Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 20 février 2014

La bande dessinée se fait un nom.

Abel Lanzac, Christophe Blain et Clémence Sapin nous montrent que, trouver le nom d'un personnage, c'est chaud patate.



Abel Lanzac & Christophe Blain & Clémence Sapin, Quai d'Orsay, Dargaud.

Dans la scène ci-dessus, on comprend très bien ce qui se passe et à quels évènements tout ceci se réfère.

Pourtant, les personnages ne s'appellent pas du tout « Dominique de Villepin » et « Colin Powell » mais « Alexandre Taillard de Worms » et « Jeffrey Cole ».

Pourquoi ?

PARCE QUE LE CHOIX DU NOM D'UN PERSONNAGE N'EST PAS UNE SINÉCURE.

Inconsciemment, à cause, souvent, de simples préjugés, ce nom construit une première idée du personnage dans l'esprit du lecteur, une idée qui lui sera constamment rappelée au cours du récit et qui va façonner la capacité du lecteur à s'identifier au(x) personnage(s)


Problème : si l'identification aide le lecteur à suivre une histoire (en y glissant les sentiments que lui inspire telle ou telle situation), celui-ci veut-il vraiment s'identifier à un personnage qui s'appelle « Robert » ?

C'est vrai, que, quand on entend le prénom « Robert », on pense plus à quelqu'un comme lui :


Qu'à quelqu'un comme lui :


 Ce qui est un peu dommage pour tous les Roberts de France et de Navarre...

Il faut donc choisir le nom de ses personnages avec soin, en ayant en tête tout ce que ce nom peut représenter, ou tout ce que ce nom peut permettre d'un point de vu narratif.

PAR EXEMPLE : LA SOLUTION « TINTIN ».

« Tintin » est un nom qui ne veut rien dire, un nom informel et neutre.

Trouver un tel nom n'est pas si facile... Il faut qu'il n'ait aucune signification (on se doute bien que « Haddock »  n'est pas un charcutier), mais qu'il ne paraisse pas abstrus (« Rastapopoulos » est un nom trop bizarre et  exotique, trop compliqué pour ne pas nous faire cogiter). Il faut que ce soit un nom qui reste vierge. Une boîte vide dans laquelle le lecteur pourra y glisser ce qu'il veut : une personnalité, des émotions, du boudin au pomme. Ce qu'il veut.

« Tintin »  : un  prénom aussi neutre et interprétable que son visage.

Si le nom du ou des personnages est bien choisi, s'il est réellement une boîte vide avec laquelle on peut jouer, il est d'ailleurs possible d'y glisser bien plus qu'un simple patronyme.

Un nom bien choisi, et le lecteur glisse dans le personnage les sentiments que lui inspire telle ou telle situation. 
Un mot bien choisi, et le lecteur glisse dans les dialogues le sens que lui inspire telle ou telle situation.

Ces noms ne sont pas obligés d'être fantaisistes et peuvent être tirés du réel (après tout, « Schtroumpf » veut dire « chaussette »). Le tout étant qu'ils soient suffisamment inusités pour ne pas être une référence directe à quelque chose de connu. Un mot qui reste vide de sens. 

Par exemple, en parlant de noms qui ne ressemblent à rien :

Les deux personnages aux têtes de cartoons et aux nez plus que de raison 
ont aussi des noms bizarroïdes (Blutch et Chesterfield).

Les autres personnages sont dessinés avec plus de réalisme et possèdent donc des noms normaux 
(Colonel Appletown, General Alexander, etc...).

Dans cette bande dessinée, il y a deux mouvements parallèles. Les personnages auxquels on s'identifie ont des noms neutres et des visages peu réalistes. Les protagonistes auxquels ont ne doit pas s'identifier (parce qu'ils s'opposent à nos héros) ont des noms beaucoup plus précis et un dessin qui ne l'est pas moins.

OUI PARCE QU'IL N'Y A PAS QUE LES NOMS, DANS LA VIE.

C'est une des belles tartes à la crème de la bande dessinée : il est plus difficile pour un lecteur de s'identifier à un personnage réaliste, parce qu'il va lui paraître plus comparable à une personne qu'il pourrait rencontrer au débotté dans la rue qu'à un pure produit de son imagination.

