jeudi 30 juin 2016

La bande dessinée fait zen.

QUAND C'EST FLOU, C'EST QU'IL Y A UN LOUP.

Nous avons vu que la grande passion de Otomo, c'est de tout péter. Jusqu'à péter les lignes droites. Jusqu'à rendre flou ces lignes droites qui représentent l'enferment de nos sociétés modernes et inhumaines qu'il convient de piétiner jusqu'à notre libération totale. Tout raser et repartir sur du neuf bien sain, voilà une bonne méthode (quoi qu'un chouille radicale).

Au début, il y avait de beaux immeubles tout droit (avec de la société post-moderne libéralo-fasciste dedans). À la fin, y a plus un immeuble droit, toutes leurs lignes sont brisées, et elles disparaissent même dans le flou des nuages et de la brume.

La marche vers le flou est une marche vers la libération.

La liberté en marche (allégorie).
(D'accord, al liberté boite un peu, mais c'est l'intention qui compte.)

CHEZ MIYAZAKI, TOUT EST DÉJÀ FLOU.

Ses lignes s’interrompent. Elles sont courbes. Elles s'entrecroisent. Les volumes sont mal définis et se superposent.


Les masses de noir ne soulignent pas des surfaces (comme les différentes faces des immeubles carrés ou des puits carrés ou des tunnels carrés chez Otomo) mais des volumes (ronds).


Le milieu représenté n'est plus urbain mais (la plus part du temps) naturel (que ce soit dans la forêt ou dans les airs).


Et même quand c'est en milieu « urbain », les villes qu'il dessine sont toutes en courbes, et absolument pas droites.



(Oui, alors, sinon, n'oubliez pas, hein, pour lire les planches de Nausicäa : de droite à gauche, à la japonaise. (Trop hipster !))

BREF. ÇA N'A STRICTEMENT PLUS RIEN À VOIR AVEC CE QUE REPRÉSENTAIT OTOMO.

Et je ne vous ai pas encore parlé de la grande invention de Miyazaki : « la mer de la décomposition », c'est à dire que c'est le paysage classique, mais recouvert d'une couche vaguement blanche de spore, champignon, moisissures, etc. Si le paysage décrit n'était pas assez rond et flou, il est roudouillé et flouiffié encore plus par cette mer de moisissure.

Quand j'ai dit que ça roudouillait le paysage, j'ai pas non plus dit que c'était mignon, hein.
C'est pas Totoro au pays des schtroumpfs. c'est une métaphore des dégâts nucléaires, je vous rappelle !

Du coup, Miyazaki adopte l'axe exactement opposé à Otomo quand il s'agit de mener son récit. Chez Otomo l'action nette et propre était rendue de plus en plus complexe par les flouiffications successives, ce qui favorisait un recentrage du récit sur la psychologie des personnages. Chez Miyazaki, la psychologie des personnages est déjà au cœur du récit, dès le début. L'action est bien là, mais elle ne structure pas le récit, ne lui donne pas ses lignes de force. Non, ce qui quadrille et rythme l'histoire, ce sont les états d'âmes des personnages.

Le schéma est simple : Nausicäa a des états d'âmes, puis elle rencontre un gusse, et ils ont des états d'âmes ensemble, 
puis ils rencontrent un troisième, et ça loupe pas, ils se font tous du mourron à l'unisson.


Fuyez Nausicäa pauvre fou ! Elle va vous filer de la dépression !

Ça blablatte beaucoup dans Nausicäa, ça monologue même souvent, en se posant des tas de questions sur le sens de la vie, où courge, dans quelle étagère, etc... C'est même limite un peu relou à force, puisque Nausicaä (et d'autres personnages) passe quand même les sept tomes du bouquin à se demander pourquoi les gens sont si méchants, et est-ce qu'il vaut mieux être méchant, ou être gentil. (Moi, je pense qu'il vaut mieux être vendeur de glace. Si des lycéens me lisent, pensez donc à cette voie professionnelle, trop peu mise en avant à mon goût, et qui a quand même comme énorme avantage qu'on peut manger de la glace TOUT LE TEMPS.) Même quand on assiste à des scènes d'actions, c'est pour lire les pensées des personnages du genre : « vais-je mourir ? Oh un papillon ! Mourir au milieu des mignons papillons, quelle ironie » ; ou un truc comme ça. (Quoi, je « caricature » ?).

