzard avec Tintin est criante.
D'ailleurs, on peut noter que, quand Bouzard veut donner l'impression que quelqu'un de réel parle, il n'utilise pas de dessin, juste du texte, comme dans un roman (là où la voix de l'auteur est prépondérante) mais que dès qu'il veut mettre une distance, le dessin réapparaît.
Feinte de vraie voix.
En se faisant apparaître dans sa propre bande dessinée, Bouzard ne se met pas en scène lui-même. Il met en scène ses propres pensées. Il nous surligne trois fois le fait que ce sont ses goûts, ses idées personnelles qui se trouvent mises en scène dans la bande dessinée.
Bouzard se met en scène pour, en fait, mettre en scène ses pensées.
Rodolphe Töpffer joue sur la forme et sur le fond, d’accord.
Mais il conserve un aspect schématique, crobardé.
Que ce soit dans la bande dessinée de Guibert ou dans celle de Bouzard, ou celle de n'importe qui, on partage des souvenirs, des pensées, des anecdotes. La bande dessinée est faite pour ça. Elle est, presque malgré elle, construite pour exceller dans ce domaine. Que ce soit les pensées de l’auteur, celles d’une tierce personne, ou même celles d’un personnage fictif. Ce qui prend corps, ce n’est pas le narrateur, c’est ce qu’il narre. Ce n’est pas qui se souvient, mais ce dont il se souvient.
Chez Bouzard, on est en empathie avec les anecdotes/réflexions du narrateur, réflexions qui forment aussi la matière et la structure du récit.
La page de Bouzard qui nous occupe mêle : une vraie-fausse lettre de lecteur, une petite histoire, des souvenirs sur Eric Cantona et des souvenirs sur Georges Best. Tous ces éléments s'y mélangent, comme les pensées se mélangent dans la tête de quelqu'un. (Un peu comme chez Blueberry.) Du coup, encore une fois, le récit en lui-même apparaît comme une pensée vivante, mouvante, dans laquelle on peut se reconnaître.
En fait, dans une bande dessinée, on entre en empathie avec le récit lui-même. La bande dessinée, en elle-même, est un souvenir / un pensée / un rêve.
Bouzard nous montre son quotidien (romancé, hein) et cela fait écho au nôtre.
Sfar se cache derrière Pascin, et nous avons envie de nous y cacher aussi.
Chez Guibert, on est en empathie avec les souvenirs du narrateur, souvenirs qui forment la matière et la structure du récit. Chez Bouzard, on est en empathie avec les anecdotes/réflexions du narrateur, réflexions qui forment aussi la matière et la structure du récit.
La page de Bouzard qui nous occupe mêle : une vraie-fausse lettre de lecteur, une petite histoire, des souvenirs sur Eric Cantona et des souvenirs sur Georges Best. Tous ces éléments s'y mélangent, comme les pensées se mélangent dans la tête de quelqu'un. (Un peu comme chez Blueberry.) Du coup, encore une fois, le récit en lui-même apparaît comme une pensée vivante, mouvante, dans laquelle on peut se reconnaître.
En fait, dans une bande dessinée, on entre en empathie avec le récit lui-même. La bande dessinée, en elle-même, est un souvenir / un pensée / un rêve.
MAIS, BON, COMME D'HABITUDE, HEIN, A QUOI ÇA SERT TOUT CE PATAQUÈS ? J’EN FAIS QUOI, MOI, DE CES PENSÉES ?
Cela nous permet (en sus de s'identifier aux personnages) de s'approprier directement les pensées représentées dans le livre. Se dire, non plus seulement « ces personnages me ressemblent » mais aussi « ces pensées ressemblent aux miennes ».
Au final, on se dit alors « cette bande dessinée me ressemble ».
Tout cela rejoint alors l'objectif d'Astérix, qui était de faire de l'art à partir des comportements humains que nous reconnaîtrions dans une bande dessinée. Sauf que nous nous reconnaissons cette fois-ci dans la variété, le mouvement, la versatilité, l'humanité des pensées représentées dans le récit.
Au final, on se dit alors « cette bande dessinée me ressemble ».
Tout cela rejoint alors l'objectif d'Astérix, qui était de faire de l'art à partir des comportements humains que nous reconnaîtrions dans une bande dessinée. Sauf que nous nous reconnaissons cette fois-ci dans la variété, le mouvement, la versatilité, l'humanité des pensées représentées dans le récit.
Voilà pourquoi on aime la bande dessinée… La bande dessinée est humaine... Comme nous.
C'est la bande dessinée en elle-même qui nous semble humaine, vivante, changeante et qui crée l'impression artistique.