mercredi 30 avril 2014

La bande dessinée joue avec ses personnages.

Aujourd'hui, en m'inspirant de certaines règles issus des jeux (vidéos et de société), je vais essayer de comprendre comment xxxxxxxxxxxxxxcensuréxxxxxxxxxxxxxx n'a pas réussi à rendre ses personnages intéressants.


xxxxxxxxxxCensuré aussi, hé, pas con, le mec...xxxxxxxxxx

Il m'arrive de lire des bandes dessinées qui ont des éléments de départ séduisants (à commencer par des auteurs avec des cerveaux) mais qui sont, en fait, dans leurs développements, aussi tartes, ennuyeuses, longues, et tristes qu'un discours de Kim Jong-Un le jour de la mort de Mandela (en plus, il pleuvait).

APRÈS UNE PHRASE PAREILLE, VOUS VOUDRIEZ QUE JE DONNE LE NOM DE L'AUTEUR ? UN PEU DE CHARITÉ HUMAINE POUR CE PAUVRE VIEUX, NOM D'UN CHIEN !

Selon moi, si un récit, malgré ses données de bases favorables, ne décolle pas, c'est souvent parce que les personnages et le récit nous semblent être un prétexte.
  • Soit qu'ils servent de vecteur à la découverte d'un univers (« nan mais je vais trop les sécher avec mes visions, chuis un ouf, ma parole, trop je me kiffe ») 
  • Soit qu'ils servent à expliquer un propos (« j'ai besoin de faire passer un message de gauche / de droite / philosophique / personne n'a parlé avant moi de la nécessité de s'aimer les uns les autres / le monde a besoin de savoir »).
  • Soit que les personnages sont contraints de faire ci ou ça par une logique externe de scénario sans que cela soit justifié par leurs personnalités, leurs qualités, leurs défauts, leurs passés, etc. Pourquoi s'intéresser à des personnages ou à univers dont les caractéristiques sont balayées par le chapitre 3 du scénario pour les nuls

Dans tous ces cas, ce que le lecteur attend et n'arrive pas à trouver, c'est d'être surpris par le destin incertain des personnages. Que ceux-ci ne soient pas contraints, encore et encore, par une volonté de scénariste qui les ramènerait sans arrêt en arrière.

« Je connais cette impression... » 
« C'est un peu désappointant... »

OUI MAIS BON MAIS D'ACCORD, MAIS COMMENT FAIRE, ALORS ?

Il faut s'inspirer de différentes théories des jeux.

DE QUOI ?

Merci, Dorian.

Comme le dit le monsieur ci-dessus, pour générer de l'incertitude dans les jeux, il faut que les différents participants puissent avoir des stratégies (complètement ou juste un peu) :
  • Équilibrées (avoir un nombre acceptable de stratégies viables).
  • Justes (les mêmes chances de victoires pour tous).
  • Symétriques (les mêmes choix possibles au départ).

Si, au cours d'un jeu, on se rend compte que la partie est asymétrique (l'autre participant à le droit de jouer 15 coups avant que vous puissiez en jouer 1) et/ou injuste (nous, on peut donner des coups de poings ; l'autre, il peut faire exploser des planètes ; merci bien) et/ou déséquilibrée (nos coups de poings, ça lui fait rien du tout) ; alors on aura envie de tester notre super pouvoir de balançage de manette à travers la fenêtre, histoire de prouver à tout le monde que, si, on peut un tant soit peu influer sur le jeu.


Donner un gros point faible au géant de pierre pour qu'on puisse le vaincre, ce n'est pas une facilité de gameplay, non, 
c'est le ré-équilibrage de personnages dissymétriques, nuance (c'est très technique).

Si, par contre, le jeu est bien réfléchi, ces équilibres, justices, et symétries permettront de générer de l'aléatoire : 
  1. Un participant met en place une stratégie.
  2. Comme le jeu est symétrique, le second participant est en mesure de mettre en place une contre-stratégie.
  3. Comme le jeu est équilibré, le premier participant peut définir une contre-contre-stratégie.
  4. Comme le jeu est juste, le second participant peu contrer la contre-contre-stratégie avec une contre-contre-contre-stratégie.
  5. Etc...

Au final, les deux participants pouvant se stratégiser et se contre-stratégiser la face à longueur de temps, on ne sait plus quel va être le prochain coup de l'adversaire. Est-ce qu'il va faire sa stratégie de base ou directement sa contre-contre-stratégie pour anticiper la contre-stratégie de son adversaire ? Mystère, boule de gomme, et suspense à la réglisse.




Bastien Vivès, Michaël Sanlaville, Balak, Lastman, Casterman.

Le combat est trop déséquilibré (le méga-coup-de-poing-dans-la-tronche n'a pas de contre-stratégie viable), 
du coup, la règle limite la stratégie du héros pour rendre le combat plus intéressant.

Ces différentes règles permettent alors de simuler un état de liberté (très restreint, entre quelques stratégies seulement) (essayez de fuir un combat de street fighter plutôt que d'y participer : impossible) (alors que, moi, c'est la première idée qui me viendrait face à Blanka) (ou Vega) (ou Gouken) (ou ma petite cousine). Cet état simulé de liberté génère de l'inattendu et de la surprise. (Qui va gagner ? Et comment ?)

PARLONS UN PEU CONSTRUCTION DE PERSONNAGES.

