jeudi 10 avril 2014

La bande dessinée étale ses créatures.

Alan Moore et Steve Bissette nous montrent que, la culture « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir [qui servent à constituer] une collectivité particulière », trouve nécessairement des applications politiques.

Alan Moore et Steve Bissette, Swamp Thing - Volume 2 - n°48, DC comics.

UN PEU D'ESPOIR DANS UN MONDE DE CROTTE.

La culture, ça sert à tout. C'est juste une manière de se comprendre entre soi.

Il suffit que je dise « Steevy Boulay » pour que s'imprime la même image horrible de garçon idiot au sourire vide dans l'esprit de chaque lecteur qui passera malheureusement par ici.

Bon, bin, ça, désolé, mais c'est de la culture. Une base de données commune.

Heureusement, la culture ne sert pas uniquement à cela et peut essayer d'élever les individus en les constituant en une communauté consciente. (J'écrivais les discours de Mitterrand, à l'époque.)

FIGHT THE POWER.

Voilà ce que je peux voir tous les matins en partant au travail (le coeur léger et plein d'espoir, ça va de soi) :


Cette photographie nous donne de multiples informations :
  • J'habite dans un endroit champêtre et gai.
  • L'homme qui a écrit ces mots s'est plus ou moins inspiré de deux livres :
 

  • Il était par contre moins familiarisé avec celui-ci :

UN PETIT COURS D'HISTOIRE POUR VOUS PARLER DE V POUR VENDETTA.

Il était une fois Margaret Thatcher, qui n'aimait personne, surtout si cette personne était de gauche, mineur de fond ou irlandais. (Mais qui aime les irlandais ?) (Ils sont roux.)

Ça fait effectivement un peu peur.

Dans le climat de pauvreté et de dégénérescence sociale généralisée de la Grande Bretagne thatchérienne du début des années 80, les artistes, outre d'avoir des comptes bancaires plus endettés que la Grèce et l'Espagne réunis, ne se sentent pas vraiment à leur place.

Dans ces conditions, ils vont tous avoir tendance à se serrer les coudes, et en tout cas à s'épauler les uns les autres.

Bref, là encore et comme d'habitude, il vont former « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ».

Une communauté décrite dans les bouquins autobiographiques de Eddie Campbell, 
un auteur plus connu pour avoir dessiné en partie From Hell, sur scénario d'Alan Moore.

ALAN MOORE JUSTEMENT.

Le sous texte de From Hell était la description politique du sous-prolétariat vivant en marge de Londres, de son exploitation par la bourgeoisie, et du mépris de cette même bourgeoisie pour les castes inférieures. Un mépris qui ira jusqu'à tolérer les meurtres de Jack l'éventreur, puisqu'il ne tuera que des prostituées, méprisées parmi les méprisés.

Un œuvre qu'Alan Moore entreprend juste au moment où Margaret Thatcher rend son tablier, il n'y a pas de hasards et le parallèle entre les deux époques est patent.


La violence faite aux femmes est une des obsession de Alan Moore (chose qui a pu lui être reproché) 
et on peut dire que dans From Hell, il n'y va pas avec le dos de la cuillère.

ALAN MOORE ENCORE. 

Tout au long des années 80, Alan Moore construira ainsi des œuvres en réaction au thatchérisme, politiques, engagées, et dénonçant la misère et l'abandon dans lesquelles sont laissés les plus faibles de la société britannique. 

A ma connaissance, Alan Moore fut le premier à tenter ce genre de propos dans le mainstream (la scène indé, limite fanzinat, étant, elle, bourrée de dénonciations bien plus virulentes), tout simplement parce qu'Alan Moore fut le premier de la communauté formée par lui et ses amis à réussir à être publié en mainstream. (Bien d'autres suivront, et Alan Moore n'était que le premier de ce que l'on baptisera bientôt la british invasion qui va déferler sur les comics américains, et qui se maintient encore aujourd'hui avec une belle santé.)

Les généraux de la british invasion : Warren Ellis, Grant Morrison, Alan Moore, Neil Gaiman, et Garth Ennis (par J.L. De Vine).

ALAN MOORE TOUJOURS.

Au sein de l'oeuvre Alan Moorienne, on peut pointer John Constantine. 

