Toujours Jack Kirby, Mike Royer et Vince Coletta, Mister Miracle - La liberté ou la mort,
DC Comics & Vertige Graphic (avec l'aide de Giovanni Peritore et Patrick Marcel).
LA RÉPONSE EST NON.
Jack Kirby, au contraire, est tranquillement assis dans son fauteuil, un cigare à la bouche, analysant les scénarios de bandes dessinées / romans / films ; et il rigole.
POURQUOI ?
Parce que le revers de la structure campbellienne et de l'incroyable réussite financière des films Star Wars, c'est que TOUT LE MONDE fait des récits suivant les mêmes recettes. (Notamment dans le cinéma.) (C'est pour ça que j'ai beaucoup parlé de Star Wars dans le message précédent.)
Comme Star Wars est un peu le maître-étalon du blockbuster américain, quand un producteur américain ne sait pas trop quel genre d'histoire raconter, il se dit « Ah bin tiens, si j'allais voir comment tonton Lucas a torché son truc pour motiver des tas de gens à lui donner de d'argent aller voir son film ? ». Et alors il le fait. Et alors on se retrouve avec un énième film avec la toujours même satanée structure à la noix.
Campbell est devenu la plaie des scénarios. Un enfer.
HA BON ?
Avatar ? Campbellien. Alice au pays des merveilles (le film de Burton, hein) ? Campbellien. TOUS LES PUTAINS DE FILMS DE SUPER HÉROS ? Campbelliens.
Je mets cette vidéo ici parce que :
1) Karim Debbache est cool ; 2) il fait ressortir les stéréotypes archétypes de certains films ; 3) il re-résume Campbell, au cas où.
EXEMPLE :
Dans le premier film Iron man, Tony Stark réussit à transformer l'entreprise d'armement de son père pour en faire une fondation à but philanthropique. Il tue ainsi symboliquement son père pour pouvoir changer et devenir meilleur.
Dans le deuxième film Iron man, Tony Stark réussit à créer un nouvel élément chimique (misère...) qui va lui permettre d’améliorer son « coeur » et de dépasser intellectuellement son père, qui n'avait pas achevé la synthèse de cet élément. Il tue ainsi symboliquement son père pour pouvoir changer et devenir meilleur.
Dans le troisième film Iron man, Tony Stark prend sous son aile un enfant et lui donne l'affection qu'il n'a jamais reçue de son propre père. Il tue ainsi symboliquement blablabla. Bla. Blabla.
BREF.
Le père de Tony Stark se fait tuer symboliquement toutes les cinq minutes, il doit tourner dans sa tombe plus vite qu'une roue de vélo de Lance Amstrong ET les scénarios d'un nombre incalculable d’œuvres cinématographiquo-romano-téléviso-bande-dessinesques sont devenus standardisés et prévisibles.
(Je n'ai même pas parlé de l'aspect héroic-fantasy du bazar, puisque, vous vous en doutiez, Le seigneur des anneaux est campbellien.) (Quelle surprise !) (Campbellien dans le même ordre d'idée que Kurosawa et Burroughs : Tolkien retombe sur ces schémas en s'inspirant de mythes scandinavo-saxons.) (Et donc tous les récits qui pompent Le seigneur des anneaux sont aussi campbelliens.) (Et donc, par exemple, la moitié du catalogue de Soleil Edition est campbellien.) (En période de surproduction, est-ce bien raisonnable ?)
Pour conclure sur ce point, comme le dit Tom Gauld :
Tom Gauld, un génie, allez lui dire bonjour.
(D'autant que je ne suis pas sûr que cette reproduction soit légale-légale. Haa je suis vraiment un méchant garçon.)
MAIS ALORS, KIRBY, C'EST UN TOCARD ?
Mais non ! J'avais dit que non !
Tout le monde construit des récits suivant les mêmes recettes, certes.
Mais pas Kirby.
Parce que Kirby se base sur ces archétypes pour les dépasser. Les personnages existent MALGRÉ leurs « données de base campbelliennes ». Ils ne sont pas réduits à cela. Ils s'en échappent. La structure campbellienne est bien là, mais elle reste à sa place, qui est celle d'une ossature. Sur laquelle Kirby ajoute toute la chair nécessaire à son récit.
Suivant cette idée, Mister Miracle est une de ses plus brillantes et plus achevées réussites.
EN EFFET !
Le thème central de Mister Miracle est la quête de sa propre liberté (liberté physique et intellectuelle). Il est notamment question de (pour faire très très très vite parce que j'ai déjà bien trop traîné) ne pas se laisser enfermer dans les schémas que nous dictent la société. Et de toujours croire qu'on peut réussir à les détruire.
Écoutant bien sagement ses personnages, Kirby ne se laisse pas enfermer par les schémas (des sociétés de scénaristes), et ne cesse de croire qu'il pourra s'émanciper de tout ce fourbi.
La princesse frêle qu'il faut secourir ? (Cliché sexiste retenu dans le Kurosawa, un peu les Burroughs, et les Star Wars.) Bin voyons... C'est mal connaître Jack.
Un peu de féminité dans ce monde de bouseux.
