jeudi 19 novembre 2015

La bande dessinée et les personnages à réaction.

Lewis Trondheim nous montre que, pour peu qu'ils soient logiques, les personnages et les péripéties se construisent tout seuls.

Lewis Trondheim et Brigitte Findakly, Les formidables aventures de Lapinot - Pour de vrai, Dargaud.

LA DERNIÈRE CHRONIQUE RÉSUMAIT BIEN LE BUT D'UN RÉCIT (SELON MOI).

(Enfin, moi, je trouve que c'était pas dégueu, après, vous, je sais pas. Les goûts et les couleurs tout ça. S'il faut, vous avez des goûts tout pourris.) (Non pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal à ça.)

DONC, SELON MOI, LE BUT D'UN RÉCIT EST DE CROIRE À DES AVENTURES INÉDITES.

Et pour y croire, il faut que cela soit crédible. (Dites donc, ça c'est une révélation.) Quitte à parfois adapter/accorder un personnage pour qu'il cadre avec le récit et renforce sa logique. (Je me répète peut être mais vous saviez qu'il fallait nous répéter six fois une information avant qu'on l'assimile ? Hein ? Alors !)

ON EN ÉTAIT RESTÉ LÀ, ET C'ÉTAIT DÉJÀ PAS MAL.

Mais, attention, pour être complet, il faut aussi dire que cette démarche d'adapter le personnage au récit et le récit au personnage, ça ne marche qu'au début d'une construction scénaristique.

Parce qu'il faut bien voir les choses en face : au bout d'un moment, certains personnages sont bien définis, sont fixés, et on ne peut pas trop les changer, comme ça, tout d'un coup, en décidant qu'ils sont des fondus de tartiflettes (jeu de mot) (haha) (c'est bon de rire) (le rire qui avance, c'est le terrorisme qui recule), alors qu'il y a cinq minutes ils étaient allergiques au fromage.

Au bout d'un moment, après avoir posé les bases, les choses avancent un peu toutes seules.

La copine est occupée. Le copain est lourd. Et la transition entre deux scène se fait de manière naturelle. 
Tout en souplesse grâce à la souplesse des personnages.

LE SCÉNARISTE, CETTE FEIGNASSE QUI ARRIVE À PRÉSENTER LES CHOSES DE MANIÈRE TRÈS ROMANESQUE.

On entend souvent des écrivains, des scénaristes, et des auteurs de bande dessinée (moins les auteurs de bande dessinée quand même, vu que personne ne les écoute) dire : « c'était magique, l'histoire avançait toute seule, les personnages me disaient quoi écrire ».

Ce qui est une manière très très romantique de dire : « J'en est chié des rondelles de chapeau pointu pour construire une personnalité complexe à mon personnage principal qui soit en adéquation avec l'univers dans lequel je voulait qu'il évolue, pour que sa psychologie et son environnement l'amènent à faire ce que je voulais qu'il fasse. » « C'était compliqué, mais le bonus de cette démarche, c'est que, à un moment, tout était si bien fichu, et que je n'ai plus eu qu'à me demander quelle était la nouvelle réaction logique que devrait avoir mon personnage à sa précédente action. » « Les réactions logiques s'enchaînaient avec les réactions logiques, ça devenait plus facile. Je n'avais qu'à introduire un nouveau personnage ou une coïncidence à la gomme si je voulais changer légèrement ou drastiquement l'intrigue. » « Bref : ça m'a fait des vacances. »

Un nouveau personnage introduit grâce à un ancien personnage. tout ceci est bien huilé.

À partir d'un moment, l'empilement des péripéties (logiques), des nouveaux personnages (cohérents), ou des nouvelles informations sur l'univers (homogène) dans lequel ils évoluent va être rendu (plus) facile parce qu'il se fera par les réactions d'anciens personnages dont on connaît bien le caractère et qu'il est donc facile d'appréhender.

PLUS FACILE ET TOUT SIMPLEMENT NÉCESSAIRE.

