Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 11 février 2016

La bande dessinée est un multi-mythe intelligent.

Superman nous montre comment on doit se comporter quand on a un super-QI avec une centaine de points de plus que la moyenne.


Grant Morrison, Frank Quitely, Jamie Grant, All-Star Superman, DC Comics.

ATTENDS ATTENDS, T'AS DIT « SUPERMAN » POUR PARLER D'UN TYPE SUPER INTELLIGENT ?

Ha bah oui. Le mec rusé. Le mec finaud. Le mec vif comme l'éclair. Le mec qui fait en sorte que les autres agissent suivant ses envies/besoins/buts propres. Le mec qui sait se servir mieux de son cerveau que de ses muscles. Ça me parait évident : c'est Superman.

TU VOULAIS DIRE « BATMAN », JE PENSE, NON ? « LE PLUS GRAND DÉTECTIVE DU MONDE », C'EST BATMAN.

Non non non non non... Superman. On oublie souvent que Superman n'est pas doté que d'une super-force, mais qu'il un global-package qui le rend super tout.


Et ce qui fait la plus grande force de Superman (arrêtez de me couper Monsieur), c'est sa force morale et son intelligence.


C'est ÇA la caractéristique première de Superman, et pas tout le décorum à base de rayons qui sortent des yeux et de slip au dessus du pantalon.

Comme l'explique très bien Max Landis ici :


BREF.

Le monde se divise en trois catégories : les gens intelligents gentils, les gens intelligents méchants, et les gens pas intelligents.

LES GENS INTELLIGENTS GENTILS.

S'en sortent toujours. C'est une constante. S'ils arrivaient à se faire choper par le méchant de service, cela prouverait qu'ils n'ont pas assez anticipé les coups de leur adversaire, et donc qu'ils ne sont pas assez intelligents pour le faire. Or, ils le sont. Donc, à moins de glisser sur une peau de banane dans sa cuisine, vouloir se rattraper à une casserole d'eau chaude et finir malencontreusement la tête dans le piège à loup qui cuisait dans le four (ce qui est hautement improbable, ne nous leurrons pas), les héros intelligents ne peuvent pas perdre.

La capacité de Superman est justement d'anticiper les coups et de faire en sorte que le plus grave n'arrive pas. Donc autant qu'il applique ça à lui-même aussi;

Anticipation. Tel est le maître mot du super-héros intelligent. (Plus la voix grave et le regard triste, si c'est Batman.) 

À partir de là, on pourrait se dire que le récit ayant comme protagoniste un héros intelligent sont chiants comme la mort : on sait qu'il va gagner, arrêtez de nous faire suer et venez-en directement à la conclusion de tout le bazar, qu'on en finisse.

Sauf qu'on sait qu'il va gagner, mais pas comment. Et tout l'intérêt du dispositif se trouve là. Parce que cela crée un suspense, qui tient en éveil jusqu'au bout. Superman ne peut pas perdre. Et même s'il perd, c'est pour mieux gagner plus tard. Et même s'il meurt, c'est pour mieux re-vivre plus tard. Et même s'il re-meurt, on ne se demandera pas « Pourquoiiiiiii ? Pourquoiii est-il mooooort ? Lui qui était si gentiiiiiiiiil ? »  mais bien : « Nom d'un petit bonhomme, cette fois-ci, ça m'a l'air chaud, je me demande bien comment il va réussir à revenir... ».

C'est vrai que le coup de la mort du héros, c'est une peu le « on peut tromper mille personne une fois, on peut tromper une personne mille fois, mais on ne peut pas tromper mille personne mille fois » des comics. À un moment, ça va bien.

C'est toute la différence entre le suspense et la surprise.

Des gens parlent dans un train. Soudain, une bombe placée sous leurs siège explose. Surprise.

Des gens parlent dans un train et on sait qu'une bombe est placée sous leurs sièges. Va-t-elle exploser? Et si oui, quand ? Suspense.

