Ce qu'il y a de bien quand un auteur a une petite obsession (en l’occurrence, ici, Jacques Tardi et la guerre de 14), c'est qu'on peut essayer de regarder comment le style de l'auteur évolue au cours du temps en évacuant tout de suite la problématique des histoires qui changent sans arrêt. Ne pas s'occuper du fond (les histoires), qui, ici, reste toujours le même, mais s'attacher uniquement à l'évolution de la forme (le style).
C'est ce qu'on va essayer de faire au travers de trois livres :
- Le trou d'obus (éditions de l'imagerie Pellerin d'Épinal) en 1984,
- C'était la guerre des tranchées (éditions Casterman) en 1993,
- Putain de guerre ! (Casterman aussi) en 2008.
P.S. Le trou d'obus est une commande des imageries d'Épinal qui voulait à l'époque essayer de se diversifier dans la bande dessinée avec de grands livres classieux format A3 (ils ont fait La magique lanterne magique avec Fred l'année d'avant, celui-ci avec Tardi ensuite, et puis plus rien, parce que personne n'a du acheter ces bidules et que, bon, voilà).
P.P.S. Comme dit ci-dessus, Le trou d'obus est un album en A3. Comme je ne voulais pas devenir fou à scanner des pages A3 avec mon scanner A4, les pages reproduites ci-dessous sont tirées de la recolorisation bichromie du titre qui a été publié ensuite comme première histoire dans le recueil C'était la guerre des tranchées. (Le trou d'obus a été publié en A3 quadrichromie en 1984 puis republié en A4 bichromie au début de C'était la guerre des tranchées en 1993.)
P.P.P.S Les trois récits en question ont été co-écrits par Jean-Pierre Verney (d'abord en sous-marin, comme simple "consultant technique de la guerre de 14", puis de manière de plus en plus affichée, jusqu'à avoir son nom sur la couverture de Putain de guerre !
P.P.P.S Les trois récits en question ont été co-écrits par Jean-Pierre Verney (d'abord en sous-marin, comme simple "consultant technique de la guerre de 14", puis de manière de plus en plus affichée, jusqu'à avoir son nom sur la couverture de Putain de guerre !
P.P.P.P.S. J'espère que tout est clair.
P.P.P.P.P.S. Comment ça, non ?
P.P.P.P.P.P.S. Bref.
FORMALISME
On l'oublie parfois, mais Tardi est très attaché aux questions de formalisme. Cela transparaît surtout par le choix de la composition de ses pages.
Quand il s'agit de traiter de la commune de Paris, il le fait dans un format à l'italienne (le livre est couché) pour pouvoir représenter les barricades de la commune dans leur longueur.
Quand il adapte Nestor Burma qui déambule dans les rues de Paris, il fait de grandes cases, parfois du 2 strips, pour pouvoir justement caser le maximum de bâtiments parisiens réels dans les décors de ses cases.
Bref : la question de la composition de la page est vraiment très importante pour Jacques Tardi.
FORMALISME
On l'oublie parfois, mais Tardi est très attaché aux questions de formalisme. Cela transparaît surtout par le choix de la composition de ses pages.
Quand il s'agit de traiter de la commune de Paris, il le fait dans un format à l'italienne (le livre est couché) pour pouvoir représenter les barricades de la commune dans leur longueur.
LE TROU D'OBUS.
Il y a deux aspects formels dans ce récit.
Le premier est lié à la commande de l'imagerie d’Épinal, qui implique de coller au genre. Pour cela, Tardi construit ses pages comme de grands panneaux symétriques, avec des cases parfois ovales.
Le second est lié à son approche du récit historique / comment rendre la réalité de ce qui s'est passé ? Pour brasser le plus d'informations possibles, être le plus complet possible, et perdre le moins de temps possible (condenser l'information), Tardi décide de passer par un narratif avec un point de vue omniscient (qui sait tout sur tout) (il sait tout sur les personnages et tout sur la guerre). Cela donne un aspect de vérité absolue sur ce qui est exposé dans le récit : puisque le narrateur sait vraiment tout de ce qu'il y a dans la tête des personnages, quand il expose une information sur la guerre, les canons, la fatigue, c'est forcément vrai. Puisqu'il sait tout sur tous les personnages, il doit forcément savoir tout sur le reste (à savoir, principalement, les conditions de vie durant la guerre).
La crédibilité, la vraisemblance du récit passe par les narratifs, qui mènent la danse.
