Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 11 juillet 2013

La bande dessinée joue aux dominos.

Mais alors, me direz-vous suite aux précédents messages décrivant certaines méthodes d'écriture à base de structures, existe-t-il d'autres méthodes possibles pour remplir un scénario. 

Hé bien oui ! 

Par exemple, Cauvin et Lambil nous expliquent que montrer des personnages qui se disputent comme un vieux couple, ça aide à faire avancer un récit.

 Raoul Cauvin & Willy Lambil, Les tuniques bleues – tome 23 – Les cousins d'en face, Dupuis.

AU CINÉMA.

Comme disait Tonton Hitchcock « plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film »…

Alors, bon, on a beaucoup fait d'exégèse sur cette phrase et je ne prétends pas donner la vérité (en fait, si !) mais il me semble qu'une des interprétations possibles est : plus beau seront les combattants, plus beau sera le combat. Les combattants étant beaux (complexes, intelligents, etc.), ils auront plusieurs motifs de s’opposer, plusieurs façons de s’opposer, et tout cela nourrira le film. Le combat sera varié, le combat sera vivant, le combat sera intéressant.

On peut même faire une généralisation à tous les protagonistes d'un film : il ne s'agit pas de réussir le méchant et son lien avec le gentil, mais plutôt de réussir les liens entre tous les personnages. Le lien Méchant-Gentil, certes. Mais aussi le lien Gentil-Gentille, le lien Gentil-Gentil-copain. Etc.


Ici, l’antagoniste, c’est le téléphone (si !), mais la scène ne fonctionne pourtant que parce que le lien entre les deux protagonistes (les gentils) est fort. Pour qu’une scène soit réussie, il ne suffit pas que le lien Gentil-Méchant soit réussi. Il faut qu’il y ait le plus de liens possibles.

D’ailleurs, Scorsese vient nous rappeler que gentil, méchant, tout ça est assez flou, et que, effectivement, ce sont plutôt les différents liens (oppositions ou rapprochements) qui font avancer le schmilblick.

Antagonismes « croix – couple » ; puis, dans le couple, « homme – femme » ; puis, avec l'homme, « frère – frère ». 
(Antagonismes très légers, si vous notez bien.)

CHEZ LES TUNIQUES BLEUES.

La dynamique de l’ensemble des histoires dans les tuniques bleues se base sur les antagonismes des deux personnages principaux (oppositions politiques, militaires, morales, de caractères). Des oppositions entre Blutch et Chesterfield (la plus basique étant que Blutch est antimilitariste et Chesterfield très proche de son képi ; cet antagonisme se répercutant dans les questionnements militaro-politico-moraux qui courent dans tous les albums) qui vont dynamiser les histoires elles-mêmes. 

Petit message passé en douce. Ça peut pas faire de mal.

La série est à son meilleur (comme ici) quand elle concentre et multiplie les oppositions et les conflits entre le plus de personnages différents possibles, donnant du mordant et du rythme à toutes les scènes.

Le gradé-qui-ressemble-à-Futé-dans-l’agence-tout-risque ne fait pas que boire du café durant plus de 2000 pages de bande dessinée : il crée un antagonisme (et dynamise les scènes entre généraux).

Dans le livre qui nous occupe, Chesterfiel et Blutch (qui se chamaillent) (en bleu) sont sous les ordres du major Ransak (qu'ils n'aiment pas). Ils rencontrent les cousins de Chesterfield (qu'ils aiment bien mais qui sont en gris) (ils doivent donc se tirer dessus). Pour ne pas avoir à se battre, Chesterfiel va mentir à Ransak, et les cousins vont mentir à leur capitaine (qu'ils aiment bien, pourtant). Ça se complique encore d'un cran lorsque le capitaine des cousins reçoit l'ordre de mentir au major de Chesterfield.

MISÈRE...


Meuh non, où allez-vous chercher ça…

Les auteurs ont donc le syndrome Gilles de la Tourette de l’antagonisme : ils en foutent dans tous les coins. Ils les multiplient durant toute l’histoire, les rendent à la fois mouvants (les personnages changent de camp) et très logiques (les personnages ont toujours la même opinion ; seulement, cette opinion est soutenue parfois par un camp, et parfois par un autre) (ce qui sert le non-manichéisme des auteurs).

 Chesterfield ne fait pas n’importe quoi : c’est juste que son camp n’est plus du côté de sa morale personnelle. Alors il change de camp. Blutch, qui n'est dans aucun camp, ne bouge pas et sert de pivot. C’est compliqué la guerre.

