Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 10 mars 2016

La bande dessinée est un multi-mythe unique.

Morrison et Quitely reviennent en deuxième semaine pour nous reparler archétypes, et nous donner un exemple de personnage qui les cumule quasiment tous.

Grant Morrison, Frank Quitely, Jamie Grant, All-Star Superman, DC Comics.

Au plus bas de l'échelle de la construction de personnage, il y a le stéréotype.

Un patron de presse acrimonieux qui menace de virer ses employés toutes les cinq minutes. Comme c'est original et intéressant.

C'est le personnage qui ne bouge jamais. C'est le personnage du fonctionnaire, du vieux con, du copain du héros, du patron ; qui va rester cantonné à cette fonction durant tout le récit. C'est le personnage qui n'a aucun intérêt, parce qu'on sait déjà comment il va finir : exactement comme il a commencé, en ne changeant pas d'un iota et en ayant autant d'influence sur l'intrigue qu'une politique patronale sur la baisse du chômage. Le stéréotype a autant d'intérêt qu'une plante verte : il est simplement là pour éviter que ça fasse trop vide.

Juste un échelon au-dessus vient l'archétype.

Les archétypes de mecs balèzes se font défoncer par Superman (qui est bien plus qu'un simple archétype).

C'est le personnage qui bouge dans l'intrigue, mais on sait exactement comment il va bouger.

On a déjà repéré sa bouille dans des dizaines de milliers de milliards de scénarios et on a appris comment il allait dérouler -programmatiquement, consciencieusement, et sans jamais déborder des lignes- tout son destin, inscrit dans la construction de son archétype depuis des centaines d'années. C'est le personnage qui n'a aucun intérêt, parce qu'on sait déjà comment il va finir : exactement comme a fini le même archétype dans le film de la semaine dernière. L'archétype a autant d'intérêt qu'un dicton sur le temps qu'il fait : ça meuble quand on sait pas trop quoi dire (son scénario, quand on est scénariste, la conversation à la machine à café avec Jean-Michel, quand on est pas super-pote avec Jean-Michel). (« Hé bin, Jean-Michel, crois-le-moi, crois-le-moi pas, mais « Noël au balcon : Pâques au tison », Jean-Michel. Alors inutile de te dire que je stocke les pulls pour le 27 mars. »)

Est-ce que quiconque a déjà cru que Bruce Willis, à dix minutes de la fin, quand il est tout en sang, par terre, à bouffer du gravier, avec un méchant qui lui plante des fourchettes dans le dos et un autre qui fonce sur lui avec un rouleau-compresseur, est-ce que quiconque à déjà cru que, cette fois, ça y est, Bruce est foutu, il va se faire avoir, il va mourir, et ce n'est finalement pas un film d'action que je regarde mais une tragédie ? Personne de plus de dix ans n'a pu croire ça. On se fait avoir la première fois. La deuxième fois, on regarde la scène vaguement inquiet. Au bout de la deux-centième fois où Bruce arrive à s'en sortir in extremis, on avait quand même vaguement vu venir le truc.










 Bruce, dans tous ces films d'action hyper-variés (au niveau de la coupe de cheveux).

Est-ce que la scène a servi à quelque chose ? Est-ce qu'il y avait du suspense ? Est-ce qu'on s'est rapproché du personnage ? Est-ce que le personnage a évolué au court de l'épreuve ? Non. Pas plus que les cent-quatre-vingt dix-neuf autre fois. La scène a servi à que dalle.

Voilà pourquoi les personnages pré-programmés, c'est de la merde.

Voilà pourquoi, les archétypes, bin, c'est pas top.

Sauf à les mélanger.

En fait, les personnages les plus connus ayant traversé l'histoire ne sont pas des archétypes (comme Achille), mais des mélanges d'archétypes (comme Ulysse) (qui est un guerrier et un stratège durant la l'Iliade, puis un voyageur durant l'Odyssée). (Faites pas vos innocents : si on nous demande de résumer l'Odyssée, on aura toujours deux trois idées pour faire illusion (le cyclope, Charybde et Scylla, Circé et les cochons), si on nous demande de résumer l’Iliade, à part, « euh, bin, euh, y avait une guerre », on sera tous un peu dans le pâté.)


