Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


samedi 26 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe nuancé.

Ed Brubaker et Greg Rucka et Michael Lark et Stefano nous montrent des personnages qui ne sont pas des (super-)héros (mais qui tiennent quand même le commissariat de Gotham, et qui donc fréquentent plein de super-héros et super-vilains) .

Ed Brubaker et Greg Rucka et Michael Lark et Stefano, Gotham Central - Pris pour cible, Panini Comics.

Si je résume les épisodes précédents :
  • Soit on utilise les archétypes pour construire un personnage plus ou moins très très fort, avec des caractéristiques bien précises, définies depuis très très longtemps. Dans ce cas là, le personnage nous sert d'exemple sur certains caractères psychologiques bien précis. Si on ne privilégie qu'un seul type de personnage, ça peut poser problème au lecteur, qui ne se retrouve pas dans cet archétype, ou qui s'y retrouve mais ne se sent pas à la hauteur de l'exemplarité du héros.
  • Soit on utilise les archétypes pour les additionner au sein d'un seul personnage, ce qui en fait un super-héros aux qualités inatteignables. Dans ce cas là, le personnage sert d'exemple global sur à peu près tout ce qu'il est possible de prendre en exemple. C'est un super-héros.
  • Soit on utilise les archétypes pour les additionner au sein d'un groupe de personnages, et c'est ce groupe qui devient lui-même un super-héros aux qualités inatteignables.
  • Dans chacune de ces trois configurations, on peut également décider que les personnages ne sont finalement pas si forts que ça, et qu'ils n'arrivent pas à incarner l'archétype vers lequel ils tendent. dans ce cas là, ils ont des névroses, des psychoses, des manques et des défauts. Bref, dans ce cas là, ils sont comme nous.

DANS CE CAS, LE PERSONNAGE DEVIENT UN HÉROS TRAGIQUE.

Le personnage tragique est complètement soumis « à ses passions » et il s'enfonce dans ses erreurs, plutôt que de réussir à s'en sortir.

Au mieux, ça donne des personnages qui se débattent dans les mêmes problèmes que nous, et avec qui on est sur la même longueur d'onde.

Comme nous, le personnage passe parfois une mauvaise journée et ne relève même pas quand la secrétaire sexy vient lui parler.

Au pire, ça donne un exemple de ce que l'on ne doit pas faire (et on a appelé ça « la catharsis » : on voit ce que ça donne de « s'abandonner à ses passions », on voit le résultat terrible (en général, les héros de tragédie ne finissent pas en train de siroter un verre de rhum-coca en bord de plage), et on se dit « hum... bin je vais pas le faire, alors »).

Comme nous, le personnage a parfois envie de se lâcher un peu et de taper sur des trucs (des trucs vivants).

Le héros tragique est un héros qu'on regarde en se disant : « oh, non, putain, fais pas ça, fais pas çaaaaa... », en voyant venir la catastrophe de loin, en ne partageant pas du tout les décisions des personnages, mais en comprenant / reconnaissant malgré tout ces fameuses passions qui poussent le personnage tragique à faire n'importe quoi (la jalousie, l'envie, la soif de pouvoir, le besoin de revanche). On ne s'identifie pas au personnage, on ne se demande pas ce qu'on aurait pu faire à sa place, on n'est pas aussi soumis aux passions que lui. Mais on le comprend. À un moment, ça fait du bien de péter un peu les plombs et de se laisser aller. Nous on se laisse pas aller. C'est pourquoi on fout jamais la grosse baffe dans la petite tête de notre patron, qui, pourtant, l'a mérité plus d'une fois. Non. Nous, on est raisonnable. Mais on comprend qu'un personnage puisse ne pas l'être. Et, limite, ça fait du bien de voir quelqu'un (même uniquement dans la fiction) qui détend un peu l'atmosphère. Ça fait du bien de se défouler par procuration. Même si ça se finit mal. (Et ça ne finit pas vraiment mal, puisque c'est de la fiction.)

 Et puis, bon, du coup, le personnage laisse parler ses bas instincts, et ça finit mal.
Moralité : ne laissez pas parler vos bas instincts. (C'est facile : un instinct n'a pas de bouche, déjà.)

