jeudi 12 novembre 2015

La bande dessinée et les personnages à essence.

Lewis Trondheim nous montre que ce qui développe un récit, ce sont les personnalités des personnages.

Lewis Trondheim, Les formidables aventures de Lapinot - Blacktown, Dargaud.

PREMIÈREMENT.

Quand on fait une bande dessinée il faut lier différentes idées et différentes images entre elles.

ÇA TOMBE BIEN, DITES DONC, C'EST JUSTEMENT LE PRINCIPE DE LA BANDE DESSINÉE, DITES DONC ! 

En bande dessinée, c'est pas compliqué, la case que l'on lit doit rappeler une partie de la case précédente et appeler une partie de la case suivante. Et bin l'action que l'on lit doit fait pareil : répondre à l'action précédente et provoquer l'action suivante.

C'est comme ça qu'on se retrouve avec une histoire qui roule-boule, logique, fluide, inéluctable, immersive.

C'est comme un selle de cheval / cheval de ferme / ferme là.
Lapinot et Nadia / Lapinot et Nadia et Pierrot / Pierrot et des filles / Une des filles est l'ex de Lapinot.
        Balade       /              Surprise              /        Suspsense       /          Révélation.                         

L'apparition des différents personnages et leurs interactions amènent à l'évolution de la situation.

DEUXIÈMEMENT.

Pour lier ces différentes idées et ces différentes images et dégager une cohérence d'ensemble, on utilise UN personnage. 

En général, quand des choses très disparates arrivent à un même personnage, on l'accepte. Alors que si des trucs assez semblables arrivent à des tas de personnages différents, on aura tendance à trouver le récit vaseux et inutile et artificiel (et on aura raison) (qu'est-ce qu'il est fort, ce on, il a toujours raison).


Le seul point commun dans toutes les formidables aventure de Lapinot, c'est Lapinot (en même temps, du coup, le titre est drôlement bien choisi). Et bin pourtant personne ne remet en cause le statut de cette série.

Alors que, des fois, ça se passe même pas à la même époque que le reste de la série.


ET MÊME, des fois, ça se passe avec seulement des amis de Lapinot.


C'est sûr, ça fait un choc.

TROISIÈMEMENT.

Pas le choix : pour que cet agglomérat  reste logique, il faut retailler les idées et les images pour que leurs alliances soient logiques / cohérentes / justifiées / intéressantes / ce que vous voulez comme terme qui veut dire que ça doit être bien fichu.

Que les actions des personnages nous semblent crédibles. Que les réactions des personnages à ces actions nous semblent sensées. Que la construction et le déroulé du récit nous semble logique. (Je me répète peut être mais saviez-vous qu'il fallait nous répéter six fois une information avant qu'on l'assimile ? Vous me remercierez plus tard.)


Dans une vie normale, on ne croit pas forcément tout de suite que c'est la faute aux martiens si la maison blanche a explosé. Au contraire des films avec Jeff Goldblum. (Ça marche aussi avec des expériences de téléportations à mouche.)


Ce que vous me racontez là est éminemment intrigant.

MAIS IL FAUT AUSSI PARFOIS RETAILLER LE PERSONNAGE.

L'auteur pourra dessiner le plus beau des soleils couchants de l'univers, si, juste avant, le personnage nous avait confié qu'il détestait regarder les soleils couchants (ça fait rebelle, ça fait cool, ça fait un personnage blouson noir), ce sera complètement débile de faire coexister ce personnage et un soleil couchant dans le récit.

L'ESSENCE DES PERSONNAGES DANS LE MOTEUR DES RÉACTIONS.

(Chuis pas mécontent de mon titre, moi.) (Avec des jeux de mots, et tout, comme dans Libé.)

Le caractère d'un personnage est une manière connexe d'organiser ou de justifier un récit. Rien de plus. C'est une nouvelle brique dans le mur de la construction dramatique (ou une clef de voûte dans une arche cistercienne) (ou une bouse de vache dans une maison en bouse de vache), c'est une colle. Un outil. Rien de plus.

L'auteur est en fait un être froid et machiavélique, qui tire simplement les fils d'un pantin ; et qui essaye de le faire au bon moment et de la bonne manière pour nous faire chialer comme des petits enfants privés de Fort Boyard un soir de vacances d'été.

Vous êtes complètement naïfs si vous croyez que Trondheim a écrit ce personnage pour nous pousser à nous questionner sur l'art et ses conséquences sociales.

Il l'a bassement écrit pour pouvoir enquiller ensuite cette scène.


Faut pas vous faire avoir par les auteurs comme ça, hein. Ce sont des gens méchants.

PAR EXEMPLE.

Le héros n'a pas encore déclaré sa flamme à l'héroïne ? Oui, mais il est timide. C'est donc parfaitement logique de devoir attendre une heure et demie avant la conclusion de la love story.

Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.

PAR AUTRE EXEMPLE.

Le héros est seul, isolé, sans arme, sans communication, dans un bâtiment envahi de terroristes est-allemands ? Oui, mais il est rigolo. C'est donc parfaitement normal qu'il saute d'un gratte-ciel accroché à une lance d'incendie. ENfin... Euh... Dans le film, ça parait assez banal, en tout cas...

Youhouuu ! Accrobranche !

PAR AUTRE AUTRE EXEMPLE.

L'héroïne est rêveuse et un peu bébête ? C'est donc parfaitement compréhensible qu'elle s'appelle Madame Bovary.

