Goscinny et Uderzo nous montrent que, c'est bien beau les dessins, c'est bien beau les scénarios, les décors, les couleurs, les personnages, c'est bien beau les constructions de pages ; ce qu'il faut, avant tout, c'est faire de belles bulles.
Albert Uderzo et René Goscinny, Astérix chez les Helvètes, Dargaud.
En plus, la page montrée aujourd'hui est juste une scène de transition, sans vraiment de gag, avec une action pauvre.
C'est donc très impressionant que, pour cette simple action a demi pourrie, les deux big boss se déchaînent avec une telle maestria pour faire de ces huit cases une merveille de bande dessinée (je suis à la limite d'avoir de l'émotion) !
Une maestria qui peut notamment se retrouver dans ce truc tout bête que sont les phylactères (les bulles, quoi), placés dans cette page aux endroits les plus « narrativement pertinents » (bigre) qui soient.
MAIS AVANT TOUT, UN PETIT APARTÉ.
Un des problèmes les plus importants dans la bande dessinée, c'est la lisibilité.
Pas la lisibilité au sens de « keskécé ces griboullis », mais plutôt dans le sens « il faut lire les cases dans le bon ordre, il faut aussi lire les dessins dans les cases dans le bon ordre, il faut encore lire les phylactères dans les dessins dans les cases dans le bon ordre ; et tout ça avec le sourire ».
(C'est à dire que c'est gentil de jouer sur la forme des cases, sur le rythme de lecture, sur les attentes des lecteurs, MAIS si tout ça est fait portnawak et qu'au final on se mélange les pinceaux dans qui fait quoi, à qui, comment, pourquoi, mais toujours entre adultes consentants, ça ne sert à rien... Un des boulots des auteurs de bande dessinée est donc de guider le regard du lecteur, pour qu'il perçoive les bonnes informations aux bons moments. Pour cela, il faut agrandir certaines cases, en réduire d'autre, augmenter la taille de telle personnage ou de tel phylactère, etc. etc... Et ceci n'est pas une mince affaire, puisqu'il faut ensuite penser à imbriquer tout ce beau monde ensemble. Les cases deviennent un peu comme des petites bonhommes qui se poussent les uns les autres pour trouver leur place.)
Une des armes pour arriver à ses fins, aussi ballot que cela paraisse, c'est la bulle.
Certes, cette construction est maligne, mais à trop séparer les cases le lecteur risque d'être induit en erreur et de lire la page ainsi :
Ces lignes habituent le lecteur à faire le mouvement de yoyo de bas en haut (et non de gauche à droite) qu'il va lui falloir réaliser pour lire toutes les cases.
Une fois passé dans « la case du bas », hé bien on y reste. Barré par la vraie-fausse marge blanche des bulles, le regard du lecteur reste avec le centurion romain, dans la « troisième bande virtuelle ».
Franchement, moi, je n'aime pas trop Astérix chez les Helvètes.
En plus, la page montrée aujourd'hui est juste une scène de transition, sans vraiment de gag, avec une action pauvre.
C'est donc très impressionant que, pour cette simple action a demi pourrie, les deux big boss se déchaînent avec une telle maestria pour faire de ces huit cases une merveille de bande dessinée (je suis à la limite d'avoir de l'émotion) !
Une maestria qui peut notamment se retrouver dans ce truc tout bête que sont les phylactères (les bulles, quoi), placés dans cette page aux endroits les plus « narrativement pertinents » (bigre) qui soient.
MAIS AVANT TOUT, UN PETIT APARTÉ.
Un des problèmes les plus importants dans la bande dessinée, c'est la lisibilité.