Bon, depuis peu, les scénaristes ont cogité sur ce personnage tragique et ils se sont dit : « Hey, mec, tu sais pas quoi (tu permets qu'on se tutoie, je tutoie tout le monde ici, tu sais Hollywood, c'est un peu une grande famille) ? Et si on faisait un héros tragique, qui permette au spectateur de réaliser une catharsis et de se défouler, mais que, en plus, l'histoire se finisse bien ? Comme ça il sortirait de la séance avec la banane (tous ces gens qui meurent dans les tragédies, c'est d'un déprimant). » « Oui, nan, mais, le héros tragique n'a de sens que si, justement, on pousse le modèle jusqu'aux conséquences extrêmes d'un personnage trop aveuglé par ses sentiments pour s'arrêter à temps, et » « Super, super. Je vois qu'on est sur la même longueur d'onde. je te laisse bosser ce week-end et tu me files un draft lundi. Allez, lundi 10h, je suis pas chien.»

ET C'EST COMME ÇA QU'EST NÉ LE PERSONNAGE AVEC UN TRAUMA.

Le gars a un trauma (un chameau a mangé ses parents quand il était petit). On le retrouve vingt ans plus tard quand, pile-poil-ça-tombe-bien-dis-donc-le-hasard-fait-bien-les-choses-oh-moi-je-crois-pas-au-hasard-il-y-a-plutôt-comme-une-force-générale-qui-nous-gouverne-tous, la CIA vient le chercher pour une mission qu'il est seul à pouvoir réaliser (il faut être un homme chaussant du 36, et c'est vrai que c'est assez rare quand même) et qui se passe dans le désert. Notre héros transpire à l'idée de se retrouver à nouveau nez-à-nez avec un chameau. Au court de sa mission, notre héros sauve le monde (vous en doutiez ?), bute un chameau (il croyait rouler sur un dos d'âne, et en fait non), et rentre chez lui sous les applaudissements. Il a rempli sa mission, il a affronté son trauma et l'a vaincu, il revient plus fort, plus beau, et sentant bon le sable chaud. C'est la totale win. Dans deux ans, il est président.




La win.
Avec un cactus.

Le personnage est donc soumis à ses fameuses passions. Mais pas trop. Et arrive à s'en extraire.

Bonus non négligeable : comme ça se finit bien pour le personnage principal, on peut construire celui-ci sur des archétypes éprouvés de héros au top de leur forme, comme ce fameux Jésus Skywalker qu'on voit partout. (Skywalker a un trauma : son papa est méchant ; et il dépasse ce trauma : il lui dit flûte ; et après son papa meurt et tout le monde est content et danse avec des ours en peluche (c'est un truc qui se fait beaucoup, aux États-unis, de danser avec des ours en peluche quand on est content) (c'est une autre culture)).

On croit qu'on est proche culturellement des États-Unis, et puis on tombe sur ce genre de photos, 
et un mur d’incompréhension se dresse soudain entre nous et la première puissance mondiale.

SEUL PETIT SOUCI.

Le spectateur/lecteur se sent bien con, puisque, lui, il n'arrive même pas à faire ses courses sans se faire doubler dans la file d'attente des caisses par un gros mec louche (et, en plus, c'était la file qui n'avance pas), et qu'il n'a toujours pas résolu sa névrose de mère possessive. Quant à sauver le monde, je vous en parle même pas.

MON DIEU ! PAS LES COURSES DE NOËL ! NON ! PAS ÇA !

Alors, hein, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, c'est très bien de donner des traumas à des personnages. On a tous des traumas. On a/a eu/aura tous des crasses qui vont nous gâcher l’existence. Il n'y a pas de raison que les personnages de fiction y réchappent, bien au contraire. À CONDITION QU'ILS NE RÉSOLVENT PAS LEURS TRAUMAS EN DEUX COUPS DE CUILLÈRE À POT. Nous on met vingt ans de psychanalyse pour résoudre la moindre névrose ; eux, il leur suffirait d'un petit trek en Syrie ? À d'autres ! C'est plus compliqué que ça ! Et ça doit le rester pour les personnages de fiction.




Là, par exemple, le personnage a un trauma : sa collègue s'est faite arracher la main par une balle de fusil.
Et bin il arrive pas du tout à résoudre son trauma, et, à la place, il tape sur des trucs vivants.
Il gère la situation comme une merde. C'est à dire comme nous.

