Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 27 novembre 2014

Dans une bande dessinée, parfois, il n'y a pas de dessin.

Mark Z. Danielewski nous montre comment faire de la bande dessinée quand on ne sait pas dessiner.

(Attention, l'extrait est très long.) (Mais y a pas beaucoup de texte, histoire de ne pas y passer non plus toute une nuit à le lire.)













 









Mark Z. Danielewski, La maison des feuilles, Pantheon Books et Denoel & D'ailleurs (traduction de Claro).

En général, on a toujours tendance à négliger l'aspect physique des livres, pour n'en retenir que le côté « y a plein de mots et ça dure assez longtemps pour en venir à bout ».

GROSSIÈRE ERREUR !

L'aspect physique est important.

Pour des tas de raisons.

PREMIÈRE RAISON : LA LECTURE.

On ne le dit jamais assez mais chaque lecteur a son style de police et de mise en page favoris. Ceux qui lui permettent d'avoir une lecture optimum (suffisamment de mots dans la page, mais pas trop non plus ; un interligne clair, mais pas trop grand ; une police lisible, et quand même cosy ; etc.). 

Un format, physique, qui permet de rendre la lecture la plus facile et agréable possible.

Et même si ça fait un peu vieux gâteux et que vous allez tous croire que j'ai 195 ans, moi,
 j'ai jamais trouvé mieux que la collection Nelson avec laquelle ma  lecture est tellement facile 
que je peux bouffer un Misérables à chaque petit déjeuner sans sourciller et sans cholestérol.

Victor Hugo, Les Misérables, Nelson éditeurs.

DEUXIÈME RAISON : CE QUE CELA NOUS DIT INCONSCIEMMENT SUR LE TEXTE.

Comme l'aspect physique de Schwarzenegger nous dit plus ou moins qu'on ne va pas disserter sur la dualité de la beauté et du vice chez Charles Baudelaire quand on va regarder Pumping Iron 2, la forme d'un texte peut nous renseigner sur ce qu'il contient.

PAR EXEMPLE, CHEZ LE PETIT MARCEL.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu - A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard.

L'aspect du livre (très dense, en gros pavés de textes sans respirations) correspond parfaitement au fond du livre, qui suit les pensées jamais ininterrompues du héros, qui se poursuivent sans cesse en sautant d'un sujet à un autre, comme dans une rêverie (ce n'est pas un hasard si le livre commence quand le héros se met au lit). Pas de respiration dans le texte et des phrases à rallonge, car la réflexion, la rêverie, et les pensées de l'auteur ne s'interrompent elles non plus jamais.

PAR CONTRE-EXEMPLE, CHEZ LA PETITE CÉLINE.

Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, France loisir.

Céline, aussi, fait dans le flux (de paroles plutôt que de pensées, mais bon). Seulement, chez lui, on ne médite pas sur le passage du temps juste avant de souffler sa bougie dans un lit bien moelleux en repensant à des madeleines offertes par sa tante Léonie. Chez Céline, c'est un accès de fièvre qui le fait délirer, halluciner, et se souvenir de son enfance/adolescence toute cradingue.

Des souvenirs cradingues pour un style brindezingue, beaucoup plus délié, beaucoup plus haché (plein de points d'exclamations, de suspensions, de sauts à la ligne), qui se reflète encore dans la gueule du texte, avant même toute lecture.

Le style de l'auteur (rêverie ironique d'un côté et désespoir hystérique de l'autre) induit une forme, une mise en forme, qui influencent déjà le lecteur et la lecture.

CETTE IMPORTANCE DE LA MISE EN FORME PEUT SE RÉVÉLER A N'IMPORTE QUEL NIVEAU.




Terry Pratchett & Neil Gaiman, De bons présages, Éditions J'ai Lu.

Ici, les enchaînements de paragraphes sont séparés par de petits dessins.

C'est très mignon.

