Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


samedi 4 janvier 2014

La bande dessinée est une représentation.

(Désolé, aujourd'hui ça va parler plus de dessin que de bande dessinée.)

(Je sais, c'est moche.)

Parce que je crois bien que
Crumb va essayer de nous montrer quel est le vrai sujet d'une bande dessinée (en l’occurrence, c'est lui-même).


Oui, bin, pour une fois, une couverture. Ça fait partie d'une bande dessinée, non, une couverture ? Alors flûte !


TANT QU'ON Y EST AVEC TONTON SCHOPENHAUER, RESTONS-Y. POUR, CETTE FOIS, PARLER DE LA « REPRÉSENTATION ».

Schopenhauer part du principe qu'un daltonien ne pourra jamais imaginer comment peut voir une personne-aux-cônes-banals, et inversement. (Il ne part pas du tout de ce principe, mais j'essaye d'expliquer, chut.) De la même manière, quand on a 12 ans d'âge mental comme moi, on s’assoit sur son bras très longtemps, et après on n'a plus aucune sensation de toucher, et on rigole drôlement, et tout ce qu'on essaye de saisir est perçu différemment.


Bref : nous sommes esclaves de nos sens !

DITES DONC, C'EST DRÔLEMENT BASIQUE, SCHOPENHAUER, EN FAIT !

Ce que Schopenhauer traduit de manière ampoulée en :

Le monde est ma représentation. Cette proposition est une vérité pour tout être vivant et pensant, bien que, chez l’homme seul, elle arrive à se transformer en connaissance abstraite et réfléchie. Dès qu’il est capable de l’amener à cet état, on peut dire que l’esprit philosophique est né en lui. Il possède alors l’entière certitude de ne connaître ni un soleil ni une terre, mais seulement un œil qui voit ce soleil, une main qui touche cette terre ; il sait, en un mot, que le monde dont il est entouré n’existe que comme représentation dans son rapport avec un être percevant, qu’est l’homme lui-même.

AH ! ÇA VA ! ÇA FAIT UN PEU PLUS CHIADÉ.

On ne connaît pas vraiment l'univers. On ne le connaît qu'à travers ce qu'on en perçoit, la manière dont on le perçoit, la manière dont on le comprend.

On n'est même pas certain de ce que l'on perçoit. Nos sens peuvent être complètement à l'ouest (comme quand on s’assoit sur sa main), et, donc, la seule chose dont on soit sûr, c'est qu'on perçoit quelque chose, qu'on en a une représentation ; mais on ne sait absolument pas si cette représentation est fiable en quoi que ce soit. Seulement, on n'a que ça a se mettre sous la dent, alors il faut faire avec.

Aucune vérité n’est donc plus certaine, plus absolue, plus évidente que celle-ci : tout ce qui existe, existe pour la pensée, c’est-à-dire, l’univers entier n’est objet qu’à l’égard d’un sujet, perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation.

BREF. LE MONDE EST UNE REPRÉSENTATION.

Partant de là, et de l'idée que chacun se représente un peu l'univers à sa sauce et dans son coin, Schopenhauer enchaîne avec cette positive attitude qu'on lui connaît :
Chacun est enfermé dans sa conscience comme dans sa peau.

SAUF QUE OUI. MAIS SAUF QUE NON.

Comme j'ai essayé de l'expliquer ici, , ou , ou encore ici (je dis pas que j'ai réussi, mais j'ai au moins essayé ; paix aux âmes de bonne volonté, tout ça), la bande dessinée (et les autres arts, hein, mais si vous vouliez des analyses poussées concernant la peinture sur bois, vous vous êtes gouré d'adresse) permet de montrer, de communiquer les images qu'on a dans la tête, et, par delà, d'essayer d'impliquer le lecteur dans les propres pensées de l'auteur (comme , ou làlà ou làlàlà, lala la schtroumpf lala).

Et, parfois, ça marche du tonnerre de Brest


Dans ce cas, l'auteur ne monte pas sur un petit trépied pour nous dire « vous êtes tous des débiles, je vais vous montrer comment le monde est vraiment » (enfin, certains le disent, mais on va les laisser dans leur coin), la plupart des auteurs sont plutôt à murmurer « je vais essayer de vous expliquer comment je perçois moi les choses. ».


Ou, plus exactement encore, les auteurs perçoivent des choses, les représentent, et nous laisse nous démerder avec.

