Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 12 août 2016

La bande dessinée est pleine de petits traits.

Miyazaki revient pour nous parler lui aussi des traits, mais en les utilisant complètement différemment que son compère.


Les grands traits bien droits, c'est entendu, c'est un personnage qui veut vous montrer sa puissance, sa force ou son scharisme. (Le scharisme, c'est comme le charisme, mais en encore plus intense.) (En plus, ça se prononce pareil, pratique.) 

La force (de taper sur des gens).

La puissance (du coup de genou dans la gueule).

Le scharisme (du rebelle de la sociaytay).

Le personnage essaye de dominer et de modeler son environnement, en le recouvrant de grands traits effaçant tout décor ou personnage annexe. Les traits rayonnent, ou, au moins, entourent le personnage, comme s'il était une ampoule de 140 Watts. C'est son scharisme qui fait de lui le centre d'intérêt, c'est autour de lui que tout tourne, c'est de lui que parte les rayons.

Jésus était un super pro du scharisme. Du coup, il foutait des grands traits partout.
(Eau forte de Albrecht Dürer.)

Et quand on veut représenter exactement l'inverse ? Comment on fait ? Hein ? Bin on adopte la technique de dessin complètement inverse aussi, c'est logique.

On fait des petits traits. Mais alors, tout petits petits.
(Dessin de Rembrandt Von Rijn.) (Rembrandt, quoi.) 
(Il est tellement fort qu'on connait que son prénom, comme les joueurs de foot brésiliens.)

La source lumineuse, en quelque sorte, est externe.

Ces fameux rayons ne sont plus représentés et laissent place, soit aux grands vides entre les différents sujets de l'image, soit à des décors.

Le personnage sûr de lui et bien défini est remplacé par un personnage à moitié dans l'ombre, à moitié dans le doute.

Et les grands traits bien droits sont remplacés par de tout petits tout emberlificotés. Les traits sont aussi droits ou embrouillés que l'esprit du personnage. Il sont aussi grands que son moral est haut.

Pour résumer : grands traits = extériorité = droit = scharisme ≠ doute = petits traits embrouillés = intériorité = les yeux. 

Parce que, ça, ça marche à tous les coups, si vous faites des petits traits embrouillés, vous allez faire ressortir les yeux. 

À la Sergio Leone (mais dépressif).

D'abord parce qu'ils sont blancs, que vous passez votre temps à remplir le dessin de petits traits qui assombrissent l'ensemble, et qu'à la fin, s'il ne devait rester qu'une seule chose de blanc, ce serait les yeux. Ensuite parce que si vous êtes en train de représenter un personnage par la technique des petits traits, c'est bien qu'il a autant de scharisme que Michel Blanc dans les bronzés (ou que moi dans la vie courante) et que donc il est en pleine doutance, et que donc il est tout triste, et que donc il faut lui dessiner un œil qui mouille. Enfin parce que, quand même, on a beau être un dessinateur au service de son art, on n'en est pas moins un homme qui veut se la péter, et les dessin avec juste l’œil qui ressort d'une masse d'ombre ça claque sa mère et ça peut aider à pécho dans les festivals, déjà que c'est pas facile, qu'il y a une meuf pour 20 gars, pas de bonne bière, et une chambre d'hôtel avec de la moquette marron sur les murs, autant pas en rajouter dans la difficulté et se la donner un peu à base d’œil dans l'ombre.



Bref : en jouant simplement sur la différence de structure entre les petites hachures et l’œil net et blanc, le résultat est toujours le même : ça claque.

Bon. Maintenant tout ceci posé, est-ce que Miyazaki fait la même chose ? Et bin : oui, et non.



Ces deux images sont à la fois assez semblables, et pas du tout. (D'où mon propos.)

Oui, parce qu'il fait des petits traits, ça on peut pas dire le contraire, il est trop fan. Non, parce qu'il n'en fait pas assez pour noyer tout ses personnages dans des tonnes d'ombres tout en stompanato expressionniste (l'ombre, c'est leur âme, tout ça) (profond, isn't it ?).



Le petit trait est bien là pour dessiner l'ombre, et dessiner les zones de lumière par contraste.
Par contre, la volonté est de faire des dessins beaucoup plus lumineux, donc avec moins de petits traits.
(Parce que Miyazaki essaye de dessiner des trucs plus positifs, et donc moins noyés dans l'ombre du doute.)