Et très utile pour nous faire comprendre que, d'un paragraphe à un autre, on passe du coq à l'âne, on change complètement de sujet, de personnage, de propos.

Là où Proust faisait dans la continuité effrénée, Pratchett et Gaiman, eux, zappent d'une scène à une autre, d'un personnage à un autre. Un zapping rendu physique par tous les petits dessins.

(Et c'est bien pour ça qu'ils mettent une liste des personnages au début de leur livre. Ça annonce encore une fois la couleur : « Attention les gars, on vous prévient, ça va zapper d'un perso à un autre sans arrêt, vous allez rien comprendre. On vous fait donc une petite liste récapitulative au début, histoire de pas trop vous paumer. ».) 

TROISIÈME RAISON : CE QU'UN AUTEUR NOUS DIT AVEC AUTRE CHOSE QUE LES 36 SIGNES HABITUELS.

Pratchett et Gaiman utilisent donc des signes bizarres (des signes « hors les signes habituels comme les lettres et la virgule ») qui vont participer à l'ambiance de tel ou tel paragraphe.

On nous explique que la Terre est balance, boum :


On nous parle des forces des ténèbres, pouf : 


Et ça marche pour à peu près tout :


Dans le même ordre d'idée, mais en beaucoup plus classique, on peut penser au classique « * En français dans le texte ».

Un classique dans une version je-me-la-pète chez Tolstoï : 


Léon Tolstoï, La guerre et la paix, Gallimard.

Ou dans une version alternative chez Chester Brown :

Chester Brown, Louis Riel, Drawn & Quaterly.

RÉSUMONS NOUS.

Les lettres, associées les unes avec les autres, permettent de nous transmettre des informations.

Super.

Mais on peut encore ajouter des cordes à son arc en utilisant de nouveaux signes (des petites étoiles, des dessins de balances), de nouvelles façon de représenter des signes déjà existants (des mots en bleu, des mots en itlaique), ou de nouvelle façon de présenter ses signes (des mots sur une partie réduite de la page, des mots en notes de bas de page).

On ne perd rien du sens permier du texte, et on rajoute de multiples possibilités interprétatives.

JE LUI DIRAI LES MOTS BLEUS.

Danielewsky, dans son bouquin, il écrit toujours le mot « maison » en bleu :

  1. Parce que cela permet de faire resortir le concept de la maison, centrale dans son bouquin (qui s'appelle quand même la maison des feuilles, y a un indice dans le titre).
  2. Parce que cela permet d'opposer la maison au reste du texte, qui sont toujours des comentaires de différents personnages ayant eu affaire de près ou de loin à cette fameuse maison. La maison est différente, exogène, aux personnages.
UN PEU PLUS DE SENS, DONC.

Danielewski ne se contente pas des 26 lettres de l'alphabet et rajoute du sens en brisant certaines conventions. (Parce qu'un texte en noir et blanc, bien justifié sur toute la page, à l'endroit, sans illustrations, avec le moins de de notes de bas de page possibles, c'est simplement un convention qui s'est installée petit à petit.) (Et que, les conventions, on les envoie se faire shampouiner.)

Du coup, des fois, ça donne des trucs un peu hardcore, toujours ludiques (on se demande pourquoi c'est là, et pourquoi c'est comme ça), et à chaque fois enrichissant (ce n'est jamais gratuit) (grâce au talent de Danielwski) (ça rime).

La mise en page.

Des changements de typographies.
(Des typographies différentes pour des personnages différents qui écrivent.) 
(Des fois, il y a trois typographies/personnages sur la même page.)

Ou carrément des signes typographiques différents.

Jusqu'aux dessins.

Et aux couleurs.

DU COUP.

Danielewski, puisqu'il réfléchit à la mise en page, va réfléchir sur le rythme de cette mise en page.

