Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 3 octobre 2013

La bande dessinée est très stylée.

J’ESPÈRE QUE VOUS N'ÊTES PAS PARTI, PARCE QUE MOI JE SUIS REVENU.

David B. continue de nous embêter à parler de style, et moi je suis un artiste, et moi je grille les files d'attente parce que la société ne me mérite pas, et patati, et patata.

David B., Babel, Vertige graphique.


DONC...

La semaine dernière, j'ai essayé de commencer à parler un peu de trucs sur le style. Je dis pas que c'était d'une intelligence toute pénétrante, mais bon... Maintenant que c'est commencé, autant finir le boulot.

RE-DONC...

Dans la question du style, il y a la question de « Comment avoir envie de se choisir un style et marcher dans les rues de la ville avec les filles et les garçons qui se retournent sur notre passage tellement ils sont impressionnés par notre charisme ? » (par quel moyen, et où se trouver un style). Mais il y a aussi la question de « Pourquoi ce style là et pas un autre ? ». Pourquoi un perfecto violet ? Pourquoi une chemise verte à poids ? Pourquoi des dents jaunes ? Pourquoi ?

  • PARCE QU'ON EST A L'AISE DEDANS.



Lewis Trondheim, la première et la dernière page de Lapinot et les carottes de Patagonie, L'association.
(Avec le pire scannage de planche de tout le blog en prime, je suis sûr que vous adorez tous ces anamorphismes, 
c'est ça de se la jouer à faire des bouquins de 500 pages bien imprimés qu'on peut même pas péter la reliure.)

Dixit Lewis Trondheim dans l'introduction aux carottes de Patagonie :
Seulement, je ne sais pas dessiner. Alors je me suis dit qu'on allait pas s'embêter pour si peu, que je pouvais toujours faire deux ou trois cases et qu'on verrait bien.
Lewis Trondheim a dessiné les carottes de Patagonie pour trouver son style. Il part d'un dessin bien gros et, petit à petit, naturellement, il tend vers ce qu'il apprécie et qu'il est en mesure de dessiner (un dessin plus épuré, plus détaillé, des cadres plus larges, moins statiques, etc.).

Pour dessiner 500 pages de bande dessinée sans trop se faire suer, Lewis Trondheim est allé naturellement vers un dessin qui lui est confortable. Parce que faire 500 pages avec un dessin top-relou, c'est juste pas possible. Et parce qu'une des grandes dimensions du dessin (et peut être surtout en bande dessinée), c'est qu'il doit non seulement être agréable à l’œil du l'auteur mais qu'il doit aussi être pratique, facile à utiliser, rapide, qu'il doit éviter à l'auteur de se poser trop de questions. 

(Quand je dis dessin, je veux dire « toutes les petites techniques qu'un auteur apprend petit à petit ». Ne serait-ce que le choix de la plume Machin ou du stylo Truc... Ça joue un grand rôle dans le confort de dessin et ce n'est qu'en testant petit à petit toutes les plumes de l'univers qu'on trouve celle avec laquelle on dessine le plus aisément.)

Pour résumer : on a beau avoir une chemise (un chemisier) super classe dans son armoire, si elle (il) ne va avec rien et qu'il faut réfléchir à chaque fois 20 minutes pour savoir comment on va s'habiller, bin la chemise (le chemisier) va rester dans l'armoire. Au contraire du T-shirt chopé aux puces pour 5 balles et qui est sympa et qui se porte avec tout.


David B., l'ascension du Haut Mal, L'association.

Dans cette planche, on a :
  • David B. qui ne se pose pas 36 questions et qui va devenir dessinateur, naturellement, et ça ira bien comme ça.
  • David B. qui, quand il est enfant, dessine des soldats. Et que fait David B. quand il est adulte ? Il se dessine enfant et il dessine des soldats. Dès son enfance, quand on ne réfléchit pas encore avec les grands mots de « style », « auteur », « crise de la bande dessinée » « zéro euro la planche, et je me suis saigné pour te payer autant », quand on ne dessine que par simple envie ou nécessité, il est naturel d'aller vers des sujets qui plaisent, avec lesquels on est à l'aise, et qu'on apprend à dessiner comme on respire.
  • David B. qui arrive à utiliser un style de dessin (des techniques, des « trucs ») avec lequel il est autant à l'aise pour se dessiner lui et toute sa famille (ligne pure et bien descriptive), pour dessiner des visions cauchemardesques hyper-chelous (ombres fortes et noirs expressionnistes), ou pour dessiner des soldats perses (dessin qui travaille beaucoup les volumes) (on sépare les boucliers, des armes, des visages, des corps ; on se croirait un peu dans une fable géométrique) (quoique cette idée se perdra ensuite un peu au cours de l'évolution du dessin de David B.).