Parce qu'un scénariste ne peut quand même pas réfléchir à son histoire en anticipant sur 25 tomes à l'avance, à un moment, il va arriver au point où il n'a plus rien anticipé du tout et où il va devoir créer ex-nihilo de nouvelles péripéties.

Il va donc se baser sur ce qui a déjà été écrit, pour trouver de nouvelles actions à faire faire à des personnages précédemment définis. Ou pour introduire de nouveaux personnages qui épouseront l'univers précédemment défini. Ou pour découvrir des nouveaux pans de l'univers précédemment défini.


C'est par exemple ce qui arrive à Lapinot quand il change complètement d'univers et est "projeté" 
dans l'ouest américain, le Londres Victorien ou la France romantique du XIX° siècle.

Au final, on introduit simplement les personnages dans de nouveaux décors, en gardant les logiques "psychologiques" des personnages précédemment définies.


Richard sera toujours Richard.

C'EST TYPIQUEMENT CE QUI SE PASSE DANS LES GROSSES SÉRIES DE MANGA.

Des trucs qui durent des années et des années, et qui deviennent de plus en plus complexes.

L'auteur est parti avec une idée de départ, un plan sur quelques (centaines) d'épisodes (grosso modo, il sait quoi faire sur un an ou deux) et peut-être même les grandes lignes générales de son histoire. Mais il arrive ensuite fatalement un moment où on le pousse à continuer son récit alors qu'il est vidé de toutes ses idées et qu'il faut qu'il improvise en empilant de nouvelles péripéties/personnages/univers.

One Piece (de Eiicchiro Oda) (ou Oda Eiichiro San, si vous êtes trop fan) est carrément basé sur ce concept :

Rencontrer de nouveaux personnages (et les agréger petit à petit au récit).


Évoquer puis explorer de nouveaux lieux (et les agréger petit à petit au récit).





Et puis se manger de nouvelles péripéties, de nouveaux combats, encore et encore.



CE QUI EST FASCINANT, C'EST QUE L'EMPILEMENT FAIT LE RÉCIT.

(Si si, je vous assure, c'est fascinant.)

Pour peu, encore une fois (je me répète) (je suis sûr que vous saviez pas qu'il fallait nous répéter six fois une information avant qu'on l'assimile, si ?) (ça aussi, c'est passionnant, non ?), qu'on respecte la logique, la cohérence, et l'homogénéité des péripéties, des personnages et de l'univers, l'arrivée de nouveaux personnages, de nouvelles péripéties, ou de nouveaux pans de l'univers vont naturellement créer du fond et de la complexité.

Pour peu que les nouveaux personnages interagissent avec les anciens, ils vont faire bouger les alliances entre ceux-ci, faire évoluer les différentes relations, modifier la vision que l'on a des personnages, leur donner un passé (un passé que l'on connaît, celui d'avant l'arrivée des nouveaux personnages), leur donner un futur (on attend les nouvelles modifications, restructurations des relations avec plaisir), leur donner de la densité.

C'est ainsi que piccolo-petit-coeur-truc partait avec un mauvais fond (en étant super fort).


Puis, au contact des différents personnages, il est devenu plus gentil 
(mais moins fort par rapport aux nouveaux personnages arrivant après lui).



Avant de devenir une espèce de présence tutélaire de la série 
(et de se prendre régulièrement de grosses tôles au combat).


Le fait d'avoir conservé Piccolo dans le récit et d'avoir réussi à le faire évoluer grâce aux autres personnages a créé de facto, sans trop y réfléchir (et sur une période d'au moins 3 ans de publication hebdomadaire quand même) un personnage très complexe.

EN PLUS.

Pour peu que les nouveaux personnages soient intégrés convenablement, il vont servir une nouvelle mise en perspective de nos anciens personnage connus.

Piccolo va révéler des aspects de la personnalité de Sangohan, et inversement.
Quant à Trunk, bin, euh... il va révéler des tas de trucs.