Personnage secondaire apparu dans Swamp Thing en 1982, il prend ensuite son indépendance et va être utilisé par tout un tas d'auteurs britanniques pour tuer des tas de démons de partout, certes, mais également tendre un miroir à la société britannique de l'époque (Constantine est né à Liverpool, il a fait parti d'un groupe de punk, il fume comme pas deux, boit comme quatre), ainsi que présenter et défendre les victimes du thatchérisme (et plus tard du libéralisme généralisé) (ce qui permettra à Constantine d'aller un certain temps aux États-Unis).

Trucs chelous et réalisme social dans Swamp Thing (toujours de Alan Moore et Steve Bissette).

Mais alors, quand je dis qu'il va être utilisé par tout un tas d'auteurs britanniques, il y en a vraiment tout un tas ! Et qui se retrouveront les uns les autres sur d'autres projets.

Vous la voyez, la communauté ?

ALAN MOORE FOR EVER.

Pour nous permettre de boucler la boucle, Alan Moore a aussi écrit le scénario de V pour Vendetta (on y arrive, c'est pas trop tôt), dessiné par David Lloyd et un peu aussi par Tony Weare. Une bande dessinée décrivant le parcours d'un résistant à une société britannique totalitaire menant des épurations ethniques, politiques, sociales, et morales (comme ça on est sûr de rater personne).

SUIVEZ BIEN LE CHEMINEMENT :

1605 : Guy Fawkes.
Un rebelle au trône d’Angleterre. 
(Qui voulait renverser le roi protestant pour installer une reine catholique mais, bon, on va pas commencer à chipoter.)

 1982-89 : V.
Un personnage portant le masque de Guy Fawkes défie le pouvoir fasciste de la Grande Bretagne en faisant tout péter.

2006 : Natalie Portman.
La bande dessinée est adaptée en film et le seul intérêt de celui-ci se situe à gauche de la photographie.

2006 : Time Warner Inc.
Profite de la sortie du film pour fabriquer en masse le masque de Guy Fawkes.

2008 : Anonymous se trouve un visage.
Pour éviter les représailles lors de manifestations anti-scientologie, certains anonymous se masquent avec le visage de Guy Fawkes, retrouvant dans leurs combats et leurs situations économico-sociales des similitudes avec celles décrites et dénoncées par Alan Moore et David Lloyd 20 ans plus tôt.


2011 : Pour en finir avec le cinéma.
Blutch, dans un aimable effort pour me donner une conclusion pourrie, dessine cette image qui me permet de tout boucler.

TOUT ÇA POUR DIRE QUOI ? PARCE QUE C'EST ASSEZ FLOU.

Nous avions commencé par nous intéresser à un ensemble de personnes portées par les mêmes idées et idéaux artistiques qui, pour ne pas se faire emporter par la vague du libéralisme naissant, se sont constitués en un cercle d'amis et de connaissances et ont formalisé leur résistance au-travers de différentes oeuvres artistiques. L'une de ces oeuvres, au hasard des adaptations cinématographiques pourries, a irrigué l'ensemble de la société pour retrouver de vifs échos auprès de nouvelles personnes, isolées et munies d'une envie ou d'un besoin d'opposition au système économique libéral (et à tout un tas d'autres trucs en passant).

PUNAISE, C'EST CLASSE.

A travers le temps, il s'est formée une idée commune de résistance à certaines politiques qui a dépassé le terreau artistique de base, a essaimé dans toute la société, et a fini par rassembler des personnes de pays et d'horizons très différents qui se reconnaissaient dans « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ».

Comme je disais au presque début de ces notes :

C'est comme ça que se manifeste cette fameuse culture. Par un socle commun artistique que les différents auteurs acteurs d'une même époque connaissent et reconnaissent ; qui les influencent et qu'ils enrichissent.

Une culture qui, ici, prend sa source dans la bande dessinée.



POUR FINIR, UN PETIT MESSAGE A CARACTÈRE INFORMATIF.


A CHAQUE FOIS QUE VOUS VOTEZ POUR UNE POLITIQUE LIBÉRALE, C'EST NATALIE PORTMAN QUE VOUS MALTRAITEZ.

ALORS NE FAITES PAS ÇA, NOM D'UN CHIEN ! QU'EST-CE QUI VOUS PREND ?



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