Des gens ont placé une bombe dans la batmobile. Va-t-elle exploser ? Et si oui, quand ? Et si oui, comment Batman va-t-il s'en sortir ? Et s'il ne s'en sort pas, comment s'en est-il sorti quand même, même si on le nous le dit pas tout de suite, dans dix numéros, on le saura bien. Suspense, donc.

Ha mais tu vois que tu en arrives à parler de Batman. On en arrive toujours à parler de Batman. C'est obligé. 
À mon avis, on peut pas écrire un post de bande dessinée potable sans parler au moins une fois de Batman.


Au final, l'intérêt du récit au héros intelligent est d’essayer d'anticiper les coups de ce fameux héros et de ses ennemis. On essaye de se mettre dans la tête de l'ennemi pour comprendre ses buts et anticiper ses actions. Ce faisant, on se met dans la tête de Superman, qui fait de même. Puis on se met dans l'esprit de l'ennemi cherchant à comprendre comment le héros va parer ses coups, et on essaye de trouver une parade. Se faisant, on se place dans l'esprit du héros qui essaye d'anticiper les coups de son ennemi qui se place dans l'esprit de son ennemi qui essaye d'anticiper les coups du héros.

Superman essaye de dialoguer et de trouver la meilleure solution à long terme avec l'espèce de sphinx bodybuildé
Sa solution n'est pas la plus sexy, mais c'est celle qui tient le mieux compte de toutes les anticipations possibles.

Bref : tout devient terriblement compliqué. Une seule chose est sûre : celui qui perdra sera celui qui aura le moins de coups d'avances sur son adversaire. 

LES GENS INTELLIGENTS MÉCHANTS.

Sont souvent entourés de débiles. 

Très peu de héros intelligents méchants (Richard III, Iago, Néron, un personnage sur deux du théâtre classique, en gros) sont confrontés à des némésis gentilles de talent (au contraire des héros intelligents gentils, qui se galèrent toujours avec des psychopathes du crime au QI sur-développé).

Et le Jocker ? C'est de la crotte de bique, le jocker, peut être ? Et Double face ? Et Bane ? Et l'épouvantail ?

C'est que, là, les rôles s'inversent. On est content si le méchant meurt, on ne peut donc pas organiser un suspense sur ce fait. Comme on n'est pas des sadiques, on n'espère pas que le méchant intelligent meurt à la fin, on n'est pas là à se dire « mais, punaise, tu vas crever, saloperie ». Parce que, nous, on est gentil. Par contre, a contrario, s'il meurt, on ne va pas non plus verser sa larmichette. Il était méchant, il meurt, on n'en parle plus, bon débarras. Ce n'est donc pas un enjeu dramatique suffisant, puisque, qu'il se passe une chose ou son contraire, on s'en tape un peu. Rien ne sert donc qu'il ait un ennemi de sa classe

Le vrai suspense est : « va-t-il arriver à ses fins ? ». « Va-t-il être suffisamment intelligent pour berner tout le monde ? » « Jusqu'à quand va-t-il réussir à tenir ses mensonges ? » « Va-t-il réussir à adapter son plan aux obstacles qu'il rencontre ? » « Son plan va-t-il tenir la route »

Et, là, j'ai un super exemple de méchant dans Watchmen de Moore et Gibbons mais je ne peux rien dire, sinon je spoile. 
Mais, bon, disons juste que durant tout le bouquin, il y a un compte à rebours qui déroule, et qu'on se doute bien que c'est le compte à rebours du plan du méchant, et que ce compte-à rebours est bien la matérialisation 
de ce fameux suspense que j'essaye d'expliquer ci-dessus.

LES GENS PAS INTELLIGENTS.

On s'en fout, c'était pas le sujet du post.

OÙ J'EN ÉTAIS ? ARRÊTEZ DE ME DÉCONCENTRER.

Que le héros intelligent soit méchant ou gentil, ce qui compte dans tout ça, c'est le plan. L'échiquier géant dans lequel sont engagés tous les personnages. Est-ce qu'il va réussir à dominer intellectuellement l'univers qu'il occupe et les personnages qui l'occupe ?