Tout l'enjeu de Nausicäa se trouve dans la perte de self-contrôle. Soit les personnages sont réflexifs. Soit ils perdent les pédalent et veulent tout péter. L'enjeu est de rester cool, ou de le redevenir une fois qu'on a vu rouge.

Bref, à la base, au cœur du récit se trouvent les atermoiements, réflexions, et revirements psychologiques des personnages. Un cœur qui, comme chez Otomo, va être troublé. Sauf que cette fois-ci, c'est l'action qui va troubler cette douce ambiance d'auto-analyse psychologique constante. (Chez Otomo, l'action est troublée par le récit, chez Miyazaki, la nature propice à la réflexion est troublée par l'action.)


Celui qui s’énerve a perdu.

C'est ce qui fait de Nausicäa une oeuvre à l'ambiance zen... Ceux qui perdent leur sang-froid en étant confronté à l'action perdent. Ceux qui réussissent à garder la tête froide (les vieux mystérieux ou les capitaines de guerre) (ou les personnages dont le nom donne le titre du livre) semblent dominer le jeu général de la guerre, et mener le récit. Ceux qui arrivent à calmer les autres personnages gagnent le respect et deviennent des leaders (bon, je met un pluriel pour faire bien, mais y a qu'un perso qui arrive à faire ça, et c'est bien sûr Nausicäa).

ACTION ET RÉFLEXION. BONNET BLANC ET BLANC BONNET.

Mais tout ça ne change rien parce que, chez Otomo ou chez Miyazaki, on en arrive au même point : analyser pourquoi les gens se tapent dessus, et comment arriver à ce qu'ils ne le fassent plus (attention, je le rappelle pour les distraits : la guerre, c'est mal).

Otomo a simplement pris un contexte d'action, et l'a amené vers le psychologique, et Miyazaki a pris un contexte psychologique qu'il a troublé par de l'action. Les deux auteurs ont pris les deux chemins opposés pour contourner la même montagne et en sont arrivés au même point. (Dites pas le contraire, je me suis déchiré sur cette métaphore, non ?)

On a dit « celui qui s'énerve a perdu ». Rhooo, c'est pas possible, ça ! Personne m'écoute ou quoi ?

MÉCANIQUE DE LA VIOLENCE.

Oui, parce que, le gros point commun entre les récits de Miyaazaki et de Otomo, c'est qu'ils vont assez loin dans leur narration pour que la violence ne soit pas simplement une toile peinte en fond pour donner de la substance au récit (faut bien qu'il se passe des trucs pour qu'on puisse raconter quelque chose, alors pourquoi pas une bonne petite guerre des familles).

Ils ne font pas qu'utiliser la violence, mais ils en analysent ce qui est pour eux, la cause de tout le bordel.

Et (attention, je vous préviens, la réponse va chambouler votre vie) : la violence est générée par le manque d'amour. (C'est-y-pas mignon ?)

Ou la violence est générée par un excès de connerie. Parce qu'il a l'air très très con, quand même.

MAZETTE !

Chez Miyazaki, on a le droit à différentes castes royales qui se tapent les unes sur les autres de manière indifférenciée, parce que maman avait un préféré, et que le petit dernier n'a jamais pu saqué le fait que ce n'était pas lui. Le cercle familial et l'amour filial/maternel sont d'ailleurs les principaux moteurs du récit. Ils motivent les familles royales pour se taper dessus. Il motive les insectes géants pour bouffer des humains. Il motive les armes-géantes-humanoïde-débiles pour tout raser dans un rayon de vingt kilomètres.




Une description subtile des rapports de classe. Bourdieu represent !

Au final, la solution de Miyazaki pour réussir à éviter la violence est simple : faites une bonne psychanalyse, et on n'en parlera plus.