(C'est à dire que c'est gentil de jouer sur la forme des cases, sur le rythme de lecture, sur les attentes des lecteurs, MAIS si tout ça est fait portnawak et qu'au final on se mélange les pinceaux dans qui fait quoi, à qui, comment, pourquoi, mais toujours entre adultes consentants, ça ne sert à rien... Un des boulots des auteurs de bande dessinée est donc de guider le regard du lecteur, pour qu'il perçoive les bonnes informations aux bons moments. Pour cela, il faut agrandir certaines cases, en réduire d'autre, augmenter la taille de telle personnage ou de tel phylactère, etc. etc... Et ceci n'est pas une mince affaire, puisqu'il faut ensuite penser à imbriquer tout ce beau monde ensemble. Les cases deviennent un peu comme des petites bonhommes qui se poussent les uns les autres pour trouver leur place.)
La page de bande dessinée, une allégorie.
Image dans laquelle Nestor pousse littéralement les cases avec ses jambes et ses bras.
Les cases contiennent Nestor et ne contiennent que Nestor, et tout est coincé au millimètre près.
Image dans laquelle Nestor pousse littéralement les cases avec ses jambes et ses bras.
Les cases contiennent Nestor et ne contiennent que Nestor, et tout est coincé au millimètre près.
Une des armes pour arriver à ses fins, aussi ballot que cela paraisse, c'est la bulle.
POUR LA PLANCHE QUI NOUS OCCUPE...
Ici, la contrainte est de représenter une scène toute en longueur (les grandes cases verticales), en faisant en sorte que l’œil du lecteur ne soit jamais perdu, toujours guidé.
Du coup, pour bien commencer, les auteurs vont s'appuyer sur l'habitude du lecteur à avoir sous les yeux des planches de quatre bandes (dans Astérix, sauf cas particulier comme ici, les pages possèdent quatre bandes). Ils vont donc organiser la disposition des personnages dans la page pour, en quelque sorte, « simuler » ces fameux quatre strips (bandes, strips, lignes de cases, c'est la même chose, hein).
Ici, la contrainte est de représenter une scène toute en longueur (les grandes cases verticales), en faisant en sorte que l’œil du lecteur ne soit jamais perdu, toujours guidé.
Du coup, pour bien commencer, les auteurs vont s'appuyer sur l'habitude du lecteur à avoir sous les yeux des planches de quatre bandes (dans Astérix, sauf cas particulier comme ici, les pages possèdent quatre bandes). Ils vont donc organiser la disposition des personnages dans la page pour, en quelque sorte, « simuler » ces fameux quatre strips (bandes, strips, lignes de cases, c'est la même chose, hein).
Y a pas vraiment quatre strips, mais il y quand même quatre strips... Magiiiie !
La subtilité est d'organiser ce faux-quatre-strips de manière suffisamment évidente pour que ça ait un impact sur le lecteur, et de manière suffisamment sioux pour qu'il ne se bloque pas dessus.
Ici, ce sont les phylactères qui sont utilisés pour simuler les vraies-fausses marges blanches (des bulles presque blanches pour simuler des marges blanches, ça va, c'est raccord) et aider le lecteur à organiser son regard général.
Y a pas vraiment de marge, mais il y quand même une marge... Magiiiie !
Cette construction a non seulement une fonction dans la forme (aider le lecteur à lire en séparant les différents protagonistes, c'est bien la moindre des choses) (2° bande : le romain ; 3° fausse bande : sa troupe ; 4° bande : Obélix), mais aussi une fonction sur le fond (le pauvre romain est physiquement séparé de sa troupe par la vraie-fausse marge ; il est isolé ; il va prendre cher ; c'est déchirant).
MAIS ATTENTION !
Certes, cette construction est maligne, mais à trop séparer les cases le lecteur risque d'être induit en erreur et de lire la page ainsi :
Et ça c'est pas cool, parce que le but est que les cases se lisent ainsi (ou presque, comme on va le voir) :
Pour éviter que le lecteur fasse fausse route, les auteurs ont donc feinté et aménagé cette case :
Si les deux cases suivantes sont bien organisées en sous-cases disjointes (et pour cause, les romains sont séparés, puis se quittent, il y a donc bien une utilité à laisser chaque protagoniste dans son coin) :
La précédente est d'un machiavélisme fini...
ALORS, ATTENTION, C'EST PARTI !
