Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 15 janvier 2015

La bande dessinée se permet de représenter des trucs.

Charb et Zineb nous montrent comment représenter des personnes ou concepts supposément irreprésentables.

Charb et Zineb, La vie de Mahomet, Les échappés - Charlie Hebdo.

UNE PETITE PRÉCISION AVANT DE COMMENCER.

Moi, les textes religieux, j'y connais que pouic. Mais Zineb et Charb eux, ils connaissent. Et tous les textes de la bande dessinée vue aujourd'hui sont 100 % made in chroniqueurs musulmans d'époque.

C'est pas moi qui le dit, c'est la quatrième de couverture.


Donc, bon, partant de là, je vais essayer de m'accrocher et pas raconter trop de conneries en collant aux textes (et aux dessins).

ON EST PARTI.

Si j'ai bien tout suivi, il y a plusieurs arguments contre la représentation de Mahomet. Dont aucun n'est catégorique.

L'ARGUMENT QUI SE TIENT, MAIS EN FAIT PAS VRAIMENT EN CE QUI CONCERNE ZINEB ET CHARB.

« Représenter Mahomet revient à l'iconiser. Petit à petit, on risque de faire grandir l'image de Mahomet, qui se substituerait à celle de Dieu. » « Et, ça, c'est pas bien. »

Alors, je parle même pas du fait que dans les écrits, c'est pas hyper clair, que ce n'est pas interdit, mais qu'on souligne juste le risque de tomber dans l'iconisation ; sans compter que les textes ne sont pas des paroles de Dieu mais des textes issus des paroles de Mahomet ou de ses compagnons, le tout compilés deux siècles après la mort de Mahomet. Autrement dit, il y a de grandes chances d'avoir eu de la friture sur la ligne (déformation des paroles rapportées), ou même que les compagnons de Mahomet aient raconté n'importe quoi. Aristote pensait bien que la Terre était plate. Ça arrive de se gourer, les gars. C'est humain. Moi, je juge pas. Je comprends.

En tout cas, ça n'a rien à voir avec un interdit que Dieu a balancé comme ça, pouf, au détour d'une conversation.

C'est pas du sûr-sûr.

Mais en plus Charb et Zineb tiennent compte de l'argument malgré tout et font de Mahomet ça :

La chair étant faible, Mahomet se marie avec un gros boulet (non, pas le blogger).

Un gars normal, qui veut coucher, qui a une vie, qui a des défauts, et tout et tout. Limite un peu moins normal que nous, quand même vu qu'il est tout jaune et a une mauvaise peau (mais tous les personnages de Charb ont une mauvaise peau, avec ces gros pifs et leurs immuables trois points noirs). Bref, un type pas du tout du tout iconisé.

Comment ça des défauts ? Mahomet aurait des défauts ? Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Comment Mahomet pourrait avoir des défauts !

C'est pas moi qui le dit, c'est Dieu :

Reconnaissons à Mahomet son honnêteté : 
il rentre dans une ville et se pourrit lui-même la gueule sans que personne ne lui ait rien demandé.

En maintenant Mahomet au niveau d'un homme, à ses défauts, et à un physique pas facile-facile (si tu es plus moche que Homer Simpson, à un moment, faut voir la vérité en face) ; en ayant une vision iconoclaste de Mahomet, Zineb et Charb court-circuitent le risque d'iconisation.

ET LE BLASPHÈME DANS TOUT ÇA ?

Un blasphème est un discours irrévérencieux envers ce qui est vénéré ou considéré comme sacré par  une religion.

Mais vénérer Mahomet, ce serait l'iconiser, non ?

Donc, pas plus de blasphème que de beurre en broche.

L'ARGUMENT COMPLÈTEMENT AUX FRAISES.

« Non, mais, attend, c'est écrit quelque part que celui qui fait une représentation en ce monde sera puni et il sera exigé de lui le jour du jugement qu'il insuffle une âme dans ce qu'il avait fait ; il ne pourra pas l'insuffler. Alors steuplé quoi ! Hein ! Ho ! Tes trucs d'iconoclastes : flûte ! »

Alors je reviens pas (en fait si) sur le fait que ce genre de propos se trouve dans des recueils relatifs aux actes de Mahomet et ses compagnons et que ce sont des témoignages qui peuvent être aussi crédibles que ceux de ma voisine quand elle me raconte son enlèvement par des vénusiens la semaine dernière.

