Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 26 avril 2018

La bande dessinée est clichée.

Le cliché peut être utile. Ce n'est pas une totale aberration scénaristique. Y en a des biens. 


Ma tête quand je vois un cliché dans un bande dessinée.

Enfin, non, y en a pas des biens, les clichés sont tous nuls, mais, justement, on peut s'en servir pour installer une ambiance nulle et bateau dans un récit, puis ensuite construire dessus, dépasser le cliché, et aller plus loin, plus haut, plus fort, plus de traviole, plus en roulé-boulé, dans une direction qu'on n'attendait pas.


Ma tête quand je vois un cliché retourné et écrabouillé (oui, je suis mignon).

Dans ce cas là, le cliché n'était qu'une base, connue de tout le monde à force d'avoir était lue et relue, mais qui est amenée à évoluer. Soit dans une direction d'approfondissement (on montre que, derrière les clichés, les choses sont plus subtiles que ça, ou différentes que ce que l'on pouvait croire), soit dans une direction de dénonciation (on montre que le cliché est bien un cliché, et toutes les conséquences néfastes qui en découlent si, justement, on ne creuse pas un peu plus les choses).

Au final, on essaye de déconstruire le cliché et, s'il était positif, on essaye d'aller voir par delà celui-ci, s'il était négatif, on le met en lumière et on le dénonce.

PETITE PAUSE : EST-CE QU'ON EST SÛR QUE LE CLICHÉ EST FORCÉMENT NUL ? EST-CE QU'ON NE FERAIT PAS DE LA SÉGRÉGATION ANTI-CLICHÉS ?

Alors, oui, le cliché, c'est pourri. Parce qu'il se contente de propager des stéréotypes, des réflexes de pensée, sans rien en faire. Il propage de la bêtise, point barre. « C'est comme ça parce que c'est comme ça, parce qu'un autre gars l'a dit avant moi. » C'est une logique d'amish à la con.

C'est comme ça qu'on se retrouve à utiliser encore maintenant, par pur réflexe, des clichés sur les personnages féminins définis par les politiques et censeurs des années 50.

UN EXEMPLE D'APPROFONDISSEMENT QUI VRILLE LES CLICHÉS ?

Star Wars 8.

Je sais que je suis un peu seul sur l'affaire, mais j'assume : moi, j'aime beaucoup Star Wars 8. Parce qu'il prend tous les clichés, tous les attendus d'un film de Star Wars (qu'on a déjà vu et revu et rerevu) (le méchant avec son casque, la gosse avec des parents spéciaux, le vieux maître Jedi, il faut tuer le père, les siths crécré forts) et il en prend systématiquement le contre-pied pour démontrer que tout cela (la force, la famille, la saga) n'appartient pas à une caste (les jedi, les Skywalker, Disney, les geeks auto-proclamés), mais à chacun.

Notamment à des pauvres filles dans le désert dont tout le monde se fout (alors qu'elles ont drôlement la classe).

Alors, bien sûr, c'est réflexif. C'est réflexif parce que c'est une réflexion (je suis ceinture noire en argumentation) sur le cliché et une déconstruction de celui-ci.


« Une réflexion, c'est forcément réflexif, ptit gars. »

Donc, le défaut, c'est que le récit devient un peu un commentaire composé de ce même récit. Un truc intello plutôt qu'une histoire méga-badass et impliquante qui remue les tripes.

La qualité, c'est que les personnages et le récit s'émancipent, se libèrent du carcan, du ronron des clichés, des passages obligés à respecter, des idées toutes faites qu'on croit inaliénables.


Allégorie de ce qu'il reste des clichés après que Star Wars 8 soit passé par là.

En détruisant le cliché, on construit l'idée que tout est possible, que l'espoir est permis. Ce qui est précisément le cœur de Star Wars (Star Wars 4 : un nouvel espoir, tout ça...).

