Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 1 août 2013

En bande dessinée, les cases sont dessinées.

En complément du billet concernant Astérix, je me suis dit qu'il allait falloir que je fasse un billet plus précis sur la forme intrinsèque des cases. C'est donc Matsumoto qui s'y colle et nous explique que les dessins, c’est très bien, mais que les cases, ce sont DÉJÀ des dessins. Et que leurs formes, et tout, ça compte aussi. 

Taiyou Matsumoto, Number 5 – tome 1
Shogakukan & Kana-Dargaud (avec l'aide de Thibaud Desbief et Eric Montésinos)

Matsumoto, en plus d'avoir un superbe dessin et un univers très identifiable (tellement que quand il travaille avec des scénaristes, son univers déteint sur une histoire qu'il n'a pas écrit), travaille énormément sur les enchaînements de ses dessins. Il crée des ruptures de ton, des confrontations entre deux dessins qui ne devraient a priori pas se succéder, des coq-à-l’âne. Il cherche à rendre poétique l’enchaînement de plusieurs cases.

Peut-être bien que c’est imbitable, mais c’est poétique.

Pour autant, pour que cette juxtaposition inattendue produise le plus d’effet possible, Matsumoto soigne ses cases. 

Ça parait couillon à dire, mais ça peut aider. La forme des cases, leurs places dans la page, tout ça, sont AUSSI les reflets des sentiments que veut faire passer l’auteur. Les cases sont elles-mêmes une partie du dessin.

ATTENTION, C’EST ENCORE JAPONAIS, ÇA SE LIT ENCORE DE DROITE A GAUCHE.


La première page est remplie de petites cases serrées aux bords tordus, dans un méli-mélo qui fait qu'on ne sait pas exactement comment tout lire. Exactement comme dans les pensées troublées des personnages, tout occupés à survivre. L’action se précipite, il se passe des tas de choses, les personnages ont l’esprit en surmultiplié, sans vraiment comprendre tout ce qui arrive (aucune des cases du haut n'est équilibrée, les dessins sont toujours coupés par les bords des cases, comme des actions que l’on percevrait du coin de l’œil). L’enchaînement des petites cases donne une impression de rapidité (alors que les grandes cases sont en général plus « contemplatives ») et la dernière grande case, après la fin de l’action, donne l’impression d’un relâchement de la tension. Plus que le sujet des différentes cases, ici, le sens est donné par leur taille, physique, dans la page ; et leurs compositions. On perçoit ce qui se passe dans la page avant de la lire en détail. Par exemple, à la page suivante :


L’action se relâche, et on peut passer à autre chose. L’esprit des protagonistes n’est plus concentré sur la lutte. Il peut vaquer ailleurs… Et le nôtre avec… Nous changeons donc de construction (de grandes cases avec du temps qui passe dedans) et de sujet (un nouveau personnage apparaît).

Ce dernier est là pour nous signifier que ça a changé d’ambiance, qu’on peu se détendre un coup. Son monologue/narratif très atmosphérique (qui colle donc à la nouvelle ambiance) nous décrit ensuite les pensées du tireur et nous permet de nous rapprocher de lui.

On peut pas faire plus proche.

Cette nouvelle page n’est construite que sûr l’idée d’unité (alors que la précédente était morcelée) :

  • Unité d’action : elle ne fait que décrire l’état d’esprit du personnage.
  • Unité de « mouvement », fluidité : il n’y a pas d’aspérité dans la lecture (les phylactères empiètent sur les différentes cases pour permettre de matérialiser cette continuité, atténuer les ruptures de ton entre les différentes cases, un peu comme un narratif de chez Blake & Mortimer).
  • Un seul format de case : elles sont grandes, panoramiques, contemplatives, approximativement toutes de même taille.
  • Une seule fonction dans la case : le format est unique parce que chaque pensée (chaque phylactère) a une même valeur (« Ses espérances et ses prières… », « Sa tristesse et sa colère… » sont presque deux vers en décasyllabes qui se répondent).

Plus fluide que de la farine type 45.

Ni les cases, ni les pensées, ni quoi que ce soit n’est un conflit dans cette page. Tout coule. La fluidité de la page s’allie au format des cases pour donner une impression d’apaisement. Mais ça va changer :


La page suivante reprend le système de la précédente (une grande case qui prend toute la largeur de la page, un phylactère qui fait le lien avec la deuxième case parce que sinon on risquerait de lire tout ça de travers), pour ensuite tout envoyer valser.

On lit ainsi des choses complètement différentes dans des formats complètement différents.

 Comme avant.

Un changement de lieu, un changement de personnage, un changement de situation. 
Voilà qui implique un changement de format (une case verticale remplaçant une case horizontale).

Un nouveau changement : le retour d’un des personnages du début. 
Et, du même coup, le retour de l’action et des cases de travioles.

Les trois parties de la page sont de natures différentes, et leurs formats sont donc différents, constituant trois zones facilement identifiables avant de commencer la lecture. Elles induisent bien évidement des ruptures et un effet de surprise par rapport au temps suspendu des cases précédentes. La page, les cases, leurs formats sont eux-mêmes surpris, bousculés, par la réapparition du personnage disparu plus tôt.

Chacun chez soi et les cochons seront bien gardés.

Mais, là encore, la nouvelle page va être en rupture par rapport à celle que nous venons de lire (ça devient une habitude) :


On se retrouve à nouveau  avec de grandes cases carrées, des gros plans sur les visages, le personnage narrateur qui voit dans les pensées. Soit l’ambiance à la cool d’il y a deux pages.

Le rythme est lent (parce que les cases sont grandes et parce que les sujets des cases sont difficilement liables entre eux) (cette fois, pas de phylactères qui permettent de fluidifier la lecture).

La lecture est à nouveau apaisée, comme le personnage principal. Il ne lutte plus. Il contemple ce qui va arriver comme on contemplait des paysages dans les grandes cases panoramiques. Il sourit.


Et sa mort a lieu, comme ça, dans de grandes cases de paysages au temps suspendu.

L’action commencée dans le stress, l’angoisse, la précipitation…


…Se finit de manière élégiaque.


Un déroulement que nous pouvions comprendre simplement en observant la forme de chaque case...

2 commentaires:

  1. Hello,

    Merci pour ces analyse et ces conseils de lecture et d'écriture. J'ai découvert ton Blog il y a peu alors j'ai pas mal de chose à rattraper. En tout cas Bravo sur le fond et sur la forme.

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  2. Ha oui, c'est une bonne idée, ça, de considérer ces billets comme des conseils de lecture. Plutôt que de lire les analyses, lisez les bouquins. Non, attendez, c'est un peu con. Lisez les deux.

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