Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 25 avril 2013

La bande dessinée n'est pas sale.

Joann Sfar essaye de nous expliquer, en utilisant la représentation de la sexualité, la particularité de la bande dessinée par rapport à d'autres formes d'arts (narratifs).

Joann Sfar, Pascin – La java bleue, L'association.

ESSAYONS, DONC, DE COMPARER LA BANDE DESSINÉE A D’AUTRES ARTS (NARRATIFS).

LE CINÉMA, PAR EXEMPLE.

Le cinéma est, à la base, une tentative de captation du réel (c'est peut être dit péremptoirement, mais, bon, on va quand même pas se gêner). Le spectateur regarde une scène de film comme il observerait une scène-réelle-de-la-vie-de-tous-les-jours.

(Quand les frères Lumière ont inventé le cinéma, très vite, ils ont filmé des vrais gens, pour montrer à des terrassiers comment faisaient des forgerons, et inversement.) (Ils ont même filmé la mer, pour montrer à quoi ça ressemblait aux continentaux.) (C’était pour que les gens aient conscience les uns des autres, que le corps social prenne conscience de lui-même.) (C’était politique, c’était fou-fou.)

Vrais gens.

Autres vrais gens.

Cette idée de « rendre le réel » perdure même quand le film renonce à toute vraisemblance pour raconter le voyage d'un hobbit au travers d'un pays imaginaire peuplé de gloumoutes crypto-nazis à l'hygiène douteuse. Il est toujours important, même dans ce cas, de donner une impression de réalisme, de « faire vrai » : on soigne les décors, les costumes, on gonfle tout cela en 3D pour rendre l'ensemble plus tangible, plus palpable.

LE CINÉMA ET LA SEXUALITÉ, DONC.

Du coup, quand on représente la sexualité au cinéma, le spectateur se retrouve dans la position inconfortable du type qui ne devrait pas être là où il est et qui surprend quelque chose qu'il ne devrait pas voir. Le spectateur est dans une position de voyeur. Des tas de réalisateurs ont d’ailleurs utilisé ce fait pour construire leurs films :

-          Haneke, qui met un film dans le film pour bien nous expliquer qu’on est des gros pervers quand on regarde un film. Mouais…


-          Breillat, qui nous fait le coup de l’actrice qui se regarde avec trouble dans un miroir.


-          Ou Powell, dans un registre un chouille plus fin, avec un titre qui ne tourne pas autour du pot : le voyeur.


ET POUR CE QUI EST DE  LA LITTÉRATURE ?

La littérature est, à la base, une tentative de transcription de la parole (péremptoire, tout ça).

(Quand le vieil Homère sucrait les fraises en racontant pour la centième fois ses histoires de mecs en jupes qui se font la guéguerre à pétaouchnok et qu’un auditeur a eu l’idée de tout mettre par écrit, pouf, ça a créé la littérature.)

Cette opposition film/écrit, réel/parole, s'illustre assez bien dans l'extrait suivant d'un conte de Noël d'Arnaud Desplechin :

Dialectique cinéma-littérature structurant le récit par une interpellation méta-textuelle. 
Grosso modo, hein.


En littérature, le lecteur « écoute » et partage quelque chose avec le récitant, le raconteur. Parfois, même, le lecteur se voit directement pris à parti par Stendhal (dans Le rouge et le noir) :

Les salons que ces messieurs traversèrent au premier étage, avant d’arriver au cabinet du marquis, vous eussent semblé, ô mon lecteur, aussi tristes que magnifiques. On vous les donnerait tels qu’ils sont, que vous refuseriez de les habiter ; c’est la patrie du bâillement et du raisonnement triste.

Dans ces conditions, lorsqu’on en vient à parler de sexualité, le lecteur se retrouve dans une nouvelle position inconfortable : celle du type à qui on raconte des tas de détails bizarroïdes alors qu'il n'a rien demandé. (« Elle aimait bien se faire lécher les pieds. » Mais oui, tu m'en diras tant. Fais-moi rêver.) Le lecteur est provoqué et ne sait pas comment réagir.

Dans un film, le spectateur est face à du réel. Dans un livre, le lecteur est face à l'auteur, qui est tout aussi réel.

POUR EN REVENIR A LA BANDE DESSINÉE.

Pourquoi, dans ce contexte, Joann Sfar peut-il se permettre de représenter des scènes explicitement pornographiques sans que nous ne nous sentions plus agressés que ça ? (J'ai choisi une page soft pour recevoir le label tout public mais cela ne change rien à la manière que nous avons j'ai de recevoir l'ensemble des pages.)

C'est, à mon avis, parce que la bande dessinée se trouve dans un entre-deux : elle est moins réelle qu'un film et l'auteur y est moins tangible que dans un roman. Les scènes y sont, Lapalisse, dessinées. Explicitement représentées, réinterprétées. Donc moins concrètes que dans un film.

 On admire le réalisme échevelé de cette image, mis en écrin par une perspective tout ce qu’il y a de cavalière.