UN EXEMPLE DE DÉNONCIATION QUI VRILLE LES CLICHÉS ?

À peu près tout Chaland (mais, bon, plus particulièrement deux aventures de Freddy Lombard : Le cimetière des éléphants et La comète de Carthage).

Il se place dans un cadre classique de récit à l'ancienne, façon Tintin ou Spirou et Fantasio, il respecte l'ensemble rétro, les années 40-50, la position héroïque un peu outrée des personnages principaux, et puis, par petites touches, il se met à décaler son point de vue.

On est là, tranquille, à la fraîche, dans une bonne petite ambiance qui nous rappelle nos Spirou 
et Fantasio époque Franquin, et puis on tombe nez à nez avec un mec qui saigne des poulets. 
C'est sûr, ça détonne.

Il inscrit ses personnages dans une réalité sociale plus crue. On est bien dans les années 40-50, mais les vraies (enfin, dans quelque chose qui s'en rapproche un peu plus), avec des terrains vagues, des pauvres, des immeubles tout cassés, il fait froid, et les héros n'ont pas forcément de quoi payer le chauffage comme par magie, ils doivent travailler, et parfois ils ne trouvent pas de travail.

La base est classique (des copains à la vie à la mort) (comme Tintin et Haddock) mais vérolée par des éléments inattendus : 
ils sont pauvres, ils se font la gueule jusqu'à ce taper dessus, et quand ils achètent un truc au marché aux puces, 
au lieu de découvrir un mystère mystérieux qui va les emmener de l'autre côté du globe, ils se mangent un pain. 
Tout est pareil mais tout est différent.

Il fait descendre ses héros de leurs piédestaux. Dans les aventures classiques, les héros sont carrés, francs, droits, à base d'amitiés à-la-vie-à-la-mort, viriles mais correctes. Chez Chaland, non seulement ils ne font que se crêper le chignon, à se demander ce qu'ils foutent ensemble, mais en plus tout le monde a une part cachée. La fille aime le garçon, mais ne lui dit pas. L'autre déteste son copain, mais reste malgré tout. Là où les rapports étaient toujours nets et sains, tout devient compliqué et vicié.


Oui, donc, bon, là, c'est assez clair : Chaland se fout carrément de la gueule de son héroïne, 
qui passe pour une romantique à demie-folle qui débite des dialogues ineptes et ridiculement outrés (et elle n'est pas la seule).

Ces rapports fucked-up s'étendent d'ailleurs à un peu tous les personnages, même les plus secondaires, qui ne dominent jamais la situation mais sont soumis à des pulsions qui leur font faire la plupart du temps à-peu-près n'importe quoi sans même comprendre pourquoi ils le font.

C'est n'importe quoi, mais c'est le retour du refoulé, alors ça fait sens, alors Chaland a le droit.


Un grand classique de la pulsion non contrôlée : la foule en colère se défoule sur les premiers étrangers qui passent 
en racontant des trucs complètement tarés (la société idéale suivant Éric Zemmour finalement)
Sans la foule, chacun serait resté chez soit, avec celle-ci, tout le monde se lâche sans même comprendre pourquoi ni comment. 

Ces pulsions souterraines sont surlignées par l'apparition de scènes bizarroïdes qui n'ont à priori rien à faire là, de comportements étranges, que rien ne justifie, d'actes contradictoires. Bref c'est le bordel, on comprend même pas pourquoi, et c'est bien le but : que l'on perde pied autant que les personnages.

Tout semble incertain. Si on peut même plus se fier à un cliché, à qui peut-on se fier ?

On n'a même pas le temps de s'habituer à une petite scène d'hystérie collective, 
que le ton change brusquement à cause d'un éboulement de cailloux sorti de nulle part.