« Si je décide de refuser la convention qui veut que l'on remplisse une page à ras-bord de mots avant de passer à la suivante, si je choisis le nombre de mots que je mets dans ma page, autant choisir le bon nombre de mots. »

« Si je décide de ne mettre sur ma page que quelques mots par çi et quelques mots par là, autant réfléchir à ce que va produire l'association de ces deux blocs de texte. »

Et c'est à ce moment que Danielewski se met à réfléchir en bon auteur de bande dessinée.

DES CASES REMPLIES DE LETTRES.

Certains auteurs ont pu travailler quasiment exclusivement dans ce but : l'association de cases/bouts/blocs/phrases les uns avec les autres pour que leur rencontre provoque quelque chose de supérieur au simple énoncé de toutes ces phrases.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, écrit vers 1002.
Trouver « Un homme qui a beaucoup de cheveux, et qui les fait sécher après s'être lavé la tête », c'est déjà balaise. 
Mais avoir l'idée de l'associer à « l'écorce d'une châtaigne », là, je dis bravo.

Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Éditions cents pages, écrit vers 1906.
Des faits divers (écrits avec un peu de style, quand même), dont l'accumulation crée la valeur (poétique et sociologique).

Charles Reznikoff, Rythmes 1 & 2 / Poèmes, Editions Héros-Limites, écrit vers 1920.
La même idée que chez Fénéon, mais avec des bouts de poèmes pris sur le vifs et qui se répondent.

Valérie Mréjen, L'agrume in Trois quartiers, J'ai Lu, écrit vers 2001.

ET LA MAISON DES FEUILLES DANS TOUT ÇA ?

Par exemple, dans l'extrait mis au début de ce message, Danielweski ne fait pas qu'organiser des goulots de textes pour représenter et nous faire ressentir l'état d'esprit du personnage s'enfonçant dans un goulot.

Il ne fait pas que rendre la lecture difficile (notamment en coupant ses mots de manière biscornue) pour représenter la progression difficile du personnage.

Il soigne également les enchaînement entre ses différents groupes de textes.

Une bande écrite plutôt qu'une bande dessinée.

Entre le troisième et le quatrième groupe/case de texte ci-dessus, par exemple, le mot patte est volontairement coupé en deux, pour donner l'envie au lecteur de continuer sa lecture. (« pa, pa, pa... Qu'est-ce que ça veut dire pa ? c'est idiot, pa ! Qu'est-ce qu'il a voulu dire ? Ah ! Pattes. Je comprends mieux, maintenant... C'était pattes... Chérie ! C'était pattes qu'il voulait dire, le monsieur ! »

C'est exactement la même chose avec dev-ant entre les quatrième et cinquième groupes/cases de texte. Et c'est encore la même technique entre les premier et deuxième, ou deuxième et troisième, sauf que, là, ce sont des phrases qui se trouvent à cheval sur deux cases.

Danielewski sait que la lecture de grandes pages blanches avec juste dix-douze mots mis en page bizarrement au milieu peut se révéler relou, et que le lecteur peut caler. Pour contrer ce risque, il utilise une pure technique de bande dessinée : la femme qui marche(Dans une case/groupe de texte, il rappelle la case précédente (le demi-mot qui se finit) et appelle la case suivante (le demi-mot qui se commence). Cette technique (très très basique en bande dessinée) est utile pour justement confirmer au lecteur qu'il y a bien un lien entre telle case et telle autre (ou entre tel et tel bout de texte).)

LE ROMAN, CET ART SÉQUENTIEL QUI S'IGNORE.

Si on revient à cette fameuse définition de la bande dessinée qui m'est si chère : la bande dessinée, ce sont deux dessins l'un à côté de l'autre ; on se rend compte que Danielewski fait exactement la même chose : il prend différents éléments (des dessins, des photographies, différentes typographies, différentes mises en pages), il se débrouille pour que chaque élément soit intrinsèquement valable (chaque page décrivant la progression dans le goulot, de par sa forme, est valable, raconte quelque choses), puis il bosse sur la meilleure manière de les associer (les fameux enchaînements de femmes qui marchent) afin que l'ensemble soit supérieur à la somme des parties (il y a une belle photo, il y a un beau texte, mais les deux associés, ça fait du whaou).