Sinon, on se retrouve dans le même cas que l'archétype super-puissant qui vous file des complexes parce que c'est un modèle inatteignable. Le personnage devient, là aussi, dans sa manière qu'il a de résoudre ses problèmes super facilement, un modèle inatteignable. Alors que, justement, ses problèmes étaient censés être là pour mettre de l'eau dans le vin du personnage et le rendre plus proche de nous. Ce qui le rendait plus proche le rend plus lointain. Résoudre les soucis du personnage l'éloigne de nous. Il ne faut donc pas les résoudre. CQFD. Paf. Tchouc. Zou boulégan ! Ça, c'était de l'argumentaire implacable.

Ce qui transforme un héros (fort et indomptable) en personnage dramatique...

Dans la vie, y a ceux qui en chient (nous), et puis y a Batman.

IDENTIFICATION ET HÉROS DRAMATIQUE.

Le héros dramatique est un héros qu'on regarde en se disant « non d'un petit bonhomme, mais c'est exactement comme ça que je suis, moi... ».

Alors, forcément, ça va pas faire des étincelles, hein. Le héros dramatique ne va pas envoyer valser son patron. Il va fermer sa gueule et subir. Le héros dramatique ne va pas sauver le monde. Il va faire de son mieux pour que les gens autour de lui ne soient pas trop tristes, et c'est déjà pas mal. Le héros dramatique ne va pas affronter ses traumas dans un climax ébouriffant et revenir complètement libre de toute entrave en moins de 48 heures. Il va subir les problèmes de l’existence et essayer de les régler au mieux, sans toujours y arriver, mais, bon, on dit bien que ce qui compte c'est la bonne volonté, non ?

Bon, déjà, on identifie le problème. Ensuite, on essaye de le régler...

Ce faisant, le héros dramatique est beaucoup plus souple qu'un archétype. Il n'incarne plus le roi, le mage (en Galilée), la fâme, le guerrier, je-sais-pas-quoi-d'autre ; il n'incarne rien de bien précis, en fait.

Ça en fera un héros moins total, moins « à 100 % dans son truc ». (Il ne pétera pas les plombs pour commencer à devenir, tout d'un coup, un gros psychopathe. Il ne se lèvera pas, tout d'un coup, pour sauver le monde et résoudre tous ses soucis, bim, en une fois.) Mais cela en fera un héros plus abordable, plus à notre portée, à notre niveau. Qui n'imposera pas sa psyché, son style, son archétype, mais sera simplement le support de nos propres idées, envies, désirs


On ne juge pas le personnage. On ne prend pas exemple sur lui. On se dit juste : « le pauvre vieux ».

Nous serons toujours là pour compatir à la situation du héros dramatique. Pour essayer de réfléchir avec lui à sa situation. Sans voir en lui un modèle, mais plutôt un ami.

Deux amis et un modèle lointain et inatteignable se cachent dans cette image. Saurez-vous les retrouver ?

jeudi 17 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe mal fichu.

O'Neill et Moore nous montrent comment créer des personnages qui représentent des archétypes un peu ratés quand même.

Kevin O'Neill et Alan Moore et Benedict Dimagmaliw, La ligue des gentlemen extraordinaires, Delcourt grâce à une traduction de Janine Bharucha.

Pour faire un super-héros, c'est entendu, il faut croiser les archétypes.

Mais pour faire un héros normal ? Il faut faire quoi ? On laisse tomber les archétypes alors ?


Dans cet épisode de la ligue des gentlemen extraordinaires, tout est inversé.
Ce sont les méchants, les super-héros.

Ils ont voyagé depuis Mars.

Ils ont des pouvoirs limites magiques de faire fondre les gens.

Ils ont des armures de chevaliers.

Et à défaut de raser la moitié d'un pays, ils rasent la moitié de Londres.

Bon, ils ont quand même un petit défaut : ils sont très très très vilains.


On peut les laisser tomber, oui, mais ce n'est pas obligatoire.

Ce qui caractérise un héros normal (je vais prendre un exemple au pif : vous). Ce qui vous caractérise, c'est effectivement que votre vie ne répond pas au schéma classique d'un archétype. Pas de pouvoirs magiques, pas de voyages super-longs, pas de gens qui viennent sonner à votre porte tous les matins pour vous demander d'aller raser la moitié d'un pays. Dites donc, c'est un peu tristounet.

