Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


samedi 24 août 2013

La bande dessinée est parfois en couleur.

Gallié et Coronas nous montrent que faire correspondre les couleurs d'une planche à l'ambiance d'une scène, ça donne des résultats quand même pas dégueulasses.


Mathieu Gallié & Christophe Coronas (alias Cecil), L'empreinte des chimères – Colin, Éditions Vent d'Ouest.

ALERTE SUPER SPOILER !

Déjà que d'habitude je ne me gêne pas pour dévoiler des bouts d'intrigue... Déjà que je montre parfois des pages et des pages alors que normalement je ne devrais en étudier qu'une seule... Aujourd'hui, je vais croiser les effluves (et, c'est bien connu, c'est mal) et essayer d'étudier une dizaine de planches qui courront sur toute la longueur du récit (et, là, c'est sûr, c'est mal).

Donc, pour ceux qui voudraient se réserver la surprise d'une bande dessinée absolument pas connue et que je sais même pas comment tomber dessus, il vaut mieux ne pas lire ce qui va suivre.

Pour les autres, ceux qui, comme moi, lisent la dernière page des romans avant la première ; vous pouvez y aller. (J'ai quand même essayé de choisir les planches les moins révélatrices de l'intrigue générale.)

J'en profite également pour signaler que je m'abrite généralement derrière le droit de citation pour scanner toutes ces belles planches de bande dessinée. Bon, là, j'ai un peu dérapé. Donc (et cela vaut bien sûr pour n'importe quel message, n'importe quel auteur) si quelqu'un juge que je me place en porte-à-faux du droit de citation, il peut bien sûr me le signaler dans un langage plus ou moins fleuri suivant son esprit du moment et je retirerais l'article discourtois. (J'espère juste que tous les articles ne seront pas retirés.) (De toute façon, on s'en moque, personne le lit, ce blog.)

BREF, RETOURNONS A L'OPALESCENCE MOIRÉE DES DOUCES COULEURS COTONNEUSES DE CE RÉCIT ONIRIQUE.

La spécificité de la bande dessinée qui nous occupe d'aujourd'hui, c'est que les auteurs ont délégué la réalisation des couleurs de certains passages à différentes personnes, en fonction des ambiances changeantes du récit.

A chaque scène son ambiance, et à chaque ambiance son coloriste.

Par exemple, dans la première scène du livre, le héros s'endort. Les couleurs se mettent donc au diapason de ce sommeil brumeux.

Notre héros s'endort et se réveille en même temps. C'est compliqué, c'est onirique.
Couleurs de Coronas.

Qui dit endormissement dit couleurs douces et sombres et chaleureuses (des bleus, des bleus-gris, des gris-bleus ; pas de couleurs franches ; il y a du jaune, mais pâle ; il y a du rouge, mais sombre)...

Puisque le héros s'endort (et commence sont rêve accueilli par un chat qui parle), c'est que c'est le début de la nuit. On a donc également des ambiances de crépuscule (roses et violettes) qui se mêlent à celles bleues nuit de, euh, eh bien d'un ciel de début de nuit...

N.B. : Le chat (qui va guider le héros durant cette aventure onirique) est aussi violet-bleu... Le guide du rêve s'accorde donc parfaitement aux couleurs du rêve lui-même...

Bref, on va pas y passer la nuit, le héros et le chat papotent, puis ils partent à l'aventure...

Notre héros n'y comprend que tchi. C'est normal, c'est onirique, on vous dit.
Couleurs également de Coronas.

Après une ambiance quiète toute d'édredon vêtue, on assiste a un changement brutal, qui n'est que le premier d'une longue lignée :
  • On était enfermé, cosy ; nous nous retrouvons en plein ciel.
  • On papotait tranquilou ; nous voilà voguant tout droit vers l'inconnu et l'action.
  • On était dans un endroit assez sécurisé, familier (une chambre) ; on se retrouve dans un bateau géant piloté par des tas de souris pour qu'il puisse flotter sur les nuages (miséricorde)...
  • On était ensuqué dans cette phase d'endormissement/réveil ; on se prend un bon coup de vent dans le museau, l'esprit aiguisé, au beau fixe, plein d'un optimisme à tout crin.

Les  couleurs suivent : elles sont douces (optimisme) et claires (esprit réveillé, aiguisé), limites éblouissantes, avec une belle unité (jaunes – marron – rouge). 

Plus tard, elles seront en aplat, ou plus crues, ou plus sombre, selon les ambiances. Ici, elles sont douces, marquées, coordonnées, avec des ombres qui dessinent bien les volumes. Si nous étions en train de faire une blanquette, nous dirions que la sauce nappe bien la cuillère. Les couleurs nappent doucement les formes.

