Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 22 novembre 2013

La bande dessinée est complice.

Hergé nous montre que l'aventure, c'est l'aventure.

!!! ATTENTION !!!
!!! ALERTE SPOILER !!!
!!! AUJOURD'HUI, LA DERNIÈRE PAGE ET TOUTE L'INTRIGUE DE L'AFFAIRE TOURNESOL !!!

Hergé (et tout son studio), L'affaire Tournesol, Casterman.

Hergé, c'est bien connu (ou pas), est le roi du prétexte...

Ses personnages partent à l'aventure, comme ça, sur une coïncidence, une rencontre fortuite, un coup de tête. Un prétexte, quoi. Ça peut être une boîte de crabe aux pinces d'or. Ça peut être une maquette de bateau du chevalier de Haddock. Ça peut être un rêve montrant son ami Tchang survivant à un crash d'avion dans l'Himalaya.

Hergé joue de cette mécanique et, parfois, la déconstruit. (Trop cool ! Du méta !)

!!! ATTENTION !!!
!!! ALERTE SPOILER !!!
!!! AUJOURD'HUI, LA DERNIÈRE PAGE ET TOUTE L'INTRIGUE DU TRÉSOR DE RACKHAM LE ROUGE !!!

Dans Le trésor de Rackham le rouge, donc, les héros montent une mission d'exploration sous-marine pour trouver un trésor, vont en plein milieu de l'océan Atlantique l'océan Pacifique l'océan, explorent une île, localisent une épave, explorent l'épave en scaphandre et sous-marin de poche, rentrent chez eux.

Tout ça pour découvrir que le trésor était planqué en Belgique.

Le voyage et toutes ces aventures n'ont servi à rien. A rien sauf à vivre un beau voyage et de belles aventures. Le prétexte était bidon. Mais l'aventure valait le coup d'être vécue. Une bien belle leçon de vie, ma foi ; n'est-ce pas tata Jeannine ?

!!! ON RETOURNE AUX SPOILERS SUR L'AFFAIRE TOURNESOL !!!

Dans L'affaire Tournesol, Hergé nous fait le même coup.

Alors que tout le monde cherche des microfilms secrets planqués par le professeur Tournesol, Tintin et le capitaine Haddock vont s'engager dans une poursuite échevelée et internationale, passer par la Suisse, passer par la Bordurie, lutter contre moult espions, conduire un char, et j'en passe...

Sauf que, au début de l'aventure, Tournesol avait oublié ces fameux microfilms sur sa table de chevet.

C'EST BALLOT.

Là encore, le trésor tant recherché se trouvait à attendre bêtement en Belgique. Répétons-le tous en cœur : ce n'était pas le but de l'aventure qui était important, c'était l'aventure en elle-même.

Hergé a encore une fois pris ses lecteurs pour des jambons. Il n'en a tellement rien à faire de ces microfilms que, dès qu'ils ont été retrouvés, Tournesol les brûle. Ça valait bien la peine d'aller se faire suer la quiche à pétaouchnok-ville !

Pour donner dans la philosophie à deux balles : l'important n'est pas l'archer, l'important n'est pas l'arc, l'important n'est ni la cible, ni la flèche. L'important, c'est la trajectoire.

OUUUUUHHH, C'EST BÔÔÔOOOO...

Au moment de détruire ces fameux microfilms, on n'en a même rien à faire de les détruire. C'est juste pour la blague. Juste pour finir le livre en beauté. La preuve :

  1. Bon, pour commencer cette page, on va régler cette histoire de chasse aux microfilms. Voilà. Ils étaient sur la table de chevet. Qu'il est couillon ce Tournesol. Ha ha. Sacré lui.
  2. On en profite pour faire un sort à tout l'enjeu de l'histoire. Des microfilms ? A pu microfilms !
  3. On glisse là un petit effet spectaculaire, un peu d'action, un peu d'effets spéciaux. Bref, on aguiche.
  4. On rigole drôlement (on passe de narration/résolution à action puis à humour en trois cases, bravo l'artiste).
  5. Pour finir sur les personnages qui s'engueulent (antagonismes !) tout en s'aimant bien quand même. Sacré Haddock... On le changera jamais ! Ni Tryphon, d'ailleurs ! Ils sont quand même mignons, tous les deux. Les microfilms sont bien un prétexte. Ce qui compte, c'est ce que vivent les personnages et les liens (très forts) qu'on voit vivre entre eux.
  6. Petite case de transition un brin maladroite... (Ouuuh ! J'ai dit du mal !)
  7. La même chose qu'avec Haddock : humour et antagonismes (les 3 cases du dessus et du dessous ont des structures identiques).
  8. Pif, paf, en deux cases c'est fini. On plie tout et on remballe.
  9. Oui, fini. Et bien fini.

