Grégory Panaccione nous montre comment faire une bande dessinée de presque 300 pages sans texte, mais avec panache.
J'ai essayé d'expliquer précédemment que le texte et le dessin avaient des fonctions identiques dans une bande dessinée et que les auteurs pouvaient ainsi utiliser l'un ou l'autre, en alternance, pour faire ce qu'il avaient à faire, dire ce qu'ils avaient à dire, exprimer les sentiments profonds enfouis dans leur être qu'ils avaient à exprimer.
Panaccione arrive à point nommé pour nous montrer que, malgré tout, il est très possible de se passer du texte pour réaliser une bande dessinée. C'est plus chaud, puisqu'on se prive de la moitié des outils disponibles, mais c'est parfaitement jouable.
La seule chose, c'est que, en utilisant du texte et du dessin, on pouvait combiner différentes fonctions dans une même case.
REMEMBER.
Dans une même case on pouvait raconter quelque chose avec du texte et autre chose avec du dessin.
Ça permettait de densifier le processus narratif (on dit quelque chose avec le texte, on dit quelque chose avec le dessin, et au final on a dit deux fois plus de choses). Ça permettait aussi d'alléger ce processus narratif en ne foutant pas trouzemille dessins dans une seule case mais en construisant un équilibre entre texte et dessin).
MAIS, TOUT ÇA, C'EST FINI !
Là, maintenant, chez Panaccione qui se prive de texte :
L'opposition entre les deux protagonistes bien marquée par les différentes lignes du terrain et du filet.
Grégory Panaccione, Match, Delcourt - Shampoing.
J'ai essayé d'expliquer précédemment que le texte et le dessin avaient des fonctions identiques dans une bande dessinée et que les auteurs pouvaient ainsi utiliser l'un ou l'autre, en alternance, pour faire ce qu'il avaient à faire, dire ce qu'ils avaient à dire, exprimer les sentiments profonds enfouis dans leur être qu'ils avaient à exprimer.
Panaccione arrive à point nommé pour nous montrer que, malgré tout, il est très possible de se passer du texte pour réaliser une bande dessinée. C'est plus chaud, puisqu'on se prive de la moitié des outils disponibles, mais c'est parfaitement jouable.
La seule chose, c'est que, en utilisant du texte et du dessin, on pouvait combiner différentes fonctions dans une même case.
REMEMBER.
Textes et dessins mêlés dans plusieurs cases.
Ça permettait de densifier le processus narratif (on dit quelque chose avec le texte, on dit quelque chose avec le dessin, et au final on a dit deux fois plus de choses). Ça permettait aussi d'alléger ce processus narratif en ne foutant pas trouzemille dessins dans une seule case mais en construisant un équilibre entre texte et dessin).
MAIS, TOUT ÇA, C'EST FINI !
Là, maintenant, chez Panaccione qui se prive de texte :
- La narration ne sera pas dense. (On ne dira qu'une seule chose par case, seulement avec le dessin.)
- Mais la narration sera légère malgré tout. (Le piège serait d'essayer de vouloir caser plein de dessins dans chaque case pour compenser le manque de texte. Mais, dans ce cas là, cela deviendrait proprement incompréhensible.) (Ce qui serait couillon, quand même.) (Autant rester clair, net, et précis, ça peut pas faire de mal.) (Du coup Panaccione choisi l'option inverse : on ne dit qu'une chose par case, mais on va dire plein de choses en faisant plein de cases.)
Une action = une case. On rajuste la mèche gauche, une case. On rajuste la mèche droite: une autre case.
Ça donne une narration peu dense (plein de cases) mais légère, souple. Une narration petit chou.
ÉPURE ET PLEIN DE CASES, DONC.
Sans texte mais avec une narration petit chou, Panaccione arrive à remplir toutes les fonctions que j'avais plus où moins essayé d'identifier dans les précédents messages (bon, je sais pas si ces fonctions étaient d'une grande acuité / utilité / intelligence, mais j'ai pas mieux dans ma besace, donc on va partir là dessus).
REPRENONS DONC TOUTES CES FONCTIONS, ET ESSAYONS DE VOIR SI PANACCIONE EST BIEN SUR LE COUP.
- Un personnage pense.
- Un personnage parle.
- Un personnage agit.
