Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 14 octobre 2016

La bande dessinée n'est pas du bla bla

C'est comme ça, je me suis promis que je ne dirai jamais de mal d'une bande dessinée dans ce blog.

Mais je n'ai jamais promis que je ne dirai pas de mal d'un film.


POURQUOI C'EST MAL ?

Dans ce film, on nous communique différentes informations. On le fait par le dialogue, et uniquement par le dialogue. Pas par le cadrage. Pas par la photographie. Pas par le montage. Pas par une petite scène à côté qui ajouterait du sens. Ou un second rôle bien fichu. Pas même par le jeu d'acteur. Non. Y a juste un mec qui parle, face caméra, et qui explique ce qu'il faut penser et ressentir dans la scène. Trop aimable...

OUI, MAIS, POURQUOI C'EST MAL ?

Parce que le réalisateur de ce film n'utilise qu'une infime partie des possibilités qui lui sont offertes pour construire son film. Et la plus basique en plus. Le texte. Explicatif. Débité face caméra. Un ersatz de roman, sans le style, sans les personnages, sans les dialogues, sans la construction dramatique. Pas mieux que les didascalies d'une pièce de théâtre ânonnées par un récitant (avec une vanne sur Hulk, quand même, pour nous réveiller quatre secondes et demie).

OUI, NAN, MAIS, D'ACCORD, MAIS POURQUOI C'EST MAL ?

Parce que le réalisateur pourrait varier les méthodes pour exprimer ce qu'il veut exprimer, et, même, chose folle, croiser les effluves (ce n'est pas mal) en utilisant plusieurs des moyens qui lui sont donnés à la fois pour :
  • renforcer ce qu'il veut exprimer en l'exprimant de plusieurs manières,
  • nuancer ce qu'il veut exprimer, en présentant des points de vus contradictoires dans la même scène.
Bref, il pourrait enrichir nettement son propos, et son film, et son art, et ses spectateurs.

Au lieu de ça, s'il veut renforcer son propos, la seule méthode qui lui reste est que, non pas un, mais deux acteurs disent la même chose en même temps.

La seule méthode qui lui reste pour nuancer son propos, c'est qu'un acteur parle-parle-parle, puis, sans trop de raison apparente, qu'il dise quelque chose en contradiction avec son monologue précédent. C'est comme ça qu'on se retrouve avec des tas de super-héros qui, alors qu'ils viennent d'expliquer qu'ils sont face à la plus grande menace que l'humanité n'est jamais bla bla bla, balance une petite vanne l'air de rien juste à la fin. Parce que, quand on n'a plus que le monologue d'un personnage pour nuancer un point de vue, et bin on balance de la petite vannasse, c'est comme ça, c'est une règle à Hollywood (cherchez pas à comprendre) (c'est dans le même bouquin de règles qu'on trouve précisé qu'il ne faut plus faire de films originaux, mais que cela doit obligatoirement être des adaptations de suites de remakes).

ET LE PROBLÈME, C'EST QUE CETTE TECHNIQUE DU « TOUT PASSE PAR L'ÉCRIT » EXISTE AUSSI EN BANDE DESSINÉE.

Mais est-ce qu'on ne pourrait pas avoir juste un exemple de bande dessinée qui fait de la merde ?

NAN. J'AI PROMIS.

Allééééé... Je me fais mal l'image d'une bande dessinée pourrie, quand même, j'ai besoin d'un exemple.

MAIS VOUS N'ÊTES JAMAIS RENTRÉ DANS UNE FNAC OU BIEN ?

L'art narratif, ce n'est pas juste balancer des informations au bon moment au bon endroit (« en fait, j'avais oublié de t'en parlé tantôt, mais je suis ton père ») (« en fait, c'est ballot cette histoire, on parle, on parle, et on oublie des choses, il fallait que je te dise que je ne suis pas mort naturellement, j'ai été assassiné par mon frère et je voudrai que tu me venges (si c'est pas trop demandé) »).

(Je vois qu'il y en a qui connaissent mieux l'intrigue de Star Wars que de Hamlet, je ne juge pas, mais je prend note.)

L'art narratif, c'est de stimuler tellement le lecteur/spectateur par tout un tas de moyens qu'il ne sais plus où donner de la tête, n'arrive plus à analyser le film / la pièce de théâtre / le roman / la bande dessinée mais se laisse complètement emporter par lui.

Mais, pour cela, c'est sûr, il faut maîtriser un peu ce que l'on fait (ça fait mal à la tête). (Et il faut avoir aussi à faire à des critiques qui savent analyser autre chose que du texte pur et qui ne se sont pas arrêtés à l'analyse de texte du Bourgeois Gentilhomme en 4°C de Mme Montreux.)