Oui, parce que, côté rayonnement des personnages, à de rares exceptions près, c'est toujours l’environnement qui rayonne sur les personnages et pas le contraire (l'environnement qui domine et modèle les personnages et pas le contraire). Non, parce que ces rayons ne sont pas assez contrastés pour, encore une fois, marquer d'un sceau expressionniste indélébile l'ensemble du dessin ou de la page.



Miyzazaki garde l'idée de la source lumineuse externe.
Ce ne sont pas les personnages qui ont du scharisme qui déborde, c'est la nature et l'environnement qui sont plus forts que ceux-ci et qui les baignent dans une douce lumière. C'est une vision à la fois écolo-panthéiste (l'environnement domine le personnage, pas le contraire) et positive (l'ombre ne gagne pas).

Oui, parce que, là, sûr de sûr, chez Miyazaki, on est dans le personnage en pleine réflexion. C'en est même chiant à force d'intériorité et de gars qui se baladent dans la pampa en parlant tout seul sur le sens de la-vie-la-mort. Du coup, tous les personnages sont cadrés serrés, pour voir leurs beaux et grands yeux qui mouillent du chagrin de la vie de l'amour.



Chez Rembrandt, les portraits représentent la surprise, la colère, le mystère, la tristesse.
Ça arrive aussi à Miyazaki, hein, je dis pas le contraire. Mais Miyazaki est surtout intéressé pour représenter un truc : l'amour.
(C'est trop choupi.)

Grosso modo, Miyazaki garde le concept des petits traits pour exprimer la psychologie de ses personnages, n'en rajoute pas trois kilos dans les contrastes entre ombre et lumière pour expliquer que ses personnages sont torturés en dedans, et en profite pour montrer sa vision panthéiste des choses.


 

Bon, il arrive aussi à Miyazaki de faire le coup du personnage mystérieux. Mais, premièrement, il s'agit d'un vieux mystérieux, c'est pas pareil, c'est une convention scénaristique. Et, deuxièmement, la part d'ombre reste toujours beaucoup plus light.

Et, de fait, ses personnages ne sont pas vraiment torturés. Pour la plus part, il sont purs, tout d'un bloc, et pas du tout dans le doute. Nausicaä est la bonté même. C'est écrit sur son front qu'elle est gentille tout plein et qu'elle ne veut que faire le bien. Même ceux qui veulent faire la guerre sont tout d'un bloc : ce sont de grands militaires qui veulent tout vitrifier à cent kilomètres à la ronde. Clair, net, précis. Rien de flou, rien de contrasté. Donc pas de travail sur les ombres.

Dites pas le contraire, c'est une crème cette fille.

En plus, ça donne l'impression que le dessin est moins intériorisé. On reste toujours sur une vision panthéiste dans laquelle l'extérieur et l’environnement ont de toute manière plus d'importance que le personnage en lui-même.

Vous avez remarqué ? La page avec Nausicaä et l'écureuil mutant fonctionne de la même manière que celle-ci. Le personnage est, au début, entouré d'ombres (faites en petits traits). Une ombre qui est petit à petit chassée par le pouvoir de l'amour et de la lumière. Tout un programme.

Et si les grand traits droits représentent bien la force, la décision, le fameux scharisme ; les petits traits de guinguois représentent eux la douceur, l'appréhension et la tentative de compréhension de l'autre. Miyazaki a simplement repris cette technique dans son dessin, en l'allégeant, pour pouvoir représenter non plus un environnement qui écrase l'individu (sous des tonnes de lumières, déjà) et le noie dans le doute (de l'ombre), mais un environnement doux et accueillant qui se contente d'aider chacun à trouver son chemin.

Courir tout nu dans la campagne : un mode de vie que Miyazaki nous encourage tous à suivre.

jeudi 4 août 2016

la bande dessinée est pleine de traits.

Otomo revient (on parle jamais assez d'Otomo) (Et puis, bon, j'ai scanné 250 000 pages d'Akira pour les posts précédents, donc autant que je les réutilise.) (Je ferai plus que des posts avec des dessins d'Otomo sur ce blog, maintenant.) (Blog que je propose de rebaptiser le blog d'Otomo (et un peu Miyazaki aussi quand même)).

Otomo revient donc, pour nous parler des lignes de mouvement.

Katsuhiro Otomo, Akira, Kodansha et Glénat.

Dans la bande dessinée, il y a des traits.

SANS DÉCONNER ?

Nan, mais, je veux dire des lignes.

DES DESSINS DANS UNE BANDE DESSINÉES ? EST-CE QUE JE DOIS PRÉVENIR DAVID PUJADAS ? LE MONDE DOIT SAVOIR.

