Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 21 août 2014

La bande dessinée nous reparle des couleurs, quand il n'y en a pas, et qu'elles sont grises.

Vanoli nous résume un peu tout ce qu'on avait dit sur le noir et blanc et sa terrible beauté.

Vanoli, Max et Charly, L'Association.

LA DERNIÈRE FOIS...

J'ai essayé d’énumérer certaines raisons qui rendent un noir et blanc beau, efficace, de qualité, et sans ajout de graisses saturées. 

Cette fois-ci, voyons dans lesquelles de ces catégories nous pouvons classer le travail de Vincent Vanoli.

BIN, DANS TOUTES, EN FAIT.

Parce que, comme souvent, les bons artistes ont de multiples raisons à leurs choix artistiques (les mauvais aussi, d'ailleurs). Des choix qui s'entrecroisent et se superposent.

NOUS DISIONS DONC...

C'était quoi, déjà, les raisons de faire du noir et blanc ?

  • Une raison politique.
« Moi, je publie dans mon coin, j'emmerde personne, alors venez pas me chercher les poux. »
(Mince je fais encore parler les auteurs à leur place, j'avais promis à mon psy d'arrêter.)

  • Une raison économique.
« Bon, d'accord, du coup, je publie à l'Association et ils sont pas connus pour leurs folies colorimétriques, mais c'est pas grave. »

  • Une raison matérielle.
« De toute façon, j'ai un autre boulot à côté, donc j'ai pas le temps de faire le zozo avec mes stylos de couleur. »
(C'est mal de faire parler les auteurs, je le sais, pourtant, que c'est mal.)

  • Parce que colorier, c'est super gavant.
« Et puis vous me voyez mettre tout plein de couleurs de partout avec toutes ces nuances par ci et ces touches de couleurs par là. Oh non : trop prise de chou. En gris, c'est plus facile à accorder. »

  • Une raison référentielle.
Bon, là, c'est plus sioux, et je suis pas sûr de mon coup, mais il se trouve que Vanoli est un maître du mystère mystérieux angoissant métaphysique existentiel. Or il y a eu d'autres auteurs avant lui pour développer ce genre d'ambiances. D'autres auteurs qui ont pu l'influencer.

(Je suis pas sûr, hein.) 

(Mais peut être.)

Catros Trillo, Alberto Breccia, Magia Verdadera.

  • Une raison d'ambiance.
Avec le retour des gris flous, comme chez Guibert pour montrer le doute et l'insécurité.

  • Une raison d'abstraction.
Avec, euh... le retour de l'abstraction, comme chez, euh... les peintres abstraits.

  • Une raison de masse.
Comme chez Pratt : noir = lourd (qui va tomber, chez Pratt ; qui va couler, ici).

  • Une raison de trait.
Vanoli arrive à combiner dans son dessin des tas de techniques suivant ce qu'il veut exprimer. Et chacune des ses techniques est mise en avant plastiquement. On voit les traits de crayon, les coups de pinceaux, etc...

Chaque style de trait est attaché à un élément de l'image et à l'impression que cet élément renvoi (les collines éthérées, le personnage principal sombre et lourd, les arbres se découpant sur le ciel).

Chaque élément est différent, exprime quelque chose de différent, mais tous s'allient dans l'image grâce au noir et blanc.

  • Une raison artistique.
Pour que ce soit classe.

  • Une raison artistique, mais une autre.
Pour que les couleurs ne perturbent pas le dessin, ne disperse pas son sujet. Ici, tout reste dans la même tonalité, 
et c'est mieux qu'avec un joli ciel bleu et une loutre rose dans les roseaux.

  • Une raison artistique, mais une troisième.
Pour une simplicité des représentations.
  • Une raison que j'ignore.
Hé bin ouais.

DE PLUS !

Il existe peut-être un dernier élément que je n'ai pas encore évoqué et dont il faudrait parler : la manière de superposer les différents éléments d'une image (personnages, objets, décors) tout en conservant un tout lisible et identifiable. Une nécessité facilitée ici par les différents niveaux de gris de l'image.

Y a plein de trucs dans l'image, et pourtant, on comprends tout.

VOYONS COMMENT TOUT CELA FONCTIONNE AVEC LE PAPE DE LA LISIBILITÉ.

Tonton Hergé ! Y avait longtemps, dis donc ! Comment vas-tu ?

Hergé et tout son studio, Tintin - L'affaire Tournesol, Casterman.

Hergé, lui, ce qu'il veut, c'est que TOUS les éléments de l'image soient discernables.

Première solution, la plus simple : donner une couleur différente à chaque élément.

Ici, quasiment chaque personnage a une couleur différente. On ne peut confondre aucun d'eux. Il sont personnifiés, identifiés par leurs costumes. (Tintin ne porte pas seulement une veste parce qu'il fait froid, il porte une veste parce que sinon son pantalon marron et son pull bleu se confondraient avec d'autres costumes dans l'image. Son costume est son personnage et l'identifie.)

Deuxième solution, plus compliquée : puisque Hergé fait du semi-réaliste et qu'il faut, dans ce cadre, respecter un tant soit peu les couleurs réelles de la vie véritable (pas de case toute rouge comme chez Morris, ça va bien, on est pas chez les zazous), parfois, il se retrouve à devoir superposer des objets qui ont tous la même couleur (du bois marron, des chaussures marrons, des pantalons marrons, des couvertures de livres marrons). Dans ce cas, il va différencier les différents objets en nuançant les couleurs.

Des marrons, des tas de marrons, mais des marrons différents pour des objets différents.

Et c'est la même tisane pour les gris du chapeau, du manteau et du décor du fond.