Sauf que non.

Dans votre vie, vous êtes, vous aussi, en relation avec les différents archétypes, tels qu'expliqués par Jung. (Si, si. Je vous assure.) Sauf que, vous, vous n'incarnez pas ce ou ces archétypes, qui sont beaucoup trop forts pour vous ; ils vous servent seulement d'exemples à suivre qui semblent plus ou moins opportuns suivant la situation. (Mais puisque je vous le dis.)

Vous allez essayer de suivre l'archétype du stratège pour amener votre groupe d'amis à choisir votre resto favori plutôt que la pizzeria du coin putain non pas encore une pizza vous en avez soupé des pizzas, ça va faire la quatrième cette semaine.

Vous allez essayer de suivre l'archétype de l'amoureux le jour de la Saint valentin.

Vous allez essayer de suivre l'archétype du voyageur pour prendre le métro. (Quelle aventure !)

Et bin, ce que vous faites, les personnages de bande dessinée peuvent le faire aussi.

Il peuvent être construits sur ce même modèle de j'voudrais-bien-mais-j'peux-point-être-un-super-archétype. Ils peuvent devenir des personnages qui tendent vers un archétype, mais qui n'arrivent pas à l'incarner complètement.

Hyde voudrait bien être amoureux, mais non, il ne peut pas. Il y est presque, hein. Mais en fait non.

C'est un choix très intéressant parce que, comme dans la vraie vie, se choisir un archétype et vouloir absolument l'incarner, ça file des névroses et des psychoses. (Mais si, je vous assure, vous êtes complètement névrosé du fait de votre rapport inconscient aux différents archétypes portés par la société.) (Siiii, j'vous jure.) Ça fait des personnages imparfaits, pluri-dimensionnels, compliqués à explorer, complexes. Bref, ça fait des personnages cools, et beaucoup plus proches de nous que les super-héros multi-archétypaux.

Une relation que nous qualifieront de « complexe », pour rester poli.

C'est ce concept qu'utilisent Alan Moore et Kevin O'Neill dans la ligue des gentlemen extraordinaires.

On reste dans un cadre classique de bande dessinée de super-héros, donc, chaque personnage ( pioché dans la littérature populaire du début du siècle dernier) est calqué sur un archétype unique. Sauf que ces archétypes restent, pour eux, un modèle inaccessible. Ils sont quand même des super-héros, hein, puisqu'ils sont des clichés d'archétypes. mais des super-héros bas de gamme.


Hyde : un super-héros malgré lui.

(Petite subtilité : comme chacun des personnages n'incarne qu'un seul archétype, alors, pour construire malgré tout une bande dessinée de super-héros-super-puissants, Moore et O'Neill font une bande dessinée de groupe. Chaque individu incarne un archétype et, au final, c'est le groupe qui est fort de tous les archétypes additionnés les uns aux autres. Chaque personnage séparé est moins fort que Superman, mais le groupe possède autant d'archétypes et de forces que lui.)

Gentlemen assemble !

Si nous regardons l'ensemble de l'équipe de héros/super-héros/personnages/on sait plus comment les appeler avec toutes ces conneries :

  • Mina Harker
Archétype : la Reine (avec une majuscule, quand même, c'est une reine). La chef, quoi. La boss. La leadeuse. Elle à +1000 en charisme sur sa fiche de personnage et ça lui suffit pour naturellement choisir les orientations du groupe et imposer son point de vue.

Bon, alors, là, le charisme se voit pas trop et elle ressemble plus à un poisson-lune, mais croyez-moi sur parole.


Petit souci : elle a rencontré dans sa jeunesse un gros badass de personnage archétypal de roi : Dracula (d'ailleurs, il était roi avant de sucer du sang) (enfin, il était comte, mais c'est pareil). Et ça c'est pas super-super bien passé (ni pour elle, ni pour lui). Mina Harker incarne donc une reine pleine de pusillanimité, qui sait ce à quoi peut bien mener l'excès de pouvoir débridé, et qui essaye justement de se brider elle-même. Une reine qui refuse son destin.


On a tous ses petits secrets, n'est-ce pas ?