Mais non ! Je veux dire : des traits isolés, qui ne font pas vraiment partie d'un dessin. Enfin, oui, bien sûr, ce sont des lignes qui font partie du dessin d'une case, mais qui ne représentent aucune forme. Qui représentent plutôt des choses abstraites, comme un mouvement, un impact. Des traits qui ne représentent pas une forme mais ce que fait cette forme.


À ce petit jeu, moi, je distingue deux ou trois sortes de traits différentes :

IL Y A LES LIGNES DE MOUVEMENT.

La ligne de mouvement, c'est comme une flèche. Le truc va de là, à là, en passant par là. C'est vraiment comme indiquer par où il faut passer sur un plan.

Morris met des petits pointillés pour nous indiquer où va chaque balle. C'est très pratique. Merci Morris.

Ce genre de ligne est une simple aide au lecteur, pour qu'il sache comment organiser sa lecture de la case ou de la planche. Le regard part de tel personnage, puis remonte vers tel autre en suivant les traits. C'est la méthode du petit poucet, indicative, pratique, nette et sans bavure, vraiment pas compliquée.

Otomo, lui, intègre les lignes de mouvement au décor. Au lieu que ce soit le personnages qui bouge, ont a l'impression que les personnages restent sur place et que tout le décor bouge autour d'eux.

1°) Cela permet de dessiner les personnages plus précisément.

2°) Cela isole les personnages dans l'action, comme s'ils ne voyaient plus ce qui les entoure, obnubilés qu'ils sont par l'envie de taper sur un enfant (qui a certes une queue de rat, mais c'est quand même pas une raison suffisante).

Seulement, parfois, ces lignes de mouvement sont là sans qu'on n'en ait vraiment besoin. Le mouvement est court, la lecture évidente, pourquoi s'embêter encore à rajouter des lignes dans un dessin bien chargé ?

IL Y A LES LIGNES DE FORCE.

Quand la ligne de mouvement est évidente, qu'elle n'est pas là simplement pour expliquer au lecteur ce qui se passe, la ligne n'indique plus le mouvement qui se produit mais la force avec laquelle il se produit.


Ici se mêlent lignes de mouvement (le personnage est pressé) et lignes de force, il balance un gros marron au passage parce que faut pas l'énerver.

Grosso modo, la ligne de force, c'est la ligne de mouvement pour les pains dans la gueule. (Ça va pas plus loin.)

Sans ces traits, le mouvement pourrait paraître suspendu, comme si le personnage prenait la pause, ou flottant, comme si le personnage faisait ce mouvement au ralenti. Avec les traits, plus de doute : l'entièreté du mouvement est réalisée dans la case. Tout ceci est donc rapide. Tout ceci est donc costaud.  Le personnage a mis de la force et de la puissance dans ce mouvement.

Otomo, lui, est souvent adepte des traits autour d'un personnage, de son poing, de son genou, de sa tête (peu importe la partie qui va essayer d'écraser le nez de l'adversaire), des traits qui nous font ressentir le  « ouhlàlà ça va faire mal ».

En plus, tous ces traits rajoutent des informations à lire dans la case. D'autres dessins à décrypter, d'autres mouvements à interpréter. Les signes saturent l'espace iconique, comme on dit dans le jargon. (Je bluffe complètement, jamais personne n'utilise des phrases aussi ampoulées en bande dessinées.) (Faut pas déconner non plus, c'est juste des conneries de Mickey.) On a donc l'impression qu'il se passe plus de choses dans cette fameuse case que dans celle d'avant ou celle d'après. C'est réellement une case d'action. Une case remplie d'actions différentes qui se chamaillent pour savoir qui aura le plus d'importance dans le regard du lecteur.

Y a tellement de traits qui partent dans tous les sens, contradictoires, qu'on comprend que c'est la merde uniquement visuellement. Puis le personnage saute et tente un truc, disons, osé, et le temps se suspend, le nombre de trait diminue dans la dernière case.

Mais attention ! Encore plus fort que les lignes de force ! Des fois, il y a des lignes alors qu'il n'y a même pas de mouvement ! 

IL Y A LES LIGNES D'IMPACT.

Les lignes d'impact sont là pour marquer l'impact d'un mouvement sur un objet (en général, un personnage) (en général, un personnage romain ) (en général, un personnage romain qui en prend plein sa gueule).

