Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 17 février 2017

La bande dessinée dans le décor discret.

Hergé re-change son fusil d'épaule (ça lui fait donc trois épaules) et utilise bien son décor réaliste pour crédibiliser son récit, par contre, il laisse tomber le côté évocateur des décors bizarres et des couleurs étranges pour rendre celui-ci le plus discret possible.

Hergé, L'affaire Tournesol,  Casterman.

Les couleurs deviennent petit à petit, dans le travail de Hergé, beaucoup plus pastel. Elles conservent leur rôle « différenciateur », qui permet de bien détacher tous les objets, tous les personnages les uns des autres. Mais elles arrêtent d'être chelous, et fascinantes, et étranges. 

Rien de moins chelou qu'une brosse à dent. Mais, quand même, remarquons que grâce au travail des coloristes, 
on arrive à distinguer le moindre objet de la valise de Haddock sans aucun effort.

D'une part parce que les scénarios de Hergé quittent également le côté feuilletonnant-mystérieux-masqué-la-nuit pour aller, là encore, vers quelque chose de plus réaliste. 

Ensuite, parce que Hergé a trouvé bien plus fascinant, souple, fun, et mystérieux qu'un décor pour meubler ses histoires. C'est tellement évident que c'est difficile à voir.

Mais siiiii. Lààà. Au milieu. Vous voyez pas ?
Ce sont ses personnages.

ALORS ATTENTION !

Pas question de dire que, désormais, le décor a moins d'importance qu'auparavant. Le décor est toujours et encore plus développé par Hergé pour donner une impression toujours et encore plus grande de réalisme. Il est important que l'on croie indubitablement et de manière totale aux décors dans lesquels évoluent les personnages. Et il est important que ces personnages pénètrent et utilise la moindre partie de ses décors.

Pour qu'ensuite ils puissent faire n'importe quoi. 

Profondeur de champ, perspective, personnages dans le fond, petits détails typiques (pour faire Suisse). 
Tout y est. Sauf que ce n'est plus ce qui est important.

Plus on croira aux décors, plus on croira aux retournements de situations incongrus, aux actes insensés, aux caractères improbables et grotesques de tous ces personnages. Rien n'a disparu, mais tout s'est transformé. Hergé à complètement abandonné les images marquantes pour ne conserver que les actes et les personnages marquants. Qui le sont d'autant plus qu'on y croit à mort. Auxquels on  croit d'autant plus que le décor nous soutient dans cette croyance.

PAR EXEMPLE : LES ACTIONS INCROYABLES MAIS VRAIES.

Fucking men in fucking space, dude !

MAIS ELLE EST TOUTE POURRIE TA PAGE, LÀ !

Nan mais j'avais pas la bonne version de bouquin, alors j'ai scanné une page des nouvelles intégrales avec les pages telles qu'elles ont été publiées dans le journal Tintin.

HA MAIS C'EST QUOI CE TRUC DE GOGO TINTINOPHILE ? TU ACHÈTES LES MÊMES HISTOIRES, MAIS DANS DES BOUQUINS PLUS CHERS ET MOINS BIEN IMPRIMÉES ?

Non, mais je me suis mal exprimé, c'est pas à moi, c'est à un ami. Moi, je ferai jamais ça.

MAIS OUI BIEN SÛR MAIS OUI MAIS OUI.

'Tin, si même mon propre blog est d'accord pour dire que je fais n'importe quoi !

PAR EXEMPLE : LES RETOURNEMENTS DE SITUATION VENUS D'UN AUTRE MONDE.

Wolff a fait vlouf.

PAR EXEMPLE : LES PERSONNAGES TELLEMENT CONS MAIS TELLEMENT BONS.

On ne se lasse pas de voir les Dupondt se faire engueuler. C'est une des constantes joies de la vie.

PAR EXEMPLE : LES PERSONNAGES TELLEMENT HUMAINS.

Et toujours ce sacré Haddock, aux réactions si contradictoires et donc si humaines.

Au final, Hergé n'a pas beaucoup évolué dans la logique scénaristique. Il raconte toujours des histoires incroyables avec des rebondissements tirés par les cheveux (et pas les cheveux de Donald Trump, plutôt les bons gros cheveux bien gras de Pinochet). Mais ses histoires se sont appauvries d'images fortes pour s'enrichir de personnages forts.

QUAND L'ACTION S'EN VA, LES PERSONNAGES RESTENT.

Une image forte produit un effet de sidération et de beauté. Cette impression poétique et/ou surréaliste vient enrichir les cases suivantes. Puis l'impression disparaît (parce qu'on passe à une autre scène, une autre action, une autre ambiance), et il faut tout recommencer.

Ce problème n'a pas lieu avec un personnage.