Dans la construction de cette case, la première étape était l'organisation en quatre bandes. Comme ça, habitué à cette construction, on tombe d'abord sur le romain accroché à Obélix.
Ensuite, dans cette case, il n'y a pas de vraie-fausse marge blanche (il n'y a pas de phylactère au milieu de la case). Au contraire ! Il y a des lignes de vitesse qui font le lien entre le haut et le bas.
Ces lignes habituent le lecteur à faire le mouvement de yoyo de bas en haut (et non de gauche à droite) qu'il va lui falloir réaliser pour lire toutes les cases.
Une fois passé dans « la case du bas », hé bien on y reste. Barré par la vraie-fausse marge blanche des bulles, le regard du lecteur reste avec le centurion romain, dans la « troisième bande virtuelle ».
AU FINAL.
Avec, donc, une lecture organisée grâce aux mouvements des personnages (les lignes de vitesses) et une séparation des protagonistes organisée par les vraies-fausses marges des phylactères, je pense que, grosso modo, cette planche peut être lue de cette manière :
Avec, donc, une lecture organisée grâce aux mouvements des personnages (les lignes de vitesses) et une séparation des protagonistes organisée par les vraies-fausses marges des phylactères, je pense que, grosso modo, cette planche peut être lue de cette manière :
Une nouvelle stratégie de dominos : on passe de « Astérix - Obélix » à « Obélix - romain », puis à « romain - centurion »,
les transitions entre les groupes étant gérées par la répartition des personnages et des phylactères dans les cases .
REVENONS SUR LE RÔLE DES BUBULLES.
Dans cette planche, les bulles ont deux fonctions : soit elles servent à faire le lien entre différentes cases (comme dans la première bande), soit elles servent à séparer les différents protagonistes (comme dans les grandes cases verticales).
MAIS CE N'EST PAS TOUT !
Le texte, et même la taille du texte, jouent un rôle dans la construction de la planche...
Dans une bande dessinée, le texte a une valeur de temporisation. On met du temps à lire une bulle. Donc plus il y aura de texte dans la bulle, plus de temps se sera écoulé dans la case (parce que le lecteur aura mis plus de temps (réel) à lire, et parce que le personnage aura mis plus de temps (fictif) à prononcer le texte) (le temps fictif rejoint ici le temps réel). (Du coup, par exemple, on a toujours l'impression que Blake & Mortimer sont dans une sorte de stase.)
- Un peu de texte, parce que les romains peinent dans la montée, et que ça leur prend un peu de temps pour arriver et sauver leur collègue (en bonus : une course en sens opposé au sens de lecture). S'il n'y avait pas eu de texte, on aurait filé comme une flèche sur cette case, et on aurait eu l'impression que les romains couraient plus vite que des lapins à piles.
- Même logique : « attention, je vais tirer » = « donc, je n'ai pas encore tiré » = « je reprends mon souffle » = « je prend du temps » = « je parle ».
- Parce que le romain monte sur toute la longueur de la case, cette montée prend du temps, donc il faut du texte. Mais pas trop (un seul mot) parce que cette montée est brusque.
- Suivons les lignes de vitesse pour descendre.
- A contrario du 3, quand le centurion rate son soldat, ça se joue à une demi seconde. C'est rapide. Donc pas de texte.
- Les deux bulles sont situées au milieu et nous font comprendre que les deux personnages sont déjà séparés et qu'ils ne sont plus capables de se rejoindre. Le volume de texte montre que le soldat peine pour essayer de redescendre en faisant pédaler ses petites jambes. Mais ça ne suffit pas. Les queues des phylactères (ses espèces de flèches qui indiquent qui parle) permettent de lier le tout : on est sur le centurion romain, on suit la flèche, on arrive sur un bulle, on lit la bulle à côté, on suit la flèche, on arrive sur le romain isolé.
- On revient donc vers le haut, guidé par la queue de la bulle du romain qui monte, qui monte, qui monte...
- Retour en haut de case. Le soldat disparaît presque dans le blanc de la marge. Il part vers l'inconnu. Il est une cause perdue, on ne s'occupe plus de lui, il disparaît, et n'a donc pas de texte.