ET A CE PETIT JEU, ROBERT CRUMB EST TRÈS FORTICHE.


Robert tel qu'il se voit, avec de légers problèmes de communication.

Ha la vie est pas facile tous les jours quand on s'appelle Robert.

Ce n'est pas parce qu'on est timide, qu'on s'appelle Robert, et qu'on est (selon les mots de Schopenhauer) un peu plus « enfermé dans sa propre conscience », qu'on ne peut pas essayer d'établir une communication avec les autres. Et, pourquoi pas, via le dessin.


Robert nous explique son projet.

Partant de là, Robert a décidé de TOUT montrer. Mais alors tout tout tout tout tout. Même le moins flatteur. Sans se poser de questions. (Presque) Tout ce qu'il voit, il le dessine. Et il le dessine de manière à mieux décrire comment il perçoit l'objet dessiné. De manière à mieux décrire ce que représente l'objet dessiné pour lui.

C'EST UN PEU COMPLIQUE, ALORS DEUX EXEMPLES :


The view, les choses tel qu'il les voit, à proprement parler.

Dans son carnet de croquis, d'autres choses tel qu'il les voit, mais de façon bien moins réaliste...

LE PAYSAGE.


La manière réaliste de la première image (the View) est en fait un trompe-l’œil. Ce que nous transmet Crumb (enfin, à mon sens, selon moi, à mon humble avis, je peux me tromper), c'est l'aspect paisible de ce paysage. Le réalisme était la meilleure façon de transmettre ce sentiment, alors il a réalisé un dessin réaliste. Mais ce qui l'intéressait dans ce dessin (enfin, à mon sens, selon moi, à mon humble avis, je peux me tromper), c'était de transmettre, de sauvegarder l'impression que ce paysage avait laissé sur lui.

Sans fioriture, sans ajouts, sans perturbations extérieures, le paysage nous apparaît paisible. Tenter de le simplifier, enlever des bouts, rajouter de l'interprétation ; tout cela créerait comme une interférence entre nous et ce paysage, rajouterait d'autres analyses possibles, d'autres niveaux de lecture. Bref : ça foutrait le bordel ; et nuirait au sentiment transmis : c'est paisible.

En ce sens, ce dessin, même réaliste, est déjà subjectif, puisqu'il sauve sur le papier l'impression que le paysage a laissé dans le petit cœur mouillé de Crumb, plus que le paysage en lui-même. (Cette phrase était bien trop compliquée, je vais aller m'étendre sur mon lit quelques secondes pour m'en remettre.)

LES CHIENS.

Dans la deuxième image, pour bien transcrire la manière dont il perçoit les choses, Crumb distord
 cette fois-ci la réalité. On n'est plus dans une représentation réaliste parce qu'une représentation réaliste ne suffirait pas à fixer sur le papier ce que ressent Crumb (un côté un peu, euh... grégaire, on va dire, de l'espèce humaine).

DONC, BON.

A chaque dessin, Crumb va se glisser dans un style, va adapter au mieux son dessin pour représenter sur le papier les sentiments qui l'habitent (ce n'est pas sale) (on ne recule devant aucun gag facile) au moment de dessiner précisément ce qu'il dessine. Dans ses croquis, il est ainsi au plus proche de sa représentation personnelle du monde, de ce qu'il voit, non filtrée par l'obligation d'être compréhensible, ou accessible, ou divertissant.

ET DONC.

Crumb utilise tout le spectre du graphisme (du réaliste au caricatural) pour représenter, au mieux,  les choses telle qu'il les voit / les ressent vraiment.

A CHAQUE IMAGE, JE DONNE UNE PETITE INTERPRÉTATION, JE NE VAIS PAS RAJOUTER A CHAQUE FOIS « A MON HUMBLE AVIS », « A MON SENS », « JE PENSE QUE », MAIS LE COEUR Y EST.




On commence par le plus réaliste des réalismes réels. Pour dégager un côté « typique ».




On enchaîne avec un réalisme plus soft, moins détaillé, plus « sur le vif » (avec des mains chelous) pour transmettre (comme il l'explique dans le texte) un léger malaise.



On continue avec du « croqué sur le vif » où le trait est moins tenu mais aussi plus énergique (pour rendre l'aspect vivant des scènes avec enfants).




Ici, Crumb commence à parfois déformer les traits des personnes croquées pour essayer de mieux faire passer le caractère qu'il perçoit d’icelles. (Oui, « icelles ».)



