Dans le billet précédent, j'ai essayé d'expliquer qu'il y a des cases rectangulaires horizontales, des cases rectangulaires verticales et des cases carrées.
L'HORIZONTALITÉ, LA VERTICALITÉ, ET LA CARRÉITUDE.
Les cases rectangulaires horizontales se situent plus dans le flux de la narration, suivant le même mouvement que le regard du lecteur, de gauche à droite. Les cases rectangulaires levées s'opposent à ce mouvement. Donc, quand on veut freiner la lecture on utilise une case rectangulaire levée, et quand on veut l'accélérer, on utilise une case rectangulaire couchée. Mais, bon, ça, c'est de la théorie, parce que quand on veut, on peut, et, parfois, quand on n'a pas le choix, on peut accélérer des cases verticales et freiner des cases horizontales.
(Et les cases carrées ? Bin, grosso modo, c'est une sorte de compromis entre les cases verticales et horizontales, mais, pour la faire court, c'est pareil, en un peu plus compliqué dans la composition.)
La première case est horizontale et sa composition suit bien le sens de lecture.
Par contre, la seconde est toujours aussi horizontale, mais sa composition s'oppose à ce sens
(par un personnage qui bloque et un autre qui va dans le mauvais sens).
La seconde s'accélère brusquement alors qu'on ne s'y attend pas et qu'un coup de pistolet vient durcir le ton.
La dernière suspend son vol comme Valérian suspend son saut.
Puis, une nouvelle fois, une case à la fois en suspension et dans le sens opposé à la lecture.
Au final, on s’aperçoit que Mézières, finalement, alterne les cases. Une fois il accélère, une fois il freine. Pourquoi ? Est-ce qu'il est gâteux et qu'il fait n'importe quoi ? Non. Il veut rendre la cavale de Valérian à la fois chaotique (ça change tout le temps de rythme), incertaine (on croit qu'il s'échappe, puis il est stoppé, puis il s'échappe, etc...) et agréable à suivre (Valérian ne peut pas être que bloqué, il faut un peu d'action quand même, Valérian ne peut pas que fuir, ce serait trop facile).
Bref, c'est de l'entertainment.
MAIS POURQUOI LA SECONDE LIGNE N'EST COMPOSÉE QUE DE CASE VERTICALES ? ÇA N'AURAIT PAS ÉTÉ PLUS SIMPLE DE FAIRE DES CASES HORIZONTALES QUAND VALÉRIAN FUIT ?
Parce qu'on ne fait pas ce qu'on veut dans la vie (enfin, sauf quand son nom de famille est Poutine), et spécialement en bande dessinée (enfin, sauf quand on s'appelle Franquin) (quoique Mézières se défend quand même pas mal) (ce que nous allons voir) (je mets un petit coup de suspense pour vous tenir éveillé) (et pour me faire pardonner d'avoir comparé Franquin et Poutine, c'est un peu idiot).
IL FAUT DE TOUT POUR FAIRE UN MONDE, TU SAIS, IL FAUT DE TOUT POUR FAIRE UN MONDE.
On voudrait bien mettre toutes les cases qu'on veut, avec les formes qu'on veut, où on veut. Mais non. Il faut les faire rentrer sur une page. On vous explique que la forme de la case conditionne presque à elle seule le conditionnement du lecteur et sa manière de ressentir le récit. Et, ensuite, on vous explique que, nonononon, on ne peut pas faire ce qu'on veut. Ça se complique.
Dans le premier strip, Mézières utilise seulement deux cases horizontales et fait mumuse avec le sens de lecture.
Mais du coup, il doit caser beaucoup plus d'information ensuite (ce qu'il a négligé en premier strip), donc il case une grande case verticale pour mettre plein de bulles. Et ensuite il est coincé et doit continuer à faire des cases verticales.
Pour rattraper le coup, il veut balancer une grande case horizontale bien fluide, mais est ensuite contraint de finir sur une petite case carrée, qu'il décide de traiter à l'inverse de la case précédente, (composition, sens, suspension de l'action, tout ça).
MÉNAGER LA CHÈVRE ET LE CHOU.
Tout le travail du dessinateur est :
1) D'adapter les cases au récit et trouver, en quelque sorte, la forme idéale des cases.
