Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 10 décembre 2015

La bande dessinée est soumise à la gravité.

Aude Picault nous montre que le top du dessin élégant, c'est d'allier cette élégance à d'autres éléments artistiques.

(Ok, ça fait peut être une phrase de départ un chouille compliquée, mais j'avais pas mieux en magasin, désolé.)

Aude Picault, Fanfare, Delcourt - Schampoing.

(Et ouais, ça va parler élégance, aujourd'hui.)

LA BANDE DESSINÉE, C'EST MAL FAIT, C'EST TOUT DÉFORMÉ.

En bande dessinée de manière générale dans tous les domaines, les dessinateurs ont tendance à déformer les corps de leurs personnages et/ou à exagérer leurs postures.

Ils le font pour être sûrs que le lecteur va bien piger ce que cette fameuse posture est censée exprimer.

Aude Picault courbe à mort son personnage pour bien montrer qu'il est trèèèèès triste.

Ils peuvent également tout déformer pour faire passer, au travers du mouvement d'un trait, d'autres sensations que celles directement communiquées par la posture.

Aude Picault ondule à mort les bras de son personnage pour bien montrer qu'il est trèèèèès bourré.

TOUT CECI N'EST RIEN QUE DE TRÈS CLASSIQUE.

MAIS pour pouvoir déformer les corps de ses personnages, il faut déjà croire que ces personnages sont comme vous et moi (enfin, surtout comme vous) et qu'ils répondent aux mêmes lois de la physique que le commun.

Déformer quelque chose de déformable (si votre personnage principal s'appelle Monsieur Playdo ou Barbabouille), ça ne porte pas à beaucoup de conséquences et on ne saura pas si le personnage est déformé parce que l'auteur veut faire passer un message spécifique, ou parce que Barbabelle était coincée dans un arbre et qu'il fallait que Barbabouille se transforme en escalier pour l'aider.

On voit tout de suite que les barbapapa ne vivent pas dans un monde comme le nôtre. 
Ils vivent dans un monde où le LSD est en vente libre.

Il faut crédibiliser graphiquement son univers, le rendre tangible, qu'il réponde aux mêmes règles, aux mêmes lois que le nôtre.

Ainsi, quand le dessinateur sortira de ces lois et de ces normes, on le remarquera, et les déformations voulues auront un impact sur le lecteur et la lecture.

MAIS QUELLES LOIS CHOISIR? LA LOI D'AMNISTIE ? LA LOI D'EXCEPTION ? LE PAS DE LOI ? QUE NENNI ! ON PARLE DE LOIS PHYSIQUES.

Les forces fortes, faibles et électromagnétiques étant peu graphiques, en général, les dessinateurs se rabattent sur la dernière force qu'il leur reste pour nous faire comprendre que leurs personnages évoluent dans le même univers que nous et que, si le personnage principal a soudain une tête qui est trois fois plus grosse que son corps, c'est fait exprès, c'est une licence dramatique, vous n'avez aucune sensibilité si vous ne comprenez pas ça, vous ne comprenez rien à l'art, vous êtes un barbare, allez donc déménager en Syrie ; les dessinateurs se rabattent donc, disais-je, sur la dernière force qu'il leur reste sous la main : la gravité.

La gravité : la force qui fait mal (qui fait mal, qui fait maaaaal).

On pourrait croire que la force du dessin de Aude Picault, c'est le graphisme tout en courbes (et c'est en partie vrai).

Où gros cul et bas résilles de prostituée sont mis à profit pour dessiner tout en courbe (tout en volume, même).

On pourrait croire que la force du dessin d'Aude Picault, c'est sa synthèse qui permet d'exprimer beaucoup en très peu de traits (et c'est en partie vrai).

Trois points = un visage. On va pas pouvoir faire beaucoup plus simple.


Mais ce qui fait la réelle force de son dessin, c'est (et vous l'aviez deviné) la gravité.

Cette gravité permet de justifier la présence du dessin-tout-en-courbe. Le dessin-tout-en-courbe n'a plus seulement une justification esthétique mais également une justification technique : celle de représenter cette fameuse gravité, afin de crédibiliser ce fameux univers.