  • Capitaine Némo
Archétype : le Voyageur. Bon, bin, il voyage, Némo, jusque là, je pens que personne ne viendra me chier dans les bottes sur ce point. Mais surtout, il découvre des merveilles (il découvre comment subvenir à ses besoins uniquement grâce aux denrées de la mers ; il découvre des îles mystérieuse).

Capitaine Némo et la bonne santé psychologique : figure 1.



Petit souci : son tempérament un brin soupe-au-lait l'amène à buter des tas de gens sans presque d'autre raison que ce sont des gens. C'est un héros voyageur détourné des merveilles qu'il possède (le sous-marin) ou qu'il connaît (les dessous marins) par sa misanthropie.

Bon, par contre, sur ce coup, on peut pas dire qu'il ait complètement tort : des anglais, quoi.

  • Docteur Jekyll / Mister Hyde
Archétype : le Guerrier. C'est un guerrier pile poil comme l'archétype le demande : un guerrier qui veut pas y aller. Il veut rester le Docteur Jekyll. Et puis, on le chauffe, on le chauffe, résultat : il se transforme en Hyde et ça chie dans la colle pour beaucoup de monde.

Bouh !


Petit souci : une fois transformé en Hyde, il ne se contrôle plus et peu bien sauver une petit vieille qui se faisait voler son sac-à-main ou manger un bébé, ce n'est même pas sûr qu'il s'en rappelle dans cinq minutes. C'est un guerrier, mais sans l'aspect réflexif de celui-ci, qui le faisait aspirer au bien (et même rechercher le bien commun).
Taper sur des bambous ou sur des gros bouts de tôle : Hyde a choisi.

  • Homme invisible
Archétype : le Stratège. D'habitude, un stratège, ça essaye de beaucoup parler pour manipuler les gens et les convaincre que son point de vue est le meilleur. Là, l'homme invisible essaye d'imposer son point de vue en manipulant l'univers proche des personnages pour les faire flipper (il bouge un vase de place et on croit qu'on perd la boule). C'est plus rustique, mais tout aussi efficace.

Re-bouh !


Petit souci : il est complètement niqué de la tête.

C'est quand même rigolo de pouvoir se mettre tout nu, comme ça, n'importe où...

Hummmm... Stratégie !

  • Allan Quatermain
Euh... Et bin un peu tout ça à la fois, en fait. Il est une sorte de sous-chef dans le groupe, de par son expérience (il est tout vieux). Il est également un voyageur (il a pas gagné sa réputation en publiant un livre de 1001 recettes de cupcakes, mais en allant piller l'Afrique (piller l'Afrique, ça c'est une idée originale). Il a un fusil, donc il est vaguement guerrier quand même (il tue des gens, quoi) et vaguement stratège (il tue des gens, mais en regardant le sens du vent et la courbure des rayons du soleil pour que la balle arrive pile entre les deux yeux).


Oui, donc, bon, voilà, c'est un vieux con qui ne fait que ressasser ses supposées gloires passées.

Allan Quatermain est le membre de la ligue qui se rapproche le plus d'un super-héros-multi-archétypal. Sauf qu'il est vieux. Il est fini. Il répète sans arrêt que sa vie est derrière lui. Le monde des gentlemen, celui de l'époque victorienne, tel que décrit dans les bouquins, n'est plus celui des héros. Ils sont trop vieux. Il est devenu celui des presque-héros-qui-essayent-mais-c'est-pas-encore-ça.

Le héros d’antan a pris un coup derrière la casquette.

Du coup, Alan Moore et Kevin O'Neil se servent des archétypes, et de l'imprégnation de ces archétypes dans la bande dessinée et les récits de super-héros pour en donner une vision réflexive et relativiste.

Oui, ok, ces archétypes existent. Oui, ok, il faut faire avec. Oui, ok, ils peuvent conditionner notre développement psychologique. Oui, ok, si on s'attache trop à ces modèles sans réussir à faire la part des choses, on peut finir complètement psychotique. MAIS JUSTEMENT, les auteurs nous présentent des personnages qui ont les mêmes soucis : ils voudraient bien incarner des héros-archétypaux, mais ils n'y arrivent pas, parce que ce sont tous de gros névrosés. Et vous savez quoi ? Ils sont des héros quand même. Ils sauvent la planète quand même. Et en restant cool.

