Je vais essayer de faire trois posts sur des bandes dessinées relativement récentes en essayant de savoir à chaque fois comment elles s'y prennent pour rendre crédible leur récit. Comment elles arrivent à faire oublier leur côté purement fictionnelles pour emporter le lecteur et lui faire croire à ce qu'elles racontent. Comment elles gèrent la suspension volontaire d'incrédulité (pour placer un mot savant) et, tout simplement, comment elles rendent leur récit crédible.
Je vais essayer de faire ça parce que, dans le monde actuel, la vérité, la réalité a de moins en moins d'importance (il suffit de regarder comment se vit actuellement la politique, où l'on peut raconter absolument n'importe quoi dans tous les sens et où ça n'a absolument aucune conséquence, soit que les mensonges ne sont jamais démentis parce que bon, hein, bof, c'est pas grave, soit que les mensonges sont effectivement démentis mais que ça n'implique jamais de remise en cause des personnes qui les ont proférés) (on peut se rendre compte, dans un tout autre registre, que, par exemple, au cinéma, il n'est plus du tout important de crédibiliser un univers où d'observer comment des personnages peuvent évoluer de manière crédible dans un univers (en ayant des réactions logiques), mais que les gros films sont devenus des spectacles de foire, des cirques qui sont simplement des propositions de sensations fortes qu'il s'agit de recevoir sur l'instant sans que rien ne soit construit pour les justifier ou les dépasser ; des Space Mountain géants de 2h30).
Étrangement, la bande dessinée semble échapper un peu à cette tendance (pas éditorialement, hein, on est d'accord que les éditeurs sont aux fraises ; mais les œuvres produites essayent encore et malgré tout de travailler sur la crédibilité/vraisemblance de leurs récits).
Étrangement, la bande dessinée semble échapper un peu à cette tendance (pas éditorialement, hein, on est d'accord que les éditeurs sont aux fraises ; mais les œuvres produites essayent encore et malgré tout de travailler sur la crédibilité/vraisemblance de leurs récits).
À ce titre Les Indes Fourbes, de Alain Ayroles et Juanjo Guarnido (avec l'aide aux couleurs de Jean Bastide et Hermeline Janicot-Tixier) est un bon point de départ.
Malheureusement, je ne vais pas pouvoir parler de cette thématique aujourd'hui sans révéler l'intrigue du récit, donc, bon, vous êtes prévenus, ça va spoiler.
ATTENTION SPOILERS !
Je ne le redirai plus, je vais révéler l'histoire complète de la bande dessinée en question. Si vous n'avez pas lu le livre (ou si vous n'êtes pas de ces gens un peu déviant (comme moi) qui s'en foutent complètement de connaître une histoire avant de la lire) passez votre chemin.
JE VAIS RACONTER TOUTE L'HISTOIRE, ATTENTION !
C'est l'histoire d'un clodo qui devient roi d'Espagne vers 1650.
VOILÀ !
NE ME DITES PAS QUE JE N'AVAIS RIEN DIT !
Et la problématique du récit et la suivante : comment rendre cette énormité crédible (parce que si quelqu'un se met à vous raconter que le roi d'Espagne au temps de sa plus grande splendeur est en fait issu de la plus basse des castes de la société espagnole de l'époque, vous allez vite fait classer le type dans la catégorie des complotistes un peu débile et passer à autre chose) (or, là, non).
Et bien Ayroles le fait ici par le biais du verbe, du narrateur, du raconteur d'histoire (ce qui est d'autant plus intéressant à notre époque qui est remplie non plus de politiques ou de journalistes mais de raconteurs d'histoires qui cherchent simplement à vendre celle-ci le mieux possible).
Le concept du scénario est simple : faire perdre pied au lecteur. Lui raconter une chose, puis une autre qui contredit la première, puis une troisième qui contredit la seconde, puis une quatrième qui explique que la première n'était pas si fausse que ça finalement, pour aboutir à un lecteur qui lâche l'affaire et qui est prêt, par une sorte d'épuisement, à croire tout ce qu'on lui dit pour peu que cela ait un sens, même vague.