L'auteure ne fait pas que se la péter grave juste pour nous épater. Elle bosse aussi pour qu'on croie à ce qui est représenté.

LA BEAUTÉ DES GROS CULS.

Cet homme n'est pas gros. Cet homme est en courbes, nuance.

La gravité fait légèrement tomber le gros ventre de l'homme mouche-moche. Comme un vrai ventre de vrai gros. Le gros ventre est là pour faire des courbes. La résille est là pour que ça se voie. Mais le bidon qui s’affaisse légèrement sur le slip moulant nous fait nous dire que c'est réaliste.


L'élégance est de droite, ce n'est plus à prouver. L'auteure, d'ailleurs, l'assume parfaitement.

De la même manière, la courbe des vêtement de la fille déguisée en fanfare de droite est hyper élégante, on est d'accord là-dessus, mais cette courbure de robe est dû au tombé qui est dû à la gravité. On n'est pas simplement dans un monde de barbapapa où tout est possible, mais dans un monde logique et concret. Et c'est ce concrétisme cette concrétisation ce concrétage ça qui implique de faire des courbes élégantes. C'est la gravité et les contraintes réelles qui semblent générer des dessins élégants, classes, jolis et fort loin de dessins enfantins de blogueuses BD  de bas étage (si l'on m'en veut croire).

'Faut aussi savoir tricher un peu pour rendre des fois élégant de simples amas de tissus moches que sont les tutus.

Au final, Aude Picault utilise la gravité pour deux choses : rendre son dessin crédible (une mission purement technique, qui pourrait paraître froide) et rendre son dessin beau (une mission purement esthétique, qui pourrait paraitre superficielle).

FUSION DES CONTRAINTES !

C'est partiiii !

Mais, du coup, comme ces deux buts se complètent, beauté et crédibilité : même combat ! On ne sait plus si ce sont les contraintes de réalisme qui créent la beauté ou si ce sont les parti-pris esthétiques qui crédibilisent le dessin.

La volonté de « faire un joli dessin parce que faire un moche dessin c'est pas top » n'est plus ostensible. On n'a pas l'impression que Aude Picault fasse un dessin classe-j'me-la-pète-chuis-trop-une-artiste-t'as-vu. On a l'impression qu'elle fait un dessin réaliste, soumis à la gravité de notre vrai monde véritable, et que cette gravité crée un dessin élégant et jeté.

Voir même un dessin émouvant (ou tout du moins expressif). Que demande le peuple ? (A part du pain, des jeux, et le fascisme ?)

La gravité sert même à rendre un scaphandre (c'est lourd, ces conneries) élégant 
expressif et démonstratif (le casque qui tombe parce que le monsieur est tout triste).

Ça sert vraiment à tout cette gravité !

On a l'impression que l'auteure est obligée de faire un beau dessin. « Rhâlàlààà... Je voudrais bien faire de la merde super moche, mais y a ce foutu réalisme qui m'oblige à respecter cette foutue gravité qui m'oblige à faire des dessins élégants. Le monde est vraiment trop dur. Le monde est vraiment trop injuste. Je vais voter FN, tiens. »

INTÉGRATION DES DIFFÉRENTS OBJECTIFS.

Il n'y a rien de plus dur pour un auteur que de se faire une to do list et d'y répondre point par point. Un auteur sait parfaitement qu'il doit répondre à certaines loi physiques, être émouvant, être élégant, être concis, avoir un sujet fort, une coupe de cheveux qui dépote, et savoir cuire les pâtes al dente. (Être auteur, c'est encore plus difficile que de draguer sur meetic : il faut répondre à tellement de critères, que ç'en devient impossible.)

La bande dessinée, c'est compliquéééé...

L'auteur le sait, mais, parfois, il oublie de cocher un de ses items dans sa to do list, et il passe à la trappe. Pas parce qu'il est étourdi, pas parce qu'il est mauvais, mais parce qu'il y en a tellement à penser que ça en devient ingérable.

CONDENSATION DES DIFFÉRENTS OBJECTIFS.

La solution pour réussir le plus de ses objectifs artistiques est de les fusionner en un seul élément.

