Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 29 mai 2014

La bande dessinée et le tic-tac du gaufrier.

Alan Moore, Dave Gibbons, John Higgins continuent à nous en foutre plein la vue en nous montrant comment avoir un récit incertain ET un univers ET un discours ET une mécanique scénariste ET que tout ceci dans forme cohérente ET en faisant une œuvre culte ET avec des super-héros bleus ET tout nus.




Alan Moore, Dave Gibbons, John Higgins, Watchmen - chapitre 4 - Watchmaker,  
DC Comics & Delcourt (traduction de Jean-Patrick Manchette).

Nous nous étions donc arrêté à :

OUUUUUUHLALALALALA... JE COMMENCE A EN AVOIR MARRE, MOI.

Et j'avais donc fait une pause tout en reprécisant bien les choses à propos du gaufrier dans Watchmen :

Soit le gaufrier découpe une action.
Dans ce cas là, la symétrie met en avant l'ambivalence de cette action.
(Ce que j'ai essayé d'expliquer plus haut.)

Soit le gaufrier découpe une réflexion (qui va (souvent) de souvenir en souvenir).
Dans ce cas là, le tic-tac du gaufrier met en avant le temps qui s'écoule et la vanité de toute chose.

ET C'EST DONC, AUJOURD'HUI, A CETTE SECONDE MÉCANIQUE QUE NOUS ALLONS NOUS INTÉRESSER...

3° - DÉCRIRE LES CONSÉQUENCES DES CHOIX DES PERSONNAGES SUR L'UNIVERS DANS LEQUEL ILS VIVENT.

Pour bien mettre en avant cette (nouvelle) mécanique de temps qui passe, les auteurs vont abuser des ruptures de ton. Ainsi, chaque case s'oppose à la précédente, marque une différence, scande un rythme ; pour que chaque tic résonne nettement après chaque tac.


Si si, je vous assure, regardez plutôt :


Ou encore :


Cet aspect ancre dans l'esprit du lecteur la scansion et le passage inexorable du temps. Une fois ce rythme entré dans la tête du lecteur, une fois l'aspect de modelage temporel (oui, j'invente des termes qui ne veulent rien dire, je fais ce que je veux, c'est chez moi, ici) intégré par le lecteur, les auteurs vont pouvoir en jouer et voyager dans ce temps qui forme la matière, le rythme de la bande dessinée elle-même.

AINSI.

En voyageant dans les souvenirs des personnages qui ont été placés au centre de l'histoire, Watchmen nous permet de mieux les connaître, eux, autant que  l'univers dans lequel ils évoluent.

DE PLUS.

En voyageant dans les souvenirs des personnages, Watchmen nous permet également d'éprouver le temps qui passe pour chacun d'entre eux, les effets de leurs actions dans le monde qu'ils occupent.

ENFIN.

En voyageant dans les souvenirs des personnages, Watchmen permet aux auteurs de s'interroger sur la liberté et l'utilité de ces choix (et de décrire ici une vanité).

BREF : C'EST LA GROSSE GROSSE FORME.



Les parcours personnels et historiques des personnages se superposent pour montrer la futilité de leurs actions.

CETTE DÉMARCHE POSSÈDE DANS CE CAS UNE DOUBLE COHÉRENCE.

Les personnages sont les moteurs de l'intrigue et c'est à travers eux (et leurs parcours) que l'on va découvrir cet univers. Nous avons donc besoin du tic-tac du gaufrier pour nous balader dans leurs souvenirs.

Une investigation constante au travers du zapping des souvenirs des personnages.

Malgré tout, dans un second temps, cette fameuse intrigue apparaît bien trop vaste pour les personnages. Elle les dépasse.

Les personnages deviennent de toutes petites choses perdues dans un grand univers. On les traite donc à raison comme des parties (ou des rouages) d'un tout plus vaste qu'on découvre petit à petit. Chose que le tic-tac du gaufrier illustre à nouveau.

Maiiiis, euuuuuh...


COMMENT ÇA « LES PERSONNAGES SONT LES MOTEURS DE L'INTRIGUE » ? ON N'AVAIT PAS ENCORE PARLÉ DE ÇA, OH !

C'est vrai.

Désolé.

On va en parler maintenant.

Et notamment du rôle du Docteur Manhattan (le monsieur tout nu et tout bleu) dans la construction de l'intrigue.