Le récit fonctionne donc au premier, au second, et même au troisième degré.
1° degré : l'histoire d'un gars qui est très fort pour embrouiller tout le monde et qui va utiliser son talent pour monter dans la société (Rastignac style).
2° degré : la mise en scène du fait que le discours vaut plus que les faits et qu'il vaut mieux savoir raconter quelque chose de faux que décrire quelque chose de vrai (Jean-Michel Blanquer style).
3° degré : faire vivre au lecteur une plongée dans cette perte de réalité du discours en étant baladé d'un mensonge à un autre, ne plus trop savoir si quoi que ce soit est vrai, et s'abandonner au narrateur (Lynch style).
Ainsi, le récit déconstruit le récit, en en montrant les arcanes.
MAIS QUELLES SONT CES FAMEUSES ARCANES ?
Le récit est un embrouillamini de bouts de récits enchâssés.
Il y a 4 récits principaux.
Premier récit : l'aventure de Pablos (le clodo qui devient roi).
Deuxième récit : l'aventure de l'Alguazil (un militaire espagnol) après qu'il ait interrogé Pablos.
Troisième récit : comment les indiens ont vécus tout ça de leur point de vue
Quatrième récit : Pablos, plus vieux, explique comment tout s'est réellement passé, et la suite.
Il y a 4 récits principaux.
Premier récit : l'aventure de Pablos (le clodo qui devient roi).
Deuxième récit : l'aventure de l'Alguazil (un militaire espagnol) après qu'il ait interrogé Pablos.
Troisième récit : comment les indiens ont vécus tout ça de leur point de vue
Quatrième récit : Pablos, plus vieux, explique comment tout s'est réellement passé, et la suite.
Pour plus de rapidité, j'ai essayé de résumer ça dans un schéma.
Conclusion de l'histoire : Pablos est une belle merde.
OUI MAIS !
Tout ceci serait vrai si on ne tenait pas compte des deux autres récits de l'histoire.
Le premier est le récit de l'enfance de Pablos, particulièrement difficile (son père meurt pendu pour vol, son frère meurt battu à mort, il crève de fin pendant la moitié du récit et les 9 dixièmes de sa vie).
Ainsi, son comportement est présenté comme une nécessité de survie dans une jungle ultraviolente qui le traite comme la dernière des merde depuis sa plus tendre enfance.
Comme il le dit lui-même, tout le monde lui crache dessus depuis qu'il est tout petit, alors un peu plus, un peu moins, autant le faire pour survivre, voire devenir riche.
Le second récit (à la toute fin du livre) (ça va encore spoiler) (m'enfin, là, je pense que vous avez pris le pli) explique comment, par le jeu des circonstances, il va devenir en quelque sorte le sosie du roi d'Espagne, pour permettre à celui-ci de s'évader un peu de la pression du pouvoir, et comment, par pur hasard, il va être amené à en fait prendre sa place.
Certes, Pablos est une belle merde, mais son comportement est tellement rapport avec la situation politique et sociale qu'il vit qu'il finit (presque malgré lui, pour le coup) par devenir roi.
Le roi est une belle merde, parce que la société est horrible. Et tout cela est permis par la parole, qui ne vaut rien.
N'hésitez pas à me contacter si vous avez besoin que je vous remonte le moral.
Tout ceci serait vrai si on ne tenait pas compte des deux autres récits de l'histoire.
Le premier est le récit de l'enfance de Pablos, particulièrement difficile (son père meurt pendu pour vol, son frère meurt battu à mort, il crève de fin pendant la moitié du récit et les 9 dixièmes de sa vie).
Comme il le dit lui-même, tout le monde lui crache dessus depuis qu'il est tout petit, alors un peu plus, un peu moins, autant le faire pour survivre, voire devenir riche.
Le roi est une belle merde, parce que la société est horrible. Et tout cela est permis par la parole, qui ne vaut rien.