Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 18 octobre 2013

La bande dessinée enfonce le clou.

Libon nous montre que tout ça est une question de tempo (comique).

Libon, Jacques le petit lézard géant - Jacques a plein d'amis, Dupuis.

On oppose souvent textes et dessins...

Ou on essaye de dire, quand on est poli, qu'il y a compétition entre les deux (si c'est une compétition, elle se fait entre le grand beau gosse que tout le monde regarde (le dessin) qui enfonce la tête du petit intello timide (le texte) dans le sable).

En tout les cas, en général, on a toujours tendance à bien marquer la différence entre les deux. Et à dire qu'on survole d'abord le dessin avant que de le décrypter avant que de lire le texte.

Et, toujours en général, on le fait simplement parce qu'on a la flemme.

Parce que tout ça n'a aucun sens.

Quand on lit une case de bande dessinée, on peut lire le dessin avant le texte, le texte avant le dessin, un petit bout de texte, un petit bout de dessin, et vous reprendrez bien un petit bout de texte, non merci ça fait grossir, si si, j’insiste.

Et je ne vous dis pas comment on « lit » un dessin, sinon on va tous commencer une dépression collective synchronisée.

C'est le méli-mélo le plus bordélique qui soit.

(Du coup, certains essayent de rationaliser en séparant texte et dessin.) (Ça fait déjà deux trucs bien différents qu'on peut ranger dans des petites boîtes pour y voir clair.) (Au moins, c'est carré.) (Même si c'est pourri.)

LIBON, LUI, IL A TOUT COMPRIS.

Il place le texte et le dessin exactement sur le même plan : ces deux éléments vont exactement dans le même sens et décuplent leurs effets respectifs...

Le texte est débile, le dessin est débile, les personnages sont débiles. Au moins, on risque pas de faire un contresens.

  • Le décor (dessiné de manière moins détaillée que dans la première case) dit : ils sont pas doués.
  • Le texte (à base de siestes, de fraises, et de phrasé vernaculaire de derrière les fagots) dit : ils sont pas fut-fut.
  • Le dessin (pouvoir lire la bêtise des personnages rien que dans leurs yeux, c'est fort) dit : ils sont un peu con.
  • Le trait (bien net avec des jambes et des bras bien droit et décidés) dit : ils ont été bercés trop près du mur.

Bref, qu'on commence par décrypter la case par le dessin ou par le texte (et dans le dessin, qu'on commence par le décor ou les personnages) ou en survolant l'ambiance générale de la case (j'insiste, mais ce qui ressort de la case (ce qui est blanc et au centre), ce sont les yeux des personnages, et ces yeux crient déjà « con-cons »), par quoi que l'on commence, chaque élément ira dans le même sens, dira la même chose.

Deuxième effet kiss-cool : tous les éléments (décor, personnages, dialogues) sont drôles ; du coup, on a un empilement des effets comiques. Plus on « lit » la case, plus on la décrypte, plus on va empiler les effets. Plus ce sera drôle.

BON.

Mais alors, on va lire une case drôle dans laquelle tout sera drôle, puis une case drôle dans laquelle tout sera drôle, et ainsi de suite, et inversement...

Ça va être d'un répétitif, tout ce pastis, dites donc !

C'EST POUR ÇA QU'IL FAUT ENSUITE BIEN GÉRER LE RYTHME ENTRE LES CASES.

Chez certains auteurs, ce rythme se maîtrise intra-muros, dans la case. Avec, par exemple, de forts contrastes noirs/blancs.

Ici, ce n'est pas vraiment la même sauce, puisqu'il faut que tous les éléments de la case aillent dans le même sens pour accroître son effet comique.

Du coup, le rythme, le tempo comique, tout ça, Libon va se le gérer entre les cases, en se fiant à son découpage.

Pas con.

(D'ailleurs, puisque c'est grâce aux « inter-cases » (ouh que c'est moche comme terme) qu'il gère son récit, Libon met plein de cases (Morvan est battu sur le fil, bravo bravo), pour mettre plein d'« inter-cases ».)

14 cases dans une page, quand même, sacré bestiau.

Dans ce système, une case veut dire quelque chose. Toute la case veut dire la même chose. Et si on veut dire autre chose ? Bin on change de case.

Un discours clair est d'abord et avant tout un discours répété 256728 fois.

Tout ça permet :
  • D'être au taquet, d'avoir des cases « over the top », qui appuient à fond sur le champignon.
  • Des changements de rythme intempestifs et d'autant plus drôles qu'ils sont forts et à 180 degrés (toute la case d'après va contre toute la case d'avant) (les contrastes et alternances « stress » - « gros blasé »).

NOTE EN PASSANT :

Malgré les forts contrastes, Libon organise la continuité entre les cases. Ici, il le fait grâce aux regards de ses personnages. Il y a une ligne de regard constante qui permet d'avoir envie de suivre les échanges entre les différents protagonistes.

Un combat de regards mieux que dans un Sergio Leone.