DES BANDES DESSINÉES RAS LA GUEULE.

En brisant certaines conventions littéraires de pur formalisme, Danielwski en arrive à faire de la bande dessinée. En se rattachant à certaines conventions littéraires de pur formalisme (la prédominance du texte), Danielwski arrive à faire une bande dessinée jamais vue jusqu'alors.

jeudi 20 novembre 2014

Dans une bande dessinée, parfois, il n'y a pas de texte.

Grégory Panaccione nous montre comment faire une bande dessinée de presque 300 pages sans texte, mais avec panache.









Grégory Panaccione, Match, Delcourt - Shampoing.

J'ai essayé d'expliquer précédemment que le texte et le dessin avaient des fonctions identiques dans une bande dessinée et que les auteurs pouvaient ainsi utiliser l'un ou l'autre, en alternance, pour faire ce qu'il avaient à faire, dire ce qu'ils avaient à dire, exprimer les sentiments profonds enfouis dans leur être qu'ils avaient à exprimer.

Panaccione arrive à point nommé pour nous montrer que, malgré tout, il est très possible de se passer du texte pour réaliser une bande dessinée. C'est plus chaud, puisqu'on se prive de la moitié des outils disponibles, mais c'est parfaitement jouable.

La seule chose, c'est que, en utilisant du texte et du dessin, on pouvait combiner différentes fonctions dans une même case.

REMEMBER.

Textes et dessins mêlés dans plusieurs cases.

Dans une même case on pouvait raconter quelque chose avec du texte et autre chose avec du dessin. 

Ça permettait de densifier le processus narratif (on dit quelque chose avec le texte, on dit quelque chose avec le dessin, et au final on a dit deux fois plus de choses). Ça permettait aussi d'alléger ce processus narratif en ne foutant pas trouzemille dessins dans une seule case mais en construisant un équilibre entre texte et dessin).

MAIS, TOUT ÇA, C'EST FINI !

Là, maintenant, chez Panaccione  qui se prive de texte :

  • La narration ne sera pas dense. (On ne dira qu'une seule chose par case, seulement avec le dessin.)
  • Mais la narration sera légère malgré tout. (Le piège serait d'essayer de vouloir caser plein de dessins dans chaque case pour compenser le manque de texte. Mais, dans ce cas là, cela deviendrait proprement incompréhensible.) (Ce qui serait couillon, quand même.) (Autant rester clair, net, et précis, ça peut pas faire de mal.) (Du coup Panaccione choisi l'option inverse : on ne dit qu'une chose par case, mais on va dire plein de choses en faisant plein de cases.)

Une action = une case. On rajuste la mèche gauche, une case. On rajuste la mèche droite: une autre case.
Ça donne une narration peu dense (plein de cases) mais légère, souple. Une narration petit chou.

ÉPURE ET PLEIN DE CASES, DONC.

Sans texte mais avec une narration petit chou, Panaccione arrive à remplir toutes les fonctions que j'avais plus où moins essayé d'identifier dans les précédents messages (bon, je sais pas si ces fonctions étaient d'une grande acuité / utilité / intelligence, mais j'ai pas mieux dans ma besace, donc on va partir là dessus).

REPRENONS DONC TOUTES CES FONCTIONS, ET ESSAYONS DE VOIR SI PANACCIONE EST BIEN SUR LE COUP.

  • Un personnage pense.
Le pauvre choupinou.

  • Un personnage parle.
La communication est difficile dans nos mondes de solitudes.

  • Un personnage agit.
Le plus important en tennis, c'est l’équilibre. Admirez donc l’équilibre dans le mollet gauche. Il est pas beau le mollet gauche ?