Chez Otomo on a le droit à l'abandon des enfants. De tous les enfants. Tout le temps. Des enfants abandonnés dans des centres façon DDASS. Des enfants piégés dans des études médicales glauques. Des enfants utilisés par le gouvernements. Des enfants utilisés par l'armée. Des enfants tout simplement seuls, qui ne veulent rien d'autre qu'un ami (ou une maman).

Puisqu'on vous dit que la solution, c'est l'amour de son prochain ! Ça va rentrer bordel !

Au final, la solution de Otomo pour réussir à éviter la violence est simple : avoir un bon copain.

PFOUYAYA CA VA LOIN DANS L'ANALYSE, DIS DONC !

Ces points de vue sont structurés autour des personnages méga-badass du récit : un soldat géant complètement con chez Miyazaki, et Testuo, le meilleur ami du personnage principal, chez Otomo.

Les deux ont des pouvoirs considérables (ils peuvent tuer n'importe qui et n'importe quoi dès qu'ils le veulent) (ils peuvent raser une ville, aussi) (très pratique quand on travaille à l'urbanisme du grand Paris, si vous voulez mon avis) (il y a une piste à creuser).

Les deux sont en recherche d'une figure maternelle (chez Miyazaki, le soldat géant va croire que Nausicäa est sa maman et la suivre / la défendre comme un petit chien-chien (il est très con) ; chez Otomo, Testuo épargne la seule fille qu'il ne voit pas comme une potentielle proie sexuelle mais comme quelqu'un qui veut essayer de prendre soin de lui).

La seule personne dont Tetsuo n'arrache pas la tête est une jeune fille un peu paumée qui veut simplement l'aider. 
(Le pouvoir de l'amour nom de nom !)

Les deux sont des images d'enfants-roi capricieux (le soldat géant veut péter la gueule à tout le monde à la moindre contrariété, faut pas le chauffer ; Testuo veut se venger de son enfance traumatique de souffre-douleur en faisant ramper tout le monde à ses pieds). Testuo regresse même vers la fin du récit en prenant l'apparence d'un poupon géant et monstrueux, une forme quasiment similaire à celle du soldat-géant-enfant.



Pour me faire pardonner ces images dégueulasses, je vous offre une compensation de gif de chats mignons.





Les deux sont consumés par leurs pouvoirs et fondent (ce verbe n'est pas à prendre de manière métaphorique mais au premier degré, les deux personnages fondent réellement vers la fin du récit, en perdant des bouts de partout qui font « floc » en tombant). Ce qui compose une image très fine et subtile du pouvoir qui nous corrompt et nous consume tous.



Ooooh... Mais que vois-je...





Les deux auteurs, en décrivant un contexte de guerre apocalyptique, se sont retrouvés à personnifier cette guerre et les mécanismes de renouvellement de celle-ci par la figure d'un géant enfantin qui ne sait pas ce qu'il fait et contrôle mal ses pouvoirs, pouvoirs qu'il utilise avec sadisme parce qu'on lui a tapé dessus quand il était petit. La guerre est issus d'enfants capricieux qui n'ont pas su digérer leurs traumatismes d'enfances causés eux-mêmes par la précédente guerre (le géant débile a été construit durant la précédente guerre, Tetsuo a été abandonné dans un contexte post-troisième-guerre-mondiale) (voilà pour l'explication du cycle de la violence). (La violence engendre la violence.)

Ça philosophe sec, dites donc ! (En même temps, le type à la tête de Nietzsche.) 
(Et, oui, j'ai du googler le nom pour avoir la bonne orthographe.)

Ok. Maintenant c'est bien beau les constats à la gomme, mais que proposent les deux auteurs comme solution(s) pour pas reproduire ce cercle de la violence ad vitam comme des gros mongolos ? Et bin des solutions très différentes (c'est bien le truc rigolo dans cette affaire, les deux auteurs sont d'accords sur apeuprès tout, sauf à la fin, sur la solution à utiliser pour sortir de la merdasse).

UNE SOLUTION À VENIR DANS LE PROCHAIN ÉPISODE !

Allé, salut !


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