Je voudrais simplement souligner qu'on parle ici de représentation (ou de création). Ce qui est bien plus large que les simples dessins (on peut parler de création artistique au sens large, ou encore de représentation littéraire).

Bah oui, parce que faut pas me prendre pour une quiche, ça :

Où on apprend que Jésus avait des coups de soleil et Moïse un gros cul.

Ce sont bien des représentations ! (Et pas des plus flatteuses !)

Et ça :



Mahomet, un mélange entre George Clooney et OSS 117.

Si c'est pas une représentation, c'est quoi d'autre ? Un clafoutis aux pneus ? (C'est d'ailleurs limite une iconisation, si je puis me permettre.)

Le truc le plus impressionnant dans cette bande dessinée, c'est que tout y est fait avec une grande subtilité. Pour la question de l'iconisation, est-ce qu'on passe son temps à voir Mahomet aller faire caca dans les cailloux ? Non. Mais ça y est. C'est contenu dans le fil du récit, ok, mais ça y est.  Les deux auteurs montrent ainsi leur compréhension profonde des questions posées par l'iconisation et les réponses qu'ils y apportent. En passant.

De même, pour cette histoire d'interdit complet de représentation, les auteurs parsèment le livre de quelques représentations piochées dans des textes de mêmes traditions que ceux les interdisant pour en montrer les contradictions et leurs possibles remises en cause. L'air de rien. En passant. Tout est dans le doigté.

L'ARGUMENT VACHEMENT PENSÉ ET TOUT, MAIS QUI EST PAS TOP NON PLUS.

Quand on passe a Dieu, ça se complique.

« On ne peut pas faire une représentation juste de Dieu. Dieu est grand. Dieu est immanent. Dieu est partout. Dieu sent bon. Dieu est bigger than life. Et on est bien en peine de savoir à quoi il peut bien ressembler. Peut être à un plan de table IKEA en faux marbre. Peut être à un saule pleureur rouge avec des rognons crus au bout de chaque branche. Peut être à un ipod. Peut être. Mais peut être pas. On n'en sait rien. Et quand on sait pas, on fait pas. »

(Et je me permets de faire remarquer qu'il ne s'agit pas là d'interdiction mais d'impossibilité. Du genre : « Tu te fais du mal, Jef. C'est foutu d'avance, Jef. Tu vas encore te planter, comme la fois où t'a voulu prouver que tu pouvais arrêter les pâles du mixeur avec les doigts. Non, Jef, t'es pas tout seul. Mais tu sais que tu me fais un peu honte. » ; et pas : « Jef ! Pas avec ta cousine quand même ! Elle a 12 ans ! C'est interdit ! » (je parle de conduite accompagnée, bande de pervers).)

Là encore, cette fameuse « impossibilité », les auteurs la concrétisent au détour de deux cases (des grosses cases, d'accord, mais seulement deux).


Ce qui nous apprend que Dieu est un peu poilu.

Pour répondre à cette idée de bigger than life, de « on peut pas imaginer ce qu'Il est tellement Il est tip-top », Charb et Zineb rendent justement Dieu trop grand pour être vu dans son entier et rendent justice à cette vision de croyant : aucun vivant ne peut voir, comprendre, conceptualiser Dieu dans son ensemble (et ils le font grâce à la bande dessinée, aux limites d'une case de bande dessinée). Il sont donc extrêmement respectueux de certains concepts métaphysiques.

« Ouais mais non, parce qu'ils lui font des jambes, des bras, une barbe. Si y faut, Dieu est un poulpe de l'espace avec des dents à la place des pieds, et inversement. Dieu, on peut pas savoir. Et puis, même, c'est plutôt un concept qu'une personnalisation, tu vois ? »

Certes.

Sauf que le théâtre.

Le théâtre ?

Le théâtre.

Qui nous montre qu'on a pas besoin de longues palanqués de textes descriptifs, mais que tout peut passer par ce qui est dit.

Alors, non, je ne parle pas de description basique (« brun, 1m80, signe particulier : une fossette au menton »). Mais par ce que Dieu a dit à Mahomet, on se fait déjà une idée de lui. Pas une idée physique, c'est sûr. Mais, disons, une idée de sa manière de penser. Il s'agit d'une description psychologique en quelque sorte. Et une description psychologique, ça individualise, ça personnalise.

