Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 27 août 2015

La bande dessinée faite de héros en série.

Tome, Stuf, et Janry nous montrent ce que sont des héros.


Bon, mais alors, avec tout ça, qu'est-ce qu'une bonne série ? Et est-ce que ça a un intérêt de faire une série plutôt que des livres solitaires ? Est-ce que Janry, Stuf, et Tome ont réussis leur coup sur Spirou et Fantasio ?

UNE BONNE SÉRIE SE RENOUVELLE.

Pour moi, on pourrait dire qu'une série est bonne si :

CHAQUE BOUQUIN EST BON.

Là, je pense pas qu'il faille expliquer : pour que la série soit bonne, faut que chaque livre soit bon. C'est con, mais fallait y penser.

Par exemple, pour Tintin, chaque album est bon. En soit, on ne lirait que celui-là, on serait déjà content. Quoi Tintin au Congo ? Eh bin moi j'aime bien Tintin au Congo. Et alors ? On a plus le droit d'être raciste dans ce pays ? Comment ça Tintin et les Picaros ? Mais je vous dis flûte !

C'est ça de ne plus porter de pantalon de golf : ça casse le mythe.

CHAQUE BOUQUIN RÉINVENTE SA MANIÈRE.

Le boulot basique dans une série, c'est de raconter les mêmes héros et les mêmes types d'aventures trouzemille fois, tout en trouvant une petite variante, un pas de côté, une approche légèrement différente, pour justifier l'existence de cet énième album.

(Ok on sait qui est XIII, on sait ce qu'il a fait, on sait ce qu'il n'a pas fait, on sait pourquoi il l'a fait, mais attention ! cette fois-ci, on va apprendre avec quelle couleur de chaussettes il l'a fait !)

Ça a été le gros boulot de Tome sur Spirou et Fantasio : trouver une justification interne à chaque album. Et sa justification a lui, c'était d'explorer, d'éclairer, de dépiauter une donnée spécifique de la série : le manque de peur du couple vedette, leur amitié, le côté bout-en-train de Fantasio et aventurier de Spirou, la bienveillance du village de Champignac, le célibat de Spirou.

Un récit de suspense.

Un récit d'amitié.

Un récit de guerre froide.

Un récit de dépressif.

Un récit anti-raciste.

Un récit avec des bisous.

Les récits ne se répètent pas et partent dans des directions différentes à chaque fois, tout en impliquant les héros.

Finalement, on n'en apprenait pas plus sur la couleur des chaussettes du héros, mais bien plus sur la structure interne de la série et les motivations des personnages.

Bref : une série ça creuse (enfin, ça devrait), et ça creuse dans une direction différente à chaque fois (enfin, ça devrait).

C'est comme ça que Lewis Trondheim et Joann Sfar en sont arrivés à faire la série Donjon. Une série mère (Donjon), puis une série fille (Donjon crépuscule, qui se passe bien après la série mère), puis une série grand-mère (Donjon potron-minet, qui se passe bien avant), puis une série tante (Donjon parade, qui se passe durant la série mère) et une série cousines germaines (Donjon monsters, qui peut se passer n'importe quand selon les tomes). À chaque fois, les auteurs ont creusé un bout immergé de l'iceberg pour en extraire de nouvelles pépites par des chemins de traverse et je crois que je me suis perdu dans ma métaphore.


Donjon, c'est moult.

CHAQUE BOUQUIN POUSSE PLUS LOIN SA MANIÈRE.

Plus que de dessiner tel type d'aventure imposé, avec tel type de héros imposé, la contrainte ultime c'est de dessiner tout cela encore, et encore, et encore, et encore. « Nan ! Tu quittes pas ta planche de Spirou et Fantasio pour faire autre chose ! Nan ! Tu pars pas te balader ! Tu restes là et tu dessines. Et tu arrêtes de chouiner, aussi. »

Ce qui permet aux auteurs, paradoxalement, de s'améliorer.

Comme un dessinateur obsessionnel qui voudrait brouilloner cent cinquante fois le même dessin pour qu'il soit parfait avant d'enfin le publier, les dessinateurs de série, par la nature même de la série, vont dessiner cent-cinquante fois Spirou qui ronchonne, Spirou qui court, Spirou qui tombe, Spirou qui se réceptionne, Spirou, Spirou, Spirou. Et chaque dessin de Spirou courant sera comme le brouillon du prochain dessin de Spirou courant dans sa prochaine aventure.

Plusieurs Spirou qui courent de mieux en mieux.

Les coloristes, les dessinateurs, les scénaristes peaufinent, rentrent dans les détails ; ils deviennent à demi fous en voulant toujours faire mieux ; ils trouvent de nouvelles solutions plus intelligentes ou plus synthétiques ou plus belles, ou les trois à la fois ; ils font des dépressions carabinées parce qu'ils ont l'impression de ne pas trouver ces fameuses solutions meilleures que leurs solutions précédentes ; ils comprennent aussi ce qui les attire vraiment dans leur forme d'art, ils laissent de côté le superflu et se concentrent sur ce qui leur paraît vraiment essentiel (Janry s'enfonce dans une quête toujours plus profonde des détails et des volumes, ce qui l'amène à abandonner le superflu : les filles en pantalons), à force d'avoir trop réfléchi à tout ça, ils en ressortent brisés, sans plus pouvoir retrouver la magique naïveté de leurs premières approches de la bande dessinée.

Bref, c'est un cheminement merveilleux.

Je vois pas ce que vous voulez dire. Je vais très bien.