C'ÉTAIT LA GUERRE DES TRANCHÉES
Dans ce cas là, Tardi modifie complètement à la fois sa composition (chaque page est désormais composées de simplement trois longues cases) (des cases longues comme les tranchées) et sa narration. Désormais, il se place d'un point de vue externe, comme si les événements se déroulaient devant l'objectif d'une caméra qui se contenterait de les enregistrer.
Soit les personnages parlent carrément "face caméra", soit les narratifs prennent le relais, mais non plus d'un point de vue omniscient, mais pour décrire les pensées des personnages (au lieu de parler "face caméra", ils pensent "face caméra", ce qui ne change pas grand chose au procédé, c'est simplement que ça le diversifie un peu, le rend moins répétitif) ou une action basique que tout le monde peut constater.
Ici Tardi ne veut plus simplement documenter les faits de la guerre mais rapprocher le lecteur des soldats, faire comprendre la réalité psychologique de la guerre. Et ce "face caméra" fait en sorte de placer le lecteur lui-même dans les tranchées, au plus près des combattants.
PUTAIN DE GUERRE !
Ce troisième récit adopte une focalisation interne. On lit la bande dessinée comme on lirait une très longue lettre d'un soldat nous exposant sa vie durant la guerre. On n'en sait pas plus que lui, mais pas moins non plus.
L'objectif de Tardi est là de garder l'aspect "proche des soldats" du récit précédent (l'aspect "face caméra" est parfois reprit ; on conserve une composition en trois longues cases) en y ajoutant un côté plus intime (on ne connait pas simplement les paroles du personnage principal mais aussi ses pensées. Il trouve également le moyen de renforcer l'aspect documentaire du récit (aspect plus présent dans Le trou d'obus) en faisant digresser le personnage dans ses pensées. Il n'est pas obligé de rester collé à la situation qu'il décrit, il peut revenir en arrière, évoquer un élément parallèle, etc. ce qui est une manière très habile pour les auteurs de se montrer absolument exhaustif sur le sujet.
Putain de guerre ! semble être l'aboutissement de la réflexion sur le sujet de Tardi, à la fois récit intime et documentaire foisonnant.
Il y a deux aspects formels dans ce récit.
Le premier est lié à la commande de l'imagerie d’Épinal, qui implique de coller au genre. Pour cela, Tardi construit ses pages comme de grands panneaux symétriques, avec des cases parfois ovales.
Des planches symétriques, comme dans l'imagerie d'Épinal.
Et même des petites maquettes à construire soit même, c'est mignon.
Le second est lié à son approche du récit historique / comment rendre la réalité de ce qui s'est passé ? Pour brasser le plus d'informations possibles, être le plus complet possible, et perdre le moins de temps possible (condenser l'information), Tardi décide de passer par un narratif avec un point de vue omniscient (qui sait tout sur tout) (il sait tout sur les personnages et tout sur la guerre). Cela donne un aspect de vérité absolue sur ce qui est exposé dans le récit : puisque le narrateur sait vraiment tout de ce qu'il y a dans la tête des personnages, quand il expose une information sur la guerre, les canons, la fatigue, c'est forcément vrai. Puisqu'il sait tout sur tous les personnages, il doit forcément savoir tout sur le reste (à savoir, principalement, les conditions de vie durant la guerre).
C'ÉTAIT LA GUERRE DES TRANCHÉES
Dans ce cas là, Tardi modifie complètement à la fois sa composition (chaque page est désormais composées de simplement trois longues cases) (des cases longues comme les tranchées) et sa narration. Désormais, il se place d'un point de vue externe, comme si les événements se déroulaient devant l'objectif d'une caméra qui se contenterait de les enregistrer.
Soit les personnages parlent carrément "face caméra", soit les narratifs prennent le relais, mais non plus d'un point de vue omniscient, mais pour décrire les pensées des personnages (au lieu de parler "face caméra", ils pensent "face caméra", ce qui ne change pas grand chose au procédé, c'est simplement que ça le diversifie un peu, le rend moins répétitif) ou une action basique que tout le monde peut constater.
PUTAIN DE GUERRE !
Ce troisième récit adopte une focalisation interne. On lit la bande dessinée comme on lirait une très longue lettre d'un soldat nous exposant sa vie durant la guerre. On n'en sait pas plus que lui, mais pas moins non plus.
Putain de guerre ! semble être l'aboutissement de la réflexion sur le sujet de Tardi, à la fois récit intime et documentaire foisonnant.