PARENTHÈSE : JE VAIS ME FAIRE DES ENNEMIS. ENVOYEZ-MOI DES CAILLOUX, J'AIME ÇA.

Voilà pourquoi j'ai souvent du mal avec les dessinateurs dit réalistes. Il me semble qu'en étant UNIQUEMENT réalistes, ces dessinateurs se privent de beaucoup de cordes à des tas d'arcs et sont obligés de ruser pour transmettre les sentiments qu'ils veulent transmettre. Alors qu'il serait tellement plus simple de distordre un chouille leur dessin, la représentation (et donner une tête de chien à Largo Winch par exemple) (quand il est un peu triste) (pas tout le temps, hein, mais dans quelques cases) (par-ci, par-là).

Oui, mais, alors, on me répondra : « Mais t'as rien compris, pauvre pomme ! » (déjà, je trouve ça fort cavalier) « l'auteur réaliste veut représenter le monde tel qu'il est, pas tel qu'il le perçoit. ». Et moi de répondre : « Oui mais, justement, on ne connaît pas le monde tel qu'il est... On est enfermé dans sa conscience comme dans sa peau. Et tout ce qui existe, existe pour la pensée, c’est-à-dire, l’univers entier n’est objet qu’à l’égard d’un sujet, perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation. Donc, une manière réaliste de représenter le monde, ça n'existe pas. Autant le représenter tel qu'on le voit nous»

FIN DE LA PARENTHÈSE : JE SUIS PRÊT, FOUETTEZ-MOI, J'AI DU MERCUROCHROME.






Les déformations deviennent de plus en plus importantes pour rendre la personne croquée telle qu'elle est perçue par Crumb.



Et ça ne va pas en s'arrangeant.
Puisque, parfois, une simple petite déformation ne suffit pas à rendre le sentiment qui habite Crumb 
(texto : « I'm a piece of shit » ; bigre), il faut pousser le bouchon un peu plus loin, et y aller franco. Le dessin devient un système de pure captation sensible de ses représentations intérieures


... Jusqu'à carrément donner dans le métaphorique...


ET, LA, UNE AUTRE (PETITE) PARENTHÈSE.

On a beaucoup parlé de dessin, mais on peut élargir cela aussi au scénario. Le scénario, aussi, représente des trucs. Des personnages. Qui parlent de telle manière. Qui agissent de telle autre manière. Par exemple, ici, le scénario, ou ce qui en tient lieu (« je vais foutre un mec dans une boîte et ça va faire comme quand on est prisonnier de notre condition humaine ») fait partie intégrante de ce que Crumb veut représenter. Le dessin, ensuite, est schématique, parce que ce qu'il représente est lui-même un schéma : une idée. Le scénario est la matière première de la représentation des actes des personnages.

FIN DES DIVERSES PARENTHÈSES.


Bref, on peut déformer le dessin autant qu'on veut, pourvu qu'il s'agisse de servir / traduire / transcrire ce que l'on représente.


ET PUIS BON, FINALEMENT, ON PEUT CROISER LES EFFLUVES POUR REPRÉSENTER DIFFÉRENTS SENTIMENTS DANS LA MÊME IMAGE.


Des tas de niveaux de réalismes et de représentations différents dans la même image.
Ce qui nous met la tête dans le même état que le... euh... petit gnome sur le dos de la madame.


ET POUR EN REVENIR A CETTE HISTOIRE DE SUJET...

Finalement, Crumb laisse ses sentiments influer sur son dessin, le transformer. Ce dessin devient donc un système de captation sensible des sentiments qui traversent Crumb au moment de réaliser celui-ci. 

Le sujet, le vrai sujet de ses bandes dessinées (et de touuuutes les bande dessinées de l'uuuuuuuniiiiiveeeeeers), c'est la simple manière qu'a Crumb de voir/comprendre/sentir/ressentir les choses.

Ou, comme le disait Arthur :
Ce qui connaît tout le reste, sans être soi-même connu, c'est le sujet. Le sujet est, par suite, le substratum du monde, la condition invariable, toujours sous-entendue, de tout phénomène, de tout objet ; car tout ce qui existe, existe seulement pour le sujet.

Le sujet n'est pas le sujet. Le sujet est la manière d'observer le sujet.