Si la représentation de la gravité permet de crédibiliser l'univers tout en générant un dessin élégant et expressif, ça fait trois objectifs en un. Il suffit de penser à un des trois, et les deux autres viendront sans y penser.

On n'y pense pas assez, mais derrière le vomi, il y a une volonté artistique forte. 

EN PLUS !

Le fait qu'un objectif artistique puisse être interprété de différentes manières peut servir à noyer le poisson. Ces objectifs paraissent moins apparents. Moins forcés. Moins « il y a un auteur derrière tout ça ». Le récit gagne en complexité et en naturel.

Il y a la gravité, l'expressivité, le récit, le trait, le jeu des couleurs, et pleins de bonnes choses !
Une recette super complexe, mais qui ne donne pas de kouglof tout sec aux raisins tout secs.

ENFIN !

La gravité induisant de l'élégance, elle même impliquée par son expressivité qui a pour conséquence de devoir respecter la gravité ; tout étant la conséquence et la cause de tout, le récit gagne en unité. On ne peut pas isoler un élément artistique et le pointer du doigt. Si on tire un fil, toute la bobine vient. Si on n'aime pas un des éléments du dessin, on va tout rejeter en bloc, et, a contrario, si on accroche à n'importe lequel des aspects artistico-esthético-réthorico-bande-dessinesque, alors on a de grandes chances d'en apprécier toutes les autres facettes. Et de kiffer sa race. 


3 commentaires:

  1. Après avoir lu mon post, un certain Jérôme Anfré, que je connais vaguement de loin, a écrit des choses forts intéressantes que je me permet de recopier ici (laissons parler les professionels)(ça fera enfin une critique intelligente écrite sur ce blog) :

    Alors je dis ouais, c'est bien trouvé l'histoire de la contrainte qui permet d'entraîner le dessin (je résume) (*)... Moi, j'appelle ça l'intention. L'intention est ce qui fait qu'un dessin devient vivant tout en permettant de donner un objectif à la stylisation. J'explique : j'aime bien redessiner des brouillons pour synthétiser au mieux et que ça soit, en un sens, élégant. Mais des fois un dessin synthétique reste chiant à regarder, mort, parce qu'il n'y a pas d'intention. L'intention, ça peut être un mouvement, ça peut être une attitude, bref c'est éviter que le dessin soit décoratif et qu'il soit chargé d'affect (que pense le personnage, comment il se sent dans cette position etc. est-ce que le décor fait peur ou non). Je dis que la gravité n'est qu'une des facettes de l'intention (en l'occurrence elle donne une assise au personnage en le plaçant dans un monde réel -comme tu dis- et en évitant que la stylisation se fasse dans le vide).

    Je pense que c'est cette différence entre "dessin avec intention" et "stylisation dans le vide" qui fait les bons et les mauvais dessins, et sépare Picault du tout venant.

    Quelque chose comme ça.

    Accessoirement, je me dis que ton papier pourrait appuyer cette histoire de "stylisation dans le vide" (la stylisation dans le vide, ça peut aussi être une stylisation avec une intention uniforme : la stylisation pour faire mignon appliqué à tout un système de dessin, par exemple).

    (*) après, et là j'ai envie de dire qu'on ouvre une toute autre porte, il y a une autre contrainte qui entraîne tout le dessin, c'est le trait. La physicalité du passage de la plume qui se traduit par la physicalité du dessin. D'expérience je sais qu'un dessin qui entre en conflit avec le passage de la plume (un dessin où on devrait lever la plume de la feuille tout le temps parce que des traits s'entrecroisent etc.) est moins vivant que l'inverse, simplement parce que l'expérience physique du trait se ressent moins et que le dessin est donc finalement plus artificiel et témoigne moins de la personnalité (de la main) de son auteur.

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  2. La question que vous attendiez sûrement : Pourquoi avoir mis "Astérix" dans les mots-clefs ?

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    1. Ha non mais j'ai pas du tout mis Astérix dans les mots-clefs. Du tout du tout du tout. C'aurait été une erreur grossière si ça avait été le cas, franchement. Et je ne fais aucune erreur, c'est bien connu.

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