Comme pour les dialogues (où renoncer aux punch lines permet de développer des dialogues complexes qui enrichissent les situations et révèlent les personnages), en scénario, il faut renoncer aux personnages-punch-lines qui viennent et puis qui repartent après avoir simplement réglé/simplifié une situation. Il faut intégrer ses nouveaux personnages (comme Piccolo, comme Trunk, comme tous les personnages de One Piece du premier au dernier) dans le récit général et ces nouveaux personnages, ces nouvelles interactions enrichiront les personnages et révéleront les situations (ça veut rien dire mais c'est pour faire un chiasme avec le début du paragraphe) (c'est du style).

AU FINAL, APPORTER QUOI QUE CE SOIT COMPLEXIFIE TOUT.

(Pour peu que cela soit fait de manière logique, n'est-ce pas (je ne le répéterais jamais assez) (d'ailleurs, le saviez-vous, il faut répéter six fois une information avant qu'on l'assimile) (ha bah oui, je suis bête, vous le savez), ce qui permettra au nouvel élément apporté de s'intégrer correctement au reste du récit.)

Quoi que, parfois, on voudrait que les choses n'aient pas évolué.


Plus les péripéties s'empileront, plus nous auront de chances de voir de nouveaux personnages, de nouveaux univers, de nouvelles configurations modifier, changer, faire évoluer les personnages que nous observons, ou le point de vue que nous avons sur les personnages.

On peut apprendre, comme ça, au fil de l'eau, des choses importantes et insoupçonnées 
sur le personnage principal de notre série fétiche.

En plus, l'empilement des péripéties (et donc l'empilement des changements et des reconfigurations des personnages que nous connaissons si bien) nous donne cette impression de connaître des personnages depuis looooongtemps. Que ce sont des vieux briscards qui ont connu des tas de choses. Et que nous les avons connues avec eux. Depuis le début.






Dans la série Lapinot, on assiste au développement de sa relation avec Nadia depuis leur première rencontre, 
et ça nous donne un gros sentiment d'intimité avec les personnages.

Plus de péripéties il y aura, plus la série durera, et plus cette sensation d'avoir vécu avec les personnages sera vraie.

MAIS TOUT ÇA N'EST RIEN SANS LES RÉACTIONS DES PERSONNAGES.

Pas de Iron Man, Tom Cruise, ou James Bond super fort qui affrontera une énième fois un super vilain, couchera une énième fois avec une super fille, et sauvera une énième fois le monde. Et recommencera comme si de rien n'était le film suivant.

Côté action, là, Lapinot est à son gros maximum. Et ce qui compte, justement, c'est la réaction de sa copine. 
C'est ça qui donne une valeur à la scène.

Un personnage marqué par ce qu'il vit. Influencé par ceux qu'il rencontre. Impressionné par l'endroit dans lequel il existe.

Un personnage qui réagit à ce et ceux qui l'entourent.

Un personnage à réaction.

Voilà exactement ce que j'entendais par "personnage à réaction".

jeudi 12 novembre 2015

La bande dessinée et les personnages à essence.

Lewis Trondheim nous montre que ce qui développe un récit, ce sont les personnalités des personnages.

Lewis Trondheim, Les formidables aventures de Lapinot - Blacktown, Dargaud.

PREMIÈREMENT.

Quand on fait une bande dessinée il faut lier différentes idées et différentes images entre elles.

ÇA TOMBE BIEN, DITES DONC, C'EST JUSTEMENT LE PRINCIPE DE LA BANDE DESSINÉE, DITES DONC ! 

En bande dessinée, c'est pas compliqué, la case que l'on lit doit rappeler une partie de la case précédente et appeler une partie de la case suivante. Et bin l'action que l'on lit doit fait pareil : répondre à l'action précédente et provoquer l'action suivante.

C'est comme ça qu'on se retrouve avec une histoire qui roule-boule, logique, fluide, inéluctable, immersive.

C'est comme un selle de cheval / cheval de ferme / ferme là.
Lapinot et Nadia / Lapinot et Nadia et Pierrot / Pierrot et des filles / Une des filles est l'ex de Lapinot.
        Balade       /              Surprise              /        Suspsense       /          Révélation.                         

L'apparition des différents personnages et leurs interactions amènent à l'évolution de la situation.

DEUXIÈMEMENT.

