Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, De cape et de crocs, Delcourt.
BON. ALORS. OU EN ÉTIONS-NOUS ?
Nous avions dit que texte et dessin avait les mêmes fonctions en bande dessinée.
Nous avions dit que texte et dessin avait les mêmes valeurs artistiques dans une bande dessinée.
Nous allions dire que texte et dessin intervenaient tous les deux dans la composition du dessin.
Nous avions dit que texte et dessin avait les mêmes fonctions en bande dessinée.
Textes multiples et dessins verts nous permettent de comprendre la peur des marins.
Nous avions dit que texte et dessin avait les mêmes valeurs artistiques dans une bande dessinée.
L'accumulation dans le texte (des tas de bulles) et dans le dessin (des tas de personnages) fait que c'est rigolo.
Nous allions dire que texte et dessin intervenaient tous les deux dans la composition du dessin.
Alors, oui, donc, comment est composée cette image ?
CETTE IMAGE EST COMPOSÉE COMME UNE CASE DE BANDE DESSINÉE.
ÇA TOMBE BIEN PUISQUE C'EST EXACTEMENT CE QU'ELLE EST.
ÇA TOMBE BIEN PUISQUE C'EST EXACTEMENT CE QU'ELLE EST.
Comme d'habitude, il faut faire attention quand on parle de composition d'image, de valeur intrinsèque du dessin. Car une bonne composition en bande dessinée n'est pas du tout une bonne composition en peinture (par exemple). Et inversement.
Ceci n'est pas une case de bande dessinée de Johannes Vermeer.
ET POURQUOI C'EST UNE CASE DE BANDE DESSINÉE POURRIE ?
Parce que c'est une peinture bien composée.
ET POURQUOI C'EST UNE CASE DE BANDE DESSINÉE RÉUSSIE ?
Euh... Alors là, désolé, j'ai pas mieux comme composition... Une composition, euh... Disons, une composition « alternative » (pour rester poli)...
LES CASES DE BANDE DESSINÉE NE SE COMPOSENT PAS COMME DES PEINTURES.
Et par composition « alternative », j'entends bien sûr « une composition totalement dédiée à la bande dessinée ».
Regarder une case de bande dessinée en essayant d'en dégager une composition de peinture classique, c'est comme regarder une tas de cailloux sans s'apercevoir que c'est un fossile complet de brachiosaure : il faut changer sa manière de voir et apprendre de nouvelles règles.
Ici, la case est parfaitement construite parce que :
- Elle va de la gauche vers la droite, respecte le sens de lecture et donc le mouvement naturel des yeux du lecteur sur une page.
- Elle coordonne les différents éléments dans la case et l'ordre dans lequel ils seront abordés. (En haut à gauche, puis en haut à droite, puis en bas à droite.)
- Elle utilise des éléments graphiques pour articuler des textes. (La forme de la porte épouse la forme des différentes bulles).
- Elle utilise les éléments de texte pour articuler les dessins. (La bulle sort par la fenêtre et guide le regard du personnage).
- Elle utilise les textes et les dessins pour finaliser la case. (On voit que le mouvement du corps du personnage et la dernière bulle sont faites pour aboutir dans le coin droit et bas, pour créer un appel vers la case suivante (le sens du corps va vers la droite et la case suivante) (la bulle est sur fond blanc et va donc aussi vers le caniveau et la case suivante).
Ajoutons à cella que, si on prend en compte plusieurs cases (ce qui semble relativement normal, tant lire une bande dessinée d'une seule case peut manquer de sel), la composition s'en trouve renforcée.
MAINTENANT QU'ON EST AU CLAIR AVEC CETTE HISTOIRE DE COMPOSITION, VOYONS VOIR SI LE TEXTE Y PARTICIPE.
Non seulement la porte était là pour organiser les trois première bulles dans la case, mais elle était aussi présente pour organiser la transition avec la case précédente dans laquelle se trouvait aussi une porte.
Le texte peut participer de différentes manières à une case.
La première de ces manières, la plus simple, est d'utiliser la bulle qui contient ce texte (parce que la bulle est une sorte d'intermédiaire : ce n'est déjà plus du dessin, mais ce n'est pas encore du texte).
