Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 28 novembre 2013

La bande dessinée est une chapelle Sixtine.

Suite au message précédent qui essayé de dire que l'histoire en elle-même n'était pas très importante pourvu qu'on ait lu une belle aventure, je voudrais essayer de généraliser cette idée par rapport au sujet de cette fameuse histoire qui sous-tend une bande dessinée. 

Et pour ce faire, aujourd'hui, je triche. Ce n'est pas vraiment une critique. Plutôt une explication de texte (on dirait le lycée, ça ne nous rajeunit pas) pour étayer mon point de vue sur le lien entre le sujet d'un livre et son intérêt artistique (je vous le dit tout de suite : y en a pas) (c'est bon, pas la peine de lire la suite, profitez-en pour faire un Sudoku en mode expert, bonne soirée) (je déconne, revenez, déjà que y a personne qui vient ici, si vous partez, ça va commencer à ressembler au Sahel). 

Bref, j'utilise le propos de la postface d'une (grande) bande dessinée pour dire que je pense tout pareil.

En effet, dans cette postface, Alan Moore et Eddie Campbell nous montrent que le sujet, le fond, tout ça, on s'en tape.
  



 

Alan Moore & Eddie Campbell (avec l'aide de son collaborateur dont le nom m'échappe), From Hell
avec des tas d'éditeurs en anglais et juste Delcourt en français (de Jean-Paul Jennequin et Loïc Hanno).

IL FAUT BIEN SE REMETTRE DANS LE CONTEXTE DE CETTE BANDE DESSINNEE.

Les auteurs viennent de nous bassiner pendant plus de 550 pages avec Jack l'éventreur en développant toute une intrigue chelou pour expliquer qui il est, et pourquoi, et comment, et quelle est sa pointure, et s'il aimait bien Rika Zaraï...

Arrivés à la fin de cette grâânde oeûûvre, ils prennent encore un peu de temps pour écrire une postface. Pour préciser que la théorie sur laquelle ils se sont basés pour réaliser toute la bande dessinée, bon, hein, faut pas trop s'y attacher, c'en est une parmi tant d'autres, et, finalement, tout ça, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. On s'en moque, finalement, de qui était Jack l'éventreur...

Après 550 pages. Dessinées tout fin et écrit tout petit.

EST-CE QUE LES AUTEURS ONT FONDU LES PLOMBS A CAUSE DU SURMENAGE ?

Pas vraiment...

Plus simplement, comme ils l'expliquent :

  
AUTREMENT DIT :

Personne ne connaîtra jamais la stricte vérité sur les meurtres de Jack l'éventreur et le seul intérêt de tout cela réside dans la manière que NOUS avons de les appréhender.

Le sujet de From Hell n'est qu'un prétexte pour, ensuite, parler de toute autre chose et développer leur art comme les auteurs l'entendent. Ce n'est qu'un support. Cela aurait pu être autre chose. Ce fait divers n'a été choisi que parce qu'il enflamme l’imagination.


Cette flamme qui permet :
  1. De favoriser une démarche artistique (mélanger pleins de trucs dans l'esprit du lecteur afin de créer de nouvelles impressions).
  2. D'établir une complicité avec le lecteur (le but de l'histoire n'a pas bien d'importance ; l'important, c'est le chemin parcouru).

DONC, BON, POUR RÉSUMER :

Le sujet n'est pas important. Tout ce qui compte, c'est ce que l'ont en fait, c'est l'art qu'on y met.

ET COMME DÉMONSTRATION, UN AUTRE EXEMPLE IDIOT :

Alors que le sujet et ses développements sont les mêmes pour Le Parrain et Le grand pardon (deux histoires identiques, puisque l'une est le copié/collé de l'autre), les deux films sont très très TRÈS différents.



Mi-sé-ri-corde...

Comme quoi, hein... Le sujet ne fait pas tout... Le sujet, on peut l'envoyer se faire voir ailleurs... Il n'y a que son traitement artistique qui compte, et qui démarque une oeuvre d'une autre. Comme From Hell se démarque de tous les autres livres traitant des meurtres de Jack l'éventreur...

ICI, FAISONS UN PETIT APARTÉ SUR CE QUI MOTIVE EN GÉNÉRAL LE SUJET D'UNE OEUVRE D'ART.

Ce qui motive en général le sujet d'une oeuvre d'art, c'est le pognon.

EH OUI ! IL FAUT BIEN VIVRE MA BRAVE DAME !

Et pour trouver du pognon, il faut en général aller le chercher là où il se trouve.

PAR EXEMPLE : MICHEL-ANGE.

Michel-Ange est allé chercher l'argent chez les gens blindés de son époque : les curetons l'Église.

 Métaphore de l'auteur allongeant la main pour qu'un vieux lui paye l'argent qu'il lui doit.

On lui a dit : « Hé, euh, Machin, tu nous referais pas notre plafond ? Non parce qu'on a eu un dégât des eaux. » « Euh... Oui... Pourquoi pas... » « Bon bin tu nous prends tes petits pinceaux et tu nous torches ça en deux-deux, s'il-te-plaît. ». Et il l'a fait. Avec du retard, mais vous savez ce que c'est, on ne trouve plus de bon artisans de nos jours, mon brave monsieur.

PAR EXEMPLE : REMBRANDT.

