Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 2 avril 2015

La bande dessinée raconte de multiples histoires en même temps.

Après nous avoir montré qu'il utilisait toutes les sortes de récits, Peyo nous explique maintenant pourquoi il les utilise TOUS, et EN MÊME TEMPS.

Peyo et tout son studio, le schtroumpfissime, Dupuis.

Si je résume le message précédent : soit un récit raconte l'organisation d'une société, soit un récit décrit les règles de cette société, soit un récit décrit comment s'inscrire dans cette société, soit un récit raconte comment regagner une place dans la société une fois qu'on l'a perdue.

Et, en général, les films, les romans, les bande dessinées n'appartiennent pas à une seule de ces catégories et débordent un peu.

MIEUX ENCORE.

Plus une oeuvre artistique déborde, mieux ce sera pour le lecteur.

PARCE QU'ON A PAS TOUJOURS ENVIE DE LIRE LA MÊME CHOSE.

Le jour où on vient de se faire virer, on n'est pas tellement d'humeur à ce qu'on nous explique des règles qui justifient notre place dans ce monde. Parce qu'on n'a justement plus de place, alors, ça va bien, c'est de la connerie tout ça. Par contre, on va plus facilement se laisser séduire par un récit qui nous explique qu'une fois cette place perdue, on va réussir à en trouver une nouvelle sans (trop) de soucis.

Donc on va être attiré par un type de récit plutôt qu'un autre.

Du coup, les petits malins mélangent tous les types de récits. Comme ça, quelle que soit notre humeur, on y trouvera quelque chose qui nous contente.

ET PEYO EST UN PETIT MALIN.

Peyo décrit un univers dans lequel on puisse se reconnaître.

C'est d'actualité (sauf pour les sourires) (mais c'est justement ce hiatus entre une élection humaine et une élection schtroumpf qui fait l'intérêt et le relief de la scène).

Peyo décrit un monde dans lequel des règles sont définies et validées par tous.

Enfin, presque.

Peyo décrit un monde dans lequel des personnages se battent pour obtenir un place.

Une bien belle success story.

Peyo décrit un monde dans lequel des personnages loosers arrivent à trouver une nouvelle place.

Que c'est réconfortant le fascisme.

ET ENCORE ! PEYO FUSIONNE LES DIFFÉRENTS TYPES DE RÉCITS.


Dans cette planche, par exemple, le schtroumpfs perd sa situation sociale (grosso modo, hein) et en retrouve une nouvelle (récit de retombage sur ses pieds).

MAIS

On peut aussi le voir sous l'angle du schtroumpf qui, grâce à sa grande gueule, arrive à progresser dans la vie (récit de trouvage de place au soleil). Ou encore comme le récit de l'instauration de certaines règle dans une communauté (récit de justifiage de sa place dans le monde grâce à des règles). Et enfin comme une simple description d'un microcosme, légèrement décalé par rapport au nôtre, et qui sert à la fois de satire et de révélateur (la montée de l'autoritarisme).

BREF

Peyo fait tout, tout le temps, et en même temps.

DU COUP, PEYO SE MET TOUT LE MONDE DANS LA POCHE.

Il construit des récits extrêmement ouverts, pour que le caractère ou l'humeur de chaque lecteur puisse y trouver une porte d'entrée.

Que vous soyez un anarcho-trotskyste, un solitaire, un rêveur, un stressé du boulot, un chômeur, un nazi, ou simplement enfant, vous trouverez toujours du grain à moudre en lisant un récit des schtroumpfs.

ET MÊME !

Le fait d'entremêler les différents types de récits crée une complexité structurelle qui va titiller plusieurs parties de votre cerveau (si vous êtes un anarcho-trotskyste solitaire ou un enfant nazi, vous allez trouver plusieurs grains à moudre, et le récit va d'autant plus vous séduire et vous faire dire que les schtroumpfs, c'est trop cool).

Ce qui va permettre d'autant mieux à tout un chacun de rentrer dans l'univers des schtroumpfs, d'y trouver des points d'ancrage, de se l'approprier.

SEUL PETIT PROBLÈME : ÇA PEUT AUSSI EMMÊLER LES PINCEAUX DE CERTAINS.

Quand on est rentré dans un récit des schtroumpfs par la porte « justifie sa place dans le monde - success story du schtroumpfissime » (on a été séduit par cet aspect du récit parce qu'on est soit-même ultra-libéral et convaincu qu'on forge soit-même son destin), l'aspect  « description d'un univers - vie en communauté et fonctionnement des deux camps de schtroumpfs » peut dérouter (qu'est-ce que c'est que ces délires de hippies communistes ?).