Pour lier ces différentes idées et ces différentes images et dégager une cohérence d'ensemble, on utilise UN personnage. 

En général, quand des choses très disparates arrivent à un même personnage, on l'accepte. Alors que si des trucs assez semblables arrivent à des tas de personnages différents, on aura tendance à trouver le récit vaseux et inutile et artificiel (et on aura raison) (qu'est-ce qu'il est fort, ce on, il a toujours raison).


Le seul point commun dans toutes les formidables aventure de Lapinot, c'est Lapinot (en même temps, du coup, le titre est drôlement bien choisi). Et bin pourtant personne ne remet en cause le statut de cette série.

Alors que, des fois, ça se passe même pas à la même époque que le reste de la série.


ET MÊME, des fois, ça se passe avec seulement des amis de Lapinot.


C'est sûr, ça fait un choc.

TROISIÈMEMENT.

Pas le choix : pour que cet agglomérat  reste logique, il faut retailler les idées et les images pour que leurs alliances soient logiques / cohérentes / justifiées / intéressantes / ce que vous voulez comme terme qui veut dire que ça doit être bien fichu.

Que les actions des personnages nous semblent crédibles. Que les réactions des personnages à ces actions nous semblent sensées. Que la construction et le déroulé du récit nous semble logique. (Je me répète peut être mais saviez-vous qu'il fallait nous répéter six fois une information avant qu'on l'assimile ? Vous me remercierez plus tard.)


Dans une vie normale, on ne croit pas forcément tout de suite que c'est la faute aux martiens si la maison blanche a explosé. Au contraire des films avec Jeff Goldblum. (Ça marche aussi avec des expériences de téléportations à mouche.)


Ce que vous me racontez là est éminemment intrigant.

MAIS IL FAUT AUSSI PARFOIS RETAILLER LE PERSONNAGE.

L'auteur pourra dessiner le plus beau des soleils couchants de l'univers, si, juste avant, le personnage nous avait confié qu'il détestait regarder les soleils couchants (ça fait rebelle, ça fait cool, ça fait un personnage blouson noir), ce sera complètement débile de faire coexister ce personnage et un soleil couchant dans le récit.

L'ESSENCE DES PERSONNAGES DANS LE MOTEUR DES RÉACTIONS.

(Chuis pas mécontent de mon titre, moi.) (Avec des jeux de mots, et tout, comme dans Libé.)

Le caractère d'un personnage est une manière connexe d'organiser ou de justifier un récit. Rien de plus. C'est une nouvelle brique dans le mur de la construction dramatique (ou une clef de voûte dans une arche cistercienne) (ou une bouse de vache dans une maison en bouse de vache), c'est une colle. Un outil. Rien de plus.

L'auteur est en fait un être froid et machiavélique, qui tire simplement les fils d'un pantin ; et qui essaye de le faire au bon moment et de la bonne manière pour nous faire chialer comme des petits enfants privés de Fort Boyard un soir de vacances d'été.

Vous êtes complètement naïfs si vous croyez que Trondheim a écrit ce personnage pour nous pousser à nous questionner sur l'art et ses conséquences sociales.

Il l'a bassement écrit pour pouvoir enquiller ensuite cette scène.


Faut pas vous faire avoir par les auteurs comme ça, hein. Ce sont des gens méchants.

PAR EXEMPLE.

Le héros n'a pas encore déclaré sa flamme à l'héroïne ? Oui, mais il est timide. C'est donc parfaitement logique de devoir attendre une heure et demie avant la conclusion de la love story.

Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.

PAR AUTRE EXEMPLE.

Le héros est seul, isolé, sans arme, sans communication, dans un bâtiment envahi de terroristes est-allemands ? Oui, mais il est rigolo. C'est donc parfaitement normal qu'il saute d'un gratte-ciel accroché à une lance d'incendie. ENfin... Euh... Dans le film, ça parait assez banal, en tout cas...

Youhouuu ! Accrobranche !

PAR AUTRE AUTRE EXEMPLE.

L'héroïne est rêveuse et un peu bébête ? C'est donc parfaitement compréhensible qu'elle s'appelle Madame Bovary.