A contrario, le dessin existe. Il est présent. L'auteur n'est plus un romancier tout puissant qui « voit » des choses et essaye ensuite de les décrire un peu comme il veut. Le lecteur n'est plus cet espèce d'enfant qui ne comprend pas tout bien. (Ça vous est sûrement déjà arrivé de lire un roman, de voir arriver un personnage, d'imaginer son look, et puis d'être confronté au romancier qui, quinze pages plus loin, fait une description de ce personnage qui fout tout ce que vous aviez imaginé par terre.) (Tout ça pour se la jouer moderne... Il aurait pas pu la faire tout de suite, sa description, non ?) En bande dessinée, ce genre de problème n'est pas possible. Le dessin est fait, le dessin est imprimé. Il représente ce qu'avait le dessinateur dans la tête. Il le représente bien ou mal, ok, mais s'il n'était pas content, il n'avait qu'à le refaire, son dessin pourri.

Il y a donc des éléments sur lesquels les auteurs et les lecteurs peuvent s'accorder. Une base commune. Chacun fait un pas l'un vers l'autre. L'auteur ne surplombe plus le lecteur et perd son statut de « raconteur tout puissant ». Il n'existe plus comme une tierce personne. Il se dilue dans son livre.

Le personnage s’adresse directement à nous.
 Pour résumer, on se passe de l'étape « J'étais mieux sous les tropiques, dit Pascin ».  Ici, Pascin parle, point.

CE N'EST PAS FINI ! ON PEUT ALLER PLUS LOIN DANS CETTE RELATION AUTEUR-DESSIN-LECTEUR !

Si le cinéma est une captation du réel et la littérature une transcription de la parole, la bande dessinée, qu'est-ce que c'est ? Ne serait-elle pas une représentation de nos pensées ? Je dis ça, parce que Sfar semble d'accord avec moi :

Les dessins de Pascin et les dessins de Sfar se confondent.

Sfar nous montre que ses dessins et ceux de Pascin sont de même nature. Les dessins de Pascin sont la représentation de ses souvenirs, de ses penséesLes dessins de Sfar sont donc également, ostensiblement, la représentation de ses pensées.

Les pensées de Pascin et de Sfar se confondent. Pascin rêve qu'il est en vacance et le dessine. Sfar rêve qu'il est Pascin et le dessine. 

DE PLUS, IL EXISTE UN PARALLÈLE DIRECT ENTRE UN DESSIN ET UN SOUVENIR.

Quand Pascin veut dessiner son souvenir, il en isole les traits caractéristiques et les représente.

Nous même, quand nous nous souvenons d'un visage, d'un paysage, d'un bâtiment, nous en isolons les traits caractéristiques - un gros nez, un toit pointu, un arbre biscornu - sans visualiser complètement l'objet ou la personne ; nous les schématisons ; nous les dessinons dans notre esprit.

ATTENTION ! GROS AXIOME !

Un dessin et un souvenir sont aussi précis et aussi flous l'un que l'autre. Aussi réels et irréels. Aussi comparables.

Et donc, tout ce passe comme si, en bande dessinée, en partageant des dessins, nous partagions des pensées, des souvenirs, ou des rêves. Plus exactement, nous accueillons dans nos pensées les rêves de quelqu'un d'autre ; comme peuvent nous arriver des pensées quand on rêvasse en marchant dans les rues ou en étant assis sur un canapé.

QU'EST CE QUE C'EST QUE CETTE PHRASE ? ON N’EST PAS CHEZ PROUST ICI !

Dans la page qui nous occupe, avec Pascin, c'est une pensée sexuelle. Bon. Ce sont des choses qui arrivent. On va pas en faire tout un fromage non plus. On est humain, après tout. A la limite, c'est plus de l'ordre du fantasme (comme celui avec trois éléphants et la princesse d'Angleterre). Ce n'est pas bien réel. Ce n'est pas bien sérieux. Ce n'est pas bien grave.

Un souvenir érotique apparaît. Que faites-vous ?

L'intimité d'une bande dessinée ne pose plus les questions de voyeurisme, de cochonceté, qui se posent dans d'autres arts. Parce que « c'est juste dans notre tête ».

ALORS LA, ÇA ME FERAIT MAL.

A un moment, beaucoup d'auteurs estampillés « nouvelle BD » parlaient de la bande dessinée comme « d'un art pour branleurs ». (Je cite, hein. Je suis poli, moi. Mais, nonobstant, je suis également  respectueux de l’exactitude de la parole d’autrui.) (Ça travaillait beaucoup Blain, notamment.) Je me suis demandé pourquoi et je crois que c'est pour les raisons que j'ai essayé d'expliquer ci-dessus.

La bande dessinée est plutôt « vécue » comme une pensée personnelle, plus intime et moins réelle, moins agressive et plus fantaisiste. En l'occurrence, ici, pour ce qui est de la sexualité, la bande dessinée est « vécue » comme un fantasme. Et c'est d'ailleurs (je crois) ce que sont, pour Sfar, les livres ayant pour personnage Pascin : un fantasme. Le rêve d'une autre vie.


ACCROCHEZ-VOUS UN PEU, IL N’Y EN A PLUS POUR TRÈS LONGTEMPS.