Un personnage ne fait QUE s'enrichir. Quand on voit le Capitaine Haddock, on voit l'alcoolique du Crabe au pinces d'or, on voit ses aïeuls dans le secret de la Licorne, le grand ami qui va sauver Tournesol à l'autre coin de la planète dans le temple du Soleil, le ronchon qui devient gentil dans les bijoux de la Castafiore et Tintin chez les picaros. Et même si, sur une action, l'aspect ronchon reprend le pas pour engueuler les Dupondt, ou qu'on profite momentanément de son alcoolisme pour qu'il fasse marrer la galerie, les autres aspects de sa personnalité ne sont pas pour autant oubliés.
  • ni par le lecteur, qui y voit une personnalité riche et de plus en plus complexe.
  • ni par l'auteur, qui a sous le coude un personnage extrêmement souple, qui peut s'adapter à n'importe quelle situation, et y rajouter on petit grain de sel qui relève le tout et peut même transformer une scène banale en grande rigolade / grande émotion.





(Remarquons au passage que Hergé avait bien pigé ce concept quand même un peu sur les bords l'air de rien. Il fait ainsi en sorte de sans cesse enrichir ses personnages (Tournesol passe quand même de gentil foufou du concours Lépine à savant nucléaire qui envoie des fusées sur la Lune). Et on peut aussi lire la succession des différentes aventure de Tintin comme la manière qu'à eu Hergé de se dire « Bon, alors, quel personnage je vais enrichir se coup-ci ? » (Même Tintin y a droit, en allant au Tibet (mais refermons toutes ces parenthèses).).)

LE GRAND IATUS ARTISTIQUE.

De là vient le grand schisme des tintinophiles avertis : ceux qui aiment sa première période en noir et blanc, certes plus maladroite, certes, bon, on va quand même pas compter la Russie et le Congo là-dedans, ils sont beaucoup trop pourris comme albums, certes, certes, mais quand même ! ce dessin ! cette sensibilité dans le trait ! ces images frappantes ! ce surréalisme qui frappe au coin de l'aventure !

C'est vrai que c'est beau, quand même. Y a du cachet.

Les tintinophiles « première période » sont des graphistes. Ils sont plus sensibles au dessin qu'à la structure des scénarios. Et ils sont frappés par le surréalisme old-school et feuilletonnant des aventures de Tintin.

Les tintinophiles « seconde manière » sont plus marqués par les personnages, la manière de les construire, de les développer, des les faire interagir avec l'action, ce qui transforme celle-ci, souvent banale ou bateau de prime abord, en un mélange inextricable de drôlerie, suspense et sentiments.

C'est sûr, c'est moins graphique, mais c'est cent fois plus drôle et émouvant, et entraînant, et tout et tout.

GRAPHISTES CONTRE SURRÉALISTES, LE COMBAT RESTE OUVERT !

(Et, au milieu, reste le Lotus bleu, le point de bascule entre ces deux méthodes, qui plaît à tout le monde.)

Dans le Lotus bleu, y a des bouts du Hergé d'avant (le beau tapis jaune, les grandes portes rouges, ça claque) et des bouts du Hergé d'après (Tchang qui suit Tintin partout et qui émeut le lecteur quand il faut) (Tchang est un second Milou, finalement) (point racisme !).

Et après, il y a le Tibet et les bijoux de la Castafiore, qui sont encore autre chose.

(Comment ça « Et les Picaros ? On n'en parle jamais des Picaros... je me demande bien pourquoi... » Écoutez, il y a des mots qu'on n'utilise pas quand il s'agit de parler de Hergé. Tout le monde à le droit de faire des erreurs. Où est votre miséricorde chrétienne ? « Et vol 714 alors ? Pourquoi personne ne » Raaaah ! Mais chut !)

LE POST-DÉCOR.

Après la post-vérité, le post-journalisme et, bientôt chez vous tous, la post-démocratie-dans-ta-gueule-Trump-Poutine-Netanyahou-LePen-on-est-pas-bien-là-?, je tente d'inventer un nouveau mot mode : le post-décor.

C'est comme quand il y a un décor, mais que, finalement, on nen a plus grand chose à foutre.

PREMIER EXEMPLE : TINTIN AU TIBET.

Dans Tintin au Tibet, Hergé pousse les potards des personnages à fond. Ce sont eux le centre, le contour, la motivation et le but de toute l'histoire. Tintin veut retrouver Tchang. Haddock veut aider Tintin. Et ce seront ces sentiments qui vont être développés durant tout le récit. N'importe quelle épreuve ne sera là que pour mettre en valeur cette volonté de retrouver Tchang et de suivre Tintin.

Du coup, le décor, on s'en tape. Y a des cailloux et de la neige blanche, et c'est déjà bien suffisant. Le décor a été tout simplement viré. (Il est même devenu un peu allégorique : c'est une grosse masse informe qu'il faut affronter et dans laquelle il ne faut pas se perdre.)


On peut pas dire : on se recentre sur l’essentiel : l'écharpe de Tchang, Haddock, Tintin, et pour le reste : des cailloux marrons. Pas folichon, mais efficace.

DEUXIÈME EXEMPLE : LES BIJOUX DE LA CASTAFIORE.