De madame Bovary a une instit de western, apparemment, y a pas loin dans la naïveté.
(Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.)

POUR RÉSUMER.

Ce qui compte, c'est encore une fois que les réactions des personnages paraissent logiques. (Vous ne le saviez peut être pas, mais il faut nous répéter six fois une information avant de l'assimiler.) Et si, pour cela, il faut en faire des timides, des rêveurs, des roux, ou des papous, alors banco !

Tout cela ne sont que des éléments ajoutés a posteriori pour justifier le comportement et les réactions des personnages, rendre l'ensemble logique et crédible, et faire en sorte que le lecteur adhère au récit.

Je vous le recolle là, hein pour que ça vous marque. C'était franchement grossier comme procédé. Bouh ! Vilain Trondheim.

Et dans ce procédé, le perso-qu'on-sait-même-pas-quel-type-d'oiseau-il-est-c'est-mal-fait a autant de valeur 
que le gond de la fenêtre qui s'ouvre bien opportunément pour faire tomber le tableau. Un simple outil, je vous dis.

(Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.)

(D'où on en déduit assez légitimement que Lewis Trondheim aime bien le suspense, les quiproquos, et la vanne.)

MAIS, DANS LE DERNIER MESSAGE, TU DISAIS QUE LES PERSONNAGES DEVAIENT ÊTRE DES DOCTEURS JOHN CARTER MARTIENS POUR PERMETTRE AU LECTEUR DE RENTRER DANS LE RÉCIT. COMMENT LES PERSONNAGES PEUVENT ÊTRE À LA FOIS DES JOHN CARTER ET AVOIR DES PERSONNALITÉS VARIÉES ET INTÉRESSANTES ?

Certain scénaristes se disent « c'est le lien et l'attachement entre le lecteur / spectateur et le personnage qui construit l'intérêt de mon récit » « plus il va pouvoir croire à un personnage, plus le récit va l'intéresser » « et s'il croit à tous les personnages en même temps, il va être méga-sa-mère-ouhlàlà intéressé » « je vais donc construire un récit uniquement avec des John Carter ».

Fini les martiens verts, blancs, ou jaunes. Fini les médecins caractériels et les patients zarbis. Fini les professeurs de chimie cancéreux qui deviennent des trafiquants de drogues. Le professeur de chimie cancéreux va rester dans son milieu et ne rencontrer que d'autres cancéreux ou d'autres professeurs. Et ce sera déjà bien pour lui. Et surtout, cela fera bien d'autre personnages auxquels le spectateur pourra s'identifier, plutôt qu'à des avocat véreux, des mafieux concons, ou des génies du mal impassibles.


ET C'EST COMPLÈTEMENT CON.

Déjà parce que le John Carter est utilisé à la base pour introduire le lecteur dans un univers étrange, lui servir de bouée à laquelle s'accrocher au milieu des vagues tumultueuses d'un récit inconnu. Le John Carter n'est pas là pour être le seul vecteur d'identification du lecteur. Le John Carter est pour être le PREMIER vecteur d'identification, en attendant que l'attachement aux autres personnages se fasse. On pourra très bien établir une connexion avec un martien vert ou un directeur d'hôpital atrabilaire par la suite.

Le lapin est utilisé pour nous accompagner et nous faire entrer dans le récit. Et ensuite, let the show begin !

Ensuite parce que, justement, il n'y a pas besoin que le personnage soit tout-comme-nous-on-dirait-moi-avec-une-perruque-et-en-un-peu-moins-beau-mais-c'est-difficile-d'être-aussi-beau-que-moi. 

Ce qu'il faut, c'est que leurs actions et réactions soient logiques (répétition, assimilation, six fois, tout ça). C'est tout.

Au final, on s'identifie aux actions d'un personnage, pas au personnage en lui-même. On voudrait faire ce qu'il fait. Pas être ce qu'il est.