Par exemple, dans l'extrait ci-dessus, on se dit qu'il est plutôt cool Dieu. Mais on ne conserve pas de lui l'idée d'un truc flottant un peu partout de manière floue et qui englobe l'univers. Non, son discours le caractérise, le personnalise. Voilà,  déjà, on sait que Dieu est gentil.

Et c'est exactement ce que veulent faire passer les auteurs.

Ok, on peut pas comprendre Dieu dans son entièreté. Mais quand même, au travers de son discours on peut en saisir des parties. 

Dieu est immortel, il a visiblement eu le temps de manger beaucoup de soupe.

On voit que dans la case la bulle est mise en vis-à-vis de Dieu et son trône. 

Le texte, la parole, est placé d'un côté de la case. Il y en a beaucoup. Du coup, il y a un grand vide laissé à droite de la case. Du coup, il faut remplir ce vide. Du coup on voit une partie de Dieu. Pas tout, parce que Dieu, tu vois, Il est vachte grand et tout. Mais une partie. L'espace nécessaire au texte, crée l'espace nécessaire à la représentation. Le texte induit une partie de la représentation que l'on se fait de Dieu.

PUNAISE, C'EST SIOUX, DITES DONC !

Ha c'est sûr que quand c'est réalisé tout en finesse, y en a certains qui bloquent.

6 commentaires:

  1. Cher zouave, votre dernier post est un peu déstabilisant car il incite à régir sur un terrain qui n'est pas celui de la bande dessinée. Contrairement à votre (excellente) habitude, vous n'analysez pas prioritairement la BD de Charb sur son rythme, la pertinence de ses cadrages ou ses choix iconiques (sa mère), mais sur le bien fondé de son message. Vous n'analysez plus la forme, mais le fond. Il n'y a qu'à la fin, avec la manière de représenter dieu qu'on revient à la BD.
    Bon, vous dites que votre propos se rapporte plus généralement au problème de la représentation, mais alors il ne concerne plus spécifiquement la BD. Pour faire simple on dirait que vous voulez simplement montrer pourquoi Charb et Zineb ont eu raison de faire cet album. Or les raisons que vous avancez me semblent critiquables et pour tout dire un peu foireuses. Je ne dirai cependant pas pourquoi, par crainte de lasser et aussi parce que je préfère quand le sujet du blog et de ses commentaires reste prioritairement la BD.

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    1. Pour ce qui concerne votre critique principale (le fond, pas la forme), je pense (moi) que j'ai essayé d'analyser des éléments de scénario du bouquin (pourquoi ils parlent de çi ou de ça)(pourquoi ont-ils choisi telle citation, telle scène). J'ai déjà fait des analyses purement scénaristiques, et je ne pense pas que celle-ci soit plus à côté de la plaque que d'habitude (mais je peux me tromper). En tout cas, vous avez raison, je m'attache à savoir pourqoi Charb et Zineb on fait ces choix scénaristiques (et ils l'ont fait pour désamorcer les possibles critiques sur la représentation) et ça amène peut être à des réflexions un peu trop perchée, un peu trop théoriques.

      Toute fois, il me semble que ce sont des questions que peuvent se poser les scénaristes et dessinateurs lors de la réalisation de leurs albums (pas forcément des questions sur la représentation, mais des questions perchées), c'est pour ça que cela me semblait fondé d'en parler ici.

      Pour ce qui est des critiques que vous n'avancez pas, c'est dommage, parce que ça ne fait du coup pas beaucoup avancer le schmilblick. J'aurais aimé pouvoir m'y confronter.