De madame Bovary a une instit de western, apparemment, y a pas loin dans la naïveté.
(Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.)

POUR RÉSUMER.

Ce qui compte, c'est encore une fois que les réactions des personnages paraissent logiques. (Vous ne le saviez peut être pas, mais il faut nous répéter six fois une information avant de l'assimiler.) Et si, pour cela, il faut en faire des timides, des rêveurs, des roux, ou des papous, alors banco !

Tout cela ne sont que des éléments ajoutés a posteriori pour justifier le comportement et les réactions des personnages, rendre l'ensemble logique et crédible, et faire en sorte que le lecteur adhère au récit.

Je vous le recolle là, hein pour que ça vous marque. C'était franchement grossier comme procédé. Bouh ! Vilain Trondheim.

Et dans ce procédé, le perso-qu'on-sait-même-pas-quel-type-d'oiseau-il-est-c'est-mal-fait a autant de valeur 
que le gond de la fenêtre qui s'ouvre bien opportunément pour faire tomber le tableau. Un simple outil, je vous dis.

(Et tout ça pour faire un peu de suspense, de quiproquo, et de vanne. Rien d'autre.)

(D'où on en déduit assez légitimement que Lewis Trondheim aime bien le suspense, les quiproquos, et la vanne.)

MAIS, DANS LE DERNIER MESSAGE, TU DISAIS QUE LES PERSONNAGES DEVAIENT ÊTRE DES DOCTEURS JOHN CARTER MARTIENS POUR PERMETTRE AU LECTEUR DE RENTRER DANS LE RÉCIT. COMMENT LES PERSONNAGES PEUVENT ÊTRE À LA FOIS DES JOHN CARTER ET AVOIR DES PERSONNALITÉS VARIÉES ET INTÉRESSANTES ?

Certain scénaristes se disent « c'est le lien et l'attachement entre le lecteur / spectateur et le personnage qui construit l'intérêt de mon récit » « plus il va pouvoir croire à un personnage, plus le récit va l'intéresser » « et s'il croit à tous les personnages en même temps, il va être méga-sa-mère-ouhlàlà intéressé » « je vais donc construire un récit uniquement avec des John Carter ».

Fini les martiens verts, blancs, ou jaunes. Fini les médecins caractériels et les patients zarbis. Fini les professeurs de chimie cancéreux qui deviennent des trafiquants de drogues. Le professeur de chimie cancéreux va rester dans son milieu et ne rencontrer que d'autres cancéreux ou d'autres professeurs. Et ce sera déjà bien pour lui. Et surtout, cela fera bien d'autre personnages auxquels le spectateur pourra s'identifier, plutôt qu'à des avocat véreux, des mafieux concons, ou des génies du mal impassibles.


ET C'EST COMPLÈTEMENT CON.

Déjà parce que le John Carter est utilisé à la base pour introduire le lecteur dans un univers étrange, lui servir de bouée à laquelle s'accrocher au milieu des vagues tumultueuses d'un récit inconnu. Le John Carter n'est pas là pour être le seul vecteur d'identification du lecteur. Le John Carter est pour être le PREMIER vecteur d'identification, en attendant que l'attachement aux autres personnages se fasse. On pourra très bien établir une connexion avec un martien vert ou un directeur d'hôpital atrabilaire par la suite.

Le lapin est utilisé pour nous accompagner et nous faire entrer dans le récit. Et ensuite, let the show begin !

Ensuite parce que, justement, il n'y a pas besoin que le personnage soit tout-comme-nous-on-dirait-moi-avec-une-perruque-et-en-un-peu-moins-beau-mais-c'est-difficile-d'être-aussi-beau-que-moi. 

Ce qu'il faut, c'est que leurs actions et réactions soient logiques (répétition, assimilation, six fois, tout ça). C'est tout.

Au final, on s'identifie aux actions d'un personnage, pas au personnage en lui-même. On voudrait faire ce qu'il fait. Pas être ce qu'il est.

On se demande : « Si j'étais résistant, entouré de dix bombes atomiques et cent soixante-douze nazis, avec un bébé dans un bras et un chaton mignon qui commence à me griffer dans l'autre, qu'est-ce que je ferais ? » et pas : « Si j'étais résistant, entouré de dix bombes atomiques et cent soixante-douze nazis, avec un bébé dans un bras et un chaton mignon qui commence à me griffer dans l'autre, qu'est-ce que je serais ? » (Je serais moi, et c'est déjà pas si mal, oh !) (Je veux bien avoir un égo tout pourri, mais y a des limites.)

Si j'étais victime d'une malédiction zarbi ?

Si j'étais super fort à la bagarre ?

On veut pouvoir se projeter dans des actions que nous ne pourrons jamais vivre (aller sur Mars, être trafiquant de drogue, devenir un super-héros).

Ou être milliardaire.

Peu importe par quel moyen, peut importe avec quel personnage, bon ou mauvais, grand ou petit, timide ou super arrogant. Ce que nous voulons, c'est croire à des aventure inédites.

Et pour y croire, il faut que cela soit crédible.

Et pour que cela soit crédible, il faut que cela soit logique.

Et pour que cela soit logique, il faut (parfois) tordre les personnages dans tous les sens.

Et quand on tord les personnage dans tous les sens, l'histoire et notre imaginaire peuvent partir dans tous les sens.


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