Laissons-là Sfar (le pauvre chou) et essayons de revenir sur la critique précédente qui avait porté sur les cigares du pharaon. (Vous croyiez que j’avais oublié, avouez…)

Nous retombons sur la conclusion précédente qui était que « la bande dessinée est très bien organisée pour représenter les mouvements de la pensée, les souvenirs, les rêves, et tout ce genre de choses ».

Cette caractéristique peut d’ailleurs expliquer, paradoxalement, pourquoi la bande dessinée est vue comme une sale petite littérature pour enfants : chez eux, pour pallier au manque d’expérience, l’imagination, « le monde qu’on se construit dans la tête », est plus florissant.

Cela peut expliquer pourquoi les histoires traitées en bande dessinée sont souvent fantastiques ou merveilleuses : si les dragons (ou Rastapopoulos en jupette) n’existent pas dans la vraie vie ; ils existent bel et bien dans nos esprits (que ceux qui ont dans leurs esprits des images de Rastapopoulos en jupette aillent très vite consulter).

Cela peut expliquer pourquoi les rêves de Hergé fascinent tant : parce qu’ils sont la signature de ce qu’est la bande dessinée elle-même.

Enfin, cela peut expliquer le caractère foisonnant de l’œuvre de Sfar : ses dessins essayant de représenter ses pensées, ils sont tout aussi nombreux, discursifs, différents, contradictoires, abondants.

TADAAA !

Comme un enfant s'imagine des choses, la nuit, dans le noir et sous son lit, nous nous imaginons des choses, le jour, dans les marges blanches.

OUHLALA, C’ÉTAIT VRAIMENT PRISE DE CHOU ET COMPAGNIE AUJOURD’HUI !

vendredi 19 avril 2013

La bande dessinée est un rêve.

Hergé nous explique que, pour organiser une continuité, c'est encore mieux de rester dans la tête de son personnage et de ne pas en bouger. Ainsi, votre imagination et celle du personnage « fusionnent ».

Hergé (et tout son studio), Tintin - Les cigares du pharaon, Casterman.  

Ici, toute la page est organisée pour mettre en valeur le rêve dans lequel Tintin va plonger. On y entre petit à petit. Quand on y est, on en profite. Puis on en sort doucement.

Vous pouvez pas vous planter : ce qui est important est au milieu.

Nous avons donc, dans l’ordre :

-          La définition de la situation et du mode de narration.
  (Je vais y revenir, parce que, dit comme ça, je suis d’accord, c’est assez obscur.)
-          La transition vers le rêve via les fumées.
-          Le rêve en lui-même.
-          Un palier de décompression qui nous permet de repasser du rêve à la réalité.
  (Je vais revenir sur ça aussi.)
-          Une fin en forme de transition vers une page et une situation nouvelle.

LA DÉFINITION DE LA SITUATION ET DU MODE DE NARRATION.

Tactique de sioux pour présenter les enjeux.

Dans ce premier strip, c’est pas bien compliqué, on ne voit que deux choses : Tintin qui pense, et des cigares. Il va falloir vous y habituer, parce qu’en fait, ce seront les mêmes thèmes durant un bon paquet de cases.

Hergé sait qu’il est difficile de rendre lisible un rêve. Il sait que, dans ce contexte, les cases s'enchaînent de manière beaucoup plus abrupte, avec des liens beaucoup plus diffus. (C’est un rêve, quoi : on a beau être dans un ascenseur en direction de la Lune, tout d’un coup, on s’aperçoit qu’on a pas de pantalon. C’est abrupt.)

Donc Hergé pose des jalons qu’il réutilisera ensuite. Des objets qui vont marquer la continuité entre les différentes cases : Tintin et des cigares.

Suivez Tintin. Ou les cigares. Ou la fumée. Enfin, suivez, quoi…

La continuité de l'action est marquée par les cigares (réels au début, figurés par la fumée ensuite, rêvés sur la fin)… (Qu’est-ce qui se passe ? Bin, Tintin trouve des cigares, est noyé par la fumée, fumée qui le fait rêver de cigares).

Le sujet de l'action, c'est Tintin. (Il prend les cigares, subit la fumée, rêve des cigares.) Et nous n'allons pas le lâcher d'une semelle durant toute la page. Mieux : nous allons rentrer dans sa tête.

EH OUI PARCE QUE TOUT ÇA, C’EST DE LA FOCALISATION INTERNE, BIEN SUR !

Petit intermède informatif :

Quand on raconte une histoire, on peut être en « focalisation zéro » (point de vue de Dieu qui sait tout), en « focalisation externe » (point de vue d’un chum assis à côté et qui regarde la scène), ou en « focalisation interne » (point de vue du personnage).

Eh bien, ici, on est très nettement en focalisation interne : dans la tête de Tintin.

Hergé nous fait d’abord partager ses pensées grâce aux phylactères (« Je me demande… », « Je comprends… »), alors que la deuxième case est carrément une vision subjective de Tintin.

Plus focalisation interne, tu meurs.

Puis, tout naturellement, les narcotiques faisant effet, on en arrive à carrément partager ses rêves.