  • PARCE QUE CE SONT DES VÊTEMENTS QU'ON PEUT S'OFFRIR.




Scott Mc Cloud, Zot !, Harper Paperbacks.

Ok, l'idéal est donc de trouver un dessin que l'on trouve beau et avec lequel on est efficace, avec lequel on a mis au point des tas de petites technique permettant d'exprimer l'ensemble des aspects différents d'un récit.

Ok.

Dans l'idéal.

Malheureusement, un des gros problèmes en bande dessinée (mais dans les autres arts aussi), c'est quand on s’aperçoit qu'on a pas les moyens de ses ambitions... 

Si on veut faire un grand film épique mais qu'on a les moyens financiers de Chris Marker, outch... Si on veut faire une série de super héros mais qu'on dessine comme une quiche aux cèpes, aïe... Dans ce cas, il n'y a pas 36 solutions : il faut adapter le fond, l'histoire, ce qu'on va représenter, à ses capacités. 

Si on n'a pas le bagage technique suffisant pour dessiner tout ce qu'on veut, il faut simplement dessiner tout ce qu'on peut (ou faire de la merde, m'enfin, bon).

Dans Zot, Scott Mc Cloud tire le récit vers une ambiance « comics de super héros classique de l'âge d'or avec de la naïveté dedans ». Ce qui lui permet d'avoir un style assez pur (comme les âmes des personnages) (que c'est beau quand j'écris) et assez naïf . Par ricochet, il n'a pas à se forcer pour construire des ambiances sombres et torturées, ambiances qui ne sont pas à la portée de son dessin. (Est-il conscient des faiblesses de son dessin ? Je crois. J'espère. Sinon je suis en train d'assassiner en place publique une grande figure de la bande dessinée. Ce serait moyen.)


David B. & Emmanuel Guibert, Le capitaine écarlate, Dupuis.

Ici, David B. ne se dit pas qu'il est un gros nullos et que c'est même pas la peine qu'il essaye de dessiner ce récit. Il se dit simplement que le style très spécifique mis au point par Emmanuel Guibert (avec un trait dégageant une certaine ambiance à l'aspect rétro qui évoque les souvenirs et les photographies sépia) sera du meilleur goût pour accroître l'impact de son histoire. 

Et il a raison. 

Le bougre.

  • PARCE QUE ÇA MET EN VALEUR NOS QUALITÉS ET ÇA CACHE NOS DÉFAUTS.

Enki Bilal, La tétralogie du monstre - Le sommeil du monstre, Les humanoïdes associés.

Bon d'accord, « ne représenter que ce que l'on peut ». C'est un bon plan. Seulement, parfois, on est obligé de dessiner des choses dans lesquels on n'est pas fortiche. 

On a beau avoir l'air d'un glandu en costume 3 pièces, bin, le jour de notre mariage, pas le choix, on aura l'air d'un glandu.

Ici, Bilal est une grosse tanche en mouvement. Il le sait, qu'il est une grosse tanche en mouvement, puisque ses personnages sont quasiment tous statiques. Ce sont des choses qui arrivent. Même aux meilleurs. Il ne faut pas les accabler. Il faut les prendre dans nos bras et les laisser pleurer pour faire ressortir un peu tous ces mauvais sentiments de frustration qui s'accumulent. Et il faut les encourager à masquer ces défauts par les autres qualités de leur dessin. (Ici, Bilal s'en sort en encadrant ses deux cases « saut du saumon » par deux cases statiques aux personnages beaux gosses. Les cases de mouvement sont rapides. Les cases de beaux gosses sont lentes. On passe donc sur les cases de mouvements pour s'attarder et admirer naturellement les cases statiques.)



Ooooh je vais être méchant et dire du mal. (Encore !?) (Hé oui !)

Le dessin de David B. est très bien, hein... Mais il est relativement statique. Enfin... Pas statique... Mais relativement « non-continuité » (bravo le terme tout pourri). Il y a souvent beaucoup de temps qui se passe entre deux cases de ses bandes dessinées. Chaque case a une telle importance qu'elle contient, en quelque sorte, toutes les informations d'une scène. Lorsqu'on passe à une autre case, on passe à une autre scène.

