Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 11 décembre 2014

La bande dessinée a mûri.

Jochen Gerner nous parlent des gens qui n'aiment pas la bande dessinée (et qui ont bien tort).



Jochen Gerner, contre la bande dessinée - choses lues et entendues, L'Association.

NOËL APPROCHE, C'EST ATROCE.

Oui, les fêtes arrivent, et avec elles Tonton André, sa moustache, et son très typique : « alors, euuuh, machin, toujours à t'intéresser à tes conneries de mickeys pour débiles ? ».

Pour anticiper un manque de répartie qui pourrait se révéler cruel (moi, en général, avec « maiiiiiis, euuuuh, c'est même pas vrai », je suis à mon niveau argumentaire maximum), je me suis dit que j'allais écrire un brouillon de ce que nous devrions tous répondre en cas de basses attaques de notre art favori, dans le but extrêmement noble de pouvoir briller en société grâce à des saillies drolatiques, mordantes, pleines de sens et de sensibilité.

Pour cela, il fallait trouver une liste des griefs qu'endure la bande dessinée à longueur de temps.

Pour cela, il y a contre la bande dessinée de Jochen Gerner.



On va donc essayer de voir ce qu'on pourrait bien répondre à tous les reproches qu'on fait sans arrêt à la bande dessinée. 

C'EST PARTI MON KIKI.


On commence mou, avec un classique.


LA BANDE DESSINÉE EST UN ART, OK, MAIS MAUVAIS.

C’est ainsi qu’on peut se targuer d’aimer la bande dessinée. Pourquoi ne pas aimer la bande dessinée? Mais s’en targuer c’est autre chose. C’est dire, en sous main, il n’y a pas d’art mineur. Et quand on dit il n’y a pas d’art mineur, non seulement on réhabilite les arts mineurs mais on vide les autres. C'est à dire, si la variété c'est de la musique, il n'y a plus de musique. 
La musique disparaît peu à peu de la consommation courante.

Oui, d'accord, mais, du coup, la variété, si ce n'est pas de la musique, c'est quoi ? Un poêle en fonte ? Une Opel CX Turbo ? Un ragondin en plâtre ?

De là où je me trouve, la variété, ça ressemble drôlement à de la musique. De la musique que vous n'aimez pas, certes, mais de la musique malgré tout.

« Non mais je n'ai pas dit que ce n'était pas de la musique ; j'ai dit que c'était de la musique mineure. » « C'est pareil pour la BD, attendez. Je suis pas obligatoirement contre. C'est un art, ok. Un art mineur. »


Mais sur quels critères peut-on comparer deux arts entre eux ?

Genre, on prend le meilleur élève du collège privé et du collège public du village, on fait un concours, et on voit qui c'est le preum's ?


Non, elle ne peut pas. 

Parce que ça n'a rien à voir.

La plus belle symphonie peut-elle se comparer aux chefs-d’œuvre des maîtres du Nô ? Sûrement pas. Comment les comparerait-on ? Sur quels critères ? Quoi mettre en parallèle ? La scansion de l'acteur avec la ligne mélodique ? Les costumes avec l'harmonique ? On ne les compare pas, parce qu'on ne peut pas.

La bande dessinée, c'est pareil.

La plus belle des bande dessinées peut-elle se comparer aux maîtres de l'élevage de poneys ?

C'est juste n'importe quoi.

« Mais non, voyons ! On ne parlait pas de comparer les arts entre eux, mais de comparer leurs apports à l'art mondial, à la marche de l'humanité triomphante vers les lumières de euh... vers la lumière. »


« Voilà. L'important, c'est « l'évolution historique de l'art ». Entre guillemets. Parce que c'est important. »

Alors, déjà, moi, je dis bravo. Connaître le sens de « l'évolution historique de l'art » (entre guillemets), ce n'est pas donné à tout le monde, et c'est apparemment votre cas, donc : chapeau l'artiste. 

Seulement, je vais me permettre deux petites remarques.

Première remarque :

Si « l'évolution historique de l'art » s'embrume, le seul souci, ce sera que l'art sera un « dépôt immense et absurde » ? Que ce soit mal rangé, quoi. Si on dit que la bande dessinée est un art majeur, ça va vexer les maniaques qui veulent tout bien classer dans les tiroirs et pas de poussière sur la margelle de la cheminée ? C'est tout ? On a vu plus horrible.

Deuxième remarque :

S'il s'agit d'étudier « l'évolution historique de l'art », mais sans tenir compte d'une approche « thématique, sociologique, formaliste » et de se concentrer sur la valeur des œuvres, outre que c'est un tout petit peu limité, on retombe sur les deux soucis précédentsSe concentrer sur la valeur des œuvres, pourquoi faire ? (Simplement savoir qui est le plus fort de l'éléphant ou de l’hippopotame ?) Se concentrer sur la valeur des œuvres, comment faire ? (Comment comparer différentes œuvres de différents arts ?)


