jeudi 3 avril 2014

La bande dessinée étale sa confiture.

Blutch nous montre que Christophe Blain n'est pas seul sur le coup quand il s'agit de pomper des vieux morts qui ne demandaient rien.

Blutch et Isabelle Merlet, Lune l'envers, Dargaud.

Nous en étions donc resté la semaine dernière au fait que Gus Bofa a influencé tout un tas d'auteurs de la bande dessinée actuelle, dont Christophe Blain, et des tas de copains de Christophe Blain estampillés nouvelle bande dessinée française au lait de soja sans sucre raffiné.

ALORS, ATTENTION !


Comme le souligne l'auteur des deux livres Bofa et Le salon de l'araignée, il ne faut pas voir un lien direct entre les deux groupes qui aurait miraculeusement franchi l'espace et le temps. Non. Entre Bofa et Blain, il y a des intermédiaires.

Par exemple : Tardi (lui même influence de la plupart des auteurs de la nouvelle bande dessinée au bon goût de ricoré). Bofa avait fait la guerre. Tardi s’intéressait à la guerre. Tardi s'est donc logiquement intéressé à Bofa.








C'était la guerre des tranchées de Tardi et Les poissons morts de Pierre Mac Orlan et Gus Bofa.

MALGRÉ TOUT.

Une fois Bofa redécouvert par le club de la Nouvelle Bande Dessinée Française de qualité enrichie en oligo-éléments, celle-ci y a trouvé un intérêt très fort, qui l'a poussée à décortiquer le style, les motivations, les tenants et les aboutissants afin de comprendre et d'apprendre les manières artistiques « de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées » ce qui a alors naturellement constitué « ces personnes en une collectivité particulière et distincte » qui est venu s'accoler à celle du Salon de l'araignée.

Et donc, par exemple, au hasard, dans se groupe, il y a Blutch.

TOUS UNIS DANS L'AMOUR DE LA FEMME NUE !

Gus Bofa, Libido - Notes d'érotisme diffus.

Blutch, La beauté.

ET QUAND JE DIS « TOUS », C'EST « TOUS » !

Bofa, donc...

... Et Chas Laborde, un ami contemporain de Bofa.

Toujours Bofa...

... Et Jean Veber, un prédécesseur de Bofa cette fois-ci, 
travaillant aussi sur le mystère féminin, apparemment...

Et le mystère féminin, c'est un peu sa passion, à Blutch...

Des fois un peu trop, même...

M'enfin, il n'est apparemment pas le seul...

Et, finalement, ça permet de boucler la boucle...

CE N'EST BIEN SÛR PAS LE SEUL THÈME COMMUN QUE L'ON PEUT DÉCELER ENTRE LES DEUX ARTISTES QUI SE SONT AUSSI, PAR EXEMPLE, INTÉRESSÉS AUX AMBIANCES POURRIES.

Un dessin original de Blutch, je dis merci à l'internet.

Gus Bofa, Malaises.

OU AU MYSTÈRE MYSTÉRIEUX...

Blutch, Mitchum n°3

Gus Bofa dans je sais pas quoi, tout le monde peut avoir un instant de faiblesse...

SANS COMPTER QUE, BIEN SÛR, CARAN D'ACHE N'EST PAS EN RESTE.

Le gros crétin Blotch, de Blutch (à ne pas confondre avec Bleach).

L'âme de gauche de Gus Bofa.

Et l'humour pourri de Caran d'Ache.

(Dites donc, les gars, c'est quoi ces clichés sur les gros, hein ? C'est pas joli-joli.)

D'AILLEURS, EN PARLANT D'HUMOUR POURRI, JE ME SUIS TOUJOURS DEMANDE SI PAR HASARD...

 
A ma gauche, Blotch, à ma droite, Caran d'Ache. Le choc sera terrible.
Humour pourri, anti-dreyfusisme, connerie ambiante, poses de stars, regard vide... 
A part le talent de dessinateur, je ne vois pas beaucoup de différences entre les deux...

MAIS BREF, PASSONS...

CE SERAIT UN PEUT TROP SIMPLE DE NE VOIR DANS CES GENS QUE DES ARTISTES CONSANGUINS QUI SE POMPENT LES UNS LES AUTRES A QUI MIEUX MIEUX...

On entre dans le côté compliqué des personnes partageant une culture commune...