Euh... Ouais... les sirènes, tout ça... Ça me dit vaguement quelque chose...

Quand on se base sur un archétype, on sait quelle sera la prochaine réaction du personnage : celle dictée par son archétype. Mais quand on mélange deux archétypes, on ne sait pas qu'elle sera la prochaine réaction du personnage : va-t-il suivre le modèle de son premier archétype, ou de son second ? Le personnage devient imprévisible et intéressant. Mieux : il devient profond. Comme on n'arrive plus à anticiper ses actions, on a l'impression que sa psychologie s'est complexifiée jusqu'à devenir insondable.



Un coup Superman sauve Luthor, un coup il le tape. Il est difficile à suivre, ce garçon. (Tant mieux.)

Mieux encore : la construction d'un personnage basée sur de multiples archétypes (des modèles qu'on épouse plus où moins suivant les situations et qui régulent les comportements des personnages) suit exactement notre propre construction psychique à nous, cherchant des exemples de comportements parmi les archétypes véhiculés par la société depuis des lustres, et les épousant, plus ou moins, suivant les situations et notre construction psychologique.

« Hé ouais ! Débrouille toi avec ça ! »

Mixer les archétypes au sein d'un même personnage permet ainsi :
  • Feinteusement, de masquer l'intrigue et le développement du personnage au lecteur.
  • Techniquement, de donner une impression de complexité aux psychologies des personnages.
  • Émotionnellement, de rendre le fonctionnement du psychisme du personnage proche de celui d'une vraie personne, et donc de rapprocher le lecteur du personnage. Et le bonus : ça se fait même sans y penser : il faut juste se forcer un peu à ne pas rester dans le même archétype tout le temps. 

Surtout, le mélange des archétypes renforce les archétypes.

Les archétypes sont des modèles de personnages de toute façon forts et puissants. Rien ne leur résiste, ou presque. Ce sont des héros, des vrais, des validés. Alors, imaginez un peu si on en mélange plusieurs : ils deviennent encore plus forts et plus puissants.

Plus on va ajouter d'archétypes à un personnage, plus on va lui rajouter de caractéristiques et de points forts, plus il donnera l'impression d'être un héros total. Un décathlonien de l'héroïsation, qui a vu du pays, sait se battre, réfléchir, mélanger des trucs pour faire des potions, changer une roue même avec un boulon pété, réparer une glaviole sans toucher aux pétons, et faire des cookies sans gluten.

Il sait tout faire, on vous dit.

Il est super fort partout, il est mieux qu'un héros, il est un super-héros.

Et, de fait, vous remarquerez sûrement qu'une grande partie des super-héros de bande dessinée sont bâti sur ce modèle de héros total. C'est ce qui fait la différence entre eux et les autres d’ailleurs. Ce ne sont pas juste des héros. Ce sont des super-héros. On peut gloser des heures sur ce qui définit réellement un super-héros (le courage, la volonté, une valeur morale supérieure, blablabla), mais, techniquement, ce qui fonde un super héros, c'est le mélange des névroses archétypes.

Enfin, le mélange, on se comprend, le mélange harmonieux qui fait que toutes les qualités diverses transportées par les différents archétypes s'épousent sans s'annuler et, au contraire, se renforcent.

Et il est gosse-beau !

C'est ce qui arrive à notre ami Superman.

Superman est super-intelligent, et use de cette intelligence pour essayer de convaincre les autres de son point de vue.

Ouais bon bin ça va, mec, tu l'as déjà dit, ça. Tu deviens gâteux ou quoi ?