Y a rien de plus cool que de dire qu'on est pas cool tout en étant cool.

L'archétype n'est pas une fin en soi.

On peut avoir des personnages archétypaux qui respectent à mort le cahier des charges.


On peut avoir des personnages hyper-archétypaux qui cumulent toutes les caractéristiques possibles et inimaginables.


On peut avoir des personnages hypo-archétypaux, qui voudraient bien, qui ont un modèle, mais qui n'arrivent pas complètement à l'accomplir et l'incarner.


Je m'en fous, je vous replacerais cette case autant de fois que je voudrais.

On peut même avoir des personnages hypo-archétypaux qui ne sont pas des super-héros (si !).

Ce que nous verrons la semaine prochaine.

(Oui, encore une suite à cet ensemble de billets (n'en doutons pas) passionnants.) (Ça n'en finira jamais.)

Ha bah non ! T'en vas pas ! Ça commençait à peine à devenir intéressant...

jeudi 10 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe unique.

Morrison et Quitely reviennent en deuxième semaine pour nous reparler archétypes, et nous donner un exemple de personnage qui les cumule quasiment tous.

Grant Morrison, Frank Quitely, Jamie Grant, All-Star Superman, DC Comics.

Au plus bas de l'échelle de la construction de personnage, il y a le stéréotype.

Un patron de presse acrimonieux qui menace de virer ses employés toutes les cinq minutes. Comme c'est original et intéressant.

C'est le personnage qui ne bouge jamais. C'est le personnage du fonctionnaire, du vieux con, du copain du héros, du patron ; qui va rester cantonné à cette fonction durant tout le récit. C'est le personnage qui n'a aucun intérêt, parce qu'on sait déjà comment il va finir : exactement comme il a commencé, en ne changeant pas d'un iota et en ayant autant d'influence sur l'intrigue qu'une politique patronale sur la baisse du chômage. Le stéréotype a autant d'intérêt qu'une plante verte : il est simplement là pour éviter que ça fasse trop vide.

Juste un échelon au-dessus vient l'archétype.

Les archétypes de mecs balèzes se font défoncer par Superman (qui est bien plus qu'un simple archétype).

C'est le personnage qui bouge dans l'intrigue, mais on sait exactement comment il va bouger.

On a déjà repéré sa bouille dans des dizaines de milliers de milliards de scénarios et on a appris comment il allait dérouler -programmatiquement, consciencieusement, et sans jamais déborder des lignes- tout son destin, inscrit dans la construction de son archétype depuis des centaines d'années. C'est le personnage qui n'a aucun intérêt, parce qu'on sait déjà comment il va finir : exactement comme a fini le même archétype dans le film de la semaine dernière. L'archétype a autant d'intérêt qu'un dicton sur le temps qu'il fait : ça meuble quand on sait pas trop quoi dire (son scénario, quand on est scénariste, la conversation à la machine à café avec Jean-Michel, quand on est pas super-pote avec Jean-Michel). (« Hé bin, Jean-Michel, crois-le-moi, crois-le-moi pas, mais « Noël au balcon : Pâques au tison », Jean-Michel. Alors inutile de te dire que je stocke les pulls pour le 27 mars. »)

Est-ce que quiconque a déjà cru que Bruce Willis, à dix minutes de la fin, quand il est tout en sang, par terre, à bouffer du gravier, avec un méchant qui lui plante des fourchettes dans le dos et un autre qui fonce sur lui avec un rouleau-compresseur, est-ce que quiconque à déjà cru que, cette fois, ça y est, Bruce est foutu, il va se faire avoir, il va mourir, et ce n'est finalement pas un film d'action que je regarde mais une tragédie ? Personne de plus de dix ans n'a pu croire ça. On se fait avoir la première fois. La deuxième fois, on regarde la scène vaguement inquiet. Au bout de la deux-centième fois où Bruce arrive à s'en sortir in extremis, on avait quand même vaguement vu venir le truc.










 Bruce, dans tous ces films d'action hyper-variés (au niveau de la coupe de cheveux).