Est-ce que :
  1. Blutch lit des bouquins.
  2. Il tombe sur Bofa.
  3. Il trouve ça super.
  4. Il se dit : « hé bin c'est pas compliqué, j'ai qu'à faire pareil ; j'ai qu'à dessiner des femmes nues ».
Ou est-ce que :
  1. Blutch s'intéresse à la femme nue.
  2. Il tombe sur Bofa.
  3. Il trouve ça super, sa manière de représenter la femme nue.
  4. Il se dit : « hé bin c'est pas compliqué, j'ai qu'à faire pareil quand je dessine des femmes nues ».
Ou encore est-ce que :
  1. Blutch s'intéresse à la femme nue.
  2. Il trouve des solutions graphiques pour représenter la femme nue comme il aime bien.
  3. Il tombe sur Bofa.
  4. Il se dit : « hé bin dis donc, il a trouvé les mêmes solutions que moi, il doit réfléchir comme moi, voyons ce que je peux lui piquer sur d'autres sujets ».
Ou, finalement, est-ce que :
  1. Blutch s'intéresse à la femme nue.
  2. Il trouve des solutions graphiques pour représenter la femme nue comme il aime bien.
  3. Il trouve des solutions graphiques pour représenter d'autres trucs qu'il aime bien.
  4. Il tombe sur Bofa.
  5. Il se dit  : « hé bin ce mec ne me sert à rien, je sais déjà faire tout ce qu'il sait faire ».

Et, en fait, ce sont en général toutes ces mécaniques qui rentrent en jeu en même temps.

Des fois, un auteur précède ses influences sur certains points techniques, des fois il s'en inspire, des fois il s'en écarte. C'est souple.

Parfois, un auteur en vient à s'intéresser à un de ces prédécesseur parce qu'il a remarqué que tous deux s'intéressent aux mêmes techniques graphiques et qu'il cherche de nouveaux thèmes. Parfois, c'est l'inverse.

Il est très difficile dans ces cas d'identifier qui fait la poule et qui fait l’œuf. Est-ce qu'on vient à tel dessin par tel sujet, ou à tel sujet par tel dessin ? Est-ce qu'on vient à tel auteur par tel sujet ou à tel sujet par tel auteur ? Est-ce qu'on vient à tel dessin par tel auteur ou à tel auteur par tel dessin ?

C'est très compliqué.

PAR EXEMPLE, TOUT LE MONDE SEMBLE S’INTÉRESSER AU DÉFI GRAPHIQUE DU MOUVEMENT.

ET QUI DIT MOUVEMENT DIT DANSE.

Quand Blain arrive à fusionner danse et femme nue, là, on atteint un peu une acmé de quelque chose.

Blutch, dans un moment de faiblesse, rhabillera sa danseuse.

Comme Bofa, d'ailleurs, allez savoir pourquoi.

Une recherche de plus de classicisme, je suppose...

Oh ! Un petit nouveau ! (Parce que Bastien Vivès fait parti des gens influencé par les gens influencés par Gus Bofa.)
(La post nouvelle bande dessinée.) ('Faut suivre.)

Ce qui lui permet, lui aussi, de conjuguer fascination pour les jeunes filles en fleur et pour le mouvement (c'est malin).

Ah bin voilà ! Blutch recommence à déshabiller tout le monde.
Je savais bien que ce n'était qu'un coup de moins bien passager.

UNE DANSE QUI PEUT DEVENIR UN COMBAT.

Un combat de femmes nues, hein, faut pas perdre les bonnes habitudes.

Un combat qui devient un spectacle.

Ouhlà ! Un combat qui devient un spectacle un peu sale, quand même.

Un spectacle qui... Euh... Hum... (Jean Veber était du genre torturé.)

UN COMBAT QUI PEUT DEVENIR UNE DANSE.

Blain revient à des choses un peu plus convenable quand il s'agit de dessiner pour les 7 à 77 ans.

Avec toujours cet humour truculent qui caractérise Caran d'Ache (7 à 77 ans, on vous dit).

Et quel combat plus noble que celui du noble art ? Surtout dessiné par Bofa.

Ou par Dunoyer de Segonzac (un copain de Bofa).

Blutch, A quatre poing, Lapin n°18.

Ou le free fight dessiné par Bastien Vivès, Michaël Sanlaville et Balak dans Lastman. Oui, aussi.

Lastman, dans lequel chorégraphies façon danseur du bolchoï et coup de poing de brute font bon ménage.