Un peu comme chez Tillieux, dans cette page, on a de tout. C'est la foire-fouille des Tintino-bédéphiles. Dans le désordre, on peut donc lister (c'est la fête aux énumérations, dites donc !) (c'est plus facile à écrire, c'est pour ça.) (quelle feignasse !) (ça vous dérange pas quand je me parle à moi-même, hein ?) :

  • Milou.
  • De l'action. (Bon. Pas hyper échevelée... Mais disons alors : de la surprise.)
  • Des coups de gueule de Haddock. (Qui ne sont pas que utiles pour mettre un peu de piment dans les relations entre les personnages. Ces coups de gueules rendent les personnages plus vivants, la scène plus vivante. Ces coups de gueule rendent Haddock plus humain.)
  • Dans le même genre d'idée, nous avons Tournesol qui plane à 10 000.
  • Et du coup, nous avons ainsi des personnages croquignolets ET attachants.
  • Comme tout cela est rondement mené et qu'on passe de l'action à l'humour puis aux personnages, comme ça, en un claquement de doigts, il est plus facile d'utiliser des ellipses hyper osées. (Le lecteur y est déjà habitué.) (On change déjà de genre à chaque case, pourquoi ne pas changer complètement de situation d'une case à l'autre ?) (Ce qui est une technique quand même relativement osée.) (Essayez de parler d'ellipses à un directeur éditorial de bande dessinées jeunesse, juste pour rigoler...) (N'oubliez pas d'apporter avec vous un défibrillateur, hein.)

Pif. Paf. Pouf. La puissance de l'ellipse.

Surtout, il faut remarquer à quel point la résolution finale (Séraphin Lampion qui entend pile le mot qu'il faut) est une grosse facilité (pas dans le genre : « Il est doué, le bougre. » ; plutôt dans le style : « Non mais la coïncidence à deux balles, juste parce que ça l'arrange ! Quel tocard ! »).

OUI. CERTES. MAIS !

Une facilité passe toujours très bien quand elle prise dans le maelström de l'intrigue et, SURTOUT, quand elle est bien préparée et que l'auteur arrive à mettre le lecteur dans le coup.

PAR EXEMPLE :

Tournesol a été enlevé. Haddock et Tintin le cherchent partout. Ils n'ont plus aucune piste. Ils font le bilan en marchant dans la rue.

Faisons un petit bilan bien relou à base de texte plus dense que dans un roman de Proust.

Et tout d'un coup !

Le pur hasard ! La coïncidence de malade mental de dingo !

A partir de là, tout devient facile...

Pareil qu'avec Séraphin. Pif - cigarette. Paf - voiture diplomatique. Pouf - ambassade. Ploum - rencontre secrète.

Nous avons dans ce passage un enchaînement hallucinant de coïncidences.

Mais on suit tout ça de manière détendue, sans sourciller. Alors que pour d'autres auteurs, d'autres bandes dessinées, on aurait déjà envoyé le bouquin à travers la fenêtre pour lui apprendre à voler.

Pourquoi, dans ce cas, ça fonctionne ?

Parce que Hergé prépare le terrain.

La première bande (dans laquelle Haddock et Tintin résume les épisodes précédents) n'est pas juste là pour les personnes un peu bébêtes qui auraient perdues le fil de l'intrigue. Elle est aussi là pour faire cogiter le lecteur. Il se dit : « Alors, oui, effectivement, il y a eu ci, il y a eu ça... Donc, est-ce que... Mais non ! Tournesol... Où peut donc être Tournesol ? Comment je pourrais m'y prendre pour retrouver Tournesol ? ». Et juste au moment où le lecteur se pose la question, pif, l'auteur lui apporte la réponse : « Suis la cigarette ! ».