On se demande : « Si j'étais résistant, entouré de dix bombes atomiques et cent soixante-douze nazis, avec un bébé dans un bras et un chaton mignon qui commence à me griffer dans l'autre, qu'est-ce que je ferais ? » et pas : « Si j'étais résistant, entouré de dix bombes atomiques et cent soixante-douze nazis, avec un bébé dans un bras et un chaton mignon qui commence à me griffer dans l'autre, qu'est-ce que je serais ? » (Je serais moi, et c'est déjà pas si mal, oh !) (Je veux bien avoir un égo tout pourri, mais y a des limites.)

Si j'étais victime d'une malédiction zarbi ?

Si j'étais super fort à la bagarre ?

On veut pouvoir se projeter dans des actions que nous ne pourrons jamais vivre (aller sur Mars, être trafiquant de drogue, devenir un super-héros).

Ou être milliardaire.

Peu importe par quel moyen, peut importe avec quel personnage, bon ou mauvais, grand ou petit, timide ou super arrogant. Ce que nous voulons, c'est croire à des aventure inédites.

Et pour y croire, il faut que cela soit crédible.

Et pour que cela soit crédible, il faut que cela soit logique.

Et pour que cela soit logique, il faut (parfois) tordre les personnages dans tous les sens.

Et quand on tord les personnage dans tous les sens, l'histoire et notre imaginaire peuvent partir dans tous les sens.


jeudi 5 novembre 2015

La bande dessinée et les martiens.

Lewis Trondheim nous montre comment faire rentrer le lecteur dans un récit.

Lewis Trondheim, Les formidables aventures de lapinot - Pichenettes, Dargaud.

À LA BASE, FAUT QU'ON Y CROIE.

C'est par ce bout qu'il faut prendre les choses, sinon, on ne peut pas s'en sortir.

Un auteur raconte des trucs (on part toujours du principe qu'on tape la discute sur les arts narratifs, hein, les arts qui se déploient dans le temps pour coaguler entre elles différentes idées). Il faut que le lecteur y croie. Si le lecteur ne croit pas à ce qui se passe sur le papier / sur l'écran / sur la scène, c'est même pas la peine de jouer, le match est perdu d'avance.

Le lecteur doit s'intéresser. Et comment voulez-vous qu'il ne s'intéresse qu'à un amas uniquement théorique ou uniquement ironique. Dans ce cas, il s'y intéressera comme à la dernière blague entendue à la radio le matin en se brossant les dents. Sans s'impliquer. Sans passion. Sans force.

RACONTER, C'EST FAIRE CROIRE.

Et comment on fait croire ?

Par les réactions logiques et intègres des personnages. Quel que soit le contexte.




Quand un truc-pas-croyable arrive aux personnages de Lewis Trondheim. Au début ils n'y croient pas. Puis ils y croient un peu. Puis ils y croient. Les réactions logiques des personnages nous permettent de s'identifier à eux.

VOYONS JUSTEMENT DIFFÉRENTS CONTEXTES QUI METTENT À RUDE ÉPREUVE NOTRE CRÉDIBILITÉ.

LE PETIT COUP DE NON-CROYABILITÉ AU MILIEU DU RÉCIT CROYABLE.

En technique, ça s'appelle un coup de force. C'est juste pour réveiller. La manière pour l'auteur de nous dire : « Alors c'est qui le papa ? hein ? Tu t'y attendais pas, là, hein ? Bim ? Dans les dents ! C'est moi le boss, j'te dis ! ». Si le récit ronronne un peu, balancer un événement bien inattendu et tiré par les cheveux, c'est très utile pour nous faire comprendre que tout est encore possible et qu'il faut qu'on reste en éveil.

C'est sûr qu'on s'attendait plus à trouver des carottes dans cette valise.

C'est aussi bien utile quand on s'aperçoit que son récit va pas dans le super bon chemin et qu'il faut le réorienter drastiquement dare-dare.

C'est enfin rigolo quand on veut montrer que la vie, c'est de la merde, que le monde n'a rien à foutre de notre gueule, et que la meilleure manière de faire rire les dieux est de leur raconter nos projets (bonjour messieurs Racine et Shaekespeare Shakespere Shakespeare) (les correcteurs orthographiques ont été créés pour nous permettre de parler de Shakespeare sans trop se ridiculiser en orthographe).