BOUM ! JE ME LA PÈTE AVEC DES PHRASES IMBITABLES !



Autoportrait tout en nuances.


EN MÊME TEMPS, SCHOPENHAUER EST MORT TOUT SEUL EN FAISANT HÉRITER SON CHIEN.

DONC, LAISSEZ TOMBER, J'AI SÛREMENT RACONTÉ QUE DES CONNERIES.



ET BONNE ANNÉE BIEN SÛR !

10 commentaires:

  1. Bonne année à toi aussi !

    Je suis toujours impressionné par ces auteurs capables de manier plusieurs styles graphiques selon ce qu'ils veulent faire ressentir. Ce n'est également pas donné à tout le monde et beaucoup (trop ?) de dessinateurs de BD s'enferment vite dans un style où ils trouve un confort (voire le succès)

    interlude privé : as-tu reçu mes mails ?

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    1. Se définir un style, ça veut aussi dire pouvoir l'explorer et le maîtriser à fond, pour pouvoir en exprimer la quintessence.

      Au final, il vaut quand même mieux maîtriser très bien un seul style, plutôt que de naviguer entre trois ou quatre genres de dessins et être mauvais dans tous.

      Mais c'est pour ça que Crumb est un gros boss. Parce qu'il a réussi à être à l'aise dans des dessins aux niveaux de réalismes très différents tout en étant à un très haut niveau de qualités à chaque fois.

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  2. Ha ha, très bonne note, toujours aussi stimulante... Et comme je suis stimulé, je vais réagir... D'abord je préfère nettement Crumb à Schopenhauer, ce vieux réac, qui n'a fait que saupoudrer de sous-kantisme (on dirait qu'il s'est arrêté au premier quart de la critique de la raison pure, ce qui peut se comprendre mais n 'est pas très sérieux) ce qu'il a retenu de la philosophie védique... Et avec quelle grotesque prétention, surtout lorsqu'il veut jouer au libre penseur alors qu'il reste englué dans les préjugés bourgeois de son époque (un peu comme son disciple/ennemi, là, celui qui rêvait au surhomme pour oublier son statut de petit professeur binoclard traînant sa misère sexuelle). Enfin Bref, au moins Crumb, ne se prend pas pour un surhomme, au moins il est lucide sur lui même et sur ce qui fait qu'il voit les choses comme il les voit.
    Sur les dessinateurs réalistes qui sont si dépourvus de surprises... Oui, c'est vrai, mais c'est ce qu'il faut si on veut raconter une histoire et si on considère que c'est ça qui est important. Pour qu'on croit à l'histoire, l'auteur doit s'effacer, il doit faire croire à l'objectivité. Alors je sais, vous répétez à longueur de blog que le sujet n'est pas important, juste la manière de le traiter... Sauf si l'objectif principal est vraiment de raconter des histoires ou de témoigner par le biais de la bande dessinée. Je dis pas que la bd doit se cantonner à ça... J'avoue même que les histoires, au cinéma, dans les livres non dessinés ou en bd, ça me gonflent de plus en plus ! Je ne suis plus un gamin, je veux autre chose. Il n'empêche qu'il y a toujours des histoires, et des témoignages aussi. Il y a un auteur qui témoigne et dont le style est proche de celui de Crumb et c'est Joe Sacco. Dans « Journal d'un défaitiste », Joe Sacco, fait du Crumb, du « subjectif », tout en témoignant aussi parfois. Mais dans Palestine, Gaza 56, ou Reportages, il témoigne avec une force d'autant plus grande qu'il abandonne une part de sa subjectivité, qu'il opte pour un dessin plus « réaliste ».
    Voilà : la Bd ne sert pas que « l'Art » (ou que le cochon) (si c'était le cas, elle risquerait de s'enfermer dans le solipsisme, comme les phisosophes fous). Elle sert aussi à raconter des histoires et à témoigner du vécu des êtres humains, bref elle s'ouvre au monde. Et parfois, elle arrive a faire tout cela à la fois et c'est encore plus chouette.

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    1. Bonjour, bonjour...

      Alors alors...