Mais Superman est aussi super-fort, il est donc un guerrier, très conscient de son statut de gardien de la Terre, mais qui cherche toujours des solutions non-violentes avant d'être contraint de péter la gueule à tout le monde. Il et le héros guerrier typique : celui qui veut pas, mais qui y va quand même.


Donc, quand je disais que Superman était avant tout un guerrier et que tu as essayé de me convaincre du contraire 
tu te foutais officiellement de ma gueule ou bien ?

Et Superman est également super-magique : il va voyager dans le temps en vivant super-vieux, il a des pouvoirs quasi-illimités et en tout cas très impressionnants (des rayons qui lui sortent de yeux, quand même, c'est cool), il est là dans un rôle de consolateur, de guérisseur, de docteur (ce qu'était un peu le magicien des contes : le rebouteux du village d'à côté un brin idéalisé), et, surtout, il est là pour nous offrir un miroir et, par contraste, valoriser les autres personnages qui l'entoure.


C'est bien ce que je dis : Superman colle pas du tout à ton archétype du stratège tout pourri. 
Et t'as fait comme si juste pour faire ton monsieur-je-sais-tout.

Pour ce qui est de Superman et des super-voyages, je pourrais vous baratiner et dire qu'il a voyagé dans l'espace étant tout petit pour ensuite arriver sur terre, ou que, dans sa longue carrière, il a quand même beaucoup vadrouiller dans l'espace, voir sur des planètes étranges comme Apokolips, mais, bon, il faut bien reconnaître que ce n'est pas non plus une facette primordiale du personnage.

Tu es au courant que tu reconnais toi-même que tu fais de la merde ? Pas trop difficile pour ton ego ?

Ceci dit, c'était sans compter All-Star Superman, puisque, justement, dans ce bouquin, le scénariste, Grant Morrison, s'emploie à rendre Superman le plus super possible, c'est à dire à le faire épouser le plus d'archétypes possibles.

Nous disons donc :
  • Guerrier
  • Stratège
  • Magicien
  • Voyageur

Mais aussi :
  • Innocent
Oh ! J'te cause, là ! Fait pas semblant de pas entendre ! C'est vexant !
  • Amoureux
Et vas-y que je continue l'air de rien !

  • Créateur
Nan mais ça va bien ! Si tu crois que je vais laisser tomber parce que tu balance des tas d'images au pif 
pour essayer de regagner une crédibilité, c'est raté mon ptit père. Je lâche rien !

  • Bouffon
Tous avec moi les gars ! On vaut mieux que ça !!

  • Roi
#OnVautMieuxQueÇa !


  • La fâme.

Alors, euh, oui, en effet, la femme (sans une société pas du tout misogyne mais non mais non) est un archétype à elle toute seule. Mais, bon, là, non Superman est pas une femme.


  • Le méchant.

Ha bah non plus. Quand même ! C'est Superman, merde !


  • Le rebelle.

Toujours pas. Faut bien voir que Superman réunit quand même pas mal d'archétypes, mais pas tous non plus. Ça reste un simple kryptonien comme les autres, zut, à la fin ! Ce n'est pas Dieu !


MAIS ON PEUT QUAND MÊME DIRE QUE SUPERMAN EST UN GROS CUMULARD.

En réalisant ce florilège, Morrison balaye tous les styles/univers/idées portés par le comics depuis la création du personnage de Superman (plus de 80 ans quand même) en plus de souligner la totale puissance de ce héros, en qui cohabitent (harmonieusement) autant d'archétypes.

Grâce aux archétypes, Morrison et Quitely font de Superman un héros total, couvrant toutes les possibilités et configurations de l'héroïsation. Ils hissent leur personnage au plus haut point de rayonnement possible.

#OnVautMieuxQueÇa !

Ceci dit, ça, ça marche uniquement quand les différents archétypes se mêlent harmonieusement. Parce que quand ce n'est pas le cas, bonjour les dégâts... (Ce que nous verrons la semaine prochaine.) (Dès que j'aurais réglé mes problèmes de dédoublement de personnalité.)

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