Le plus important en tennis, c'est l’équilibre. Admirez donc l’équilibre dans le mollet gauche. Il est pas beau le mollet gauche ?
- L'auteur intervient (et explique les actions de la case pour les deux débiles du fond).
« Donc, bon, si vous n'aviez pas suivi, il vient de perdre un point et il est tout triste. Voilà voilà voilà, ne me remerciez pas, j'adore rendre service en expliquant des trucs que les gens avec un QI normal ont déjà compris depuis trois heures. »
BON, VOILÀ, AVEC ÇA, ON A LA BASE.
Panaccione arrive à communiquer le « mais qu'est-ce qui se passe ? » en misant à fond sur la gestuelle ou l’expressivité des visages des personnages. Enfin, plutôt, du visage du personnage et de la gestuelle des deux personnages. Parce qu'autant ce que fait le tennisman pro est important puisqu'il envoie des caramels dans la gueule du gros rigolo, autant on se moque de ce qu'il pense (c'est une machine, c'est un tueur, c'est robocop). Le gros rigolo, lui, est au centre du dispositif : ce qu'il fait, ce qu'il pense, ce qu'il mange (des serviettes et des balles jaunes).
Le tennisman pro reste loin, derrière son filet, avec un visage difficilement discernable. Ses émotions ne sont pas intéressantes.
Le gros rigolo, lui, on s'en rapproche, on s'y attache.
Mais, justement, puisque l'important est de rester proche du gros rigolo, alors Panaccione va en rester super proche, le détailler, détailler ses expressions, détailler ses gestes, tout, sous toutes les coutures. Donc l'auteur va faire des tas de cases parce qu'il fait une bande dessinée muette et qu'il faut bien détailler pour bien tout comprendre, mais il va également faire plein de cases parce qu'il faut détailler les actions du gros pour rester proche de lui, mais il va aussi rester proche du gros pour pourvoir le détailler pour pouvoir remplir toutes ses cases, et puisqu'il a toutes ces cases pour détailler les actions du gros (et ce sont quand même les actions qui comptent, puisqu'on assiste à un match de sport, ne l'oublions pas), pas la peine de rajouter de texte.
Il s'opère donc une sorte d'équivalence à double justification tautologique dans laquelle l'auteur est proche du perso parce que c'est muet et que c'est muet parce que l'auteur est proche du perso.
Bref, c'est cohérent, c'est cool.
ENSUITE, LA SUITE.
L'auteur compose ses cases. (Une composition toute dédiée à la bande dessinée, hein. On n'est pas chez un vulgaire De Vinci, ici).
- La forme de l'image, de la case, donne elle-même une information.
Comme « beaucoup de texte » = « beaucoup de temps », « beaucoup de place » = « beaucoup de temps. »
La dernière case est grande parce qu'il y a beaucoup de temps qui s'y passe parce que la balle rebondit piteusement pendant que le gros rigolo se prend la honte.
Dans le même style, la case du dessus nous donne un effet de ralenti, d'action en suspension,d e suspense.
La dernière case est grande parce qu'il y a beaucoup de temps qui s'y passe parce que la balle rebondit piteusement pendant que le gros rigolo se prend la honte.
Dans le même style, la case du dessus nous donne un effet de ralenti, d'action en suspension,d e suspense.
- Composer l'image en séparant les différents éléments.
L'opposition entre les deux protagonistes bien marquée par les différentes lignes du terrain et du filet.
Mais attention !
Une composition faite en toute non-picturalité. De simples lignes pour marquer la séparation des deux personnages, OK, mais une prééminence des lignes horizontales (suivant le mouvement des yeux de gauche à droite) pour donner envie de lire la suite et un coin haut droit laissé blanc pour faciliter le saut dans le « caniveau » et l'arrivée de la case suivante.
OUAIS, PARCE QUE CE QUI COMPTE, COMME D'HAB, C'EST L'ORGANISATION DES PASSAGES ENTRE LES DIFFÉRENTES CASES.
Par exemple, la case du dessus, très bien, parfait, elle est composée au poil, ouh que c'est joli. Mais sa composition prend encore plus de sens quand elle s'inclut dans l'enchaînement du récit.
Tapeuhtapeutap...
« Ouh putain il est costaud ce con. »
« Et pis la case est toute sombre et bouchée, avec plein d'ostacles, alors qu'avant le fond était tout blanc et plein de possibilités. »
Bon bin je vais encore faire rebondir la balle, si c'est comme ça...
