Dans Dans un grand rayon de Soleil, Tillie Walden (traduction de Alice Marchand) décrit une sorte de réalité parallèle idéale, dans laquelle la question de l'homosexualité ou de la transidentité ne serait, justement, plus du tout une question. L'homosexualité ou la transidentité des personnages est simplement présentée comme telle, sans que cela soit expliqué, décrit, avancé, justifié, décortiqué, analysé, sans que cela ne soit un sujet d'aucune sorte. C'est comme ça et puis c'est tout. Pourquoi, comment, à quel moment, de quelle manière ? On s'en tape. Ce n'est pas le sujet du livre. Point. On passe à autre chose, à savoir le récit en lui-même.
Cependant, il y a un élément dans le récit qui soutient cette vision et qui permet au lecteur de l'épouser immédiatement : les personnages évoluent dans un univers incertain, changeant, littéralement mouvant.
Le début se déroule dans une école flottant dans l'espace. Rien autour d'elle. Aucune réalité à laquelle s'accrocher. Les personnages se déplacent ensuite dans un vaisseau poisson, sans qu'on sache trop comment cela fonctionne. C'est à la fois animal et mécanique, souple, et ampli de pièces rigides classiques. Ils arriveront ensuite dans un monde explicitement mouvant, dont la géographie, les collines, les montagnes, les mers se modifient sans arrêt.
Privé de repère (et, pour une fois, ce n'est pas une métaphore, le lecteur est réellement, littéralement privé de repères, il n'y a rien à quoi se rattacher : soit les personnages vivent au milieu du vide, soit dans un lieu qui change tout le temps et dont les règles de ce changement échappe à notre logique), privé de repère, le lecteur va se raccrocher aux seuls éléments tangibles de l'univers dépeint, à savoir : les personnages.
Eux, au moins, sont là sans interruption. On a focalisé le récit sur un groupe de 5 personnages principaux, et voilà, c'est tout, ça ne changera plus du début à la fin. Ce sont eux nos points de repère, nos points d'encrage dans l'histoire. Les seuls à qui se référer pour comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe. Ainsi, la réalité des personnages devient la seule réalité compréhensible du livre. Nous vivons, nous comprenons cet univers à travers eux. Ce sont les supports et les vecteurs de nos émotions.
Leur réalité devient notre réalité. Leur manière de vivre devient notre norme. Leur point de vue devient notre point de vue.
Quand de nouveaux personnages entrent en scène :
1°) Soit ils sont d'accord avec les personnages que l'on connait déjà et ils s'agrègent facilement à ce que l'on connait déjà, ils épousent les points de vues que l'on a déjà épousés, ils se mettent à côté de nous et des personnages.
2°) Soit ils s'opposent aux personnages principaux et ils sont eux mêmes décrits de manière floue et incertaine. Ils sont, au mieux, des ombres fluctuantes. Rien à quoi on peut s'identifier ou rien auprès de qui on peut se rapprocher. Ils rejoignent la partie mouvante, sans prise, qui se situe hors des personnages.
À contrario, les personnages principaux (ou les personnages secondaires qui épousent le point de vue des personnages principaux) sont la plus part du temps en groupe (c'est à dire que le contraire peut être vrai mais n'arrive que sur moins de 5 % du récit) (ou, je fais des statistiques, c'est précis). Par deux, par trois, par cinq, les personnages évoluent ensemble. Et quand ils ne sont pas ensemble, ils veulent se retrouver les uns les autres.
Là encore, tout se passe comme si le monde incertain tombait par petits bouts autour des personnages et que la seule manière de se retenir aux branches était de se lier les uns aux autres. Le scénario et la géographie des lieux créent des situations dans lesquelles le plus important reste l'attachement que les uns ont pour les autres.
Le lien comme seule réalité dans un monde totalement délié.
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