  • L'auteur intervient (et explique les actions de la case pour les deux débiles du fond).
« Donc, bon, si vous n'aviez pas suivi, il vient de perdre un point et il est tout triste. Voilà voilà voilà,  ne me remerciez pas, j'adore rendre service en expliquant des trucs que les gens avec un QI normal ont déjà compris depuis trois heures. »

BON, VOILÀ, AVEC ÇA, ON A LA BASE.

Panaccione arrive à communiquer le « mais qu'est-ce qui se passe ? » en misant à fond sur la gestuelle ou l’expressivité des visages des personnages. Enfin, plutôt, du visage du personnage et de la gestuelle des deux personnages. Parce qu'autant ce que fait le tennisman pro est important puisqu'il envoie des caramels dans la gueule du gros rigolo, autant on se moque de ce qu'il pense (c'est une machine, c'est un tueur, c'est robocop). Le gros rigolo, lui, est au centre du dispositif : ce qu'il fait, ce qu'il pense, ce qu'il mange (des serviettes et des balles jaunes).

Le tennisman pro reste loin, derrière son filet, avec un visage difficilement discernable. Ses émotions ne sont pas intéressantes.
Le gros rigolo, lui, on s'en rapproche, on s'y attache.

Mais, justement, puisque l'important est de rester proche du gros rigolo, alors Panaccione va en rester super proche, le détailler, détailler ses expressions, détailler ses gestes, tout, sous toutes les coutures. Donc l'auteur va faire des tas de cases parce qu'il fait une bande dessinée muette et qu'il faut bien détailler pour bien tout comprendre, mais il va également faire plein de cases parce qu'il faut détailler les actions du gros pour rester proche de lui, mais il va aussi rester proche du gros pour pourvoir le détailler pour pouvoir remplir toutes ses cases, et puisqu'il a toutes ces cases pour détailler les actions du gros (et ce sont quand même les actions qui comptent, puisqu'on assiste à un match de sport, ne l'oublions pas), pas la peine de rajouter de texte.

Il s'opère donc une sorte d'équivalence à double justification tautologique dans laquelle l'auteur est proche du perso parce que c'est muet et que c'est muet parce que l'auteur est proche du perso.

Bref, c'est cohérent, c'est cool.

ENSUITE, LA SUITE.

L'auteur compose ses cases. (Une composition toute dédiée à la bande dessinée, hein. On n'est pas chez un vulgaire De Vinci, ici).

  • La forme de l'image, de la case, donne elle-même une information.
Comme « beaucoup de texte » = « beaucoup de temps »« beaucoup de place » = « beaucoup de temps. »
La dernière case est grande parce qu'il y a beaucoup de temps qui s'y passe parce que la balle rebondit piteusement pendant que le gros rigolo se prend la honte.


Dans le même style, la case du dessus nous donne un effet de ralenti, d'action en suspension,d e suspense.

  • Composer l'image en séparant les différents éléments.

L'opposition entre les deux protagonistes bien marquée par les différentes lignes du terrain et du filet.

Mais attention ! 

Une composition faite en toute non-picturalité. De simples lignes pour marquer la séparation des deux personnages, OK, mais une prééminence des lignes horizontales (suivant le mouvement des yeux de gauche à droite) pour donner envie de lire la suite et un coin haut droit laissé blanc pour faciliter le saut dans le « caniveau » et l'arrivée de la case suivante.

OUAIS, PARCE QUE CE QUI COMPTE, COMME D'HAB, C'EST L'ORGANISATION DES PASSAGES ENTRE LES DIFFÉRENTES CASES.

Par exemple, la case du dessus, très bien, parfait, elle est composée au poil, ouh que c'est joli. Mais sa composition prend encore plus de sens quand elle s'inclut dans l'enchaînement du récit.

Tapeuhtapeutap...