Tapeuhtapeutap...
Donc, oui, et je ne le redirais jamais assez, la case de bande dessinée prend tout son sens quand on regarde ses petites copines autour d'elle et comment elles se donnent toutes la main.
Dans de cape et de croc, le petit coup de suspense non pas pour te donner envie de lire la page suivante mais pour te donner envie de lire le livre suivant.
A contrario de vouloir faciliter le tournage de page, l'auteur peut se permettre, dans le corps d'une page, d'organiser des contrastes entre ses différentes cases, des contrastes qui racontent quelque chose, bien entendu.
Tapeuhtapeutap...
Donc, oui, et je ne le redirais jamais assez, la case de bande dessinée prend tout son sens quand on regarde ses petites copines autour d'elle et comment elles se donnent toutes la main.
DANS CE CAS, CHEZ PANACCIONE, ON PEUT AVOIR DES ENCHAÎNEMENTS ASSEZ CLASSIQUES.
Avec, par exemple, des petits coups de suspense pourris/vicieux pour organiser les transitions entre pages.
Dans de cape et de croc, le petit coup de suspense non pas pour te donner envie de lire la page suivante mais pour te donner envie de lire le livre suivant.
Grégory Panaccione fait la même chose avec cette fin de page : on est tout ému, on ne sait pas comment le personnage va servir, s'il va réussir son coup, comment ça va se passer pour lui. On ne sait pas et on a envie de savoir, du coup, on tourne la page.
A contrario de vouloir faciliter le tournage de page, l'auteur peut se permettre, dans le corps d'une page, d'organiser des contrastes entre ses différentes cases, des contrastes qui racontent quelque chose, bien entendu.
Blond gros / maigre brun. Proche / éloigné et derrière le filet. Par terre / debout. De face / de dos. Choupi / tueur.
MAIS AUSSI DES ENCHAÎNEMENTS PLUS ZARBIS.
Enfin, et parce que Panaccione n'est pas un branquignol, il va profiter de sa bande dessinée « muette / proche du personnage / pleine de case / les trois en même temps puisque c'est équivalent et tautologique et tout ça » pour organiser des transitions inhabituelles.
POURQUOI C'EST DIFFICILE ?
Parce que, justement, comment organiser des transitions d'une case à une autre si l'image ne bouge pas ? S'il ne se passe rien ? Dans l'exemple ci-dessus, y a juste un mec qui fait rebondir une balle. C'est quand même pas le truc qui va maintenir le lecteur éveillé le plus facilement.
POURQUOI ÇA MARCHE ?
Parce que l'aspect « séquençage en plein de cases » permet de voir les infimes variations dans les sentiments du personnage principal.
Parce que « voir les infimes variations dans les sentiments du personnage principal » permet de mieux voir tout ce qui lui passe par la tête, d'observer le mouvement de ses pensées, et par là, de se rapprocher de lui.
Ah bah il était tout triste, et puis maintenant il est tout content. Avant d'être tout surpris.
Et ne me dites pas que vous en avez quelque chose à faire de lui. Tout ça parce qu'on ne sait absolument pas à quoi il pense.
(Ce sont les magazines féminins qui ont raison : pour qu'on s'attache à vous, il ne faut pas avoir peur de montrer ses sentiments.)
Parce que « observer le mouvement de ses pensées » permet de se passer du texte pour refléter les pensées et les paroles du personnage , et de conserver un récit muet.
Franchement, là, on a tout (les actions, les sentiments, le suspense, l'humour)...
Qu'est-ce qu'on s'en fout de rajouter des dialogues ?
Parce que « conserver un récit muet » favorise la narration petit chou qui favorise un grand nombre de cases qui favorise l'observation des infimes variations des sentiments du personnage qui favorise la proximité avec lui, qui favorise la narration petit chou, etc.
TAUTOLOGIQUE, ON VOUS DIT.
Une cohérence qui renforce la narration, précise les enjeux, facilite l'observation du personnage principal, autant que notre attachement à ce brave gros. Bref, une cohérence qui rend cette bande dessinée trop tip top.