Ce faisant, chaque objet, chaque lieu, chaque personnage, chaque élément de l'univers occupé par le personnage intelligent peut être amené à lui servir un jour dans son jeu d'échec. 

Sherlock Holmes est le plus efficace exemple de cette conception : il connaît le plan de Londres par cœur et les aspects des cendres de tous les tabac fumés dans l'Empire Britannique, il a des amis et informateurs parmi toutes le couches de la société de la ville, et sait exactement à quelle heure arrive chaque train à Londres. Est-ce qu'il connaît le nom de la reine d'Angleterre actuelle ? Peut être pas, à moins d'avoir eu à travailler pour elle. Est-ce qu'il connaît toutes les sociétés secrètes qui ont comploté contre le royaume ? À coup sûr. Il est le maître d'un terrain de jeu qu'il a lui-même défini. Si un adversaire arrive à le défier, son travail sera de l'amener à lutter dans se terrain de jeu (Sherlock Holmes ne fait qu'une bouchée des brigands, parce qu'ils évoluent justement sur son terrain de jeu), ou a étendre son terrain jusqu'à ce qu'il puisse contenir l'adversaire en question (transportez Sherlock à Baskerville, et il met un peu plus de temps pour régler la situation, puisqu'il n'évolue plus dans son milieu naturel).

Ulysse gagne parce qu'il arrive à faire croire au géant Polyphème qu'il n'est « personne ».

Richard III gagne, parce qu'il arrive à convaincre les autres personnages de sa vision du monde.

Batman gagne parce qu'il arrive à faire plus peur à l'épouvantail que le contraire. À ne pas être rendu fou par le Chapelier Toqué. À être moins psychopathe que le Jocker.

Superman gagne parce qu'il convainc les gens et les entraîne.

Rhôôlàlà, le relou, genre, je convainc les gens, ils m'aident, tout le monde est content. 
Pas le moindre bras cassé ? Pas la moindre vanne pour exprimer son sentiment de supériorité ? Les bonnes choses se perdent.

Au final, en suivant ce héros intelligent, nous observons les moyens qu'il met au point pour réussir à convaincre les autres protagonistes que c'est sa vision du monde qui doit l'emporter. Nous observons son monde tel qu'il le voit, le pense, l'anticipe, l'utilise, le construit, et l'étend.

Le héros intelligent n’évolue pas dans un univers commun ; il évolue dans un univers modelé par sa propre intelligence et projette sa vision du monde, son univers intérieur, dans l'histoire qu'il vit

Je suis désolé, mais Superman sauve la vie de cette gamine en essayant de la convaincre de son point de vue, mais que propose-t-il en terme de perspectives professionnelles ? Hein ? Rien. Il est beau le héros ! On dirait une politique de gauche, tiens !

L'important, dans les récits de Sherlock Holmes, n'est pas de découvrir qui est le coupable (puisqu'on ne peut jamais le deviner, puisqu'on n'a jamais à notre disposition les indices que voit Holmes), mais de se laisser posséder par l'ambiance gothico-victorienne du Londres décrit par les récit.

L'Odyssée est à la fois la description de tout le monde connu à l'époque par les grecs (légèrement romancé) et le nom du protagoniste principal (parce qu'à la base, Ulysse, il s'appelle Odysseus ; et l'Odyssée, ça se traduit plutôt comme « l'aventure d'Odysseus »).


Le sujet même du héros intelligent est de montrer cette intelligence en marche. Le propos même de cette intelligence est de pouvoir influer sur son environnement plus ou moins proche (les gens, les objets, le décor). Plus cette intelligence sera forte, plus elle arrivera à contrôler, dessiner, créer, et modifier l'univers dans lequel elle évolue, jusqu'à en faire un monde à son image. 

De fait, le personnage intelligent n'est plus un simple personnage. Il est un univers entier à explorer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Exprimez vous donc...