Ici, l'intrigue est un jeu de dupe. Tout le monde se trompe sur le rôle de tout le monde. Les journalistes croient que Haddock et la Castafiore sont ensemble. Tintin croit que le pianiste est coupable, mais en fait non (on a volé les bijoux de la Castafiore, et tout le monde galère pour comprendre comment et pourquoi). D'ailleurs, on croit avoir volé les bijoux, et en fait non. Puis on croit qu'ils ne sont pas volés, et en fait oui. Les Dupondt croient que tout le monde est coupable à tour de rôle. Tintin et Haddock ont des sentiments changeants avec les romanichels (un mot tellement années 70, alors que nous sommes maintenant rentré dans l'air post-romanichel, celle des réfugiés dans des camps (ce qui fait plutôt années 30, finalement, et colle assez bien avec la post-démocratie)).

On croit un truc, mais en fait pas : les bijoux ne sont pas volés et les chapeaux moins moelleux.

On ne peut pas vraiment voir ou reproduire la réalité de manière précise.

Ça, c'est du Hergé typique, pour qui le chemin parcouru par les personnages est important, mais pas ce qui motive à parcourir ce chemin.

NOTONS AU PASSAGE DEUX GARS QUI N'ONT RIEN COMPRIS À LA CHOUCROUTE.

- Casterman, qui colorise Tintin chez les Soviets, alors que la démarche artistique des albums noir & blanc est complètement différente de ceux en couleur.

- Spielberg, qui, quand il adapte le trésor de Rackham le rouge, y greffe une histoire de rivalité ancestrale entre Haddock et Rackham, alors que, justement, chez Hergé, les motivations des personnages sont toujours minorées ou tournées en dérision, parce que (je le répète bien lourdement) c'est le chemin parcouru et pas la motivation de départ qui compte.

ET LE DÉCOR ALORS ?

Dans cet imbroglio généralisé, le décor est également de la partie, qui nous donne à voir des tas de choses (il y a des détails dans tous les coins, la science des couleurs qui doivent identifier chaque objet tout en se fondant dans un tout pas trop moche est à son maximum) sans que rien ne soit jamais significatif.

On se perd dans les détails comme on se perd dans les intrigues, qui ne signifient rien (métaphysique !).

Seul compte que tout cela donne à faire vivre les personnages.

3 commentaires:

  1. C'est intéressant, mais il est dommage que tu ne parles pas du rôle essentiel qu'ont eu les assistants sur les décors. Notamment Jacobs, qui a tellement poussé le réalisme des décors qu'Hergé aurait sombré dans la dépression.

    Là où tu y vois une démarche artistique d'Hergé se trouvent aussi d'autres personnes qui l'ont amené à cela, pour des questions narratives... ou pas.

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    1. C'est tout à fait vrai que c'est Jacobs qui a poussé la couleur dans les albums, que Hergé n'aurait rien pu faire tout seul, et que je n'y connais rien en studio Hergé. Il faut prendre "Hergé", dans les posts, au sens collectif du truc. C'est une précision importante qu j'aurais du faire.

      Le coup de "l'aventure pour l'aventure" est aussi un truc apporté en partie par le fameux Jean Van Melkebeke (un homme dont le nom a était inventé pour favoriser les belges (qui sont seuls à pouvoir le prononcer), et dont le visage a inspiré celui du professeur Mortimer (de Blake et Mortimer)).

      CECI DIT, il faut quand même remarquer que, dans "l'affaire Tournesol", Tintin va à Zürich où se trouvait le psy de Hergé, que, dans "Tintin au Tibet", Tintin affronte de grandes cases blanches quand Hergé faisait de grands rêves tout blancs, et que, dans un grand élan de sur interprétation qui n'appartient qu'à moi, j'ai toujours pensé que le fait que, pour Hergé, le chemin était plus important que la motivation de départ, collait vachement à sa vie (avec un départ parmi les fachos, puis un long chemin vers la culture, les autres, l’équilibre).

      la structure artistique "des aventure de Tintin" semble quand même coller vachement à la personnalité de Hergé. À moins que je raconte n'importe quoi en méconnaissant totalement mon sujet, ce qui est aussi possible.

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  2. « On croit un truc, mais en fait pas : les bijoux ne sont pas volés et les chapeaux moins moelleux. » Cette phrase est loin d'être claire. Si les chapeaux ne sont pas moins moelleux, il faut écrire « ne sont pas » dans la proposition ; mais si les chapeaux sont moins moelleux, il faut mettre « sont ». C'est, du point de vue de la syntaxe, l'équivalent de ce que vous expliquez (brillamment) à propos du scénario et de la mise en scène.

    Le paragraphe suivant est génial : « Spielberg, qui, quand il adapte le trésor de Rackham le rouge, y greffe une histoire de rivalité ancestrale entre Haddock et Rackham, alors que, justement, chez Hergé, les motivations des personnages sont toujours minorées ou tournées en dérision, parce que (je le répète bien lourdement) c'est le chemin parcouru et pas la motivation de départ qui compte. » Il faudrait expliquer cela aux scénaristes professionnels du cinéma.

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