Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 8 septembre 2016

La bande dessinée a le rythme dans la peau.

Richard Thompson nous montre comment impulser du rythme entre les cases.

Richard Thompson, Cul de sac, Andrew McMeel Publishing.

Quand on parle du style d'un auteur, c'est toujours super compliqué de trouver comment le décrire, et on tombe très vite dans l'analyse floue de notions à la foi subtiles et imbitables. Il est alors très difficile à un lecteur, certes bienveillant mais néanmoins avide de données précises, de ne pas faire les gros yeux.

Seulement, coup de chance : en bande dessinée, on a sous la main quelque chose de presque tangible, d’à peu près compréhensible sans se lancer dans des analyses capillotractées de troisième cycle, et qui permet souvent de différencier les approches de différents auteurs. Il s'agit du rythme que celui-ci donne à l'enchaînement de ses cases.

PAR EXEMPLE :


Ça donne :

Rythme plan-plan, accéléré par les questions des enfants, et qui se finit par une rupture de ton.

(En rouge, c'est un solo de batterie) (Censé mettre en évidence le rythme de la bande dessinée étudiée.) (Je fais avec les moyens du bord, je vous signale.) (Ne me remerciez surtout pas de la possibilité que je vous donne de lire ce blog en toute discrétion à votre boulot, sans avoir à mettre des écouteurs pour pouvoir piger le propos du post.)

(Pour être un peu plus précis, le rythme s'analyse sur deux niveaux : le temps entre deux cases et l'impact de chaque case.) (Je vous fais confiance pour deviner le niveau d'impact en fonction de l'onomatopée.) (C'est un blog qui fait participer ses lecteurs.) 

(Oui, aussi : j'ai scanné comme une grosse merde sur ce coup là, donc la moitié des strips sont illisibles. Mais c'est pas grave, parce que c'est un post sur le rythme. Faut juste vous laisser porter par la vibe baby. Encore une fois : ne me remerciez pas, c'est pour moi, ça me fait plaisir.)

PAR RE-EXEMPLE :


Ça re-donne :

Un rythme classique de blabla-chute-gag : on répète le même rythme, jusqu'à le rompre en fin de strip. Rupture, gag, rire de la foule.



MAIS DONC, PAR RE-RE-EXEMPLE :


N'est pas du tout dans le même rythme.

Ici, il y a une double chute : un gag en avant dernière case et un second gag en dernière case. Du coup, le lecteur est un peu pris au dépourvu par le rythme, parce que le gag ne sert pas vraiment de conclusion à l'histoire. Lequel des deux gags devrait le faire d'ailleurs ? Le lecteur se retrouve en déséquilibre, et c'est nouveau.

Parce que, en fait, Richard Thompson est post-moderne (trop hype !). Il passe après des tas d'autres auteurs qui ont déjà défriché des tas de manières de faire du strip comique, et il ne veut pas répéter les mêmes formules. Alors il tourne autour de tout ce bazar, mais en faisant des variations. Si Charles Schultz est un jazzman, alors Richard Thompson fait du free jazz. Il s'écarte du rythme classique pour l'étirer, le tarabiscoter, le pousser dans ses retranchements.

PAR RE-RE-RE-EXEMPLE.

UNE STRUCTURE À DOUBLE CHUTE.


Encore une fois : une chute en deux temps à la fin de l'histoire (ou trois temps) (ou quatre) (on sait pas trop).

UNE STRUCTURE SANS CHUTE (OU ALORS TOUT LE TRUC EST UNE CHUTE (LENTE)) (QUESTION DE POINT DE VUE).


La même image et la même situation se répètent encore et encore, et c'est cet état qui crée du fun.

UNE STRUCTURE BEAUCOUP MOINS CLASSIQUE, AU RYTHME SACCADÉ.


Ça commence bien côté rythme, mais alors, après, sur la deuxième bande, ça devient n'importe quoi.
Et c'est ce n'importe quoi qui est rigolo.

Bon. Alors. Que penser de tout ça ?

J'EN SAIS ABSOLUMENT RIEN.

Ha bah bravo. On est bien avancé, dites donc.

EN MÊME TEMPS, JE TE FORCE PAS À ÉCRIRE CE BLOG, ALORS DÉMERDE-TOI.

Premièrement, Richard Thompson semble surtout vouloir s'amuser avec la structure et tordre le rythme dans tous les sens. Free Jazz, en effet. Mais, au final, se donner tout ce mal, ça sert à quoi ?

DU RYTHME POUR QUOI FAIRE ?

Pour donner de l'inattendu ? Dans une structure aussi peu propice au fou-fou que le strip (on ne peut quand même pas faire des folies d'inventivité avec seulement trois ou quatre cases à sa disposition, c'est forcément un peu répétitif, cette histoire) ou la page du dimanche (deux fois plus de place que pendant la semaine, c'est pas Byzance non plus), c'est pas con de prendre le lecteur à contre pied et de modifier le rythme auquel il est habitué.

OUI, MAIS, BON, EST-CE-QU'A FORCE, ON NE S'HABITUE PAS AUX STRUCTURES AUXQUELLES ON N'ÉTAIT PAS HABITUÉ ?

C'est pas faux, par exemple, la structure free jazz de Richard Thompson revient souvent :


La double rupture de ton avec chute en avant dernière case et rupture de la rupture de ton dans la dernière case : 
un grand classique à la Richard.

Donc on peut dire qu'un lecteur avisé de cet auteur va commencer à le voir venir de loin.