A certains endroits, il y a un tel bordel, qu'il est obligé de feinter. Ici en plus du blanc et du bleu très clair, il introduit du violet, qui tranche mieux. Et il empile ses papiers avec des couleurs toujours différentes : blanc - violet - blanc - violet - blanc - violet - bleu - manteau - bleu - blanc - fond bleu.

C'est comme ça qu'un inextricable fouillis de ligne reste parfaitement lisible.

Au final, le mot d'ordre pour garder une image lisible quand on ne peut pas utiliser de couleurs franchement différentes est : deux éléments côte à côte doivent être de deux nuances différentes.

Et vous savez qui doit se débrouiller pour garder une image lisible en n'utilisant qu'une seule couleur (le noir) (enfin, le gris) tout en conservant un aspect réaliste à son dessin (et donc en mettant des tas de détails dans l'image) ?

VINCENT VANOLI, BIEN SÛR !

Bravo, je vois que vous suivez.

Cette case est un peu comme celle avec Lampion et ses papiers.

Chaque élément est différencié par deux choses : 
sa distance au sujet, et sa couleur (sa nuance de gris, plutôt), jamais identique à celle de l'élément le plus proche.

Distance au sujet.

Et nuances de gris :

1° et 2° plan : joncs noirs et eau blanche.

2° et 3° plan : eau blanche et personnage noir.

3° et 4° plan : personnage noir et eau grise (ainsi, on ne confond pas l'eau avant et après le personnage).

4° et 5° plan : eau grise et berge noire.

5° et 6° plan : berge noire et montagnes sombres.

6° et 7° plan : montagnes sombres et ciel blanc.

Et voilà le travail !

RÉSULTAT DES COURSES.

Le noir et blanc, chez Vanoli, a des tas et des tas de justifications.

Mais, plus que cela, l'utilisation des nuances de gris, plutôt qu'un noir et blanc marqué, lui aussi, est justifié.

Il est nécessaire à l'ambiance douce amère du récit (le gris de la nostalgie), et il est nécessaire à la manière de raconter ce récit qui inclut pleins de détails dans l'image pour la rendre plus crédible, plus proche de nous (une manière précise, qui n'élude pas le décor ou les objets).

FAISONS UNE PETITE COMPARAISON.

Chez Pratt, on se fait pas chier, on élude le décor. Parce que s'il y en avait un, on y comprendrait que pouic. De toute façon, on s'en fout, c'est un récit d'aventure, pas une thèse sur la vie paysanne dans la Creuse en 1912.

Que dalle de décor. Ha bravo ! C'est ça qu'on vous apprend dans vos écoles d'art de fumeur de drogue ?

Chez Vanoli, par contre, le décor est toujours présent, et ancre le récit dans quelque chose de connu, de réaliste. 

Attention, hein ! Je suis d'accord pour dire que le dessin n'est pas réaliste, avec ces messieurs aux visages tous biscornus. Mais l'ambiance et l'univers dans lesquels évoluent les personnages, eux, sont réalistes. Grâce au décor et aux objets et au chat.

Voilà ! Là y a plein de traits ! Là, ça bosse ! Là, ça mérite son RSA !

Le changement de ton du récit n'en sera alors que plus saisissant.



BREF...

Le style de Vanoli permet de réaliser une page réaliste...

...immédiatement suivie par une page teintée de merveilleux.

Vanoli. L'homme qui fait du réalisme merveilleux en bande dessinée.

(Et tout ça grâce aux nuances de gris !)

(Dingue !)

BON. PUISQU'ON EST PARTI DANS LES EXEMPLES ET LES APPLICATIONS DE CE QUE J'AI ESSAYÉ DE DIRE TANTÔT, AUTANT CONTINUER SUR NOTRE LANCÉE... (ET ÇA VA ENCORE DURER TROIS SEMAINES, JE VOUS PRÉVIENS, ACCROCHEZ-VOUS A VOS BRETELLES.)

5 commentaires:

  1. Je viens d’enchaîner les 6 posts sur la couleur. Impressionnant. Bravo et merci.
    (Oui je n'ai rien de mieux à faire ce soir) (c'est fini les vacances) (j'ai plus de temps).

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    1. Les encouragements sont gentils, parce que des fois je me demande quand même si j'écris pas un peu n'importe quoi. Merci.

      (Dites donc, au fait, je remarque que la France qui travaille, et tout, c'est un peu du flan, parce que maintenant que tout le monde est rentré de vacance et a une connexion haut débit au bureau, mon nombre de vue a très sensiblement augmenté. Heureusement que Manu Macron va nous remettre tout ça dans le droit chemin de l’esclavage.)

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  2. J'ai une suggestion pour une raison supplémentaire d'utiliser des nuances de gris. Une raison rythmique. Les gris claquent moins que le noir et blanc et complexifient le lecture (comme le décors, et la comparaison avec la planche des Éthiopiques de Pratt fonctionne ici aussi) sans tomber les stimuli d’émotions criardes qu'ajoutent les couleurs (comme celles, disons, de Peyo ou Moebius). Résultat la lecture est ralentie par la nuance sans être dynamisée par les couleurs. Le noir & blanc fait des percussions, la couleur, des mélodies. Les nuances de gris sont une basse continue. Tiens, je vais aller lire du Vanoli en écoutant du Godspeed You Black Emperor, pour voir.

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    1. Ha oui, très bien formulé. De la complexification sans éclats. C'est vrai que c'est souvent le cas dans les travaux "en gris" "à la Vanoli". Dans les travaux "en gris" "mais des aplats de gris", le gris conserve son côté tranchant, pour isoler les formes et clarifier les situations. Tandis que dans les "gris à la Vanoli" avec 256 nuances, ça vise au contraire à rendre les enjeux de la case et de la situation flous.

      Très bien vu.

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    2. Merci du compliment !
      C'est grisant, tiens.

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