Cette mobilité des personnages permet de passer d’une scène à l’autre tout en souplesse (on suit un personnage, il était dans un camp, pouf, il arrive dans un autre) tout en faisant ressortir à chaque fois l'ironie des différentes situations. (Pourquoi s'accrocher à cet antagonisme si on l'abandonne quatre cases plus loin ?)

Le jeu du « Marabout...Bout de ficelle...Selle de cheval » au fil des cases,  des personnages, et des enjeux.

ESSAYONS D'ÉNUMÉRER LES DIFFÉRENTES OPPOSITIONS CONTENUES DANS LE LIVRE.

L'affrontement classique (dans un album des tuniques bleues) entre Chesterfield et Blutch.

Une bonne gueulante, c’est toujours rigolo.

L'affrontement non moins classique Nord / Sud. (Une bonne guerre, y a qu’ça d’vrai.)

Antagonismes très légers entres personnages limite fleur bleue.

Des soucis qui dépassent les deux camps.

Savoir rester positif.

Et des camps qui dépassent les soucis.

Il faut se préparer au pire. Et le pire, Monsieur, c’est la guerre.

ROULEMENTS A BILLES DE DOMINOS.

Si on essaye de regarder plus particulièrement la fameuse relation entre Chesterfield et ses cousins (autant se concentrer sur le titre du bouquin), on peut voir qu’elle évolue sans arrêt, au gré des différentes alliances, des différentes situations.

Au centre de tout ceci, il y a la relation familiale et amicale certaine entre les trois personnages. Quand plus rien n’est possible, Chesterfield sort de son rôle de sergent-sans-peur et sauve la vie de ses cousins. Mais quand aucune vie n’est mise en danger, les personnages regagnent leurs camps et redeviennent des subordonnés. La relation Chersterfield / cousins est toujours là, mais ce sont d’autres liens qui prennent le relais et viennent au premier plan.

De cette manière, le récit ne perd jamais de sa continuité, de sa cohérence, de sa fluidité, mais il reste très varié, très vivant. Quand on épuise une situation, on passe facilement et rapidement à une autre. Et tout s’enchaîne comme une ligne de dominos. Quand le domino « Chersterfield et les cousins » est tombé (que la situation a bien était utilisée), sa chute entraîne un autre domino et on passe à « Les cousins et le capitaine », qui entraîne le domino suivant, etc… 

Toutes ces oppositions sont comme des roulements à bille aidant le récit à fonctionner avec le plus de douceur et de fluidité possible.

On était avec les bleus, mais les bleus bas de gamme, la piétaille qui a froid aux pieds (le domino « Blutch et Chesterfield »). Grâce aux dominos «Blutch et Chesterfield se disputent » et « Chersterfield et Ransack », on va aller un peu se réchauffer dans le wagon.


De plus, toutes ces oppositions nourrissent la scène. Tous les personnages se cachent des choses, il y a des duplicités à tous les niveaux, on voit les personnages froncer les sourcils, transpirer. Tout cela les rend d'autant plus vivants.

« Les cousins et le capitaine. »

« Chersterfield et les cousins. »

« Chersterfield et le capitaine. »

On était dans le camp des gris. Chesterfield passe. Grâce aux dominos : « le capitaine aime bien les cousins » et « les cousins aiment bien Chesterfield », on passe dans le camp des bleus, et on va suivre désormais ce que fait Chersterfield. 

Comme je l’espère, vous pouvez voir qu'il s'agit vraiment d'un jeu de « Marabout » - « Bout d'ficelle » - « Selle de ch'val » - « Ch'val de course »… Sauf que nous avons :  « Le capitaine et les cousins » - « Les cousins et Chersterfield » - « Chersterfield et Ransack » - etc…

(Des dominos, des roulements à billes, des selles de ch’val ! Que de métaphores (à la noix) !)

Quand il n’y a plus d’enjeux, que l’histoire est finie, qu’on n’a plus besoin de relancer la machine pour raconter autre chose, les antagonismes deviennent inutiles et disparaissent.

Finalement, on est tous copains.

ALORS, BIEN SUR, C’EST COMPLIQUE.

Mais cela permet de faire des cases dans lesquelles « il se passe quelque chose ».

Les personnages sont vivants, ils pensent, ils s’engueulent, ils se moquent, ils se cachent des choses, ils essayent de se comprendre. Ils sont mouvants. Ils sont humains. C'est cette humanité qui diffuse dans tous le livre et appuie / rejoint / est supportée par le thème anti-militariste de l'histoire. C'est cette humanité qui nous séduit, nous intéresse, nous accroche, et nous pousse à suivre une belle histoire.

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