Des comportements et des images étranges, imprévisibles, complètement n'importe nawak, parfois n'ayant rien à voir avec la choucroute font irruption dans le récit, lui donnant une liberté relativement totale. Chaland peut faire n'importe quoi n'importe comment n'importe où, du moment qu'il se débrouille ensuite pour nous expliquer que c'était pour montrer telle ou telle folie d'un des personnages, même le petit vieux du fond qu'on avait à peine remarqué.

Et puis les héros fuient, et puis la fille retrouve un gros, et puis Freddy a des hallucinations, et puis il assomme le gros. 
Là, je sais pas si ce sont les personnage, moi, ou Chaland, mais plus personne ne contrôle rien.

La reprise de tous les clichés des bandes dessinées des années 50 devient comme un voile, un déguisement, une forte normalisation sociale, que les personnages subissent mais n'arrivent pas à assumer jusqu'au bout, parce que leurs névroses ou même leurs folies surgissent, sans contrôle, et cassent tout sur leurs passages. Cette idée de perte de contrôle est appuyée dans le récit par de grands événements qui submergent les personnages sans qu'ils puissent rien en contrôler (déjà que les héros arrivaient difficilement à contrôler leurs propres vies, mais en plus de cela, celle-ci est balayée par bien trop gigantesques pour pouvoir s'y opposer) (une météorite qui frôle la Terre, une révolution dans un pays de l'URSS qui tourne mal, ou même un simple vol d'avion qui piège tout le monde dans un seul lieu inextricable).

Parce que Chaland se dit que les éboulements, les foules en colère, les dingos, les personnages qui se fuient, 
se retombent dans les bras, et s’assomment sans arrêt les uns les autres, ce ne sont pas des enjeux suffisant, 
et qu'il vaut mieux rajouter aussi une comète destructrice.

Le défaut de ce genre de récit est là encore son aspect réflexif. On voit les personnages comme des produits de leurs environnements (des  personnages des années 50 écrasés par leur contexte et qui n'arrivent pas à s'assumer), on analyse et comprend très bien qu'ils sont complètement tarés, mais on les voit plus comme des animaux de laboratoire qu'on s'amuse à tester dans plusieurs situations inconfortables que comme des personnages auxquels  on s'identifie ou au moins avec lesquels on a un peu d'empathie. On ne s'implique pas, on analyse. De loin.

Pour être sûr de mettre une distance entre les personnage et nous, Chaland les rend carrément racistes. 
Tous les moyens sont bons.

La qualité, c'est que les personnages et les événements les plus brindezingues peuvent surgir à tout moment de n'importe où et changer radicalement la donne. On n'est pas dans Star Wars, où les personnages peuvent tout d'un coup s'émanciper des schémas et reprendre leur liberté. Les personnages, ici, sont trop écrasés par le système pour avoir la capacité de le détruire (et je ne voudrais pas me montrer modeste mais ma vie ressemble plus à ça qu'à celle d'un chevalier jedi). Mais le système, en lui-même, parce que trop oppressif, parce que trop étouffant, génère ses propres pertes de contrôle, ses propres étrangetés, ses propres hasards inattendus, ses propres pulsions destructrices, qui le mènent à l’effondrement. Comme dans Star Wars, mais par une méthode moins glorieuse et plus douloureuse, le cliché recèle en son sein le moyen de s'en émanciper, et de retrouver sa liberté.

L'espoir renaît (à la manière Chaland) 
(c'est à dire que c'est n'importe que quoi et qu'on sait même plus si c'est du lard ou du boudin).

PETIT JEU SUBSIDIAIRE ! (CAR IL FAUT SAVOIR S'AMUSER DANS LA VIE.) SAUREZ-VOUS RETROUVER LES RÉFÉRENCES AUX ALBUMS DE L'ENFANCE DE NOS GRANDS PARENTS QUI SE CACHENT DANS L’ŒUVRE DE CHALAND ?

(Finalement, Freddy Lombard, c'est comme Tintin, mais avec que des personnages cons.)

(J'aurais du commencer par là, mon billet aurait été plus court.)