Parce que, justement, comment organiser des transitions d'une case à une autre si l'image ne bouge pas ? S'il ne se passe rien ? Dans l'exemple ci-dessus, y a juste un mec qui fait rebondir une balle. C'est quand même pas le truc qui va maintenir le lecteur éveillé le plus facilement.
POURQUOI ÇA MARCHE ?
Ici, il est essoufflé-hébété, puis il se concentre, puis il se prépare, puis, hop il arme son service,
et c'est parti pour un nouveau jeu.
et c'est parti pour un nouveau jeu.
Parce que « voir les infimes variations dans les sentiments du personnage principal » permet de mieux voir tout ce qui lui passe par la tête, d'observer le mouvement de ses pensées, et par là, de se rapprocher de lui.
Ah bah il était tout triste, et puis maintenant il est tout content. Avant d'être tout surpris.
Et ne me dites pas que vous en avez quelque chose à faire de lui. Tout ça parce qu'on ne sait absolument pas à quoi il pense.
(Ce sont les magazines féminins qui ont raison : pour qu'on s'attache à vous, il ne faut pas avoir peur de montrer ses sentiments.)
Parce que « observer le mouvement de ses pensées » permet de se passer du texte pour refléter les pensées et les paroles du personnage , et de conserver un récit muet.
Franchement, là, on a tout (les actions, les sentiments, le suspense, l'humour)...
Qu'est-ce qu'on s'en fout de rajouter des dialogues ?
Parce que « conserver un récit muet » favorise la narration petit chou qui favorise un grand nombre de cases qui favorise l'observation des infimes variations des sentiments du personnage qui favorise la proximité avec lui, qui favorise la narration petit chou, etc.
TAUTOLOGIQUE, ON VOUS DIT.
Une cohérence qui renforce la narration, précise les enjeux, facilite l'observation du personnage principal, autant que notre attachement à ce brave gros. Bref, une cohérence qui rend cette bande dessinée trop tip top.
Dites donc, M Anfré, vous parlez beaucoup de Delcourt ces temps-ci, et encore une fois quand l'auteur qui illustre votre article a sorti récemment un bouquin. C'est louche tout ça... hmm ? (Mais il a raison : lisez le formidable "Un océan d'amour". Delcourt donc. Pas cher. (Enfin, si, un peu quand même, mais ça le vaut.))
RépondreSupprimerSi j'osais, je dirais que vous faites ça pour rester dans les petits "Papiers" de Guy. (Delcourt. Suivez, quoi !) (Oh oh oh. Humour. Je pars sur une pirouette. Rideau.)
Alors, (à ma grande surprise, vu le peu de bouquins Delcourt que j'ai lu ces dernières années), il se trouve que vous avez tout à fait raison : j'ai fait des petites stats avec des croix et des bâtons, et il en resort effectivement que je parle proportionellement plus des livres de Delcourt (viennent ensuite à égalité Dargaud, Dupuis, et l'Association) (oui, je sais, parler des statistiques d'un blog, que c'est passionant).
SupprimerJe suis donc bien un agent souterrain des éditions Delcourt au sein de la blogosphère, et ce, sans même le savoir moi-même. Il est fort ce Guy.
(Par contre, pour ces histories de petits papiers, je crois qu'on parle du coup plus de mon frère (Jérôme Anfré, ce génie).) (Et, ces temps-ci, je crois qu'il préférerait que vous méttiez du shampoing sur votre liste de courses.)
(Ouhlàlà, on parle cryptique, je me sens tout excité, j'ai l'impression de faire partie du microcosme.)
Edifiante analyse ! Comme toute les autres présentes sur ce blog...
RépondreSupprimerEt quoi de mieux pour illustrer ce sujet que ce petit bijou ?
Par contre, et si je peux me permettre, le sujet (un match de tennis) se prête quand même bien à l'exercice.
J'en profite pour vous remercier, en espérant vous encourager, afin que vous continuiez, à parler de bandes dessinées.
Rémi
C'est vrai qu'un match de tennis, pour faire du muet/rigolo/suspense, c'est difficile de faire mieux.
SupprimerNonobstant ! Réussir à trouver un fond (match) qui épouse parfaitement une forme (muet) est un des gros boulots souterrains de n'importe quel auteur (et on peut dire que sur ce coup la Panaccione a mis dans le mille) (comme sur ses autres albums, d'ailleurs).
(Et sinon, merci pour les compliments.)