A ce moment le lecteur se dit « Oui, d'accord, c'est bien beau, mais comment je fais, moi, pour suivre une cigarette ? ». Et Haddock de répondre : « Suis plutôt la voiture, gros balourd... C'est une voiture diplomatique. »

Etc.

Hergé arrive à travailler le lecteur, à le manipuler, à anticiper ses questions. Plus fort : il fait germer ces questions dans son esprit. Du coup, quand il donne la réponse, le lecteur est satisfait. C'était justement l'élément qu'il attendait qu'on lui donne. Comme si les pensées de l'auteur, les intrigues de l'histoire, et les réflexions du lecteur étaient intriquées les unes aux autres.

Autrement dit, pour parler plus simplement : le lecteur se fait mener par le bout du nez de A à Z.

Le rythme de la narration est tellement bon qu'il se laisse porter par la petite musique de l'auteur.

MAIS REVENONS A LA DERNIÈRE PAGE DE L'AFFAIRE TOURNESOL.

Une fois le détail des microfilms réglé, on se retrouve avec Séraphin Lampion sur les bras.

Oooh nooon... On a réglé les microfilms, qu'est-ce qu'il vient nous emmerder, maintenant ?

A ce moment, le lecteur se demande : « Mais qu'est-ce qu'il est couche, celui-là... Comment ça va finir cette histoire de Séraphin ? ». Et au moment où il se pose cette question, arrive directement la réponse.

Voilà. Bye bye Séraphin...

Dans le cas qui nous occupe, le lecteur sait que c'est la dernière page. Il sait que ça va bientôt se finir. Et il se demande bien comment. Alors, quand arrive la facilité qui règle tout (confondre carabine et scarlatine ; Tournesol aurait bien pu entendre églantine, ça n'aurait pas du tout réglé la situation), le lecteur l'accepte, tranquillement, parce qu'il se demandait justement comment tout cela aller finir, et qu'on lui apporte la réponse sur un plateau.

IL Y A DEUX FAÇONS DE VOIR TOUT CE BAZAR.

Soit on se dit que Hergé prend ses lecteurs pour des débiles avec une histoire sans rimes ni raison.

Soit on se dit que Hergé adore nous raconter des histoires, qu'il nous l'explique bien calmement (ce ne sont pas les microfilms ou les trésors du chevalier de Haddock qui sont importants, c'est le voyage qu'ils permettent, c'est l'aventure), et que, partant de là, il aime jouer avec nous, nous manipuler, nous emporter, anticiper nos attentes, créer nos attentes. Bref, il aime que le lecteur s'amuse avec lui, comme ses héros s'amusent durant leurs aventures.

4 commentaires:

  1. et quand l'auteur du blog fait du meta : "Pour donner dans la philosophie à deux balles : l'important n'est pas l'archer, l'important n'est pas l'arc, l'important n'est ni la cible, ni la flèche. L'important, c'est la trajectoire."

    et l'avant dernière case ?

    Il croit que je ne le vois pas venir avec ses gros sabots pour engendrer des commentaires ? et bien non, je ne commente que le meta, je ne fais pas le commentaire attendu, na !!

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    1. Mais euuuuh... On m'empêche de faire de la philosophie à deux balles !

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  2. Hergé a posé les bases de la bande-dessinée moderne et s'il a eu autant de succès public, c'est aussi parce que le lecteur n'a rien à faire, tout lui est apporté sur un plateau.

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    1. Je ne suis pas très d'accord... Le lecteur doit beaucoup travailler chez Hergé (il fait fonctionner son imagination à fond les manettes). Seulement, Hergé est pas chien, et il "drive" bien le lecteur. c'est aussi une nécessité, parce qu'une BD de Hergé va très vite, alors si en plus ce n'était pas très clair, le lecteur serait complètement dans les choux.

      Le système de la ligne claire permet de faire des pitits dessins pleins de détails, mais permet aussi de faire des grands scénarios pleins de densité. Je pense que c'est plus cette envie de densité (qui permet de varier de ton très rapidement et qui est essentielle au mode de narration de Hergé qui implique ensuite les notions de jeu avec le lecteur et de guidage du lecteur.

      Bref, pour moi, ce n'est pas aprce que c'est super bien fait et que le lecteur ne se rend compte de rien qu'il ne travail pas. Au contraire.

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