- En dessous, la troupette quitte également la case, par le coin droit cette fois. (Elle aussi va vers le blanc de la marge et de la page.) (Ils partent aussi vers l'inconnu, l'incertain...) (Vont-ils réussir à le sauver ? Vont-ils pas ?) Notons que les phylactères qui séparent les personnages sont de plus en plus gros au fur et à mesure que les protagonistes sont de plus en plus éloignés.
- La grosse bulle empiète d'une case sur l'autre. Donc le lecteur se dit naturellement : « Je suis dans cette case, je vais glisser dans la deuxième ».
- Sur cette dernière bande, les bulles se retrouvent de plus en plus hautes dans les cases. Comme le romain monte petit à petit, ses phylactères font de même. Physiquement, tout monte, pour laisser plus de vide en bas de case.
- Un truc qui n'a rien à voir, mais cette planche est tellement riche que même l'utilisation des décors est géniale. Le marron de la roche s'oppose à toutes les autres couleurs de la scène et permet de définir un plan vertical qui inspire à toute la page son mouvement de bas en haut. Le graphisme de la roche est également plus détaillé que celui des arbres dans le fond ou même que celui des personnages. Celle-ci ressort donc nettement et on la remarque. Enfin, elle n'occupe que 2/3 de la case. Si elle avait occupé toute la case, cela aurait créé un fond uni (et très moche) auquel on aurait pas prêté attention (sauf pour se dire qu'il était moche). Tandis qu'ici la roche sert en quelque sorte de marqueur à l’ascension du soldat romain. Ses dentelures sont comme les graduations d'une règle.
Exemple de décor uni, moche, sans aspérités, insignifiant. Il existe, mais il ne compte pas. Il n'est pas utile.
Chez Astérix, les auteurs francs du collier ne cherchent pas à nous faire passer des décors pourris pour Versailles.
(Image tirée de Astérix en Corse.)
Tandis que quand ils veulent utiliser ce fameux décor, bin ils ne le font pas à moitié.
BREF.
Les phylactères sont exactement à cheval entre le scénario et le dessin et il me semble que la symbiose scénariste/dessinateur ressort nettement au travers de ce tout simple objet (puisque tout, dans la bubulle, a une importance, et que la détermination de ce tout est décidée par le scénariste ET le dessinateur)...
Le fait que la bulle existe a une importance (qui se décide au scénario). La longueur de son texte a une importance (qui se décide toujours au scénario). Sa position a de l'importance (ça, c'est pour le dessin). Son volume a de l'importance (toujours pour le dessin). Sans parler des dialogues, des aménagements entre scénaristes et dessinateurs pour qu'ils tombent d'accord...
Au final, il est bien difficile de comprendre qui de Goscinny ou d'Uderzo a su maximiser l'utilisation des phylactères dans cette page pour transformer une simple scène de transition en bijou de bande dessinée...
Le fait que la bulle existe a une importance (qui se décide au scénario). La longueur de son texte a une importance (qui se décide toujours au scénario). Sa position a de l'importance (ça, c'est pour le dessin). Son volume a de l'importance (toujours pour le dessin). Sans parler des dialogues, des aménagements entre scénaristes et dessinateurs pour qu'ils tombent d'accord...
Au final, il est bien difficile de comprendre qui de Goscinny ou d'Uderzo a su maximiser l'utilisation des phylactères dans cette page pour transformer une simple scène de transition en bijou de bande dessinée...
C'est très probablement parce que les deux génies y sont pour une part égale.
Comme toujours très instructif, merci beaucoup.
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour le compliment. M'enfin c'est facile pour moi... 'Faut surtout remercier Uderzo et Goscinny, ces deux prodiges (je suis jaloux).
SupprimerAsterix, c'est plat comme la Suisse.
RépondreSupprimerHa bon ? C'est méchant, ça, comme remarque, où j'ai pas compris une subtilité (ce qui est très probable) ?
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