Ouhlàlà, ça va les chevilles ?

Mais tout ça est de peu d'importance face au fait majeur du coup de force : sa force, justement, ne dépendra que des réactions logiques des personnages.

Un truc chelou arrive. Ok, c'est possible, c'est la vie. On a même vu l'équipe de France de basket perdre un match en coupe d'Europe cette année. Tout est envisageable, je vous dis. Mais ce qui compte, c'est que les réactions se fondent dans la logique précédente du récit. (Après la défaite de l'équipe de France, j'ai défoncé ma télé : ça, c'est logique.)

Il faut que les réactions des personnages permettent de fondre l'événement étrange dans la logique générale du récit. Qu'on se dise : « Bon, ok, ce truc là, c'est n'importe quoi, mais comme tout le monde a l'air de réagir sensément à ça, je suppose que je peux encore faire confiance aux personnages pour le reste de l'histoire. Ils n'ont pas l'air complètement fous. Ils n'ont pas l'air complètement cons. Ils ont l'air d'essayer de faire avec. »

Lapinot a une réaction bien logique : il se casse et laisse le vieux gâteux à ses couches.

Un bon exemple de ces événements chelous mais qui se fondent dans la logique générale des personnages : le début de Lost.

Un bon exemple de ces événements chelous qui se fondent très mal dans une logique générale des personnages qui n'existent plus parce qu'ils agissent tous comme des lapins duracell sans piles : la fin de Lost (et par fin, j'entends : tout ce qui se passe après la première saison) (et je suis clément).

LE PETIT COUP DE CROYABILITÉ AU MILIEU DU RÉCIT INCROYABLE.

En technique, ça s'appelle « Star Wars a fait un max de thune, on va essayer de faire pareil ».

Dans ce cas là, rien n'est crédible. Rien. (Genre, on a pas le choix, genre, à un moment donné on ne peut pas se contenter de filmer des mecs qui errent dans le désert en pyjama durant 1h30.)  Y a des voitures qui volent. Y a des extra terrestres qui parlent. Y a des robots (qui parlent aussi). Y a des mecs avec une grosse angine (quoique, à l'époque, il n'y avait peut être pas de sécu). Y a des lasers qui s'arrêtent à un mètre de leur source, comme ça, sans se propager, et ça à l'air de faire sourciller personne.

Rien n'est crédible sauf les réactions des personnages.

1° - Les personnages ont des réactions crédibles à des évènements qui nous paraissent communs (Luke Skywalker va bouder dans sa chambre parce que son oncle ne veut pas qu'il aille en pension avec les copains) (s'il savait ce qui se passe en pension, il se calmerait un peu la quiche, mais, bon, c'est pas le sujet).

Dans Walter, ça commence mou du genou avec une petite suze.

2° - Les personnages ont des réactions crédibles à des événements qui nous paraissent bizarres (Luke Skywalker se fait attaquer par des hommes des sables (maisouimaisbiensûr) et se défend en prenant son petit fusil et en faisant le guet et en se faisant assommer comme un gros débutant) (qu'il est, il est tout jeunot)). Tout ça, sans être d'une crédibilité folle, se tient.

Pareil. J'ai jamais tenu une arme a feu de ma vie. Mais j'imagine que si j'en avais une et qu'on me tirait dessus, 
j'essayerais vaguement de me rouler en boule en position foetale de répliquer.

3° - Les personnages ont des réactions crédibles à des événements qui leurs paraissent bizarres MÊME À EUX (Luke est tout émoustillé de voir un sabre laser (un truc qu'il ne connaissait pas), d'entendre parler de chevalier jedi (un truc qu'il ne connaissait pas) et de la guerre avec l'empire (un truc dont il n'avait rien à carrer)).


Il y a un monstre. Bon. C'est pas super crédible en effet. Mais les personnages se cassent sans demander leur reste. 
Ce qu'on aurait tous fait. Donc c'est un peu crédible quand même.