On constate de plus que que, comme pour le dessin d'une case, les couleurs d'une scène rappellent celles de la scène précédente et appellent celles de la scène suivante. (Il y a des restes de bleus-gris dans les nuages qui rappellent la scène précédente.) (D'ailleurs, ici, le chat-guide-rêve-anciennement-violet est aussi bleu-gris. Il transitionne lui aussi.)

De toute façon, si vous ne me croyez pas, il suffit de regarder la page suivante.

Malheureusement, les ennuis commencent...
Couleurs d'un mystérieux Edward (dont je ne connais rien d'autre que le nom).

On y voit une très nette transition entre le bateau des souris (encore jaune, rouge, et marron) (mais déjà beaucoup plus marron, beaucoup plus sombre) et le bateau des méchants, qui est gris, qui est froid, qui est moche et piquant.

Là encore, le pelage de la bestiole a moustache s'adapte : il était violet, puis gris-bleu ; il est désormais plus cru, avec des ombres et des nuances moins marquées. D’ailleurs toutes les couleurs sont plus crues, fades, moins nuancées. On ne nappe plus la cuillère. On a foiré la sauce. Ça va nous rester sur l'estomac.

Les seuls éléments qui y croient encore sont le bateau (tout jaune en deuxième case - le jaune de l'esprit aiguisé) et Colin (le héros qui, en troisième case, est aussi habillé de jaune pétant) (ils croient encore pouvoir éviter le pire, les naïfs).

Pour le reste, la page entière annonce que ça sent le rance.

S'en suit des tas de péripéties, je vous passe les détails, nos héros quittent le navire et changent encore une fois de scène, et d'ambiance, et de couleurs (vous commencez à piger le concept général)...

Ça, c'est de la fête bien pourrie...
Couleurs de Thierry Maurel.

Ici, à l'image de la souris dans la dernière case, on se vautre dans le stupre et le vert. Tout est vert (la table, les costume, la robe, le verre est vert). Ce qui créé un malaise du plus bel effet, puisqu'on n'a quasiment pas vu cette couleur avant cette page. On n'est pas là où l'on devrait être (dans les jaunes et rouges). On n'est pas à notre place. On se sent comme en trop. On dérange. 

A noter que le fromage reste jaune, puisqu'il plaît à la souris ; mais que Colin a perdu de sa superbe, sont costume est beaucoup moins flashy. Ça lui a un peu porté un coup au moral, tout ce qui s'est passé avant... Cette fête n'est pas là pour arranger la situation. Cette fête sent le pâté.

Il vaut mieux en partir...

Quand le moral est dans les chaussettes...
Couleurs de Michel Crespin.

Quand je vous disais que Colin filait un mauvais coton !

Là, on peut pas faire plus clair : un personnage à des idées noires dans des nuages tous noirs. 

On a même un goéland qui lie la petite case détaillée de Colin avec la case générale du dirigeable et nous force à faire le parallèle.

Ha bravo la subtilité !

Il faut repartir dans la magie !
Couleurs de nouveau de Coronas.
(On retourne à une ambiance similaire à celle du début, donc on retrouve le coloriste du début. Logique.)

Comment savons-nous qu'on repart dans la magie pour remonter un peu se brave Colin ? Facile : parce qu'on retrouve des couleurs que nous connaissions bien au début. Et qui, hélas, on un peu laissé tomber nos héros entre temps.

Nous disons donc : des bleus profond comme durant l'endormissement (le ciel, le chat qui retrouve un pelage bleu, Colin qui se met à porter lui aussi du bleu pour suivre l'exemple de son mentor) et des marrons (mais bon, des marrons sombres, alors c'est mi-figue, mi-raisin ; c'est tristoune ; mais, comme tout est marron, ça donne quand même une impression de confinement, de monde clos et rassurant).

Pour retrouver un peu la pêche...
Couleurs toujours de Coronas.

Une fois qu'on s'est refait la cerise en se rassurant, en faisant un plan, en se confinant ; le moral revient un peu.

D'où des couleurs plus claires... Des nuages... Des bâtiment qui flottent....

Thématiquement et chromatiquement, on revient un peu en arrière, quand on avait encore la patate. Mais bon, on a été éprouvé par toutes les saloperies... Donc ça craint quand même un peu. Les couleurs sont plus... euh... bizarres...

Et en parlant de couleurs plus bizarres, on va être servi...

La poisse revient. Une étrange inquiétude aussi.
Couleurs de Sylvie Lenfant.

Il faut bien le dire, la situation décrite ici est assez banale : tout le monde flotte dans les nuages (c'est pas comme s'ils faisaient que ça depuis le début) et papote (ce qui est également leur grande spécialité). Après tout ce qui est arrivé à ces pauvres personnages, on peut faire son blasé.

Mais les couleurs vraiment dégueulasses-et-qui-ne-vont-jamais-ensembles, arrivent à donner un aspect « sale », « moche », dépareillé. Les couleurs arrivent à nous filer la nausée. 