BREF : TOUT LE MONDE EST COPAING.

Il y a donc plus, dans les jeux d'influence qu'un simple « c'est pas mal ce qu'il fait, je vais lui piquer ».

Il y a, en fait, un sorte de communion d'esprit.

L'important est que Blutch sait qu'il peut trouver un compagnon en Bofa, qui s'intéresse aux mêmes sujets que lui, cherche des solutions graphiques dans les mêmes sens que lui, pourra l'aider, ou l'inspirer, ou le faire réfléchir. Il a trouvé en Bofa « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées » qui se rapproche des siennes et qui, de fait, constitue « ces personnes en une collectivité particulière et distincte ».

Plus qu'un lien de succession entre deux formes artistiques, il faut y voir une progression en parallèle, en bon compagnonnage. Un groupe homogène s'appuyant les uns sur les autres à travers le temps.

Finalement, chez tous ces gens, la culture se manifeste des deux manières évoquées au début de tout ce pataquès en formant bien « un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, » (sans qu'on sache bien dans quel sens cela marche) « servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ».


BREF, GUS BOFA NOUS FAIT UNE PETITE SYNTHÈSE...

Et bim !

LA SEMAINE PROCHAINE, UN NOUVEL EXEMPLE DE CULTURE QUI, CETTE FOIS-CI, DÉPASSE ALLÈGREMENT LES FRONTIÈRES DE LA BANDE DESSINÉE.

P.S. Si vous aimez les belles illustrations d'hier et d'aujourd'hui, voilà quelques beaux sites auxquels je dois la quasi totalité des illustrations de ce post, en particulier concernant Gus Bofa.

8 commentaires:

  1. Convainquant ! Quant à Blutch s'il s'intéresse à la femme nue, elle n'est plus chez lui qu'un objet méprisable lorsqu'elle est rhabillée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ouhaaa, dur pour ce pauvre Blutch. Il fait des efforts, pourtant. Il y a plus d'hommes que de femmes déshabillées dans son dernier livre (dans lequel je trouve qu'il clarifie un peu ses idées) (qui, du coup, paraissent assez chouettes) (je trouve).

      Supprimer
  2. Je dirais meme plus : Convaincant !
    Ca rejoint les (rares) posts de Larcenet sur son (pas toujours tres vivant) blog. Regulierement, il compare l'un de ses dessins actuels a un vieux dessin de quelqu'un d'autre qu'il avait oublie mais qui a indubitablement eu une influence au moment de realiser son dessin a lui. Bref, l'influence semble tres souvent inconsciente. Je trouve ca assez troublant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bin voilà, exactement ! C'est plus inconscient que conscient. Se mêle dans la tête de l'auteur ses réflexions, ses lectures, ses envies, ses maîîîîtres, et tout ça (à mon sens) peut se mettre dans une grosse case "culture de l'auteur". Une culture qu'il partage avec d'autres, et, du coup, à laquelle il participe aussi.

      Supprimer
  3. Oula, j'ai failli troller un collègue ici ! Il faut que je me retienne. Merci pour le lien. Un article intéressant et en même temps assez vain - ouh ouh. Dans le cas d'artistes à forte personnalité, il est difficile en fait de juste "copier". Ils n'y arrivent tout simplement pas, il faut qu'ils mettent leur grain de sel.
    Le cas de la "Nouvelle BD (autocensuré) Française" est intéressant puisqu'à l'origine, ils ont voulu casser avec une tradition graphique franco-belge - ce qui a mon avis était aussi une erreur culturelle même si elle s'avère payante d'un point de vue communication médiatique - qui leur semblait dévoyée.Le dessin d'avant-guerre "non contaminé" par les écoles belges marquées par Disney et la ligne claire ont permis de développer des graphismes plus libres et il se trouve que Bofa est un exemple vivant de graphisme libre. Je ne pense quand même pas que seul Bofa soit à l'origine du graphisme de Blutch, Blain et d'autres. C'est une des influences revendiquées mais pas que.
    En fait, personnellement, je suis beaucoup plus fasciné par le cas Wallace Morgan: http://www.li-an.fr/blog/zolies-images/wallace-morgan/

    Sinon, bravo pour cet article qui est bien écrit, rythmé et qui pousse à en voir plus.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. > Dans le cas d'artistes à forte personnalité, il est difficile en fait de juste "copier". Ils n'y arrivent tout simplement pas, il faut qu'ils mettent leur grain de sel.