2) Puis d'adapter les cases à la page et faire en sorte de modifier le récit, l'intention, ou la composition, pour que ce récit modifié induise des formes de cases modifiées, qui les fasse toutes rentrer dans le grand rectangle de la page.
QUAND JE PARLE D'ADAPTER LE RÉCIT À LA FORME DE LA PAGE, ENTENDONS NOUS BIEN SUR LE TERME DE « RÉCIT ».
On parle plutôt, là, de la version la plus épurée du récit : l'action. Le dessinateur va se dire « bon, là il court, ça va prendre trop de place, je vais plutôt le faire sauter » « là, j'ai une grande case rectangulaire couchée, qu'est-ce que je vais bien pouvoir y mettre » « là, j'ai une case rectangulaire levée, comment je peux m'y prendre pour ne pas casser la dynamique de mon récit »
Valérian fait, dans ces deux cases, plus ou moins la même chose (il prend la fuite),
mais il le fait de deux manières très différentes pour s'adapter à son format de case
(une case en fluidité de lecture et une case en bond suspendu dans l'espace et le temps).
mais il le fait de deux manières très différentes pour s'adapter à son format de case
(une case en fluidité de lecture et une case en bond suspendu dans l'espace et le temps).
Valérian fuit à vélo des passants qui lui balancent des trucs à la tête, tout en s'adaptant au format de la case.
MAIS CE QUI COINCE MEZIERES, CE SONT LES STRIPS ? IL SUFFIT DE S'AFFRANCHIR DE CETTE CONTRAINTE, DE FAIRE N'IMPORTE QUOI, ET TOUT SERA BEAUCOUP PLUS FACILE ?
Eh bien non !
Voilà.
Moi, j'ai fini.
Salut.
ROOOOOOHHHHHH. ALLLLLEEEEEZZZZZ, EXPLIIIIIQUE.
Bon, si vous insistez...
La contrainte seconde d'une bande dessinée, après la page en elle-même, et le sens de lecture. Peu importe ce que l'on fait, on est conditionné pour aller de gauche à droite. Si le personnage va de droite à gauche, ok, on peut encore gérer. Mais s'il va dans tous les sens, alors on sera paumés, on ne saura plus par quel bout prendre la lecture, la page, son rythme, sa signification.
On voit justement parfaitement ceci dans cette page, qui est construite exprès pour montrer que Valérian va d'un côté,
de l'autre, et qu'il n'arrive pas à trouver d'issue, qu'il y a des poursuivants partout.
Même si on voit qu'il y a un mouvement qui se suit de flèche en flèche, ça part dans tous les sens, le plus souvent dans des verticales qui tuent le mouvement, bref, c'est chaotique, c'est n'importe quoi, c'est le bordel.
Donc, peu importe la manière d'agencer les cases, on est piégé par le sens de lecture et le format de celle-ci. On doit forcément en tenir compte, pour jouer et l'envoyer péter et faire une page chaotique, ou pour respecter les codes et essayer de maximiser leurs effets ; peu importe, il faut en avoir conscience.
MAIS SINON, MOI, J'AI UNE QUESTION.
Ah bon ?
ENTRER DANS UNE PLANCHE. C'EST DÉBILE. ON PEUT PAS ENTRER DANS UNE PLANCHE. IL EST POURRI TON TITRE. TU T'EN ES RENDU COMPTE OU BIEN ?
À d'accord... Je vois le niveau... Nan mais une planche, c'est l'autre nom d'une page de bande dessinée, quoi.
Bon bin puisque c'est comme ça, je vous reparle du mystère de la page la semaine prochaine.
Bon bin puisque c'est comme ça, je vous reparle du mystère de la page la semaine prochaine.
Dans le soleil du monstre, Bilal a tenté de résoudre ce problème de planches de manière originale : il traitait chaque case comme un tableau, réduit ensuite à la taille voulue. Le résultat est mitigé (c'est le bordel entre les cases) et il semblerait qu'il a abandonné cette technique.
RépondreSupprimerC'est vrai que ça n'a pas donné grand chose de bon, cette méthode. Justement, la composition des cases était trop séparée de celle des planches, du coup, on avait souvent une composition "circulaire" des cases ; une composition équilibrée, mais qui ne donnait pas envie de lire la suite.
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