Tintin parle tout seul, le pauvre. Puis les rêves de Tintin parlent tous seuls.

Hergé organise donc la transition entre la réalité et le rêve. On était déjà habitué à partager les pensées de Tintin. Ça ne nous choque plus quand il faut se coltiner aussi ses rêves. Les enchaînements entre cases seront plus difficiles, d’accord, mais nous avons déjà été préparés, conditionnés à les remettre dans leur contexte (c’est dans la tête de Tintin, c’est normal que ce soit le bordel).

LE RÊVE, LE BORDEL.

 L’Egypte, terre de contrastes.

On commence soft. La présence de la fumée s’accroît. Elle sera présente durant le reste de la scène et nous dira à nous, lecteur : « Arrête de râler, tu vois bien que c’est le rêve. Fais plutôt un effort pour comprendre ce qui se passe. »

Et, de fait, cette case est une parfaite introduction, puisqu'elle nous présente Tintin et Milou, couleur de fumée, prisonniers de bandelettes, de sarcophages, et d'ambiance égyptienne.

Les méfaits de l’alcool chez les jeunes touristes égyptophiles.

Dans cette seconde case, Tintin perd de la place en même temps qu'il perd de ses forces. Le rêve prend de l'ampleur dans son esprit.

L'ambiance égyptienne est conservée (on passe des sarcophages au dieu Anubis) et permet de raccrocher les wagons. La présence tintinesque se maintient aussi (tintin emmailloté en case précédente, un parapluie de Philémon Siclone ici), mais elle est moins forte.

Le GHB avant le GHB.

Vous aviez dit Philémon Siclone ? Eh bien justement le voilà. Comme continuité, on ne fait pas mieux. Apparaissent également les Dupondt (mais on s'en fiche un peu) et des tas de cigares (ce qui est plus intéressant).

(Souvenez-vous, ces cigares nous disent : « Non mais ne vous inquiétez pas, on est toujours au même endroit, on est toujours dans cet espèce de grand tombeau inquiétant. Tintin est toujours en train de tomber dans les pommes à cause de la fumée narcoleptique. Ne fuyez pas. »)

Le GHB après le GHB.

Au final, le rêve, lui, finit petit à petit son travail d'engloutissement et se permet de balader directement Tintin dans sa petite personne. Le « vrai » Tintin a disparu. On ne voit plus que le Tintin qui rêve de lui-même. On ne voit plus qu’au travers du rêve dans la tête de Tintin (comme, au début, on ne voyait plus les cigares que par les yeux de Tintin).

 Ça n’a pas l’air, mais ces deux images sont identiques.

ET CE N’EST PAS FINI.

Tant qu’à faire, Hergé profite de cette « logique de rêve » pour forcer des transitions pas évidentes.

ALORS ATTENTION ACCROCHEZ-VOUS, PALIER DE DÉCOMPRESSION.

Hergé utilise les capacités de la bande dessinée en poussant certains curseurs (transitions et ruptures violentes d’une case à l’autre) à fond les bananes durant le rêve. Une fois cela fait, il en profite pour rester dans cette dynamique et l’utiliser. Nous ressentions le rêve de Tintin. Ensuite, nous ressentons son voyage.

 J’ai fait un rêve bizarre…

C'EST COMPLIQUÉ A EXPLIQUER.

Mettons que vous rêvez. Bon. Vous êtes chez vous et quelqu’un propose « Et si on allait à la mer ? ». Vous trouvez l’idée excellente et, l’instant d’après, vous vous retrouvez à la mer. Vous avez la sensation d’avoir parcouru le chemin (à pied, à cheval ou en voiture), mais on ne peut pas dire que, factuellement, vous ayez rêvé de 1h30 de trajet en voiture (je veux bien que vous ayez des rêves emmerdants, mais quand même), vous n'avez qu'une vague sensation de conduite et de fatigue.

Eh bien ce phénomène, ce serait un peu comme, au hasard, Tintin qui s’endort.


Puis quelqu’un lui dit : « Tient, si on allait à la mer ? ».


Et qui s’y trouve directement.

 

Nous n’avons pas vu Tintin parcourir tout le chemin, mais nous en avons la sensation. Des images imprécises de mauvaise nuit et de de chameau bringuebalant nous viennent, guère plus. Comme dans un rêve, quoi.

C’est cette logique qui présidait déjà à tous les enchaînements de cases de rêve. Des enchaînements pas évidents, qu’on ne « visualise » pas vraiment, mais qui font naître la sensation diffuse de la continuité entre les cases. (Il n'y a pas de case fantôme, ici, juste des sensations générales.)

 La bande dessinée, c’est comme le rugby, si on n’y comprend rien, c’est que c’est fait exprès.

Alors qu’ici les enchaînements étaient beaucoup plus carrés, plus simples, plus faciles.

Cette logique du rêve est ensuite rompue quand arrive la lumière, les pensées d’un nouveau personnage, et des liens de causalité beaucoup plus fastoches.

Il y a du changement dans l’air.

On peut alors passer à autre chose (de nouveaux lieux, de nouveaux personnages, une nouvelle action, une nouvelle page).