      Selon moi :

      Sur l'objectivité :

      Je n'arrive jamais à accrocher à cet argument... Je ne crois vraiment pas qu'on puisse prétendre à une quelconque objectivité en dessin. Déjà, dans les autres arts, c'est contestable, mais là... En quoi un dessin du visage de Michel Vaillant est-il objectif ? Le dessin de la bagnole de Michel Vaillant peut paraître assez proche de son modèle réel, mais il y aura toujours des simplifications, des réinterprétations... Ça sera toujours "la bagnole dessinée par trucmuche", jamais "la bagnole dans tout ce qu'elle a d'objectif". Alors, je sais pas, j'ai sans doute de la gelée dans le cerveau, mais je n'arrive pas à me ranger à l'argument de "l'objectivité" du dessin.

      Du coup, si je tombe d'accord avec moi-même en disant que l'objectivité c'est du flan et que le dessin est toujours subjectif, alors je dois conclure avec moi-même que ce qui est important, c'est la manière d'organiser cette subjectivité, le style, tout ça. (Et là, on ne parle que du dessin, mais il y a tout le reste du bazar d'une bande dessinée qui suit et pour lequel c'est la même sauce de subjectivité.) (A mon avis.) Et donc je me sers ma main tout seul et je suis bien content de moi.

      Ensuite, il y a toujours cette histoire de "plus c'est réaliste, moins on s'identifie, plus les personnages sont loin de nous". Et, là, je suis bien convaincu que c'est inutile d'éloigner les personnages des lecteurs quand on veut raconter une histoire. Au contraire, on veut que le lecteur s'identifie aux personnages pour qu'il se sente pris dans le récit. Empathie, règle de base, Aristote, tout ça. Donc, dans ce cas encore, je pense que le "non réalisme" est la meilleure des solutions. Mais tout ça se base sur l'axiome "lecteur-identification-personnage", donc je peux me planter.

      Enfin, effectivement, il reste le créneau du témoignage, des "belles histoires de l'oncle Paul", de "Don Bosco, ami des jeunes". Comme, dans ce cas, on raconte l'histoire d'un homme qui a vraiment existé, qui est vraiment extérieur en tout point au lecteur, l'option de "réalisme" peut se défendre. Dans ce cas (et finalement, dans tous les autres cas) (à mon zumble avis), c'est faire comme si le récit présenté était strictement réaliste, que les faits présentés dans la bande dessinée sont exactement tels qu'ils se sont produits. Ce qui n'est évidement pas le cas.

      Et donc, on en arrive à la différence fondamentale entre les lecteurs de BD réaliste et les lecteurs de BD non-réaliste :

      Le lecteur de BD réaliste aime croire que ce qui se passe dans le bouquin s'est passé / pourrait se passer dans la vrai vie. Que Tanguy et Laverdure sont en train, à l'heure où j'écris, de papoter sur un tarmac quelconque.

      Et puis il y a le lecteur de BD non-réaliste, qui s'écrit : "Mais arrêtez, bande de nouilles ! Vous voyez pas qu'on se moque de vous ! Ça ne s'est jamais passé comme ça. On se fout carrément de votre gueule, là. On vous prend pour des jambons et on vous vend de la camelote ! Au moins, moi, je lis des bande dessinées qui se foutent pas de ma gueule et qui affirment haut et fort leurs subjectivités."

      Et puis il y a les lecteurs qui ont un tempérament très conciliant avec tout le monde, et qui lisent de tout.


      Par contre, là où je suis plus intransigeant (mais bon, ma réponse fait déjà trois kilomètres de long) : la bande dessinée est de l'art. Forcément. Même les bandes dessinées des éditions bambou sur des femmes non-brunes. Si si.