C'est sûr que ça sent pas les restos du coeur, ici.

Qu'est-ce que c'est que cette manie de nous faire des portraits de bourgeois, Monsieur Rembrandt Harmenszoon van Rijn ? (Et qu'est-ce que c'est que ce nom à la gomme ?) Comment ça « les bourges, c'est bien les seuls à allonger la maille pour des trucs que tout le monde méprise » ? Comment ça « et de toute façon, à mon époque, les peintres valaient pas grand chose de plus que des crottes de biques et on était un peu les larbins des riches quand même, et un repas chaud ça fait pas de mal de temps en temps » ?

Bon. Ça se tient.

PAR EXEMPLE : FRANQUIN.

Fallait bien qu'il vive, Franquin.

Il faisait des bande dessinées, Franquin.

Et les bande dessinées, à l'époque et jusqu'à preuve du contraire, c'était pour les gosses.

Même que quand on essayait de mettre des choses un peu différentes (comme de l'action un chouille rude, ou des gros-mots, ou (encore pire) une femme avec un tant soit peu d'attirance dedans), on se faisait bien sèchement recadrer par le comité de censure. (D'où le caractère un peu pimbêche de certaines héroïnes comme Seccotine. 'Fallait qu'elle soit suffisamment insupportable pour qu'on n'en tombe pas amoureux.)

Allégorie du mystère féminin.

(Ne dites pas de mal des comités de censure, il font des rapports avec de très jolis titres comme La séduction des innocents.) (Classe.)

ATTENTION ! SPOILER SUR SPIROU ET FANTASIO ET LA FOIRE AUX GANGSTERS !

Souvenons nous avec émotion de la mort de Monsieur Soto Kiki... La mort d'un personnage vu dans à peine sept pages (j'ai compté), parce qu'il ne faut pas trop choquer non plus. Une mort hors champ.

On peut distinguer les yeux des futures victimes avant l'agression, mais, au moment terrible, ceux-ci disparaissent complètement.
Il disparaissent même deux fois. Une fois cachés par la voiture distordue. Une seconde fois cachés dans le téléphone de Spirou.
On peut pas faire plus hors-champ.

Adieu, Soto Kiki, traumatisme hors-champ de mon enfance meurtrie.

MAIS, COUP DE BOL, ÉGLISE FAISANT RESPECTER LA DOXA SUR LES REPRÉSENTATIONS RELIGIEUSES, BOURGEOIS PEINTS SOUS UN JOUR FLATTEUR, OU JEUNES TÊTES BLONDES PROTÉGÉES PAR LA CENSURE, TOUT CELA N'A AUCUNE IMPORTANCE.

Pourquoi la chapelle Sixtine, on en tartine des kilomètres chaque année, dans des tas de revues plus ou moins interlopes ? Sûrement pas parce que Michel-Ange a peint des Adams, des Moïses, tout le tremblement, et que tout le monde adore la Bible (un beau livre plein de sagesse, chère petite Demoiselle). Mais bien plutôt à cause de ses représentations bouillonnantes et pleines de vie, aux poses noueuses et athlétiques.




Des corps tous tournicotés pour donner plus de dynamisme aux compositions.
C'est pas parce qu'on fait ça pour le pognon qu'il faut bâcler.

Pourquoi Franquin, on nous saoule tout le temps avec ? Alors qu'il avait un gros nez !

Une ligne de mouvement discrètement infléchie, de manière à ce que l'accident arrive directement sur les pieds de Spirou,
et qu'il ressente toute l'horreur de l'attentat.

MAIS CE QUI EST INTÉRESSANT DANS FROM HELL, CE N'EST PAS ENCORE ÇA.

Comme j'essayais de l'expliquer, l'un des objectifs des artistes est d'essayer de faire durer les sensations qu'ils ont réussi à générer dans l'esprit du lecteur le plus longtemps possible. Une des méthodes pour faire durer ces sensations est d'emberlificoter le plus possible d'éléments pour mettre la tête du lecteur à l'envers.


En essayant de discerner les différents éléments tous enchâssés les uns dans les autres le lecteur n'arrive plus à analyser clairement pourquoi il ressent ci ou ça. Les sensations ne semblent plus mécaniquement générées par tel ou tel élément de la bande dessinée. Les sensations deviennent, en quelques sortes, euh... de vraies sensations.


La bande dessinée devient comme réelle. Elle prend vie, comme on dit parfois pompièrement (ne cherchez pas, je viens d'inventer ce mot). Elle s'envole, comme disent les auteurs de From Hell.


COMMENT ÇA, « Y AVAIT VRAIMENT QUE DU BLABLA, CE COUP-CI ! » ? 

OUI, NON, MAIS BON... C'EST POUR PRÉPARER LE TERRAIN DU PROCHAIN MESSAGE. ALORS J'AVAIS LE DROIT.

2 commentaires:

  1. Râââh, ce cliffhanger !...

    Et ça marche : LA SUITE ! LA SUITE ! ON VEUT LA SUITE !

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    1. Et encore ! Va y a voir une suite à la suite !

      J'ai décidé de ne plus écrire de textes mais des cycles de textes !

      Ça marche bien en BD, les cycles, pourquoi pas en nanalyse de BD ? !

      (Comment ça "non mais, en fait, les cyles, en BD, c'est relou" ?)

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