      Bin, disons que je pense que leurs fortes personnalités permettent de s'émanciper de leurs modèles et influences, permettent de se créer une identité, et permettent de participer à cette fameuse culture commune en réinjectant du nouveau, en apportant quelque chose au schmilblick. Les autres auteurs, purs copistes, vont passer inaperçus, tout simplement parce que ce qu'ils feront n'apportera rien, n'apprendra rien, passera en-dessous des radars. (J'aurais peut être du écrire ce message avec la ligne claire comme exemple.) C'est la différence entre les Foo Fighters et un type qui s'habille, se coiffe, et chante comme Johnny Hallyday.

      > Le cas de la "Nouvelle BD (autocensuré) Française" est intéressant puisqu'à l'origine, ils ont voulu casser avec une tradition graphique franco-belge - ce qui a mon avis était aussi une erreur culturelle même si elle s'avère payante d'un point de vue communication médiatique - qui leur semblait dévoyée.

      Le truc, c'est qu'on met toujours Trondheim dans la nouvelle BD, et que Trondheim et tout sauf en rupture, avec des références nettes (Barks, Hergé, Spirou), alors, après, je ne sais plus quoi penser de toute cette histoire.

      Je crois qu'il est grand temps d'instaurer deux courants dans ce courant. Les Trondheimistes et les Blutcho-blainiens. (Les Sfarois seront mis à part.)

      > Le dessin d'avant-guerre "non contaminé" par les écoles belges marquées par Disney et la ligne claire ont permis de développer des graphismes plus libres et il se trouve que Bofa est un exemple vivant de graphisme libre.

      'ffectivement. Et il me semble que Bofa lui-même voulait de la rupture, donc était dans la même démarche. En fait, Blutch est plus proche des démarches du Bofa de la fin. (Le Bofa de "la croisière incertaine", où il commence par illustrer un texte, puis est amené à virer quasiment tout le texte pour conserver les mystères du dessin, me fait penser au Mitchum n°4 (n°5 ?) de Blutch, où il commence à construire une BD classique, avant de tout envoyer valser en redessinant des danseurs en grand sur les planches déjà encrées.) Liberté, liberté.

      http://www.li-an.fr/blog/zolies-images/la-croisiere-incertaine-gus-bofa-seuil/

      > Je ne pense quand même pas que seul Bofa soit à l'origine du graphisme de Blutch, Blain et d'autres. C'est une des influences revendiquées mais pas que.

      Oui, c'est la limite du post. J'ai pris l'angle restrictif "Gus Bofa", parce que sinon 1) je n'avais pas la culture suffisante pour reconnaître toutes les autres influences de Blutch, 2) j'aurais du y passer 15 postes.

      > En fait, personnellement, je suis beaucoup plus fasciné par le cas Wallace Morgan: http://www.li-an.fr/blog/zolies-images/wallace-morgan/

      Oui, bin, voilà, ça, par exemple, je ne connaissais pas du tout. Et ça a l'air bien cool.

      > Sinon, bravo pour cet article qui est bien écrit, rythmé et qui pousse à en voir plus.

      Merci. Je ne peux pas dire que ce soit complet, mais si ça pousse à voir plus, alors, c'est déjà ça.

      Supprimer
  4. Bonsoir,
    Je suis votre blog avec beaucoup de plaisir depuis un an, et j'y trouve culture, humour et découvertes en un savant mélange. Bien sûr, il y a de temps en temps quelques coups de mou, mais on vous pardonne, car peu de commentateurs arrivent à parler intelligemment et sans pédanterie de la bande dessinée.
    Pour ajouter une pierre à ce post, au delà de Caran d'Ache, il y a un autre caricaturiste fabuleux, qui a également dû influencer nos nouveaux Bédéistes franchouillards, c'est Jean-Louis Forain, tout aussi réactionnaire et anti Dreyfusard que Cd'A, mais au dessin très vif et présentant une critique sociale plus féroce. Un dessinateur à découvrir, même si ses idées sont en général nauséabondes...
    A vous relire avec plaisir!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En effet, il a l'air d'être aussi dans le "corpus" des influences...

      Mais, bon, là, ça me dépasse, je ne saurais trop comment l'aborder, ce Forain là (en plus, comme il a différents styles, ça se complique).

      Par contre, il a effectivement l'air très con.

      Merci pour la remarque, en tout cas.

      Supprimer

Exprimez vous donc...