RE-NOTE EN PASSANT :

On remarque que la même technique est utilisée pour gérer le rythme des dialogues. Autant il y a beaucoup de cases par planche, autant il y a beaucoup de bulles par case. Avec le même objectif : bien séquencer et bien rythmer.

5 bulles dans une case, quand même, beau bébé.

POUR EN REVENIR A NOS MOUTONS, ET PLUS PARTICULIÈREMENT AUX DIALOGUES...

Les dialogues de Libon ne sont pas :
  • des trucs écrits là pour commenter l'action au cas où le lecteur aurait un QI en-dessous du niveau de la mer,
  • des trucs écrits là pour décrire l'intrigue au cas ou le lecteur à une mémoire de pâte à bois,
  • des trucs écrits là pour remplir le vide parce qu'il faut bien meubler,
  • des trucs qui n'expriment rien,
  • des trucs inutiles.

Ouais... Non... Autant ne rien écrire, du coup...

Les dialogues de Libon sont bons.

Parce qu'ils participent à chaque case et en sont un élément comme les autres, qui s'intègre à l'ensemble et en amplifient les effets.

Parce que Libon est doué.

NOTA BENE POUR ÉLARGIR LE PROPOS.

Le texte en bande dessinée n'est pas obligatoirement utilisé pour amplifier les effets du dessin, du décor, du découpage, des cadres, etc.

Le texte peut très bien être en opposition à ce qui est exprimé par le dessin. Ça ne change rien à son importance et à son impact, du moment qu'il est réfléchi pour.

Eddie Campbell (avec l'aide de son assistant Pete Mullins) & Alan Moore, From Helléditée de manière compliquée 
par des tas de gens en Angleterre et juste par Delcourt en France, avec la traduction de Jean-Paul Jennequin.

Dans From Hell, le contenu vaguement bonasse de la lettre ainsi que sa typographie enfantine sont en rupture avec le propos du texte et les différentes cases aux messieurs très sérieux. Mais comme les auteurs se sont décarcassés pour faire de chaque partie de cette page (dessin, texte, lettrage, situations) un élément qui va rentrer en contradiction avec les autres (autant, chez Libon, il s'agit de décupler un effet ; autant, ici, il s'agit de le nuancer), là aussi, le texte apporte quelque chose au lecteur.

(C'est sûr, l'histoire de Jack l'éventreur, ça vous fait une autre ambiance qu'une histoire de petit lézard géant.)

Par contre, si le texte était écrit juste comme ça, si le texte était plat, si le texte n'apportait rien d'autre à la bande dessinée et qu'il en devenait un élément superfétatoire, si le texte était inutile, eh bien... Ma foi... Le texte serait mauvais. Voilà tout.

BREF.

POUR CONCLURE.

Comme j'essayais de l'expliquer à propos du dessin, le texte d'une bande dessinée peut exprimer des tas de choses, des tas de sentiments autres que : « Voici deux bonhommes qui papotent dans la forêt. Voilà. Alors ils discutent de trucs de mecs, quoi. Les gonzesses. Les motos. Comment ? Je me suis pas foulé ? Ils pourraient discuter de choses plus intéressantes ? Ha ça c'est sûr ! Mais bon... J'ai fait le job. Alors voilà. Bonsoir. Moi, je pars en vacances. Oubliez pas de donner du mou au chat avant de partir. ». 

Quand un texte peut être aussi drôle, inventif, touchant, bref puissant (dans le sens qu'il apporte beaucoup) que ça :


Pourquoi s'en priver ?

4 commentaires:

  1. Une très intéressante analyse.
    J'ai ri aux éclats en lisant les histoires de Jacques, mais sans savoir l'expliquer aussi brillamment que vous le faites. (En général, j'en reste à "c'est très con et j'adore". S'applique aussi à Bouzard, soit dit en passant.)
    Le jour où les conversations avec ma belle-famille porteront non pas sur une nouvelle recette Thermomix ou sur les fesses irritées du petit dernier, mais sur l'apport de Libon à l'humour, je pourrai enfin briller en société. Rien que pour cette hypothétique éventualité, merci !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le monde se divise en deux catégories : ceux qui connaissent Libon, et ceux qui ont une vie plus triste que les personnes appartenant à la première catégorie.

      Alors faire un méga-combo "lire Libon" + "narguer les autres en l'évoquant en société", c'est un peu le summum d'une vie réussie.

      Libon, c'est la rolex des gens de bon goût. ("Si tu n'as pas lu Libon avant 50 ans, c'est que tu dois le faire dès aujourd'hui.")

      Supprimer
    2. Content d'avoir changé de catégorie, moi ... pfiuuu !
      (ils ont un air de gumbys pythonesques, ces soldats, non ?)
      Merci pour la fine analyse ! (et la découverte de Libon, donc...)

      Supprimer
    3. Le plaisir ineffable de la rolex... Ça ne se discute pas !

      Supprimer

Exprimez vous donc...