Quand on est rentré dans un récit des schtroumpfs par la porte « retomber sur ses pattes après une crise - résolution des conflits par l'action - guerre des schtroumpfs » (on a besoin de reprendre confiance en soi et croire en un futur brillant après le départ tragique de Charlie Jorkin de plus belle la vie), l'aspect « règle qui justifie sa place dans le monde - le grand schtroumpfs est parti et on fait n'importe quoi » peut désarçonner (je voulais être rassuré et bin pas du tout, ha bravo !).


On se retrouve avec des gens qui pensent en toute bonne fois que, du coup, les schtroumpfs, c'est communiste (la vie en communauté), stalinien (communiste avec un grand schtroumpf) (le grand schtroumpfs, dans les récits des schtroumpfs, incarne les règles de la communauté) (la science, l'éthique, le droit) (comme la schtroumpfette incarne la love-story et les schtroumpfs noirs la maladie), ultra-libéral (les films d'actions, c'est bushiste), nazi (les success story, c'est le triomphe de la volonté), tout ça en même temps.

C'est vrai qu'il est très nouille et moralisateur, le grand schtroumpf.
Un gars de droite y verrait l'exemple parfait du dictateur communiste père du peuple.
Et un gars de gauche y verrait l'image du père de l'endoctrinement patronal patriarcal judéo-chrétien.

Sauf que le grand schtroumpf, en fait :

Est porteur de bon sens.

Incarne la science et la connaissance.

Et peut se tromper.

C'est donc beaucoup plus sioux que ça...

Tout ça parce qu'on était rentré dans le récit par un aspect qu'on connaissait bien (on s'y intéressait depuis longtemps) et qu'on se retrouve avec pleins d'autres aspects qu'on maîtrise pas trop et du coup on dit n'importe quoi.

COMMENT FAIT PEYO POUR DÉSARÇONNER CE TYPE DE RÉACTIONS ?

Il appuie sur l'humour.

PAS CON. FALLAIT Y PENSER.

De la même manière que Peyo balaye tous les types de récits possibles pour séduire le maximum de personnes possibles, il balaye (presque) tous les types d'humour possibles pour essayer de faire marrer le plus de monde possible.

On a donc droit, dans le désordre à :

Comique de situation (quiproquo).

Comique de caractère (exagération d’un défaut humain).

Comique de l’absurde (logique prise à revers).

Décalage (entre burlesque et situation héroïque).



Parodie (du genre chevaleresque, ici) (logique, puisque les schtroumpfs se déroulent au Moyen-Âge).

Ironie.

Satire (politique).

Burlesque (pan dans la gueule, haha).

Comique de répétition.

On trouve grosso modo tous les types d'humour dans les schtroumpfs, sauf des grimaces ou des lâchés de salopes. À part ça, tout y est.

Sans oublier bien sûr les jeux de mots.
(C'est pas exactement des calembourgs, certes, mais ce sont des jeux avec les mots.)



Pleins de jeux de mots.

Et donc, avec tout ça, à moins de n'avoir strictement aucun humour, vous devriez comprendre, au détour d'un de ces gags, que les schtroumpfs sont rigolos, comprendre l'aspect satirique général des histoires.

SI JE RÉSUME.

Les multiples types de récits qui s'entrecroisent dans les schtroumpfs doivent permettre d'accrocher chaque lecteur quels que soient ses centres d'intérêt.

Les multiples types d'humour qui s'entrecroisent ensuite dans les schtroumpfs doivent permettre au lecteur, une fois celui-ci ferré au récit, de le relativiser, de prendre de la hauteur et un peu de distance par rapport à ce qui s'y joue. (L'humour de décalage et la parodie nous permettent de prendre conscience que c'est un récit qui se réfère à d'autres récits. La satire et l'ironie mettent une distance entre les schtroumpfs (qui sont un peu bêtes) et nous (qui comprenons mieux la situation qu'eux). Le comique de répétition met en avant les structures mêmes de ce que sont les schtroumpfs.)

On regarde la société des schtroumpfs de haut (c'est normal, en même temps, ils sont tout petits).

EN PARLANT DE COMIQUE DE RÉPÉTITION...

Il y a bien sûr tous ces personnages qui font ou disent encore et toujours les mêmes choses...

Mais il y a surtout le concept même des schtroumpfs.

Des petits bidules bleus qui répètent toujours le même mot.

Des petits bidules bleus qui sont toujours les mêmes petits bidules bleus.

Tout plein de bidules bleus identiques.

Tout plein de bidules bleus identiques, dans des cases différentes.

UN SCHTROUMPF, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Un schtroumpfs c'est le symbole du boulot d'un dessinateur de bande dessinée : refaire encore et toujours, de case en case, le même personnage dans des situations plus ou moins différentes.

Peyo a juste systématisé la logique. Et l'a mise en abîme.

POURQUOI ? COMMENT ? DE QUEL DROIT ? EST-CE QUE C'EST À ÇA QUE SERVENT NOS IMPÔTS ?

Nous tenterons de répondre à ces brûlantes questions la semaine prochaine.

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