Y a comme qui dirait une gradation progressive dans le port nawak, et ce sont les réactions crédibles à des informations / idées / évènements / actions de moins en moins crédibles qui permettent de faire accepter petit à petit l'univers décrit par le récit.

4° - Contre exemple : Iron Man fonde un nouvel élément chimique non radioactif qui offre une source d'énergie quasi inépuisable et il est même pas un tout petit tout petit peu choqué d'avoir réussi à contredire l'ensemble de la science du XX° siècle avec trois bouts de tuyaux soudés à la va-vite dans son garage.

Hé ouais, chuis trop un boss. J'me trop kiffe.

5° - Est-ce que je vous ai dit qu'Iron Man, c'est de la merde ?

Une réaction plus logique à un environnement de sf.

C'EST COMME ARRIVER SUR MARS.

Au début du cycle de Mars, les romans de Edgar Rice Burroughs, John Carter nous raconte dans son journal intime sa vie de chercheur d'or d'Arizona, jusqu'à ce qu'il soit attaqué par des indiens, trouve refuge dans une grotte, et soit dématérialisé sur Mars où il rencontre des géants verts de quatre mètres et des bonnasses toutes nues à la peau rouge.

La princesse de mars, de E. R. Burroughs.

C'est exactement le même principe que pour Star Wars (surtout que le bouqin a été écrit 60 ans avant le film et en est une inspiration directe) : un type qui nous paraît de prime abord normal est confronté à des situations de plus en pus brindezingues, mais comme le personnage est crédible et qu'il réagit de manière crédible à ces situations, nous même, on y croit (un peu).

On est pas bien, là, à la fraiche ?

C'EST COMME ARRIVER À CHICAGO.

Au début de la série télévisée Urgences, John Carter (le même nom que le mec sur Mars ; coïncidence, fait exprès, ou complot bolchévico-maçonnique ?) découvre le fonctionnement de l'hôpital public de Chicago et en accepte petit à petit le fonctionnement erratique, les patients dingos, et les situations extrêmes (arriver à suivre une caméra qui tourne comme une folle autour d'un patient sans vomir).

Y a pas que les milliardaires de beau gosse dans la vie.

On aurait été plongé dans les urgences sans John Carter, on se serait dit « non mais quel monde fou, on n'y croit pas une seconde ». On est plongé dans les urgences au travers des yeux de John Carter qui se dit « non mais quel monde fou », du coup, nous, on se dit : « je crois au moins à John Carter »

 TOUT ÇA POUR DIRE QUOI ?

Que, là encore comme ailleurs, tout tient dans les réactions des personnages.

L'univers dans lequel ils évoluent a beau être le plus chelou possible, si leurs réactions paraissent logiques / si leurs réactions paraissent semblables à ce que l'on aurait fait nous / si on peut comprendre et s'identifier à leurs réactions ; alors on commencera à croire aux personnages, au récit, et à l'univers décrit.

Ne riez pas, vous aussi vous penseriez à un gros chien. Comme Dupond et Dupont.

Peu importe que les actions soient méchantes ou gentilles, que le personnage soit une raclure ou un ange, si on peut comprendre ses réactions (et par « comprendre », je ne veux pas dire « intérioriser son comportement pour nous faire cheminer vers une acceptation morale de sa psyché », mais simplement se dire qu'il n'agit pas trop comme un con), alors, la partie est gagnée.

On peut parfaitement être à fond avec un connard, 
du moment que ses réactions nous paraissent logiques.

On n'a même pas besoin de comprendre tout le monde. Il suffit d'un John Carter à qui s'accrocher dans une mer de martiens verts ou de docteurs en blouse, et ça marche.

Lapinot arrive dans une ville de bouseux. On va s'y accrocher (à Lapinot, pas à la ville, ni aux bouseux.)

LA SEULE CHOSE QUI COMPTE, C'EST LA LOGIQUE DRAMATIQUE.

Que les actions des personnages nous semblent crédibles. Que les réactions des personnages à ces actions nous semblent sensées. Que la construction et le déroulé du récit nous semble inéluctable.

QU'ON Y CROIE.