Non, définitivement, ce n'est pas possible.

« Bon. D'accord. On va pas comparer différents arts entre eux. Mais, par contre, on va comparer différentes œuvres littéraires entre elles (la BD et Proust). » « Oui parce que je vous avez pas dit mais, maintenant, j'ai bien réfléchi, et on a décidé que la bande dessinée était de la littérature. »

EN FAIT, LA BANDE DESSINÉE, C'EST DE LA LITTÉRATURE POUR DÉBILES MENTAUX.




Cette catégorisation est complètement idiote. 

Dans la littérature, il y a des mots et pas de dessin. Dans la bande dessinée, il y a des dessins ET des mots. Ce n'est donc certainement pas la littérature qui contient la bande dessinée. Cela reviendrait à dire que, puisqu'il y a des français à Paris, Paris contient toute la France. Bonjour le sophisme à deux balles.

De plus, encore une fois, comment on fait pour comparer un roman (avec que du texte) et une bande dessinée (avec du texte et des dessins) ? On se concentre sur le texte et on occulte tout le reste ? Le dessin, le découpage, les décors, les couleurs, etc., pouf, on en parle plus ? Ce n'est ni très malin, ni très valable, ni très intelligent... C'est juste de la complète mauvaise fois.

« Bon, mais si on revenait sur cette histoire de texte et de dessin justement ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de mélanger deux trucs qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre ? »

Pour moi, un truc comme Tintin, cela a toujours été de l’abrutissement. 
Chaque fois que je vois quelqu’un avec un album de Tintin, je me dis qu’il faut l’interner. 
Moi je regarde les images ou je lis, c’est l’un ou l’autre. 
Les deux mélangés, c’est pas possible.

A ma grande surprise, j'ai déjà vu cet argument revenir plusieurs fois : des images, des textes, le tout mélangé, vous n'y pensez pas ma brave dame.

Cette remarque a plusieurs angles d'attaques.

1° LA VISION RÉACTIONNAIRE.

« Nan, mais, un texte et un dessin, vous voyez bien que cela ne peut pas aller ensemble, ça ne fonctionnera jamais votre "bande dessinée". »

Une belle remarque qui rejoint celle à propos des avions qui ne pourront jamais voler, ça se voit d'un coup d'oeil, ils sont beaucoup trop lourds ; ou de ce feu qu'il est bien trop difficile de domestiquer, viens, Grünt, retournons jouer dans notre caca.

2° ÇA FAIT MAL A LA TÊTE.

« C'est bien trop compliqué de zapper entre les textes et les dessins. »

Une étrange ode de la bêtise, puisque les mecs se vantent ouvertement de ne pas pouvoir faire ce que réussit très bien un enfant de 6 ans (oui, parce que, spoiler : les avions volent depuis le début du siècle dernier, et les gens arrivent à lire des bandes dessinées depuis encore plus longtemps que ça). 

3° LA LITTÉRATURE, C'EST SANS IMAGES.

L'argumentaire le plus tordu : « la bande dessinée, c'est de la littérature, et la vraie littérature, c'est sans dessins, faut grandir un peu les gars, va falloir penser à foutre vos illustrés à la poubelle. »

Sauf, que, non, la bande dessinée, ce n'est pas de la littérature (confère plus haut, je vais pas tout ré-expliquer, faut suivre, un peu). La bande dessinée est un art indépendant et autonome, qui s'évalue suivant des critères techniques et artistiques propres. Donc, surtout pas suivant les critères arbitraires que vous auriez définis parce que ça vous arrange.

« Bon, d'accord, c'est vrai, ce n'est pas de la littérature, alors, finalement, la bande dessinée, est-ce que ce ne serait pas plutôt un genre de cinéma, hein ? En moins bien. »

LA BANDE DESSINÉE C'EST DU CINÉMA CACA.




On retombe sur l'absurdité de vouloir comparer deux choses incomparables. Si on n'a pas réussi à comparer littérature et bande dessinée, on échouera de la même manière à comparer cinéma et bande dessinée.

Dans le même ordre d'idées, on pourrait par exemple considérer cinéma et peinture, en disant que la peinture est un sous-sous-sous-cinéma. Pas de mouvement, pas de scénario, pas de personnages, pas de découpage. Quasiment rien, quoi. C'est même pas la peine de s'y intéresser. A la poubelle, la peinture.


Si je comprends bien, tout ce qui est pourri dans l'univers, c'est de la bande dessinée. Fastoche. Transformers 4 ? De la bande dessinée. 50 nuances de Grey ? De la bande dessinée. La faim dans le monde  ? De la bande dessinée.

Tu m'étonnes...

