jeudi 31 octobre 2013

La bande dessinée, c'est de la littérature, mais en mieux.

Laurent André nous montre comment mettre à l'amende Victor Hugo, Johann Wolfgang Goethe et Homère, comme ça, d'une pichenette.

Laurent André, quel et le propos ?, L'Association.

Comme j'essayais de le dire précédemment : la bande dessinée est une écriture.

Les lettres ne sont que des dessins à la fois plus précis et plus restrictifs que la plupart de leurs congénères.

Entre ça :


Et ça :


Il n'y a  a pas tant de différences...

Un des avantages de la bande dessinée étant que les deux modes d'expression (texte et dessin) peuvent cohabiter de manière pacifique, sans que cela ne choque personne (alors qu'en littérature, glisser des illustrations dans les bouquins est tout un pataquès) (et ça ne respecte pas l'imagination du lecteur, et c'est infantilisant, et patati et patata), Laurent André se dit qu'il va  pousser le bouchon un peu plus loin.

JE SUIS OBSESSIONNEL, NE FAITES PAS ATTENTION.

Je ne répéterai jamais assez que, pour moi, la plus grande force de la bande dessinée est de pouvoir faire des choses merveilleuses l'air de rien, avec modestie et discrétion.

Ici, Laurent André mêle des tas d'éléments différents en un tout harmonieux et que l'on trouve absolument naturel, juste parce qu'il arrive à équilibrer l'ensemble des petits bouts composant sa page.

Parce que si on énumère, on trouve :

  • BEAUCOUP DE TEXTES QUI SE SUFFISENT A EUX-MÊMES, QUI N'ONT PAS BESOIN DE DESSINS.



  • DES DESSINS EGALEMENT INDÉPENDANTS.



  • DES TEXTES QUI VARIENT EN TAILLES, EN POLICES. QUI SONT DE GUINGOIS. QUI  EXPRIMENT QUELQUE CHOSE DE PAR LEURS FORMES.



  • DES SIGNES, DES SCHÉMAS.





  • DES DIALOGUES.



  • DES NARRATIFS.



  • DES ADRESSES AUX LECTEURS.



  • DES JEUX D'ENCHAÎNEMENTS.



  • UNE COMPOSITION COMPLÈTEMENT ZINZIN...



  • DES INTERACTIONS ENTRE TOUS CES PATAQUÈS IMPROBABLES.



Et tout cela mêlé, touillé, par petits bouts épars. Chaque partie étant drôle, elles s'accumulent pour, encore une fois, accroître l'impact du tout et former un style unique. Ce qui donne le truc le plus proche de la méthode « on fait ce qu'on veut » (autrement appelée « j'ai la fuck you attitude ») qu'on puisse imaginer. 

Laurent André, ce rebelle.

DES PETITS BOUTS ÉPARS, C'EST DONC BIEN UNE BANDE DESSINÉE.

(Qui est pour moi, petit rappel, le simple fait de mettre deux dessins l'un à côté de l'autre.) 

Ici, certains dessins ne sont simplement que des bouts de textes. Comme si on avait pris une case, qu'on en avait viré les cadres et les dessins. Il reste le texte de la case. Mis à côté d'autres textes dans d'autres cases. Renoncer à mettre des dessins dans certaines cases, c'est, finalement, renoncer à une convention de plus. Ce n'est pas parce qu'on peut mettre dessin ET texte (pas comme chez les romanciers, ces ringards), qu'on est obligé de mettre les deux.

On se trouve là au coeur de ce qui fait la beauté de la bande dessinée. Sa plasticité. Sa fluidité. Sa souplesse. Sa richesse. Son apparente facilité. Sa liberté. Sa versatilité.

(Retenez moi ou je suis parti pour aligner les substantifs  jusqu'à demain.)

La transition, le décalage, le renforcement ou la suppression d'un élément, d'un dessin, d'un texte ; la construction bizarroïde... Tout cela est naturel, puisque c'est l'essence même de la bande dessinée que d’accoler des images différentes pour créer un effet inattendu (et donc de réfléchir à comment accoler ces éléments, et quels éléments accoler).

En ce sens, Laurent André fait ici de la très bonne bande dessinée, parce qu'il ne se restreint jamais et pousse les limites du médium. Pas de règles de case, pas de règles de bulle, pas de règles de linéarité. Un ensemble de dessins placés les uns à côtés des autres. La bande dessinée dans ce qu'elle a de plus pur, et de plus libre.

Et comme ce travail est fou-fou-libre, il semble logique que sa lecture soit fo-folle-libre. Et comme sa lecture est fo-folle-libre, le lecteur lui-même se sent fou-fou-libre. La structure de la page de Laurent André communique sa folie douce au lecteur, par sa manière d'être lue. 

Les gags étranges épousent parfaitement la lecture étrange de cette étrange bande dessinée.

Cette étrangeté nous devient naturelle et nous avons l'impression, nous aussi, en quittant la lecture, d'être un peu plus fou-fou et un peu plus libre.

BREF.

Vive Laurent André.

MALGRE TOUT UN PETIT POINT INTELLO-RELOU SUR LE PROBLÈME DE LA BANDE DESSINÉE COMME UNE SOUS-LITTÉRATURE.