Dans la dernière case de cette bande, le « Je l'ai ! » claque comme un coup de sabre (il se trouve d'ailleurs juste en dessous d'y-celui). Les éclats de la bulle « criée » sont comme dus à la violence du coup porté par le marin.
La deuxième de ces manières est de permettre de composer l'image en séparant différents éléments. Là encore, on ne s'occupe pas encore complètement du texte en lui-même, mais plutôt de l'endroit où est placé se texte dans la case.
Ici, les textes placés au milieu des cases permettent de séparer ceux-ci et de finalement décrire l'antagonisme entre le loup et les marins turcs avant qu'il ne se concrétise.
Dans la dernière case, le personnage parle beaucoup. Et c'est utile pour nous faire comprendre que le loup et le renard se sont glissés doucement, petit à petit, derrière leurs ennemis, pour les estourbir.
La longueur du texte matérialise la lenteur toute en pas-chassés de ninjas de l'action des personnages.
La quatrième de ces manières est de jouer sur le contraste entre deux cases.
Ici, le contraste est facile à piger : il est le même en texte et en dessin. 1° case : le vieux est calme et laconique. 2° case, le vieux est tout fou, échevelé, il parle fort et beaucoup.
On passe d'un résumé froid (« aucun captif à bord ») à un truc foufou à base de « parricide » et de « démoniaques » (écrit gros).
La cinquième de ses manières est d'utiliser directement le texte pour organiser la construction.
Une construction qui peut passer par le fameux et toujours efficace petit coup de théâtre vicieux...
Une case d'appel vers une suite, « C'est quoi ça ? » permettant qu'on se pose nous aussi la question et qu'on ai envie de tourner la page, tout moite de l'incertitude de ce qui va se passer.
Mais sans même utiliser un coup de théâtre, le texte peut simplement organiser la transition entre un état et un autre. Le « boum » permettant de passer de l'état « le vieux sur son bureau » à l'état « le vieux sur son carrelage ».
Mettre du rythme et donner envie de suivre des cases qui sont changeantes, fastoche.
Mais faire le coup des deux cases presque identiques avec quasiment rien qui ne bouge de l'une à l'autre, c'est compliqué.
Parce que, justement, comment organiser des transitions d'une case à une autre si l'image ne bouge pas, si on ne peut pas jouer sur la composition de ses images pour que l'une appelle l'autre ?
Hé bien si on ne peut pas jouer sur la composition des images, il va falloir jouer sur la composition des textes (ce n'est pas la seule solution, mais c'est celle choisie par Masbou et Ayroles).
Avec un texte et une bulle qui empiète sur les deux autres cases et permet de lier le tout.
Avec une continuité du texte en haut de chaque case qui permet de doubler cette alliance entre les trois cases.
Avec des textes qui se construisent ensuite comme un jeu d'appel incessant (comme les petits coups de suspense vicieux, des petits coups de suspense permettant de simplement passer d'une bulle à une autre). Une bouteille / à l'intérieur, une carte / une carte au trésor / que vous verrez (peut être, un jour).
Le texte a donc la même fonction dans la gestion de l'information, la même utilité dans la création artistique bande dessinesque, et la même valeur dans la composition intrinsèque et si particulière d'une case/bande/page de bande dessinée.
À partir de là,
moi, je me dis que le texte et le dessin, c'est tout pareil. C'est MON OPINION, ET Vous en faite ce
que vous voulez.
J'avais essayé d'expliquer un jour que, la bande dessinée, ce sont deux dessins accolés l'un à l'autre qui génèrent plus de sens à eux deux que séparément.
Finalement, la bande dessinée, ce peut aussi être un dessin et un texte accolés, ou simplement deux textes.
Bref, l'art de la bande dessinée réside dans sa façon d'associer deux éléments hétérogènes l'un avec l'autre et de faire en sorte que leurs sommes soit largement supérieure à leurs parties.
Un art dans lequel Ayroles et Masbou sont maîtres, puisqu'ils réussissent à allier des animaux, des récits de capes et d'épées, des textes à la Molière, des scènes d'action, des dialogues très écrits, et beaucoup de talent.
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