Je suis rouge de confusion.

Pardon.

Hum.

Le personnage du docteur Manhattan est au centre du dispositif des Watchmen.

Il est lié aux thèmes du pouvoir et de la responsabilité en cela qu'il est très fort et qu'il peut accomplir à peu près tout ce qu'il veut.


Il est lié aux thèmes du temps et du choix en cela qu'il connaît le futur et que son esprit voyage sans cesse dans le temps (les autres personnages voyagent dans leurs souvenirs ; le docteur Manhattan voyage directement dans le temps).


Ce personnage devient ainsi le support des auteurs pour porter leurs idées.

Les autres personnages ne font que rebondir sur le docteur Manhattan et réagissent ainsi à ce qu'il incarne. La question n'est plus « le temps, le pouvoir, la vie, la mort, les caramels mous » mais « que faire quand on est confronté à un personnages et des situations qui nous mettent face à l’ambivalence de nos choix et à notre propre vanité ? ». Le docteur Manhattan incarne les questions des auteurs, les rend plus tangibles. En retour, les réactions des autres personnages proposent différentes réponses possibles à ces questionnements.

2° - DÉVELOPPER DIFFÉRENTS PERSONNAGES QUI INTERAGISSENT LES UNS LES AUTRES DE MANIÈRE CRÉDIBLE.

Le Comédien décide d'opter pour une position cynique et de nier l'intérêt de telles interrogations.


Du coup, zou, il finit par la fenêtre. (Don't fuck with the questions of your own authors.)


Ooooh, ça va, c'est pas un spoil, ça se passe dans les premières pages de la bande dessinée.

Rorschach décide d'aller dans le sens opposé en prenant tout très très très au sérieux.


Ozymandias essaye de dominer ses différents éléments pour s'en extraire.


Tandis que le Hibou et le spectre soyeux, après des parcours tortueux, lâchent l'affaire et essayent de s'en accommoder 


Pour chacun des personnages, les solutions choisies sont nuancées. Elles ont des aspects positifs et négatifs, pour l'univers dans lequel ils évoluent autant que pour les personnages en eux-mêmes. Chacune des solutions proposées par les personnages semble valable, viable, intéressante ; mêmes si elles ont toutes des défauts.

Le lecteur fait ainsi connaissance avec des personnages qui semblent avoir des vies propres, logiques, indépendantes d'une quelconque logique scénaristique.

ET DONC !

Depuis le temps que j'en parle, il fallait quand même finir sur ça sinon je me serais senti frustré :

1° - DONNER L'IMPRESSION DU LIBRE ARBITRE DES PERSONNAGES.

J'ai essayé de faire un petit schéma pour résumer tout ce que j'ai pu dire auparavant :

Roooohhh... Que c'est bôôôooo... Un schémaaaa...

Il s’opère donc une convergence entre les idées des auteurs, les personnages et les mécanismes narratifs développés pour supporter ces idées : tous en arrivent à avoir besoin de l'incertitude pour exister.

Le récit, pour rester attractif et intéressant. Et la vie des personnages à l'intérieur du récit, pour les mêmes raisons : ne pas avoir une vie trop lisse et unidimensionnelle.

Tac, trop cassé, le mec !

Cette vision peut être prise un peu par le mauvais bout de la lorgnette, par exemple, ici, par Rorschach.

Aha, sacré lui, on le changera jamais, ce qu'il est drôle...

Mais, a contrario, cette vision hasardeuse et incertaine de la vie peut être vue sous l'angle du miracle.

C'est bien beau de se la péter, mec, mais n'empêche que tu pourrais déjà mettre un slip, et, là on commencerait à discuter.

Au final, Watchmen devient une bande dessinée dont la solution philosophique (l'incertitude) et la solution narrative (l'incertitude derechef) (pour rendre vivant les personnages qui eux-mêmes incarnent différentes solutions au problème philosophique vous voyez bien que ça fait une boucle mon Dieu mon Dieu la tête me tourne) se confondent en une cohérence ma foi pas piquée des hannetons.

Alors, ça, ça m'épate.

Les Hommes du mécanisme s'interrogent tout autant sur le pouvoir et la liberté dans nos vie que sur le pouvoir et la liberté d'une bande dessinée. Tout cela pour en arriver à une conclusion commune : cela tient du miracle.

OUF.

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