Est-ce que la scène a servi à quelque chose ? Est-ce qu'il y avait du suspense ? Est-ce qu'on s'est rapproché du personnage ? Est-ce que le personnage a évolué au court de l'épreuve ? Non. Pas plus que les cent-quatre-vingt dix-neuf autre fois. La scène a servi à que dalle.

Voilà pourquoi les personnages pré-programmés, c'est de la merde.

Voilà pourquoi, les archétypes, bin, c'est pas top.

Sauf à les mélanger.

En fait, les personnages les plus connus ayant traversé l'histoire ne sont pas des archétypes (comme Achille), mais des mélanges d'archétypes (comme Ulysse) (qui est un guerrier et un stratège durant la l'Iliade, puis un voyageur durant l'Odyssée). (Faites pas vos innocents : si on nous demande de résumer l'Odyssée, on aura toujours deux trois idées pour faire illusion (le cyclope, Charybde et Scylla, Circé et les cochons), si on nous demande de résumer l’Iliade, à part, « euh, bin, euh, y avait une guerre », on sera tous un peu dans le pâté.)


Euh... Ouais... les sirènes, tout ça... Ça me dit vaguement quelque chose...

Quand on se base sur un archétype, on sait quelle sera la prochaine réaction du personnage : celle dictée par son archétype. Mais quand on mélange deux archétypes, on ne sait pas qu'elle sera la prochaine réaction du personnage : va-t-il suivre le modèle de son premier archétype, ou de son second ? Le personnage devient imprévisible et intéressant. Mieux : il devient profond. Comme on n'arrive plus à anticiper ses actions, on a l'impression que sa psychologie s'est complexifiée jusqu'à devenir insondable.



Un coup Superman sauve Luthor, un coup il le tape. Il est difficile à suivre, ce garçon. (Tant mieux.)

Mieux encore : la construction d'un personnage basée sur de multiples archétypes (des modèles qu'on épouse plus où moins suivant les situations et qui régulent les comportements des personnages) suit exactement notre propre construction psychique à nous, cherchant des exemples de comportements parmi les archétypes véhiculés par la société depuis des lustres, et les épousant, plus ou moins, suivant les situations et notre construction psychologique.

« Hé ouais ! Débrouille toi avec ça ! »

Mixer les archétypes au sein d'un même personnage permet ainsi :
  • Feinteusement, de masquer l'intrigue et le développement du personnage au lecteur.
  • Techniquement, de donner une impression de complexité aux psychologies des personnages.
  • Émotionnellement, de rendre le fonctionnement du psychisme du personnage proche de celui d'une vraie personne, et donc de rapprocher le lecteur du personnage. Et le bonus : ça se fait même sans y penser : il faut juste se forcer un peu à ne pas rester dans le même archétype tout le temps. 

Surtout, le mélange des archétypes renforce les archétypes.

Les archétypes sont des modèles de personnages de toute façon forts et puissants. Rien ne leur résiste, ou presque. Ce sont des héros, des vrais, des validés. Alors, imaginez un peu si on en mélange plusieurs : ils deviennent encore plus forts et plus puissants.

Plus on va ajouter d'archétypes à un personnage, plus on va lui rajouter de caractéristiques et de points forts, plus il donnera l'impression d'être un héros total. Un décathlonien de l'héroïsation, qui a vu du pays, sait se battre, réfléchir, mélanger des trucs pour faire des potions, changer une roue même avec un boulon pété, réparer une glaviole sans toucher aux pétons, et faire des cookies sans gluten.

Il sait tout faire, on vous dit.

Il est super fort partout, il est mieux qu'un héros, il est un super-héros.

Et, de fait, vous remarquerez sûrement qu'une grande partie des super-héros de bande dessinée sont bâti sur ce modèle de héros total. C'est ce qui fait la différence entre eux et les autres d’ailleurs. Ce ne sont pas juste des héros. Ce sont des super-héros. On peut gloser des heures sur ce qui définit réellement un super-héros (le courage, la volonté, une valeur morale supérieure, blablabla), mais, techniquement, ce qui fonde un super héros, c'est le mélange des névroses archétypes.

Enfin, le mélange, on se comprend, le mélange harmonieux qui fait que toutes les qualités diverses transportées par les différents archétypes s'épousent sans s'annuler et, au contraire, se renforcent.

Et il est gosse-beau !

C'est ce qui arrive à notre ami Superman.