Ha oui, ça se confirme, il y a du changement.

MAIS ALORS POURQUOI ÇA FONCTIONNE ?

Je pense que ce travail est facilité par le fait que la bande dessinée est très bien organisée pour représenter les mouvements de la pensée, les souvenirs, les rêves, et tout ce genre de choses.

Pourquoi ? Comment ? J'essayerais d'expliquer ça au prochain message...

(Aha !)

jeudi 11 avril 2013

La bande dessinée fait son artiste.

F’murrr nous explique comment faire de l’art, mais surtout, comment faire de l'art de qualité.



F'murrr, Le génie des alpages –  tome 13 – Cheptel maudit, Dargaud

Il faut bien avouer que la double planche présentée ci-dessus est peut être ce que je connais de F’murrr que je comprends le moins. 

J’y panne rien de rien. Mais vraiment.

Et c’est, quelque part, le but.

(On pourrait dire que si je ne comprends rien, c’est parce que je suis débile, mais, allez savoir pourquoi, je n’aime pas cette solution.)

JE M’EXPLIQUE.

Selon mon Grand Larousse illustré 2005, l’art est destiné à « produire chez l’homme un état de sensibilité et d’éveil plus ou moins lié au plaisir esthétique ». C’est drôlement bien dit. 

Le problème, dans le cas d’une œuvre d’art, c’est de faire perdurer cet « état de sensibilité et d’éveil »


Comme disait Frank Capra, l'art, c'est comme l'amour : quand c'est bien, c'est formidable ; quand c'est bien et que ça dure longtemps, c'est encore plus formidable... (Je cite de manière très très libre.)

Faire en sorte que les sensations éveillées par une œuvre d'art habitent le lecteur durant un laps de temps plus long que la moyenne, voilà une des grandes affaires des auteurs et des lecteurs.

  • Ce phénomène, nous le connaissons bien quand, après avoir lu un livre, on le repose sur la table basse en marmonnant avec une mine satisfaite un « Ça ! C’est un bon bouquin… », alors que les sentiments nés de sa lecture nous habitent toujours, et que nous en profitons encore.
  • Sacha Guitry lui-même vient illustrer tout cela avec sa fameuse phrase : « Quand on a entendu du Mozart, le silence qui suit est encore du Mozart ». Quand une œuvre d’art est suffisamment forte, elle se prolonge dans le temps, après sa fin.
  • Les fans ne font rien d'autre, quand ils parlent durant des heures de telle ou telle œuvre, simplement pour le plaisir de ré-évoquer, de faire durer à nouveau les sensations éveillées lors de la lecture...
  • Les auteurs ne font rien d'autre quand ils se crèvent la paillasse, comme F'murrr, sur leurs pages de bande dessinée.

Bref. Nous aimons quand l’art se prolonge…

ET UN BON MOYEN DE LE PROLONGER, C'EST DE LE COMPLEXIFIER...

Comme c'est la journée des exemples, on va donc citer l’œuvre de Georges Perec, qui prend un malin plaisir à construire des systèmes dans lesquels se croisent des références qui ne devraient pas se croiser. Il suffit de lire une partie de la table des histoires de La vie mode d’emploi pour le comprendre :

La cantatrice exilée de Russie suivant Schönberg à Amsterdam.
Le petit chat sourd aux yeux vairons vivant au dernier étage.
Le crétin chef d'îlot faisant préparer des tonneaux de sable.
La femme avare écrivant ses moindres dépenses dans un cahier.
Le faiseur de puzzles s'acharnant dans ses parties de jacquet.
La concierge prenant soin des plantes des locataires absents.
Les parents prénommant leur fils Gilbert en hommage à Bécaud.
L'épouse du Comte libéré par l'Ottomane acceptant la bigamie.
Etc…

Ça mélange tout avec tout… Ça fait voyager…

Raconter l'histoire de l'épouse d'un Comte… Bon. Raconter l'histoire de l'épouse d'un Comte libéré par une Ottomane… D’accord...  On commence à se poser des questions. Raconter l'histoire de l'épouse d'un Comte libéré par une Ottomane qui accepte la bigamie… Hum hum… On déclenche la turbine à synapses pour essayer de relier les différents éléments bizarroïdes...

Plus on rajoute de couches, plus ces couches sont en mesure d’accrocher le lecteur et de l’envoyer sur différentes pistes. Lui faire faire des nœuds dans le cerveau.

Différents imaginaires vont se croiser. Différentes sensations vont être évoquées. Différentes connexions vont se tisser dans la tête du lecteur (en fait, Perec fait de « l’effet B » sans le savoir…).

Une fois le livre reposé, tous ces fils entremêlés seront plus difficiles à quitter, à débrouiller. L’art créé par le livre va mettre plus de temps à s’estomper.

ET DANS SES PLANCHES, F'MURRR FAIT EXACTEMENT LA MÊME CHOSE...

Le dieu du vent qui volait entre les montagnes.

Les moutons joueurs qui couraient sans qu’on sache pourquoi.

Le monde des alpages tel qu’on eut pu le voir au soleil couchant.

Les aventures du vautour qui ne savait plus voler.