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  3. Moi non plus je ne suis pas très sûr de ce que j'avance et j'ai également peur d'être trop long, mais je dirais :
    L'objectivité c'est ce qui rend compte d'un certain réel et le réel c'est ce sur quoi différents individus peuvent s'accorder, ce qui peut donner lieu à un accord inter-subjectif.
    Pour que des individus s'accordent sur ce qu'on nomme le réel (et dont en fait on ne sait rien) ils doivent avoir des caractéristiques physiques, psychologiques, culturelles et sociales proches. La bagnole de Michel Vaillant est une bagnole vue par un être qui voit comme un humain, qui a certainement la forme d'un humain, qui partage des codes sociaux et culturels de certains humains des 20ième et 21ième siècle - ses lecteurs - et même des codes très spécifiques qui correspondent à une certaine « école » de la bd qui a elle-même son histoire.
    Donc en fait quand je dis « bd de style réaliste », je veux dire que c'est la bd d'un auteur qui ne rigole pas trop avec cet « accord intersubjectif », qui reste « constant » dans son récit (qui ne fait pas parler à tout bout de champ sa subjectivité comme Crumb) pour conserver « l'accord implicite » qu'il le lie à ses lecteurs.
    Moebius dans le Garage hermétique, que vous avez déjà analysé, a un dessin que certains qualifieraient de plus « réaliste » (parfois), au sens de « plus proche d'une photo » que celui de Michel Vaillant, mais en fait, sa bd est puissamment anti-réaliste ou a-réaliste, puisqu'elle brise continuellement l'accord posé avec les lecteurs sur la manière de représenter les choses.
    Quand vous parlez du « réalisme » superflu du dessin du raconteur d'histoire, on ne parle donc pas forcément de la même chose (j'ai lu aussi Mc Cloud sur l'immersion du personnage « non-réaliste » dans le décors « réaliste » etc). Moi par « réalisme », je veux dire que l'auteur conserve le même style, qu'il conserve les règles de l'accord construit au départ avec ses lecteurs, pour ne pas les désorienter, qu'il "s'efface" en tant qu'auteur. Je ne veux pas dire que son dessin ressemble à une photo (la photo n'est « réaliste » que parce que si l'appareil est réglé et positionné de la même façon, quel que soit le doigt qui appuie sur le bouton, ça donne le même résultat ; mais le grand photographe fait justement parler sa subjectivité en positionnant et en réglant l'appareil différemment). Bon ce que j'avance n'est pas toujours valable parce que le garage hermétique raconte aussi une fascinante histoire.
    Il y aurait donc des pôles opposés, avec d'un côté le pôle « réaliste »/ traditionaliste/ conformiste ?/ travail d'école / Objectiviste/ conciliant et de l'autre le pôle subjectiviste / révolutionnaire / anticonformiste/ travail d'auteur/ dérangeant / original...Mais là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est que le fond, la nature de ce qui est raconté recoupe pour moi ce type d'opposition. Car en choisissant de raconter certaines histoires ou de rendre compte de certains aspects de la vie, l'auteur rompt l'accord précédemment établi avec les lecteurs. Maus est important pour la bd parce qu'il parle de camps de concentration, alors qu'avant la bd ne parlait pas de ça, parce que ça ne faisait pas partie de l'accord qu'elle avait implicitement conclu avec ses lecteurs.

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    1. "L'objectivité c'est ce qui rend compte d'un certain réel et le réel c'est ce sur quoi différents individus peuvent s'accorder"

      Oui, certes, mais, en même temps, dessiner un pot de fleur "réaliste" ou "pas réaliste", tout le monde s'accordera sur le fait que c'est un pot de fleur.

      "qui ne fait pas parler à tout bout de champ sa subjectivité comme Crumb"

      Crumb a beau faire parler sa subjectivité, je trouve qu'il conserve ce fameux accord implicite. Quand il dessine des humains à tête de chien. Bin on sait bien que ce sont des humains. Il n'y a pas de doutes sur les objets représentés. Du coup, je ne comprend pas trop cette histoire de "rupture d'accord implicite". (Je suis bête, c'est très connu.)

      Mais peut être que, si j'essaye de suivre votre pensée, mais c'est pas sûr que j'y arrive, l'école réaliste essaye de représenter les objets. Tandis que l'école pas réaliste essaye de représenter les sentiments. Du coup, la forme des objets, on s'en cogne.

      Par contre, je ne dis pas que les réalistes sont tradi/conformistes. je dis juste que leur expression est plus limitée. Ils ne peuvent pas représenter de manière souple les sentiments de leurs personnages, il ne font que les illustrer ou les souligner (via les dialogues ou des petits trucs (gouttes de sueur, lignes de force, etc.). Quand Spiegelman utilise des humains avec des visages de souris et de chats, on ne les confond pas avec des souris et des chats, par contre, on sait que ce sont des humains qui jouent au chat et à la souris. (Warning : je ne confonds pas la Shoa et un jeu de chat et de souris, j'essaye juste de résumer à l'arrache pour pas encore passer 200 lignes dans une réponse.) Ça dit quelque chose de supplémentaire que le pur réalisme, mais tout en discrétion, en douce. Je trouve ça plus élégant, plus souple.

      Enfin, il me semble, à mon humble avis, et tout ce genre de choses.