Le but d'un scénariste, quand il prend la position du penseur de Rodin en regardant vers l'horizon (ou un poster de chamois dans sa chambre, c'est pareil) avec la lumière tamisée comme sur les photos d'Humphrey Bogart (un T-shirt sale sur la lampe de chevet fera l'affaire), le but du scénariste quand il approfondit ses personnages est de leur définir des personnalités telles qu'il est crédible qu'ils soient capables de mettre en branle différentes stratégies viables.

ÉTAT SIMULÉ DE LIBERTÉ.

Si tous les personnages d'un récit peuvent avoir des stratégies / des vies / des destins équilibrés, justes, et symétriques, le lecteur sera dans l'impossibilité d'anticiper « le prochain coup » de chaque personnage (puisqu'ils pourront chacun jouer plusieurs coups différents, cohérents, valables, et intéressants pour eux).

Le lecteur aura l'impression que les personnages sont libres de leurs mouvements (ce qui les rend plus réalistes et renforce l'empathie) et anticipera moins la suite de l'histoire (ce qui la rend plus intéressante).


Alan Moore, Dave Gibbons, John Higgins, Watchmen, DC Comics & Delcourt (traduction de Jean-Patrick Manchette).

Un exemple de déséquilibre patent entre les stratégies et les vies de deux personnages, ce qui nous donne l'impression que l'un des deux est comme prisonnier de son destin (et c'est bien ce qui est voulu).

(P.S. Je reviendrai sur tout le bazar concernant Watchmen pas plus tard que dans trois posts.) (Teasing.)

Dans un jeu, on donne tel pouvoir à tel personnage pour qu'il puisse tataner la gueule à tout ce qui bouge et se confronter à d'autres personnages.

Dans un récit, c'est pareil. Le Walter White de Breaking Bad (Vince Gilligan) sera un chimiste de génie, ce qui lui offrira la stratégie viable « devenir baron de la drogue ». Le Aliocha des frères Karamazov (Fiodor Dostoïevski) sera bon, ce qui lui offrira la stratégie viable « tout encaisser et sauver ma famille ».

Ces personnages sont d'autant plus intéressants quand d'autres caractéristiques viennent renforcer ou nuancer (et en tout cas crédibiliser) les fameuses stratégies.

L'ego et la frustration de Walter White seront des traits de caractères négatifs qui lui permettront de renforcer ses capacités à franchir les différents obstacles / méchants latinos et atteindre son but. La foi et la liberté d'Aliocha l'aident dans sa quête de rédemption familiale. (Et ce n'est pas un hasard si ces personnages extrêmement complexes naissent dans des récits (Watchmen inclus) s’interrogeant justement sur l'existence et la valeur de la liberté individuelle.)



Katsuhiro Otomo, Akira, Kondansha & Glénat (traduction de Sylvain Chollet, adaptation de Digibox).

Frustration et gros ego font souvent bon ménage pour faire péter les plombs à un personnage. (Ici, le tempérament soupe-au-lait de Tetsuo va lui jouer des tours mais permettre de développer à nouveau des questions autour de la liberté individuelle.)

MAIS, D'AILLEURS, ON PARLE SOUVENT DE PERSONNAGES TELLEMENT LIBRES QU'ILS ÉCHAPPENT A LEURS CRÉATEURS, NON ?

Ne soyez pas naïf et arrêtez de croire ce que disent les auteurs dans les dîners pour se la jouer (il faut toujours traduire « c'était dingue, l'encre glissait entre mes doigts, j'avais l'impression que mes personnages écrivaient à ma place », par « j'en ai chié des nuits et des nuits, à pas dormir, à trop fumer, à me péter le dos sur ma chaise Ikéa, mais, bon, au final, j'espère que ça a pas l'air trop tarte ») (quand vous entrez dans la confrérie des auteurs, un jour, un petit nain habillé en rouge sonne à votre porte et commence à vous expliquer toutes les phrases types qu'il faut balancer en interview pour continuer à faire vivre le mythe).

EN FAIT.

Si un personnage est construit de manière complexe, il peut arriver, au cours de l'écriture de l'histoire, qu'il soit plus logique, plus cohérent avec ses motivations et ses capacités, qu'il fasse ceci au lieu de cela. Une action qui n'avait pas été envisagée au départ de l'écriture parce que le scénariste n'avait pas encore assez bien défini son personnage. Une action qui est ensuite dictée par la logique générale du récit une fois tous ses constituants bien définis.

C'est tout.

Le saviez-vous, au départ, Akira devait être une série de moto.

Et puis, une chose en entraînant une autre...

Ça a un peu changé d'ambiance.

ET LA, C'EST LE DRAME.

Si l'auteur a une certaine idée du développement de l'intrigue (tourner à droite), mais qu'il est plus cohérent pour le personnage de s'opposer à ce développement (le personnage est communiste, hémiplégique, gaucher, et le chemin de droite est barré par trois loups), arrive le point de non-retour : suivre la logique de son récit et de son personnage ou aller à l'encontre de tout ça et se dire « je fais bien ce que je veux, c'est moi le chef, après tout ».

NOUS ESSAYERONS DE VOIR QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE CE CHOIX LA SEMAINE PROCHAINE.

2 commentaires:

  1. Je trouve votre blog passionnant. J'apprends énormément depuis que je l'ai découvert. C'est un vrai plaisir.

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    1. Merci merci merci merci.

      (Moi aussi j'apprends des tas de trucs en réfléchissant sur ces sujets.) (ça sert à tout le monde finalement, ce bazar.) (Enfin, bon, ne détournons pas le sujet : merci.)

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