Superman est super-intelligent, et use de cette intelligence pour essayer de convaincre les autres de son point de vue.

Ouais bon bin ça va, mec, tu l'as déjà dit, ça. Tu deviens gâteux ou quoi ?

Mais Superman est aussi super-fort, il est donc un guerrier, très conscient de son statut de gardien de la Terre, mais qui cherche toujours des solutions non-violentes avant d'être contraint de péter la gueule à tout le monde. Il et le héros guerrier typique : celui qui veut pas, mais qui y va quand même.


Donc, quand je disais que Superman était avant tout un guerrier et que tu as essayé de me convaincre du contraire 
tu te foutais officiellement de ma gueule ou bien ?

Et Superman est également super-magique : il va voyager dans le temps en vivant super-vieux, il a des pouvoirs quasi-illimités et en tout cas très impressionnants (des rayons qui lui sortent de yeux, quand même, c'est cool), il est là dans un rôle de consolateur, de guérisseur, de docteur (ce qu'était un peu le magicien des contes : le rebouteux du village d'à côté un brin idéalisé), et, surtout, il est là pour nous offrir un miroir et, par contraste, valoriser les autres personnages qui l'entoure.


C'est bien ce que je dis : Superman colle pas du tout à ton archétype du stratège tout pourri. 
Et t'as fait comme si juste pour faire ton monsieur-je-sais-tout.

Pour ce qui est de Superman et des super-voyages, je pourrais vous baratiner et dire qu'il a voyagé dans l'espace étant tout petit pour ensuite arriver sur terre, ou que, dans sa longue carrière, il a quand même beaucoup vadrouiller dans l'espace, voir sur des planètes étranges comme Apokolips, mais, bon, il faut bien reconnaître que ce n'est pas non plus une facette primordiale du personnage.

Tu es au courant que tu reconnais toi-même que tu fais de la merde ? Pas trop difficile pour ton ego ?

Ceci dit, c'était sans compter All-Star Superman, puisque, justement, dans ce bouquin, le scénariste, Grant Morrison, s'emploie à rendre Superman le plus super possible, c'est à dire à le faire épouser le plus d'archétypes possibles.

Nous disons donc :
  • Guerrier
  • Stratège
  • Magicien
  • Voyageur

Mais aussi :
  • Innocent
Oh ! J'te cause, là ! Fait pas semblant de pas entendre ! C'est vexant !
  • Amoureux
Et vas-y que je continue l'air de rien !

  • Créateur
Nan mais ça va bien ! Si tu crois que je vais laisser tomber parce que tu balance des tas d'images au pif 
pour essayer de regagner une crédibilité, c'est raté mon ptit père. Je lâche rien !

  • Bouffon
Tous avec moi les gars ! On vaut mieux que ça !!

  • Roi
#OnVautMieuxQueÇa !


  • La fâme.

Alors, euh, oui, en effet, la femme (sans une société pas du tout misogyne mais non mais non) est un archétype à elle toute seule. Mais, bon, là, non Superman est pas une femme.


  • Le méchant.

Ha bah non plus. Quand même ! C'est Superman, merde !


  • Le rebelle.

Toujours pas. Faut bien voir que Superman réunit quand même pas mal d'archétypes, mais pas tous non plus. Ça reste un simple kryptonien comme les autres, zut, à la fin ! Ce n'est pas Dieu !


MAIS ON PEUT QUAND MÊME DIRE QUE SUPERMAN EST UN GROS CUMULARD.

En réalisant ce florilège, Morrison balaye tous les styles/univers/idées portés par le comics depuis la création du personnage de Superman (plus de 80 ans quand même) en plus de souligner la totale puissance de ce héros, en qui cohabitent (harmonieusement) autant d'archétypes.

Grâce aux archétypes, Morrison et Quitely font de Superman un héros total, couvrant toutes les possibilités et configurations de l'héroïsation. Ils hissent leur personnage au plus haut point de rayonnement possible.

#OnVautMieuxQueÇa !

Ceci dit, ça, ça marche uniquement quand les différents archétypes se mêlent harmonieusement. Parce que quand ce n'est pas le cas, bonjour les dégâts... (Ce que nous verrons la semaine prochaine.) (Dès que j'aurais réglé mes problèmes de dédoublement de personnalité.)