Certains pourraient répondre à Laurent André « oui mais bon, on est à la limite, ici ; ça ressemble plus à de la littérature avec des bouts d'illustrations dedans ». Ce ne sont après tout que des petits bouts de textes indépendants et rigolos à lire à la queue leu leu. (Et certains font ça très bien.)

MAIS !

Ce serait oublier sciemment tout son travail de mise en place et de mise en relation des différents éléments, pour que tous résonnent plus qu'un seul.

DE PLUS...

La littérature ne contient (presque) que des mots. La bande dessinée contient des images, des mots, des sigles, et SURTOUT travaille à les agencer comme bon lui semble sur une page pour en faire un tout harmonieux.

DONC.

C'est la bande dessinée qui contient et utilise en partie la littérature, tout ça pour devenir une forme artistique plus large, plus libre, plus emplie de possibilités. Un ensemble de possibilités qu'utilise au maximum Laurent André.

ET DONC, ENFIN.

C'est la littérature qui est un sous genre de la bande dessinée. (Et toc !)

(Et si d'aventure, au cours d'un dîner mondain, vous tombez sur des gens affirmant que la bande dessinée est un sous-genre littéraire, vous savez maintenant que vous pouvez leur rire au nez, leur balancer un bel « effet miroir » « céçuikidikihié », et partir comme un prince en vous drapant dans votre cape.)

8 commentaires:

  1. J'aime bien votre dernière remarque.
    Ceci dit, le problème de défendre la BD ne se pose pas lorsque le curseur de la conversation "mondaine" reste désespérément bloqué sur le niveau d'un forum de Doctissimo. Ça fait deux semaines que j'attends l'occasion d'évoquer Libon en société, alors parler de Laurent André...
    (C'est d'autant plus dommage que ce soir, Halloween oblige, j'ai justement une cape pour m'en draper et pouvoir partir comme un prince. Le monde est vraiment mal fait.)

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  2. C'est ça d'être beau, intelligent, et brillant : on se rend vite compte que les autres sont des gros nuls et qu'on devrait nous filer n'importe quel prix Nobel au plus vite pour bien montrer notre supériorité (on partage, je prend le Nobel de physique et celui de littérature, je vous laisse les autres).

    Pour Laurent André, petite feinte : il faut laisser traîner un Fluide Glacial sur une table basse (ça fait populaire), et comme Laurent André traîne lui-même dans Fluide, ce serait bien le diable si le sujet ne vient pas sur la table (jeu de mot, calembour, je m'époustoufle).

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  3. Non!!!

    Tu refuse le prix Nobel de littérature en attendant qu'ils le renomment prix Nobel de Bande Dessiné.

    Non mais !!! Un peu de cohérence s'il vous plait !!!

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  4. Bonjour les amis, c'est Laurent André à l'appareil... Je viens de tomber sur cette page et je voulais en remercier l'auteur ! En plus on a presque le même nom de famille, un peu comme si on prononçait le mien en mangeant un jambon-beurre. Franchement merci et bonne continuation pour vos chroniques cher Philippe. (je mets "anonyme" car je n'ai pas de compte Google, pas de compte Word Press, pas de compte tout court)

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    1. Je crois qu'avoir presque le même nom de famille que moi n'est pas une excuse suffisante pour la rareté de votre travail. C'est pas très très gentil de nous laisser en manque.

      Alors qu'avoir une page complète publiée jounalièrement dans le Washington Post (plus un cahier central de 8 pages le dimanche), et être la personne vendant le plus de bande dessinées dans l'univers semble pourtant être un plan de carrière vachement hyper cool.

      (Je vous souffle l'idée, au cas où.) (Si elle marche, je me contanterais de 10 % de vos gains.) (Je sais rester à ma place, tout de même.)

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  5. Beh oui, désolé de ne pas avoir donné suite à ce petit bouquinot mais une certaine spontanéité liée à l'époque de la ponte du bidule s'est mystérieusement évaporée depuis. Il m'arrive de chercher (très mollement il faut le reconnaître) comment dire autre chose et d'une autre façon par le biais du dessin mais j'avoue être un peu en rade devant ce couteau... en admettant que je sois une poule.

    Vous n'êtes pas le seul, vous êtes au moins douze ou quatorze :) à me blâmer de ce manque de réactivité mais quand ça veut pas, ça veut pas. J'ai bien pondu une ou deux planches pour Fluide et quelques dessins pour Le Tigre notamment, mais je crois bien avoir perdu le mood. Je fais d'autres trucs bien sûr (rien qui s'en rapproche) mais pour l'instant, la bande dessinée fait sa tête de con dans son coin. J'ai l'impression qu'elle boude.

    Quoi qu'il en soit, bravo pour ton blog (tutoyons-nous, soyons fou-fous) et merci encore pour cette chronique qui m'a fait très plaisir !
    Long life to the zouave !

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    1. C'est ça le problème des gens trop doués. A faire des bandes dessinées légères comme des bulles de pousse-mousse, on oublie que ça a du être très difficile à faire, et que, bon, on peut déjà être content d'avoir eu tout ça à se mettre devant les yeux.

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