Un dessin plus euh... dessiné, moins réaliste, va permettre au lecteur de se rapprocher/s'identifier à un personnage qui restera plus flou, qui correspondra déjà plus à l'image mentale qu'on se fait de quelqu'un (une image qui nous est donc déjà personnelle) qu'à son apparence réelle (qui nous est extérieure).

Ici, on peut faire un parallèle entre les noms, la représentation des personnages, et notre attachement à eux.

C'est clair et net : plus on doit s'identifier/s'attacher à un personnage, plus son nez est gros et rond.

La caricature rapproche le héros du lecteur.

MAIS ALORS, A CONTRARIO, DE QUELLE MANIÈRE PEUT-ON NOMMER UN PERSONNAGE DESSINÉ DE MANIÈRE RÉALISTE ET DONT ON VEUT FAIRE UN HÉROS ?

Ce n'est pas bien compliqué : quand on se retrouve avec une bande dessinée réaliste mais qu'on veut quand même donner un nom flou au personnage, que fait-on ? Hé bien on donne un nom réaliste, mais flou (pas con, le mec).

Un chiffre, par exemple...

Dans le cas d'une bande dessinée réaliste, les auteurs ne doivent pas viser à l'identification lecteur-personnage, mais à l'identification lecteur-action. Le lecteur se dit alors : ouais, bien joué mec, moi aussi, j'aurais fait pareil. Le saut sans parachute, la réception sur le dos du tueur en pleine air, la rupture des cervicales. Tout pareil. On est sur la même longueur d'onde, bro'.

Le lecteur ne se dit pas qu'il pourrait être XIII, il ne s'y identifie pas. Il trouve simplement ses actions logiques 
et les valide. Il se dit que, s'il était lui aussi placé dans un avion en flammes sans parachute avec des tueurs en série à ses trousses, il ferait devrait faire pareil.

(D'ailleurs, la critique qui revient chez les déçus de XIII n'est pas : « le perso devient con » (qui est la critique négative des gens qui s'identifient) (comme dans Breaking Bad) ; mais « l'histoire vire au n'importe quoi » (qui est la critique négative des gens qui suivent et valide les actions des personnages) (comme dans Lost).)


MAIS, DU COUP, A QUOI ÇA SERT, UN NOM FLOU CHEZ UN PERSONNAGE RÉALISTE ?


Le personnage de XIII cumule des tas d'avantages, non plus d’identification, mais de progression parallèle : au début de l'histoire, il n'a pas de nom, il n'a pas d'identité, il ne connaît même pas ses capacités physiques ou intellectuelles. Bref, le personnage en sait autant sur lui que le lecteur. Ils en sont tous les deux au même point. Il vont marcher de pair vers la découverte de la vérité.


Et en route vers une aventure tellement pleine de rebondissements qu'ils vont rebondir les uns sur les autres !


Le nom de « XIII » n'est pas comme celui de « Tintin » (il n'est pas fantaisiste), mais il reste générique, libre de toute connotation à une nationalité, un caractère, une époque. Il est parfait pour qu'un lecteur ne se fasse aucune idée préconçue sur le personnage. Un nom vierge. Avec lequel on peut partir à l'aventure.

BON... CERTES... BIEN SÛR... MAIS...

On ne peut pas appeler tous ses personnages « Trululu » ou « Fantômas ». Des fois, les auteurs ont quand même intérêt à ce que leurs personnages aient un quotidien et des noms un peu plus comme dans la vie de tous les jours. 

Dans ce cas, s'ils veulent rester relativement flou, il leur reste un  dernier as dans leur manche...

LE NOM PEUT ÊTRE UN PRÉNOM.


C'est un peu plus réaliste (nous aussi, on a un prénom) et c'est relativement abstrait (beaucoup de gens portent le même prénom, donc ça ne désigne personne de précis, ça reste, là encore, un peu flou) (appeler son personnage « Martine » ou « Martine Aubry », et ça change quand même pas mal de choses dans le récit et dans notre appréciation de l'ensemble).