Le dieu rose qui rétrécissait.

Le titre énigmatique qui n’avait rien à voir avec la choucroute.

La conclusion qui promettait des choses impensables.

Les différents éléments bizarroïdes arrivent au fur et à mesure (un vautour, puis deux, l'arrivée du dieu du vent, puis sa diminution…). Une fois qu’on a un peu compris comment marche le petit monde décrit, quelle devrait être la logique du récit ; eh bien F’murr nous désarçonne avec un nouvel élément hétérogène qu’il va nous falloir assimiler. Il s’amuse à nous mettre la tête à l’envers. A faire des nœuds dans notre cerveau. Des courts-circuits dans nos têtes. Pour que les sensations créées par ceux-ci soient d’autant plus difficiles à quitter.

L’AJOUT DES DIFFÉRENTES COUCHES N’EST PAS POUR AUTANT GRATUIT.

Ces couches ne sont pas justes là pour se la jouer artiste. Elles sont également utiles pour nous guider et contrôler différentes dimensions du récit :
  • Le rythme de lecture. D’abord aérien, avec de grandes traînées de vent et des VOUFFFFFF qui prennent du temps, il devient plus cadencé quand le dieu du vent change de forme, rapetisse  se met à marcher (difficile d'être aérien en marchant).
  • Les manières dont on reçoit une case (avec un fort impact esthétique, ou avec plus de naturel, de banal, d'habitude).
  
Surgissement d’un élément étrange.

Case plus banale si on est habitué aux moutons qui font du footing.

  • La manière dont on décortique les cases. Il y a des cases avec un sujet et d’autres qui en possèdent  trois. Il y a donc des cases facilement lisibles et d’autre plus compliquées à déchiffrer, qui seront plus lentes. Des cases, si on veut, intellectuellement plus lentes à comprendre, et qui paraîtront alors temporellement plus lentes dans le récit (si vous comprenez cette phrase vous recevez le droit de lire L'être et le néant).

Case lente avec plein de sujets différents : le mouton, le vautour, le dieu.
(Alors qu’on sait même pas ce qu’ils foutent tous là.)

Surgissement d’une figure mythologique. Case beaucoup plus rapide.

Pour résumer : l’apparition des différents éléments, des différentes couches, cadence le récit en même temps qu'elle nous met la tête à l'envers.

OUI D’ACCORD MAIS POURQUOI TOUTES CES COUCHES ?

Pour la bande dessinée qui nous occupe, il n'y a pas vraiment de récit. (Ça parle de quoi, finalement, ce truc ? Mystère... L’histoire n'a pas de morale, presque pas de chute, aucun développement, puisque c'est la simple répétition d'une seule action étrange. Bref. C'est la chienlit.) 

Du coup, comme il n'y a plus vraiment de sujet, de signification, de cohérence narrative, etc. (utilisons les grands mots, ça peut pas faire de mal) le lecteur se rattrape à ce qui lui reste : le dessin, son trait, l'impact direct de chaque case, la composition, la beauté du dieu du vent, l'attitude recherchée des moutons coureurs, l'épure du décor, les couleurs.


Le lecteur va mieux explorer chaque case. Mieux dépiauter chaque élément.

Bref, la bande dessinée de F’murrr va mieux « produire chez l’homme un état de sensibilité et d’éveil » (éveil aux différents éléments de la BD). (Ou alors il va le barber, des fois ça marche, des fois ça marche pas.)

En supprimant la couche superficielle du récit, F’murrr aide le lecteur à regarder sa bande dessinée comme un presque tableau abstrait, se concentrant sur l'essence même de ce qu'est ce tableau, sans être parasité par un message, uniquement tourné vers les sensations naissant de cette bande dessinée.

F’murrr aide le lecteur à regarder sa bande dessinée comme une pure œuvre d'art.

vendredi 5 avril 2013

La bande dessinée est abstraite.

Martin Tom Dieck nous explique que l’abstraction n’est pas là où on croit.

Martin Tom Dieck, Vortex, Les éditions arrache cœur & FRMK.

PARLONS D'ABORD UN PEU DE PEINTURE.

Le propos des « arts plastiques » (peinture, sculpture...) était la représentation. Une représentation exacte du réel. Qui s’est transformée en une représentation juste du réel.

Petit à petit, on s’est aperçu qu'en représentant une scène avec des couleurs et des formes biscornues, on transmettait mieux le sentiment qu’on voulait faire passer. 

Toujours petit à petit, on s'est mis à carrément utiliser des couleurs psychotroniques et des formes qui ne ressemblaient plus à rien. Cela décrivait toujours (et toujours mieux) le contenu que voulait transmettre l’artiste, la réalité qu’il voulait exposer ; tout en mettant plus en avant la matière même des œuvres (la peinture, les couleurs, les formes, etc.).

La réalité que le peintre voulait montrer naissait directement de la réalité de la toile.

Vassily Kandinsky, Le bleu du ciel.
 Kandinsky est considéré en général comme l'inventeur de la peinture abstraite (et des costumes à la Decouflé-Seraphinianus).