Je remarque juste que, quand la bande dessinée produit des merdasses de grande consommation, c'est l’hallali et la confirmation directe qu'elle est faite pour les débiles. Par contre, quand c'est le cinéma ou la littérature qui produit des merdes simplistes au kilo, personne n'a l'idée de venir chier sur les pompes de Kurosawa pour lui dire que, pas de bol, mais, vu la gueule de Expendables 3, le cinéma est rétrogradé en sous-art. Je vous raconte même pas la gymnastique intellectuelle pour justifier que Goethe cohabite avec Carole Mortimer, l'auteure indépassable de Prisonnière de la passion.

Ha mais non, pardon, Prisonnière de la passion, c'est nul, donc ce doit être une bande dessinée.

Finalement, la bande dessinée, c'est un peu comme le petit gros timide en 4°B, quoi. Tout le monde se fout de sa gueule et lui tape dessus, mais, depuis le temps, tout le monde a oublié pourquoi, et surtout, la plupart le font dans l'espoir que personne ne remarque qu'ils sont aussi de gros ringards. C'est juste un bouc émissaire facile.

« Non, mais, bon, la littérature, le cinéma, je me suis mélangé les pinceaux. Ce que je voulais dire, c'était que la bande dessinée est intrinsèquement mauvaise. Pas besoin de la comparer à autre chose. Elle porte en elle les germes de son propre mépris. »

DE TOUTE FAÇON, LA BANDE DESSINÉE, C'EST NUL, ET PIS C'EST TOUT.


« Vous voyez ! J'invente rien ! Les auteurs de bande dessinée le disent eux-mêmes. »

Ce genre de remarques étranges m'ont toujours semblé plus desservir les auteurs en question qu'autre chose. Au cinéma, on parle de moyens financiers, et je veux bien qu'ils puissent être limités. Mais en bande dessinée, ce sont des moyens intellectuels et technico-artistiques. S'ils sont limités, c'est que l'auteur est limité. Fallait pas filer les pinceaux à Rain man, voilà tout.

Je propose donc qu'on ne se base pas sur les propos de gens qui sont, de leur avis même, de gros mauvais en bande dessinée, pour s'intéresser à la bande dessinée.

MAIS POURQUOI S'Y INTÉRESSER ? LA BANDE DESSINÉE, C'EST JUSTE NUL, JE VAIS PAS ME FATIGUER POUR SI PEU.

Un argument d'une grande profondeur auquel nous essayerons de répondre la semaine prochaine.

6 commentaires:

  1. c'est marrant parce que sur le blog d'un auteur de BD (je n'arrive plus à me rappeler si c'était Boulet ou Larcenet) j'avais lu une note complètement opposée sur la notion de budget. Si un cinéaste veut écrire une histoire dans des décors extraordinaires (Titan, R'lyeh ou Poudlard, même combat), il a très vite besoin d'un budget ÉNORME. Pour le dessinateur, une feuille et un crayon suffisent, la seule limite étant son imagination. (c'était la raison principale invoquée par l'auteur pour répondre à la question "pourquoi la BD et pas le cinéma ?")
    En tout cas, merci pour ce blog toujours passionnant

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    1. Bin, dans un sens, ça reste logique : ceux qui aiment la bande dessinée disent que c'est elle qui est supérieure au cinéma ; et ceux qui préfère le cinéma (allant jusqu'à abandonner la bande dessinée) disent que c'est lui qui est supérieur.

      La seule bizzarerie est l'argumentaire : dire qu'on dispose de plus de moyens au cinéma, c'est dire qu'on dispose de plus de moyens pour compenser ses propres manques. C'est auto-dénigrer son travail. C'est curieux. Mais rigolo au second degrès.

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  2. J'avais pris ce livre à la bibliothèque et j'avais été bien incapable de le lire. Trop hermétique pour moi.

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    1. Moi, je trouve que c'est le bouquin le plus accessible de la période "poussage de bouchon vers l'art plastique pur" de Jochen Gerner, qui fait quand même toujours des trucs très intéressants (je trouve).

      Et puis j'adore lire du mal de la bande dessinée. Il y a un côté "bêtise révélée des cuistres" qui me fascine.

      Du coup, j'aime beaucoup ce bouquin, à plus d'un titre.

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  3. Mais finalement, qui est l'auteur de cette citation idiote ? Le saura-t-on au prochain épisode ou bien faudra-t-il consulter le livre de Jochen Gerner ?

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    1. Vous n'êtes pas le premier à me faire la réflexion et je crois que je me suis pris les pieds dans le tapis du concept du post. Comme la plupart des citations de Gerner sont anonymes, je me suis dit que j'allais faire pareil avec mais citations perso (et puis je voulais éviter de leur faire de la pub), mais, du coup, ça fait genre "on nous cache tout on nous dit rien".

      Donc, dans ce post, la première citation est extraite d'une interview de Finkielkraut (un habitué de ce genre de sorties, qui reviendra en deuxième semaine), la seconde est extraite d'une interview de J-L Murat (Murat / mûri, jeu de mot horrible, vous avez le droit de me lapider).

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