A noter que, souvent, quand le personnage n'a qu'un prénom, c'est que c'est un héros de bande dessinée pour enfant. 
Les auteurs cherchent à ce moment à décrire un univers vaste-mais-pas-trop, chaleureux-non-pas-aventureux, reconnaissable-mais-un-peu-différent-quand-même. Bref : un univers à la « Cédric », qui porte un prénom reconnaissable-et-connu-mais-qui-ne-nous-en-dit-pas-plus-que-ça.

SEULEMENT VOILA...

« Cédric » reste cantonné à des aventures assez ordinaires... 

Quand le personnage commence à s'écarter d'un quotidien relativement balisé et à vivre des aventures what-the-fuck, la solution du prénom ne suffit plus.

Les auteurs vont alors devoir faire acte de réalisme et donner, en sus du prénom, un nom de famille à leur personnage...

CE QUE J'ESSAYERAIS DE DÉTAILLER LA SEMAINE PROCHAINE.

(Attendez, j'ai fait un truc hyper structuré. Première partie : les noms flous. Deuxième partie : les noms réalistes. Troisième partie : les noms bizarro-rigolos. Thèse-antithèse-synthèse. Structuré, je vous dit.)

8 commentaires:

  1. Encore un article ma foi fort intéressant.
    Alors je note : "j'essaierai de détailler LA SEMAINE PROCHAINE". On vous attend de pied ferme, monsieur Anfré. Parce que là ça faisait trois semaines qu'on n'avait rien de nouveau à se mettre sous la dent. Vous aviez beau avoir prévenu que le rythme de parution allait s'espacer, l'attente se faisait quand même longue.

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    1. Hého, je fais ce que je peux avec mes moyens intellectuels limités, moi.

      Mais, oui, il y aura bien un post la semaine prochaine et un autre la semaine d'après. Merci pour les encouragements.

      Tchac tchac tchac. Efficacité.

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  2. Les noms des personnages de fiction...
    Il n'y a pas déjà un Dingodossier ou une Rubrique-à-Brac sur le sujet?
    Je n'arrive pas à mettre la main dessus dans ma collection.

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    1. Ha ça ne me dit rien... Mais si vous retrouvez une ref, je suis bien sûr preneur... (Est-ce que ce serait le truc sur les extra-terrestres avec leurs noms chelous ?)

      Il y avait Boulet qui avait aussi fait un post sur les noms moches de méchants dans les films de sf ou de hf... (Je suis un jeun's, moi, je lis Boulet.)

      Je suppose que c'est un sujet moultement traité, mais ma culture BD limitée s'arrête malheureusement là.

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    2. Je saute sur l'occasion : je cracherais pas sur une analyse du style de Boulet, si ca vous, dit un de ces 4.

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    3. J'ai pas une connaissance immense des oeuvres du dieu des blogs, mais je vais essayer de voir ça... Si ça fait chboum là dedans entre un sujet à moi et une planche à lui...

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    4. Je viens de retrouver le passage auquel je pensais: c'est un extrait du premier tome des "Trucs-en-Vrac" (p. 34)
      "Il est indispensable que le nom du héros soit un résumé de ses activités ou de ses qualités. Un de ces noms que vous trouverez difficilement dans le bottin, comme "Michel Tempête", "Marc Coeurvaillant", "Gil Cyclone", "Slim Eclairdacier" ou, plus modestement "Flash Hurricane" ou "Dan Mégatonne". Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ce nom doit _coller parfaitement_ au physique du héros." (suivent deux cases, l'une avec un petit vieux à moustache dénommé "Gil Francoeurdacier", et l'autre avec un superhéros dénommé "Jules Petibidon")... C'est plus court que je le pensais, mais les idées principales sont là :)

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    5. Ha c'est sûr que c'était la grande époque de Marc Dacier et de Guy Leclair...

      Mais la situation n'a pas beaucoup changé. Sauf que maintenant les personnages s'appellent "Skrull le ténébreux, prince sans âge du royaume de Sworth". Un autre style. Une même méthode.

      Merci de vous être creusé la cervelle pour retrouver la ref...

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