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    2. Je ne parvient pas souscrire à la définition de réaliste que propose Georges : "Donc en fait quand je dis « bd de style réaliste », je veux dire que c'est la bd d'un auteur qui ne rigole pas trop avec cet « accord intersubjectif », qui reste « constant » dans son récit (qui ne fait pas parler à tout bout de champ sa subjectivité comme Crumb) pour conserver « l'accord implicite » qu'il le lie à ses lecteurs."
      Je pense que la constance et le réalisme n'ont rien à voir. Jim Woodring et le Trondheim des "Genèses apocalyptiques" restent constants dans leurs conventions narratives, mais ne sauraient en aucun cas être qualifiés de réalistes.
      Ou alors j'ai sans doute mal compris une étape du raisonnement.

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  4. Du coup je me demande (et je me lance à mon tour) : est-ce que le réalisme ne serait pas, en badedessinée, une façon de dessiner plus habituelle, et facile à lire pour le lecteur ? En découvrant Philippe Druillet au détour d'un Rubrique-à-braque, j'avais le sentiment que cet univers-là était nettement moins réaliste que celui de Gotlib. Et pourtant un lecteur habitué à Druillet aurait tout à fait pu trouver au contraire que c'est le père Gotlib qui s'éloignait du réalisme, ces comiques, c'est grimaces et compagnie...!
    Si je ne me trompe pas cela signifie paradoxalement que ce réalisme là est éminemment subjectif, puisque personne n'est à 100% d'accord pour dire ce qui est réaliste et ce qui ne l'est pas.
    Par ailleurs, cela ferait du réalisme en dessin de Bande dessinée l'équivalent du lieu commun littéraire. Un cadre artistique pas trop prétentieux, qui maintient le confort de lecture pour les lecteurs qui préfèrent suivre l'histoire sans se poser des questions d'ordre syntaxique à chaque page. Mais du coup on y gagne en confort ce qu'on perd en subtilité et en possibilité du médium...
    Enfin j'ajoute, car on risquerait sinon de pouvoir me taxer d'élitiste de la bande dessinée imbitable (et pourtant ce n'est pas sale), que la contrainte étant porteuse d'innovation, on peut tout à fait imaginer une traitement réaliste plus innovant et intelligent qu'un dessin obscurément coincé dans une esthétique du crade/obscure. D'une certaine manière j'imagine assez bien que Hergé puisse être tenu pour un maître du dessin réaliste, de part son évidence et sa manière de mettre le graphique au service de l'action.

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    1. Or en cliquant sur "Publier", il m'apparait par surcroit, que les mots sont des machins bigrement polysémiques, car il existe en bande dessinée un réalisme plus réaliste que le réalisme. Et même plusieurs (ou alors j'ai bu coup en trop).
      Je pense par exemple au dessin de Fred Beltran (Mégalex...) qui colle tellement à la réalité que ce'en est plus du réalisme.

      Ou aussi dans un genre complètement différent, les décors de Emmanuel Guibert, qui évoquent e réalisme paradoxal des peintures impressionnistes...

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    2. Je pense qu'on peut en général entendre "réalisme" par "on dirait que c'est comme dans la vraie vie". A ce titre, le courant de peinture "hyper-réaliste", ce sont des peintures "qu'on dirait que ce sont des photographies". Donc je dirais qu'a priori, c'est "réaliste" quand ça se rapproche le plus possible d'une vision humaine du monde qui nous entoure.

      Si on suit cette définition (qui n'a rien de canonique), le réalisme en bande dessine sert à se rapprocher d'une vision humaine. Pour moi, c'est peine perdu, il faudrait beaucoup trop de travail à chaque case pour y arriver, et l'auteur deviendrait fou. En plus, ce réalisme serait contre-productif, parce que le niveau de détail établi pour chaque case "ferait tableau", le lecteur détaillerait chaque case pendant des plombe, et la lecture serait très hachée.

      Donc, pour moi, autant ne pas s'embêter à aller dans ce sens, et mieux vaut choisir une voie alternative (semi-réaliste, comme pour Hergé, ce qui permet de faire évoluer un personnage très peu réaliste dans un univers très très réaliste ; ou carrément port-nawak, comme pour Edika, ce qui permet de faire évoluer des personnages débiles dans un univers absurde). Tout est question de dosage, mais je continue à penser que s'éloigner du réalisme ne peut être que bénéfique, puisque cela accroît presque mécaniquement les possibilités artistiques.



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