« Ouh putain il est costaud ce con. » 
« Et pis la case est toute sombre et bouchée, avec plein d'ostacles, alors qu'avant le fond était tout blanc et plein de possibilités. »

Bon bin je vais encore faire rebondir la balle, si c'est comme ça...
Tapeuhtapeutap...

Donc, oui, et je ne le redirais jamais assez, la case de bande dessinée prend tout son sens quand on regarde ses petites copines autour d'elle et comment elles se donnent toutes la main.

DANS CE CAS, CHEZ PANACCIONE, ON PEUT AVOIR DES ENCHAÎNEMENTS ASSEZ CLASSIQUES.

Avec, par exemple, des petits coups de suspense pourris/vicieux pour organiser les transitions entre pages.


Dans de cape et de croc, le petit coup de suspense non pas pour te donner envie de lire la page suivante mais pour te donner envie de lire le livre suivant.

Grégory Panaccione fait la même chose avec cette fin de page : on est tout ému, on ne sait pas comment le personnage va servir, s'il va réussir son coup, comment ça va se passer pour lui. On ne sait pas et on a envie de savoir, du coup, on tourne la page.

A contrario de vouloir faciliter le tournage de page, l'auteur peut se permettre, dans le corps d'une page, d'organiser des contrastes entre ses différentes cases, des contrastes qui racontent quelque chose, bien entendu.

Blond gros / maigre brun. Proche / éloigné et derrière le filet. Par terre / debout. De face / de dos. Choupi / tueur.

MAIS AUSSI DES ENCHAÎNEMENTS PLUS ZARBIS.

Enfin, et parce que Panaccione n'est pas un branquignol, il va profiter de sa bande dessinée « muette / proche du personnage / pleine de case / les trois en même temps puisque c'est équivalent et tautologique et tout ça » pour organiser des transitions inhabituelles.

Avec des pages comme celle-ci.

POURQUOI C'EST DIFFICILE ?

Parce que, justement, comment organiser des transitions d'une case à une autre si l'image ne bouge pas ? S'il ne se passe rien ? Dans l'exemple ci-dessus, y a juste un mec qui fait rebondir une balle. C'est quand même pas le truc qui va maintenir le lecteur éveillé le plus facilement.

POURQUOI ÇA MARCHE ?

Parce que l'aspect « séquençage en plein de cases » permet de voir les infimes variations dans les sentiments du personnage principal.

Ici, il est essoufflé-hébété, puis il se concentre, puis il se prépare, puis, hop il arme son service, 
et c'est parti pour un nouveau jeu.

Parce que « voir les infimes variations dans les sentiments du personnage principal » permet de mieux voir tout ce qui lui passe par la tête, d'observer le mouvement de ses pensées, et par là, de se rapprocher de lui.


Ah bah il était tout triste, et puis maintenant il est tout content. Avant d'être tout surpris.

Et ne me dites pas que vous en avez quelque chose à faire de lui. Tout ça parce qu'on ne sait absolument pas à quoi il pense.
(Ce sont les magazines féminins qui ont raison : pour qu'on s'attache à vous, il ne faut pas avoir peur de montrer ses sentiments.)

Parce que « observer le mouvement de ses pensées » permet de se passer du texte pour refléter les pensées et les paroles du personnage , et de conserver un récit muet.


Franchement, là, on a tout (les actions, les sentiments, le suspense, l'humour)... 
Qu'est-ce qu'on s'en fout de rajouter des dialogues ?

Parce que « conserver un récit muet » favorise la narration petit chou qui favorise un grand nombre de cases qui favorise l'observation des infimes variations des sentiments du personnage qui favorise la proximité avec lui, qui favorise la narration petit chou, etc.

TAUTOLOGIQUE, ON VOUS DIT.

Une cohérence qui renforce la narration, précise les enjeux, facilite l'observation du personnage principal, autant que notre attachement à ce brave gros. Bref, une cohérence qui rend cette bande dessinée trop tip top.