MAIS ALORS PEUT ÊTRE QUE L'INATTENDU N'EST PAS FORCÉMENT LE BUT DU FREE JAZZ DE RICHARD THOMPSON ?

Sinon il essayerait de diversifier son rythme beaucoup plus (et il deviendrait fou).

Peut être simplement que cette structure en dents de scie est celle dans laquelle il se sent le mieux et est le plus à même de développer ses idées. Ce n'est pas parce qu'un gars porte un costume à carreaux violets et verts qu'il est forcément un excentrique, peut être juste que le costume est vraiment très très confortable.

ET  QU'EST- CE QUE PERMET CETTE STRUCTURE ?

Elle met en avant les personnages plutôt que la mécanique pure du gag.

On a une petite histoire, et puis une réaction des personnages à cette petite histoire (premier gag) et puis une réaction à cette réaction (second gag). Du coup, tout ça parait moins calibré, plus vivant, on a l'impression de suivre les personnages un peu plus longtemps que sur le seul temps imparti au gag.

La fantaisie des personnages s'exprime mieux (au travers de la double-réaction) et se développe, sans être coupée directement par la chute.

Et c'est effectivement ce qui intéresse Richard Thompson avant tout : la fantaisie.


Voilà pourquoi il se concentre avant tout sur les personnages des enfants, et leur vision chelou des choses.

À certains moments, on ne sait même plus si ce qui nous est montré est une vision fantasmée des enfants, une vision amusée des adultes, ou simplement du grand n'importe quoi. Ce que l'on sait, par contre, c'est que le rythme de chaque strip est toujours différent, toujours ré-inventé, toujours free-jazz. et que ce rythme colle parfaitement au ton de la série, qui est elle-même une série free-jazz.


Pour le coup, on peut difficilement faire plus free, comme rythme.

BON. OK. D'ACCORD. POURQUOI PAS. CERTES L'IMAGE DU FREE JAZZ, C'EST BIEN GENTIL, MAIS C'EST UN PEU FLOU. COMMENT RICHARD THOMPSON S'Y PREND, DANS LA RÉALITÉ VÉRITABLE, POUR FAIRE À LA FOIS DU GAG RIGOLO ET DU RYTHME DÉRYTHMÉ ?

C'est pas aussi facile, c'est sûr. Mais ça se fait très bien. Si on perd pas son sang froid.

1°) Ne pas hésiter à multiplier les pistes dans une case même.

La case à elle seule peut générer du rythme. Elle peut ,elle, déjà, dans son coin, être jazzy. Il suffit de bien s'y prendre, pour donner au lecteur l'impression qu'il a plusieurs manière de lire la case, et qu'aucune n'est mauvaise. Cela donne une plus grande impression de liberté, donc de liberté de ton, donc de folie douce.

Enfin, en multipliant les actions et les phylactères, le lecteur ne sais plus où donner de la tête (un peu comme quand 12 personnes vous parlent en même temps lors d'une soirée, et que onze d'entre elles le font pour vous assurer qu'elles ne sont pas bourrées tandis que la douzième est convaincue qu'il est très important qu'elle vous explique le sens de la vie), le lecteur ne sais plus où donner de la tête et, là encore, ce rythme compliqué et bordélique se communique à son esprit pour donner au récit un goût de divagation.





Et là, pour faire de bon gags, Richard dégaine son arme secrète : le bonheur des questions chiantes des enfants trop mignons.

2°) Dire flûte à la chute (ça rime, c'est mnémotechnique, c'est donc vrai).

Ok, il va y avoir un gag en fin de strip. Ok il faut essayer de développer quelque chose qui arrive à se gag. Mais le gag en lui-même n'est pas le but ultime à atteindre. Le but, c'est de réussir à impulser un rythme qui fasse danser le lecteur AU COURS DE L'HISTOIRE. Pas juste à la fin. Plus que de rire, c'est la folie douce, la fantaisie, l'esprit de légèreté, la [insérez ici le synonyme de votre choix] qui va donner le plus grand plaisir au lecteur. Pas le gag, qui n'est finalement qu'une incidence. Mais le rythme qui le précède.



C'est le père des héros qui vous l'explique le mieux.

AU FINAL, LA RÈGLE EST SIMPLE : IL FAUT QUE LE RYTHME DEVIENNE LIBRE POUR QUE LES PERSONNAGES LE SOIENT AUSSI. IL FAUT QUE LES PERSONNAGES DANSENT POUR DONNER ENVIE AU LECTEUR DE LES IMITER.



Cul de sac : le strip qui fait danser les petites filles, et tout le monde avec.

P.S.

Tous les jours, un strip de Cul de sac ici.

Et enfin, ce serait trop bête de croire que la vie n'est pas dégueulasse.

2 commentaires:

  1. J'adore cul de sac et le site Gocomics (en lien) est une pure merveille sur lequel vous pouvez retrouver aussi calvin & hobbes, les Peanuts et énormément d'autres strips en syndication juste fabuleux.
    Par contre pour les non-anglophones, Urban comics publie une intégrale en français avec en plus des interview de l'auteur et ces commentaires sur les strips

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    1. "Cul de Sac" suit le même chemin que "Calvin et Hobbes". Il y a les versions anglaises, les versions françaises, les versions intégrales anglaises, les versions anglaises internet, les versions intégrales françaises, les versions commentées anglaises, les versions commentées française, Bill Watterson qui dit du bien de Richard Thompson, et inversement et vice versa. Bref, y a de quoi faire.

      Plus personne n'a d'excuse pour ne pas connaître "cul de sac" ! Et, en plus, les français savent ce que veut dire le titre. Classe !

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