Dans ce tableau, les « représentations » sont indéfinies (on y voit, la plupart du temps, des espèces de microbes-du-futur-de-mars, mais ça reste assez flou) (enfin, je crois) (enfin, me concernant, en tout cas, ça reste assez flou).

De fait, comme par hasard, cette peinture est construite de telle sorte qu’elle fasse ressortir :
  • les couleurs (le fond bleu pétant permet de faire ressortir les jaunes, rouges, roses, des « microbes ») ;
  • les formes (qui se découpent là encore très nettement sur le fond bleu) ;
  • la matière (Kandinsky ne nous la joue pas froid, le fond bleu n’est pas uni, on voit le « coloriage », on voit le travail).

POUR REVENIR A LA BANDE DESSINÉE...

A mon sens, on fait une erreur en essayant de définir la bande dessinée abstraite comme une extension de la peinture abstraire, comme une sorte d'agrégation de plusieurs petites peintures abstraites mises à la queuleuleu.

Comme j'ai essayé de l'expliquer dans d'autres messages, l'essence de la bande dessinée (pour moi, hein) n'est pas la représentation d’un objet, mais la juxtaposition de différentes images qui permet de « dépasser le sens direct d'un ensemble de dessins pour laisser le lecteur interpréter, peupler, accaparer, accroître le monde décrit dans ceux-ci »

N’est-ce pas ? 


(Dites oui, juste pour me faire plaisir.)

Quand Lewis Trondheim crée son livre Bleu ou que Ibn Al Rabin fait des tas de trucs dont certains sont visibles , ils utilisent des représentations abstraites. Certes. Mais leurs enchaînements sont « concrets ». On arrive à « pister » les formes (qui sont, encore, souvent, des microbes, va savoir pourquoi) pour construire une succession logique.

Lewis Trondheim, Bleu, L’Association.
Trondheim est considéré en général par moi-même comme le non-inventeur de la bande dessinée abstraite.

Si la peinture abstraite était le fait de s’affranchir d’une certaine logique représentative (la perspective, les yeux équidistants du nez, les formes, tout ça…) pour mieux transmettre le propos, les idées, les sentiments, le contenu, tout le bazar ; alors, que devrait être une bande dessinée abstraite ?

Eh bien (selon moi, toujours), ce devrait être une bande dessinée qui s’affranchisse d’une certaine idée de causalité. (Attention, ça parle sérieux. Froncez les sourcils devant votre écran, ça sera plus dans le ton.) Les images placées les unes à la suite des autres ne nourriraient plus un récit logique, chronologique, mais s’entrechoqueraient pour créer des courts-circuits dans la tête du pauvre lecteur. Ces images ne compléteraient pas forcément l’enchaînement des cases, ne compléteraient pas le récit.

Ces images seraient une extension de celles créées par les auteurs sans en être un complément.

 Vassily Kandinsky, Succession.
Serait-il aussi l'inventeur de la bande dessinée abstraite ? Il est fort, ce cochon.

ET ALORS ÇA, EH BIEN MARTIN TOM DIECK LE FAIT TRÈS BIEN.

(Attention, il y a quatre pages d'affilée)





On ne peut effectivement pas dire que les transitions entre ces différentes pages soient évidentes...

Vous vous souvenez peut être de Dragon Ball... Et de la façon dont Toriyama organisait la continuité, la fluidité de la lecture, en essayant de conserver certains éléments identiques d’une case à l’autre ? 

(Là encore, hein, dites oui…  Soyez chic. Ça vous coûte rien et, moi, ça me fait plaisir.)

Eh bien, avec Tom Dieck, c’est tout le contraire, il y a tout qui bouge, il n’y a plus d’organisation de cette foutue continuitéD'une case à l'autre, il modifie tout :
  • le sujet (alternance bâtiment | surface | bâtiment | surface),
  • les valeurs de plans (alternance large | serré | large | serré),
  • la représentation (alternance figuratif | presque abstrait | figuratif | presque abstrait),
  • les traits (qui sont tour à tour droits | gros | rugueux | liquides).

Les transitions d’une image à l’autre sont donc très sioux (et plus particulièrement les transitions entres les quatre pages qui nous occupent) (parce que d'autres passages sont beaucoup plus « narratifs ») (je suis fourbe, je choisis les passages qui m'arrangent). 

Et c’est ce qui fait toute l’abstraction de l’affaire.

On n’assiste pas, ici, à un enchaînement implacable menant le lecteur d’un point A vers un point B. Non. Je dirais plutôt que les cases « diffusent » les unes dans les autres. Une case modifie « l'ambiance » de la précédente et de sa suivante.

C’est tellement vrai que, pour une fois, l’ordre de lecture n’est pas un élément essentiel de l’œuvre.

Ce qui importe, c’est le court-circuit des images les unes avec  les autres (que l’on voit d’abord l’image A puis l’image B ou le contraire, le court-circuit des deux images a bien lieu).



Dans ta face, la femme qui marche !
(Contrairement à ce qu’il paraît, cette phrase n’est pas misogyne.)

En changeant du tout au tout, en surprenant le lecteur, Tom Dieck espère faire naître des images ou des émotions inattendues, moins préparées, moins « fabriquées », et du coup plus fortes.