Et c'est précisément ce cheminement que n'ont pas réussi à prendre les auteurs de Donjon et tant mieux pour leurs santés mentales quoi que, Sfar, ces temps-ci, ça a pas l'air d'aller fort qu'ont suivi si brillamment Stuf, Tome, et Janry.

UNE BONNE SÉRIE EST UN ŒIL POSÉ SUR LES AUTEURS.

Si on délaisse un peu les auteurs (ces gros égocentriques) pour s'intéresser à nous (la huitième merveille du monde), notre intérêt, à nous, lecteurs, de lire des séries, ce n'est pas tellement d'observer les personnages et leurs évolutions.

On ne parle même pas des séries dans lesquelles les personnages n'évoluent pas du tout (Tintin, Astérix, Fantasio) (le genre de série qui est quand même méga-majoritaire) et que s'en est même ancré dans les statuts de la série elle-même (pour ne pas désarçonner les pauvres petits consommateurs lecteurs et qu'ils puissent commencer la série par n'importe quel bout). Dans ces cas là, l'intention est clairement de ne pas faire évoluer les personnages.

ALORS, OUI, D'ACCORD.

Il existe d'autres séries qui sont censées faire viellir/changer leurs héros... Mais, franchement, Blueberry, ils change beaucoup dans ses aventures ? Franchement ? Il prend trois ou quatre ans dans les dents et change de coupe de cheveux. Grand max. Ça reste du décorum.

Sinon, y a Buddy Longway. C'pas mal, Buddy Longway. Il évolue quand même plus que Blueberry, Buddy Longway

Y a aussi Love and Rockets, des frères Hernandez, une sorte de soap opera sensible et intelligent et un peu long quand même. 
Qui dure depuis 35 ans.

Mais ce que je voulais dire était la chose suivante : l'évolution des personnages n'est pas le coeur des séries en bande dessinée.

LE COEUR DES SÉRIES EN BANDE DESSINÉE, CE SONT LES AUTEURS.

« Qu'est-ce qu'ils nous ont encore mijoté ce coup-ci. » « Hummmm, pas terrible, ils ont déjà fait mieux. » « Dis-donc, avec cette histoire de dépression dans Vito la Déveine, ça a pas l'air d'aller fort fort pour Janry, Tome et Stuf. » « Dis-donc, avec cette histoire d'idées noires, ça a pas l'air d'aller fort fort pour Franquin. » « Dis donc, avec cette histoire de village qui se déchire à cause du pognon dans la zizanie, Le domaine des dieux, Le devin, Obélix et compagnie, ça a pas l'air d'aller fort fort pour Goscinny et Uderzo. »

Et le personnage fourbe apparut dans Astérix.

CHEZ SPIROU ET FANTASIO...

Nous avons vus nos trois auteurs tenter de nouvelles choses.

Raconter l'amitié.

Raconter la tristesse.

Raconter la solidarité

Raconter les sentiments.

Ou vouloir tout changer.

Ils ont réussi. Ils ont raté. Ils ont essayé.

(C'est bien pour ça que, malgré le fait que Machine qui rêve ne soit qu'une demie-réussite, il reste un livre marquant de la série.)

(Parce qu'ils ont essayé.)

CE SONT LES AUTEURS QUI SONT AU COEUR DE TOUT.

Ce sont les auteurs qu'on scrute mi-amicalement mi-sévèrement. Ce sont les auteurs dont on suit le chemin. Ce sont leurs capacités à se renouveler, leurs inventivités, leurs goûts et leurs passions que l'on observe. Ce sont eux que l'on voit grandir, changer, et lutter. S'enhardir, ou abandonner. Explorer d'autres voies, ou s'encroûter. Affronter leurs lacunes, ou les esquiver. Se racornir ou exploser.

Ce sont les auteurs dont on suit les luttes, les réussites et les renoncements.

CE SONT LES AUTEURS QUI SONT NOS HÉROS.

En tout cas, me concernant, Stuf, Janry, et Tome sont clairement des héros.

4 commentaires:

  1. Merci, parce que pendant les vacances j'ai relu Machine qui rêve, La Frousse aux Trousses et la Vallée des Bannis, c'était de super vacances!

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    1. Je peux lire "la vallée des bannis" vingt fois, à chaque fois que les mains de Spirou et Fantasio se serrent, mon petit coeur fait pareil.

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  2. Ils ont essayé, c'est déjà ça.

    (comme disait MacMurphy)

    De mon côté, je n'ai pas pu lire cet album, le look choisi pour Spirou par Tome, Janry et Stuf m'a paru complètement à côté de la plaque... Je me reconnais bien mieux dans les libertés qu'ont prises Emile Bravo dans son "Journal d'un ingénu" ou dans le "détournement à la source" (Rob-Vel) d'Yves Chaland... J'ai expérimenté un rejet radical et irrationnel, comme si l'album mettait en scène un inconnu en costume de Spirou...

    Un peu comme le nain lubrique qui se fait passé pour Spirou enfant chez Tome et Janry.

    Le moment où l'on tend les limites d'un personnage franchisé tellement loin que les traits distinctifs de ce personnage disparaissent à leur tour. C'est purement subjectif, j'en ai conscience, mais je crois avoir observé que je ne suis pas le seul à être rebuté par la "Machine qui rêve", et ce jusqu'aux jeunes générations présentes.

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    1. C'est vrai que "machine qui rêve" est particulier. Mais pas dénué de qualités. Ca reste un bouquin du trio magique, donc, techniquement au-dessus du lot. Avec des défauts. Mais quand même pas dégueu. Mais avec des défauts. Mais quand même... Un grand livre malade, comme disait Truffaut.

      Je trouve quand même que la lecture en vaut le coup.

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