(Magnifiée par les traductions à la limite du psychotronique de Patrick Marcel.)
Ok, la princesse est costaude... Mais elle a quand même besoin du héros pour s'émanciper (et pour que le héros puisse franchir son palier d’adolescence), non ?
Bin non.
Kirby renverse les clichés.
Bon bon bon. Mais les méchants ? Là, on peut pas faire autrement que des trucs symboliques à base de Dark Vador incarnant le mal à fond les manettes !
Bien sûr que si ! Il suffit d'y croire, on vous dit. (Et de n'avoir peur de rien, parce que, là, quand même, c'est limite.)
Les méchants sont même parfois ridiculisés parce que poussés dans un stéréotype trop débile pour être vrai.
Le stéréotype qui détruit le stéréotype. Fort.
Le stéréotype qui détruit le stéréotype. Fort.
La moindre situation est teintée de ridicule, ou d'ironie, ou tout simplement de recul.
Et cela marche pour tout. Ce ne sont pas juste des problèmes de super héros qui nous passent à 120 mille pieds au-dessus de la cafetière. Non. Dans la « vraie vie » aussi, on retrouve des jeux sociaux, des manières et des caractères stéréotypés dont il faut s'échapper.
Si on n'est même plus tranquille chez soi...
Le stéréotype, la structure, les présupposés, n'arrivent jamais à atteindre les personnages, qui restent vivants, libres, ironiques, non influencés par ce qu'ils subissent. Kirby écoute la petite musique de ses héros comme Scott Free écoute sa boîte mère : pour ne pas se laisser piéger par ces situations archétypales et transcender le tout.
OUI MAIS ÇA SERT A QUOI DE TARABUSTER SES PERSONNAGES SI C'EST POUR RACONTER LA MÊME HISTOIRE QUE TOUT LE MONDE, A BASE DE DARK VADOR ET DE DÉPASSEMENT DE SOI ?
Justement. Kirby arrive même à pervertir cette ossature de manière très très finaude...
ATTENTION JE VAIS PARLER DE LA STRUCTURE GÉNÉRALE DE L'HISTOIRE DONC ÇA VA SPOILER...
Nous disions donc, que, dans la structure campbellienne, le héros, grosso modo, a un parcours de ce genre :
La vie de Mister Miracle, du point de vie du lecteur.
Sauf que, si le récit de Kirby suit bien ce schéma, si la lecture et le lecteur suivent bien ce schéma, son personnage, Mister Miracle, lui, s'en défait presque complètement.
Parce que, en fait, tout les passages « comprendre comment atteindre cette paix », « en accepter le prix », « et faire ce qu'il faut » se trouvent placés en plein milieu du récit (ce qui est normal) sous forme de flash-backs (qui raconte la jeunesse de Scott Free) (ce qui est moins normal).
Pauvre chou...
A la base, le jeune Scott Free est déjà en état de déséquilibre (il est prisonnier de la planète Apokolips), déjà en quête de paix (sa liberté), et toute sa jeunesse va consister à trouver le moyen d'atteindre cette liberté (au prix d'un entraînement féroce afin de devenir le fameux Mister Miracle). Puis, ensuite, libre, serein, il ira sur la planète Terre.
La vie de Mister Miracle, de son point de vue.
Grosso modo, tout se passe comme si, au début de Star Wars, Luke Skywalker était déjà poursuivi par Dark Vador, voulait déjà atteindre sa paix intérieure (en maîtrisant la force) et y arrivait au prix d'un entraînement féroce sous le patronage de Yoda.
Ensuite, il retournerait sur sa planète natale et rencontrerait Obi-Wan Kenobi, Han Solo, et toute la bande...
A LA SUITE DE QUOI...
Le reste des aventures de Mister Miracle consistent à lutter pour préserver cette paix / liberté qu'il a déjà et si chèrement acquise. Mais il est déjà Mister Miracle. Il est déjà un grand chevalier jedi.
Voilà pourquoi il est si cool et peut se permettre de faire des vannes alors qu'on l'agresse.
Petit rigolo, va !
Le personnage se démarque donc nettement des héros campbelliens classiques, en quête de quelque chose qu'ils ne connaissent pas encore et qui sont donc un brin nerveux, un brin passionnés, un brin « cliché du jeune premier », un brin emmerdants.
DE PLUS !
Pour le lecteur, ça ne change rien. Lui, il suit et vit le développement campbellien dans le bon ordre. Il ne comprend que vers la fin que, pour Mister Miracle, tout cela est d'un banal à pleurer. En attendant, s'identifiant au héros, manipulé par Kirby, le lecteur aura vécu son rite initiatique, son passage de l'adolescence à l'âge adulte, dans l'ordre, en y voyant que du feu.
ET DONC...
Kirby aura réussi à plonger son lecteur en plein développement campbellien (le faisant passer par toutes les étapes imposées permettant de vaincre ses démons) tout en faisant s'échapper son héros de cette structure, hissant Mister Miracle au-dessus d'un scénario possiblement balisé, au-dessus d'un lecteur manipulé, au-dessus de la mêlée.
POUR CONCLURE.
Le surnom de Kirby est « the King ».
Ce n'est pas pour rien.