ALORS, CERTES, C'EST BEAU, CERTES, C'EST NOBLE.

Mais, dans ce cas, qu'est-ce qui différencie un livre « je mets tout et n'importe quoi dedans et après je dirai que c'est de l'art » et un vrai livre réfléchi qui, effectivement, arrive à créer des images en nous, et pas seulement parce que nous sommes de bonne composition ?

D'après moi, c'est la cohérence, l'unité de l'ensemble qui nous permet de nous accrocher... La thématique globale qui, elle, ne change pas, et nous permet de nous dire « Il y a ici un univers cohérent (des trucs dans la flotte), essayons de l'explorer... ». (Comme on se dit devant les tableaux de Kandinsky « cette peinture est un tout, l'ensemble des formes a une unité, cela me donne envie de rester devant le tableau et de m'y plonger ».)

Cette cohérence permet de croire dans l'auteur, dans son projet (et de ne pas balancer le bouquin par la fenêtre en hurlant que c'est débile et qu'une crevette hydrocéphale pourrait en faire autant).

Cette cohérence permet également de donner un fil rouge au lecteur. La continuité ne se fait plus par un travail d’enchaînement précis d'une case avec une autre, cette case devant rappeler la case précédente et appeler la case suivante, blablabla. Non. Cette fois-ci, toutes les images se fondent plutôt dans un grand tout, un ensemble d'où découle une ambiance, des impressions. Ce sont ces impressions qui vont ensuite inspirer le lecteur pour qu'il s'accapare le livre et commence à s'imaginer ses propres « cases fantômes »

Au final le travail de bande dessinée ne naît plus directement de deux images mises l'une à côté de l'autre mais de l'ensemble des images réunies toutes ensembles.

Je vais essayer de mieux m'expliquer grâce à un extrait de film.

Terrence Malick, Le Nouveau monde
Une magnifique pub pour les bains de boue Center Parcs.

Dans ces scènes, on ne peut pas dire qu’on soit paumé, puisqu'on conserve le thème général (ils sont ensemble dans la forêt, super). 

Par contre, tous les autres éléments du film changent (la valeur des plans, leurs durées, leurs sujets, leurs significations, leur abstractions). Du coup, les impressions portées par chaque plan s'entre-choquent les unes aux autres. 

Ce n'est pas innocent : le personnage principal découvre les différents aspects de ce fameux nouveau monde et le tout bouillonne et se mélange dans sa tête. Le montage du film reflète donc ce bouillonnement.

HÉ BIEN, CHEZ TOM DIECK, C'EST PAREIL.

Chez Tom Dieck aussi, il y a une thématique générale (des immeubles dans l'eau) qui donne une unité à l’œuvre.

Chez Tom Dieck aussi, les images sont extrêmement changeantes, avec des valeurs de plans, des sujets, des significations, des niveaux d'abstraction différents. Et des reflets dans l'eau. (Très important, les reflets dans l'eau.)

Chez Tom Dieck aussi, cette construction reflète un bouillonnement.

Et chez Tom Dieck aussi, ce n'est pas innocent... Ici, en quelque sorte, le personnage principal, c'est nous ; et les différents aspects/plans du nouveau monde que nous découvrons sont les différentes cases qui décrivent l'univers de Vortex

Là où ça devient fort, c'est que ce bouillonnement est à double soupape inversée :
  • Ce bouillonnement aide à faire le travail basique de la bande dessinée : permettre au lecteur de  s'accaparer et accroître l'univers créé par un ou des auteurs et, à partir de là, inventer ses propres images.
  • Ce bouillonnement  met en scène la découverte par le lecteur de l'univers créé par l'auteur (le bouillonnement de l'homme qui découvre un nouveau monde). Il permet de donner une cohérence générale à l'extrait, lui donne sa « couleur ».
  • Ce bouillonnement devient le sujet même de Vortex(Si l’architecture décrite dans Vortex était moins tordue, elle renverrait cette fois-ci à un sentiment beaucoup plus pur, beaucoup moins emmêlé, beaucoup moins tourbillonnant. Il ne suffit pas de se dire : « Tiens je vais foutre une ville sous de la flotte ». Il faut ensuite choisir ces fameuses formes, traits, etc. Et ici, ces forment bouillonnent.)

Des petits vortex bouillonnant de partout. Et avec quatre types de traits différents.

SI ON RÉSUME.

Vortex décrit de manière bouillonnante (parce que abstraite, l'ensemble des images se mélangeant dans un grand tout) la découverte bouillonnante (parce que l'ensemble des aspects de l'univers que nous découvrons nous arrivent dans le désordre) d'un univers bouillonnant (parce que cet univers est empli de vortex qui vont trimbaler sans cesse le lecteur et les personnages dans ce monde incertain).

Le déséquilibre, l'incertitude et la liberté de la mise en page abstraite se trouvent reflétés dans l'univers étrange, inconnu et vaste qui va être petit à petit décrit dans le livre.

Le fond et la forme, la construction et le sujet, se rejoignent dans ce fameux « grand tout » permis par l'abstraction.