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    2. En relisant votre note je m'aperçois qu'effectivement il y a bien cette analyse de la forme. Ce qui m'a principalement chagriné c'est la reprise de l'argumentation de la 4ième de couverture et le fil conducteur de la note : A cause de sa forme très maligne, la BD n'offenserait pas l'Islam. C'est vous qui le dites et Charb qui le disait ! Je pense qu'on peut parfaitement faire une BD sur Mahomet ou Jésus ou Moïse ou Bouddha et même une BD qui les ridiculise et qui ridiculise les livres dits « saints » (même si de mon point de vue c'est un peu contre productif), et ce d'autant plus que je suis moi-même résolument athée. Par contre je trouve hypocrite de prendre à partie les musulmans (ou les chrétiens ou les juifs ou les bouddhistes), pour leur dire : « de votre point de vue, d'après l'analyse que j'ai fait de votre livre saint ou de vos préceptes, vous n'avez pas à être choqués par ma BD». Les musulmans ont bien le droit de penser ce qu'ils veulent et d'être choqués s'ils estiment devoir l'être (tant qu'effectivement ils ne sortent pas un fusil pour exprimer leur indignation). En plus et secondairement, se baser sur une interprétation littérale du coran pour définir ce qui est « choquant » ou non pour l'islam, c'est paradoxalement adopter une démarche « intégriste » et oublier qu'une religion repose sur une tradition et une interprétation des textes. Mais peu importe, le problème principal reste qu'on dénie au gens concernés la capacité d'avoir leur propre point de vue et qu'indirectement on fait preuve d'arrogance en présentant son point de vue comme universel.
      Après il y aurait tellement de choses à dire sur le fait qu'une religion ne peut être considérée indépendamment du contexte social de sa diffusion et des enjeux d'appartenances, de domination, de luttes et de résistances qu'elle suscite. Une certaine critique prétendument universaliste et rationaliste passe un peu vite sur tout ces aspects. Elle méconnait souvent ses propres superstitions (religion de l'économie, fétichisme de la valeur) son point de vue de classe (généralement celui d'un homme adulte blanc vivant confortablement dans un pays du « premier monde ») et oublie surtout les amalgames et les violences concrètes que peuvent susciter sa critique abstraite et prétendument objective. Mais là j'avoue, je m'écarte du sujet.

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    3. Sur la forme maligne de la bande dessinée.

      Je trouve effectivement assez malin de ne pas partir dans de grandes déclarations philosophiques ou éthiques, mais de se déplacer sur le terrain de jeu des adversaires, et de jouer avec leurs régles. Je trouve même ça plus sport. Là où nos avis divergent, c'est que je ni vois pas de condescendance. Je ne vois pas de "voilà, c'est comme ça qu'il faut jouer maintenant", mais plutôt un "voilà, moi, en suivant vos règles, je joue comme ça". Donc, forcément, selon mon point de vue ou le votre, la démarche devient insultante ou non.

      Sur la démarche intégriste et la tradition et l'interprétation des textes.

      Il me semble justement qu'en prenant les textes et en essayant d'en tirer une autre interprétation (et aussi en montrant parfois certaines contradictions entre deux citations), le livre essaye d'ouvrir le débat plutôt que de le fermer (montre que rien n'est figé et que le débat devrait rester ouvert). (Il me semble.) (Amha, tout ça.)

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  2. Merci beaucoup, je découvre grâce à vous cette bande-dessinée dont je viens de télécharger de plutôt mauvais pdf, mais qui restent lisibles... Parce que, bon, j'habite à des milliers de kilomètres de chez Gibert ou Boulinier)

    Un petit commentaire à propos de l'interdit de la représentation du prophète lui-même, que les miniatures turques et persanes ignoraient complètement, je retrouve chez Charb un esprit comparable à celui de ces miniatures. En effet, si Muhammad y a bien un visage, il n'a aucun signe particulier. Mais ce n'est pas grave, étant donné que l'art médiéval, en Occident comme en Orient, était profondément idéaliste et ne prétendait qu'incidement imiter le monde visible : les personnages y variaient donc en taille selon leur dignité, et TOUT LE MONDE y avait le même visage iconique... Exactement comme chez Charb, qui colle le même nez en patate et les mêmes yeux globuleux à TOUS ses personnages humains !

    Il y a donc un autre détournement de l'interdit de la représentation chez Charb, et lui aussi porteur de sens : chez lui Muhammad est un homme comme les autres, avec la même bouille que tous les autres hommes, sans aucune prétention de reconstituer un quelconque portrait physique du prophète de l'islam aniconique.

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    1. C'est ça, oui. Le "danger théologique", si on peut dire, est de faire de Mahomet une icône, et les auteurs font tout pour éviter ce danger et le désicôniser. c'est malin comme tout.

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