PARCE QUE, JUSTEMENT, LA BANDE DESSINÉE, C'EST LA JUXTAPOSITION DE TOUT UN TAS DE CASES QUI PEUVENT CONTENIR TOUT UN TAS DE TRUCS DIFFÉRENTS.


Peyo, Johan et Pirlouit - Le sire de Montrésor, Dupuis.

(ATTENTION ! SUPER IMPORTANT ! ON DIT : « PIRLOUITTE » !)
(NE FAITES PAS D'ERREUR DE PRONONCIATIONS ! VOUS RISQUERIEZ DE PASSER POUR UN FRANÇAIS !)

DU POINT DE VUE DE L'HISTOIRE PURE.

1° action : révélation (par le texte).

2° action : capture (par le texte et la composition de l'image).

  
3° action : fuite (par le dessin).

4° action : alerte (par le texte).


5° action : course poursuite (par le dessin et la composition).

Il y a de tout pour tout le monde. L'action est variée; on passe pas juste trois plombe à papoter.

DU POINT DE VUE DES PAS DE CÔTÉ QUI N'ONT RIEN À VOIR AVEC LA CHOUCROUTE.

Il y a bien des coups de suspenses et de stress avec des vraies têtes de Iago dedans comme dans tout récit qui se  respecte.

MAIS il y a des contre-points bien plus naturels, avec des vrais bouts de vrais-gens-comme-vous-et-moi qui détestent être réveillés en plein milieu de la nuit et ne rien comprendre à rien.
Les méchants ne sont pas si méchants, ils sont justes mal réveillés.

(De la nuance, donc.) (Tout le contraire des méchants à la Zultan-prince-moche-des-ténèbres-froides-et-destructeur-des-mondes. (À quel âge Zultan a-t-il décidé d'abandonner son nom de Ken Joshua De Parmentier ? Une adolescence qui passe mal ? Un conseiller d'orientation zélé ? Un premier rendez-vous ANPE où l'on préconise de muscler le CV ?)

DU POINT DE VUE DU RYTHME DE LA PAGE.

Peyo zappe constamment et fait en sorte de ne jamais avoir deux fois la même ambiance ou le même sujet dans deux cases qui se suivent.
Les gentils sont surpris.

Le méchant est méchant.

Bon, euh, ok, là, le méchant est encore méchant.

De l'action !

De la franche camaraderie rigolote (dans le dialogue) ET de l'action ET le résultat de l'action précédente. 
(Trois sujets dans la même case.)

Exactement la même chose qu'à la case précédente (comme quoi, voyons les choses en face, je raconte n'importe quoi), 
sauf que la conséquence de l'action précédente, c'est que Iago donne l'alerte.

De la rigolade ET de la poursuite ET du stress ET de l'humanisation de personnage même pas secondaires (on les verra plus).

Du stress.

De la rigolade très rigolote.

De la reprise de poursuite et de stress ET un appel vers une fuite possible.

On n'a pas affaire à deux personnages qui blablatent comme des piquets pris dan la semoule. Tout change tout le temps. Le lecteur est mis aux aguets parce que le rythme et la nature de l'action (et on parle bien d'actions et pas de euh... et bin de rien foutre dans un salon cosy) changent sans cesse.

DU POINT DE VUE DES PERSONNAGES.



Peyo se place TOUJOURS du point de vue du personnage. Comme ça on peut TOUJOURS se projeter dans l'action qui se passe. 
On est avec les gentils comme on est avec les méchants. On est avec eux, voilà tout. On est à fond les ballons.
(Parce que l'important n'est pas QUE le porteur du discours, l'important, c'est l'action, et tout ses protagonistes.)

DU POINT DE VUE DE LA COMPOSITION DES CASES.

Ordre.

Désordre.

Ordre qui passe sur le désordre.

Les fuyards dans un sens.

Les poursuivants dans l'autre.

Et les deux qui se rencontrent de biais avant que de fuir vers la page suivante.

Et ce qu'il faut voir c'est que toutes ses couches se superposent. Dans cet enchaînement de cases :




L'action est portée par le dessin de la première. Le suspense est porté par le contexte narratif de la seconde. La camaraderie est portée par le monologue de Pirlouit. L'humanité est apportée par tout ces soldats qui s'en prennent plein la tête sans rien pigé à ce qui se passe. L'histoire est portée par la composition toute en lignes de fuite.

Il se passe tellement de choses en si peu de place ! L'esprit peut vagabonder entre tant d'éléments différents et presque disjoints ! La scène est riche parce que les moyens technique pour la construire le sont. La scène est rapide parce que chaque moyen n'est utilisé qu'une fois pour passer à un autre système à la case suivante. La scène est fun parce que notre compréhension est tellement sollicitée sur tellement de niveaux différents que ça ribouldingue dans notre cerveau et qu'il adore ça.

Métaphore de ce qui se passe dans votre cerveau quand il kiffe.