La qualité de ce dessin, c'est que chaque case est très impressionnante et a beaucoup d'impact.

En utilisant des narratifs pour lier des images très dissemblables mais très marquantes, David B. place le lecteur entre ses souvenirs (les images) et sa manière de les raconter (les narratifs). David B. met le lecteur au centre et le nez en plein milieu de la manière qu'il a de raconter ses souvenirs, le nez en plein milieu de sa « voix », le nez en plein milieu de son style.

Le défaut de ce dessin, c'est que, quand il s'agit de représenter une scène « classique », avec des dessins qui s'enchaînent à la queue-leu-leu pour construire une bande dessinée qui coule tel un ruisseau coule sur de beaux galets ronds (poésie, poésie), quand il s'agit de représenter ce genre de scènes, eh bin c'est pas trop ça.

Du coup, dans ce cas, si on a une scène d'action à faire, autant appeler son ami Christophe Blain.

David B. & Christophe Blain, Hiram Lowatt et Placido - Les ogres, Dargaud.

  • PARCE QUE ÇA NOUS REPRÉSENTE ET NOUS IDENTIFIE PAR RAPPORTS AUX AUTRES. C'EST UNE EXTENSION DE CE QUE NOUS CROYONS ETRE ET DE COMMENT NOUS NOUS REPRÉSENTONS LE MONDE.

Attention, là, c'est un petit peu long comme extrait (on est plus à ça près)...

Un extrait dans lequel Joann Sfar raconte n'importe quoi (ça n'est pas important), mais, entre la manière dont il voudrait qu'on le voie à cause de ses vêtements, la manière qu'il a de parler de ses vêtements (avec crise de mythomanie), l'envie de faire partie d'un groupe (les niçois), et la manière qu'il a de raconter le tout (en se la jouant), entre tous ces éléments, on peut dire que cet extrait colle bien à la thématique. (Et je ne parle même pas du dessin funky pour un personnage qui se sent funky.) (Sfar se sent tout le temps funky.)






Joann Sfar, Ukulélé, L'association.
(Quoi « un extrait un peu trop long pour correspondre au droit de citation » ? Ha ha, mais de quoi parlez-vous !?
On est sur l'internet sauvage, ici, ou bien ?)




David B., l'ascension du Haut Mal, L'association.

De la même manière, David B. se cherche des amis. Des gens avec qui il se sent bien. Une ambiance dans laquelle il se sente bien. Une ambiance qui le représente vis-à-vis des autres et qui lui colle à la peau. Un univers qui est à la fois représentatif de son état d'esprit et qui décrit le monde tel qu'il le voit.

Il ne s'agit pas se fantasmer et faire semblant d'être quelqu'un d'autre. Plutôt se représenter soit et/ou de représenter l'univers tel que nous le voyons (les croquis de gens qui passent chez Sfar ; la forêt accueillante dans laquelle David B. peut s'échapper). Et tel que nous aimerions qu'il soit (plein de niçois gentils) (la bonne blague) et de monstres accueillants (qui existent bien dans l'esprit de l'auteur et du personnage, donc qui existent quand même un peu) (mais pas complètement).

A ce moment, la stylisation d'une bande dessinée (par exemple, l'idée toute bête que le dessin de chaque bande dessinée est différent et lui donne naturellement une singularité) est là pour souligner un fait évident et qu'on oublie : ceci est MA vision, MA voix, MON univers, et je vais vous le décrire...

BON. VOILA. LE STYLE, C'EST UN PEU TOUT ÇA.

A bien des égards, le style est un reflet précis de l’auteur : ce qu’il est, ce qu’il aime, ce qu’il voudrait être, ce qu’il voudrait faire.

Du coup, si l’auteur cherche son style puis le développe, si l’auteur se montre ; tous ses désirs, toutes ses envies, tous ses espoirs vont irriguer sa bande dessinée et lui donner une valeur.

A bien des égards, le style, finalement, c’est tout ce qui constitue l’œuvre du fait même de l’artiste.

LA VACHE QUE C’ÉTAIT LONG ! J'AI PERDU 10 ANS DE MA VIE ET VOUS ALLEZ ME LES RENDRE !

1 commentaire:

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