Obélix et Astérix expliquent la situation tranquillement, à tête reposée, mais avec plein de lignes d'impacts. (Bon, c'est pas trop des lignes, ce sont des... euh... des triangles joints entres eux d'impacts... ou, euh... des éclats d'impacts... Bref, essayez pas de détourner la conversation.) Des lignes qui représentent l'impact de la potion magique sur la santé d'Astérix aussi bien que l'impact de son poing sur le gros nez d'un romain.

Ce sont des traits hyper-abstraits. Ils ne décrivent pas une forme. Ils ne décrivent pas une action. Ils décrivent une impression. Un « ouh, il a été dur à encaisser celui-là ». C'est ce qui se rapporte le plus aux gros points d'exclamation et d'interrogation qui émanent des personnages quand ils sont surpris. Ces traits décrivent un état d'esprit.

Une action est quand même quelque chose de concret. C'est un fait. Ça a eu lieu. Les lignes d'actions représentent donc quelque chose de tangible.

La ligne d'impact, elle, exporte à l'extérieur d'un personnage une impression, un sentiment intérieur.


Dans ce cas là, ce qui est représenté n'est plus le monde extérieur dans lequel gambade joyeusement un personnage innocent tel le campagnol dans la forêt profonde. Il représente l'univers tel que vu par le personnage. Tel que ressenti par celui-ci.




Chez Otomo, c'est pas bien compliqué, ces traits sont utilisés pour représenter la colère, ou la peur, ou la peur emplie de colère.

L’IMPRESSIONNISME À BASE DE TRAITS.

C'est plus de l’impressionnisme à base de point. Ce n'est plus du pointillisme, c'est du traitrisme (c'est peut être un mot moche qui n'existe même pas, mais essayez de le dire dix fois de suite et on verra qui rigole) (pas moi, je ne me moquerais jamais de vous, voyons).

Le traitrisme, c'est pas compliqué : on fout plein de traits partout. Et un personnage au milieu. Éventuellement.

Le traitrisme n'aime pas du tout représenter plusieurs personnages dans la même case. C'est pas logique pour lui. Le traitrisme représente les impressions d'un personnage. S'il en dessine deux, on va pas savoir les sentiments duquel sont représentés par ces fameux traits. (Bon, à moins que les deux aient exactement les mêmes sentiments.) Donc autant représenter un seul gugusse pour clarifier la situation.

Chaque personnage est dans son truc, avec ses traits dans son sens, et il veut pas partager. (Le traitriste est égoïste.)

Le traitrisme se moque, la plupart du temps, de représenter un décor autour du héros. Bon, ok, il peut quand même dessiner deux ou trois éléments, histoire de donner des indices et pas trop perdre le lecteur. Mais ce seront des sols, des murs, des images fugaces captées par le personnage de ce qui fait grossièrement son environnement.

Et puis, des fois, l'environnement, il en a rien à foutre, et le traitrisme modèle un environnement complètement abstrait. dans ce cas là, le traitrisme représente l'espèce de tunnel de concentration, de « focus on your objectives », de « t'es un winner mon gars, tu vas y arriver » dans lequel se trouve le personnage.

Là, c'est net : chaque personnages est dans son truc (surtout celui qui tombe dans le vide) concentré sur son objectif (survivre).

Dans tous les cas, le traitrisme sature complètement l'espace iconique encore une fois. Seulement, la dernière fois, dans le cas des lignes d'action, l'espace était saturé par des tas de dessins différents (plusieurs personnages, plusieurs actions, et pourquoi pas un décor, soyons fou, c'est open bar). Ici, l'espace n'est saturé que par un seul type de dessin : des traits. Bien droits. Bien nets. Cette monomaniaquerie du traitrisme se réfère à la monomaniaquerie du personnage. En général, à ce moment là, quand il est entouré de traits, c'est qu'il n'est obsédé que par une seule chose (survivre, encaisser correctement un coup, voire simplement être surpris par une nouvelle époustifflante).

Le traitrisme, c'est exactement ça : l’obsession d'un personnage pour un fait, un geste, une émotion, à tel point que cette obsession efface et repousse tout autre élément qu'elle même et fait disparaître le décor, les personnages, et même la source de cette obsession.

Ils ne pensent qu'à une chose, et on ne voit qu'une chose, le trait. Il y pense beaucoup. Et il y a beaucoup de traits.

Le trait, c'est l’obsession.

Allez...


Parce que (je ne vous juge pas, mais quand même) 
prendre des flingues pour lire des articles sur internet, c'est limite, quand même.