Du grand art. 

(Je croise les doigts pour que mon analyse soit pas trop à côté de la plaque, sinon je connais une coloriste qui va commencer à faire des petites poupées vaudou à mon effigie.)

Bref, tout ce bazar, tout d'un coup, brise la confiance et annonce le pire. Pas la grande catastrophe. Mais  la vie pourrie, bien moisie, qui ressemble à une croûte mal soignée.

Et donc...

Et donc je m'arrête là et je ne montre pas la fin de l'histoire (assez inattendue) (il y a des rumeurs comme quoi elle avait été bâclée pour cause de prise de chou avec l'éditeur, moi, je la trouve très fine).

7 commentaires:

  1. UN PETIT POST SCRIPTUM DANS LEQUEL JE RACONTE MA VIE.

    Le livre que je viens de quasiment montrer en entier comme un gros loufiat est, je crois, quasiment inconnu. Alors que je le trouve super. Super de chez top, même. Et que, quand je l'ai lu la première fois lors de mes vertes années, ça a un peu été mon "Métal Hurlant" à moi (faut voir l'état du livre actuellement) qui m'a ouvert de nouveaux horizons.

    Cela montre bien, selon moi, que toutes ces histoires de succès publics et de les-gens-ne-se-trompent-pas ou alors une-personne-peut-se-tromper-mille-fois-mais-mille-personnes-bal-bla-bla, ce sont des âneries inventées par des crétins.

    J'engage donc chaque auteur qui subit ce genre de commentaires à inviter celui qui les prononce à aller se faire shampouiner.

    Les auteurs de bande dessinée et leurs œuvres forment un corps, un tout, dont pas un élément ne devrait être négligé, puisqu'on en ignore parfois la puissante utilité cachée.

    (J'essayerai de mieux développer cette dernière remarque dans mon prochain message.)

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  2. Eh mais si, si, y a des gens qui lisent ce blog !
    Qui est très bien soit dit en passant.
    C'est génial ces petites analyses de bédé.
    En plus, ça permet de (re)découvrir des albums.
    L'empreinte des chimères, je ne connaissais pas du tout, par exemple.
    Cela m'intrigue maintenant...

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  3. Bonne chance pour trouver un exemplaire, parce que (dans mes souvenirs) ça avait fait un gros four.

    (Remarquez que je suis charitable et que je fourni plein de pages (pas du tout illégalement) pour compenser la faible reconnaissance de cette bande dessinée.)

    (A supposer que vous soyez suffisamment vieux/vielle, ce livre est une madeleine de Proust. On se souvient du moment où la bande dessinée commençait à sortir de la crise des années 80 en laissant plein d'auteurs presque morts derrière elle. On se souvient d'auteurs qui y croyaient fort. On se souvient de Delcourt qui faisait de la bande dessinée. C'était une autre époque.)

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  4. Ah, Crespin...
    Je me souviens qu'à une époque j'avais son "Faust d'Heidelberg", et justement, ce qui ne m'allais pas dans cet album, c'était les couleurs, trop uniformes, un peu à la manière de ces cinéastes qui abusent des filtres colorés. Oui, Jean-Pierre Jeunet, c'est toi que je regarde.

    Et sinon... Rien à voir avec les couleurs, mais cela ne vous gêne pas, ces humains dessinés de manière réaliste qui voisinent avec des chats et des souris de dessin animé?

    (ah oui, et puis le mot "louper" dans une histoire de pirates, mais là je pinaille)

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    1. Oh bin moi...

      Je parle bien à mon chat... Alors je comprends très bien que d'autres le fassent dans des bandes dessinées...

      (Et s'ils ne sont pas réalistes et qu'ils disent "louper", c'est parce qu'ils sont dans un rêve.) (Je crois qu'il y avait très peu de pirates qui volaient dans les nuages à l'époque, mais je peux me tromper.)

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    2. On rejoint la discussion sur la "suspension d'incrédulité" et le problème de la cohérence de l'univers créé par l'artiste: ce qui me dérange, c'est l'écart graphique entre les animaux et les humains. Dans un genre comparable, regardez "De Cape et de Crocs", par exemple: là pas de problème, car les humains y sont aussi cartoonesques que les animaux.

      De la même manière, le mot "louper" me gêne parce qu'il est au milieu de dialogues en français archaïsant ("Par sang bleu", "paltoquet", etc.), selon les codes des histoires de pirates.

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    3. Oui mais dans "L'empreinte des chimères", toute l'aventure est un rêve piloté par le personnage principal. Il peut donc rêver d'un peu tout et n'importe quoi. Avec un niveau de réalisme variable. Tout se mélange dans sa tête. Comme dans un rêve, quoi.

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